Allocution du Premier
ministre Jean Chrétien
à l'Université Duke
Le 3 décembre 2000
Durham (Caroline du Nord)
Je me sens très honoré par votre
accueil chaleureux. Je suis aussi très heureux de rendre la politesse au
gouverneur Hunt et au professeur Keohane et de revoir un très grand ami du
Canada, l’ambassadeur Giffin.
Je suis particulièrement heureux d’être
en visite dans cette université, où l’intérêt pour l’étude du Canada
est particulièrement élevé. Je sais que votre programme d’études
canadiennes compte parmi les plus importants et les plus dynamiques au pays. Et
on me dit que l’Université Duke a décerné plus de doctorats en études
canadiennes que toutes les autres universités américaines réunies.
Le Canada et les États-Unis sont des
membres très proches de ce que j’aime appeler la gran familia des
Amériques. En même temps, le Canada et les États du Sud sont en quelque sorte
comme des cousins qui se seraient perdus de vue. Des cousins que séparent non
seulement la distance mais aussi le manque de connaissance réciproque.
L’Université Duke et la Caroline du
Nord incarnent très bien l’immense vitalité, le dynamisme et la complexité
du Sud moderne. Une région imprégnée d’une fière conscience de l’histoire
et de la tradition. Une région qui a puisé force et prospérité dans l’adoption
enthousiaste d’idées nouvelles et de la nouvelle économie. Je compte bien
profiter de mon séjour ici pour apprendre à mieux vous connaître.
Pour ma part, j’aimerais consacrer
ces quelques instants à vous donner un avant-goût du Canada. Un pays qui
savoure la deuxième économie miracle d’Amérique du Nord, selon l’expression
employée par le Financial Times of London. Un pays qui a mis le cap sur
la nouvelle économie.
La société canadienne est fondée sur
bon nombre des mêmes valeurs fondamentales qui ont fait de nos deux pays de si
bons amis et de si bons partenaires dans le monde. Elle est aussi fondée sur
des valeurs et des façons de gouverner particulières qui définissent notre
identité unique en Amérique du Nord et dans le monde.
La démocratie et la liberté sont
notre cause commune.
Au cours des derniers mois, tous les
pays d’Amérique du Nord ont accompli le geste civique qui est à la base
même de la démocratie : la tenue d’élections. Le Président Fox du Mexique
est entré en fonction vendredi. Il y a quelques jours, les Canadiens m’ont
fait l’honneur de me confier un troisième mandat à titre de Premier
ministre. C’est donc dire que je suis non seulement heureux, mais aussi très
chanceux, d’être ici. Le Président Clinton m’a chaleureusement félicité
pour ma victoire tout en exprimant un peu d’envie devant le fait que notre
système me permet de solliciter un troisième mandat.
Par ailleurs, au nom du peuple du
Canada, je tiens à exprimer notre très profonde reconnaissance pour l’amitié
que le Président Clinton a témoignée au Canada au cours des huit dernières
années de même que pour le leadership dont il a fait preuve sur la scène
mondiale. À diverses reprises – que ce soit au Moyen-Orient, en Haïti ou en
Irlande – il a travaillé à instaurer l’harmonie et la confiance dans des
régions qui n’ont connu que la division et la méfiance.
Ce soir, j’aimerais saluer en lui l’ami
et l’homme d’État de premier ordre.
Mesdames et Messieurs, l’amitié
entre le Canada et les États-Unis est aussi un partenariat – pas seulement
pour la liberté, mais aussi pour la paix et la prospérité. Un partenariat qui
s’exprime de mille façons.
Par la manière dont nous nous aidons
à traverser les épreuves. Par les plus de 200 millions de fois que nous
franchissons le 49e parallèle chaque année. Par notre défense de l’ouverture
des marchés du monde entier au commerce et à l’investissement. Et par les
affaires de plus d’un milliard de dollars que nous transigeons entre nous
chaque jour.
Le Canada est le meilleur client de 38
États, dont la Caroline du Nord. En fait, le Canada est le plus grand marché
pour les exportations de la Caroline du Nord : notre pays compte pour 25 %
de vos exportations, soit davantage que vos trois autres plus importants
marchés réunis.
Et nous continuons d’établir des
partenariats efficaces pour faire face aux pressions que la mondialisation
rapide exerce sur notre relation.
La croissance de la circulation des
biens, des personnes, des capitaux et de la technologie entre nous a dépassé
toutes les attentes depuis l’ALENA. Il en résulte d’énormes pressions sur
l’infrastructure frontalière, sur les règlements et sur nos façons de
conduire les affaires. C’est la raison pour laquelle le Président Clinton et
moi avons créé le Partenariat Canada–É.-U. (PCEU) pour étudier la question
de la frontière.
L’accessibilité et l’efficacité
des postes frontaliers est d’importance critique pour la Caroline du Nord, car
une grande partie de vos exportations sont transportées par voie de terre. L’efficience
est un élément clé de la productivité. En l’absence d’infrastructures
adéquates, de procédures d’autorisation modernes et de réseaux de transport
rapides, ces produits deviennent moins concurrentiels. Le PCEU nous soumettra
son premier rapport, au Président et à moi-même, d’ici la fin de l’année.
Je ferai de ce rapport une priorité de notre gouvernement.
Nous devons également régler la
question révoltante du trafic d’êtres humains et nous pencher sur les
problèmes des stupéfiants, du terrorisme international et des produits
nuisibles pour l’environnement que nous partageons.
D’autre part, nous devons envisager
de plus en plus des partenariats d’envergure continentale, qui s’inspirent
des idées et de la force croissante du Mexique, afin de relever des défis
communs. L’élection du Président Fox illustre de manière spectaculaire la
transformation politique, économique et sociale en cours au Mexique. Il ne fait
aucun doute, selon moi, qu’il sera une force puissante au service de la
démocratie, des droits de la personne et du développement durable dans l’hémisphère
et dans le monde entier.
C’est dans cet esprit que nous devons
étudier comment nos trois pays pourraient encourager le développement de voies
de transport « vertes » sur le continent. L’économie nord-américaine, qui
est en pleine expansion, aura besoin de nouvelles voies pour le transport d’un
volume grandissant de biens et services. Mais en même temps, nous devons faire
en sorte que ces voies de transport soient « vertes ». Elles devraient
constituer des exemples de bonnes pratiques environnementales. Et encourager la
mise au point de pratiques, de combustibles et de technologies sans danger pour
notre environnement.
Mesdames et Messieurs, le 49e
parallèle est beaucoup plus que la frontière la plus ouverte au monde. Il s’agit
d’une ligne de partage continentale. Entre des entités amies, sans doute,
mais aussi entre des sociétés très différentes. Des sociétés dont les
différences n’ont pas été atténuées ou diluées par notre proximité ni
par l’intensité de nos relations.
Et cette situation n’est pas près de
changer.
Nous avons en commun des valeurs et des
objectifs. Mais les moyens que nous prenons pour les concrétiser sont
différents. Comme aux États-Unis, les droits individuels sont importants au
Canada. Très importants. Quand j’étais ministre de la Justice, j’ai aidé
à inscrire une Charte des droits et libertés dans la Constitution du Canada. C’est
une des grandes fiertés de ma carrière publique. Mais nous avons également
cherché à réaliser l’équilibre entre ces droits et les devoirs du citoyen.
Des devoirs aussi bien réciproques qu’envers la collectivité en général.
Cette approche empreinte d’équilibre
est celle que l’on appelle souvent la Troisième voie. Mais au risque d’avoir
l’air de me vanter, je l’appelle plutôt la « Voie canadienne ».
Car elle correspond à un modèle
propre au Canada : un accueil à toutes les cultures. La valorisation de la
diversité. Un partenariat entre les citoyens et l’État. Un équilibre entre
libertés individuelles et prospérité économique fondé sur le partage des
risques et des bénéfices. La reconnaissance qu’il ne suffit pas de stimuler
l’économie et de créer de la prospérité. Il faut en partager les
retombées.
Ce modèle est fondé sur la conviction
commune que le gouvernement peut servir l’intérêt général. Qu’il est une
force au service du mieux-être de la société.
Notre succès comme pays résulte non
seulement d’une forte croissance, mais aussi d’un engagement immuable envers
des valeurs solides. La générosité et la compassion. La volonté de partager
équitablement les fruits de la croissance économique.
Nos récentes élections ont confirmé
l’appui solide des Canadiens à un gouvernement actif qui cherche, d’une
manière équilibrée, à favoriser la croissance économique, à instaurer la
justice sociale et à assurer l’égalité des chances sur le plan économique.
Par exemple, notre gouvernement a
équilibré le budget et accordé la plus importante réduction d’impôt dans
toute l’histoire du Canada. Mais en même temps, nous avons effectué des
investissements stratégiques pour poser les assises de la nouvelle économie du
21e siècle. Des investissements en santé, en éducation, en
innovation. Grâce à nos investissements, nos citoyens auront notamment accès
à une voie rapide sur l’autoroute de l’information. De tels investissements
en innovation, en science, en recherche et développement resteront – dans la
mesure de nos moyens – la plus grande priorité de notre nouveau mandat.
En plus le Canada fait activement la
promotion de la diversité culturelle. Nous connaissons l’expérience
américaine du creuset et nous la respectons. Mais notre fédération et notre
pays sont nés du partenariat entre les cultures fondatrices française et
anglaise. Et nous avons mis en place des instruments et des programmes en faveur
des nombreuses autres cultures qui sont venues enrichir notre vie nationale.
Mesdames et Messieurs, nos pays se sont
façonnés chacun à leur manière. Je vois dans le respect mutuel que le Canada
et les États-Unis s’accordent à cet égard un témoignage de la maturité de
notre amitié. Étant donné toute l’inquiétude que bien des gens expriment
au sujet de la mondialisation et de ses effets sur la culture, l’expérience
du Canada et des États-Unis devrait constituer une source de réconfort.
Je vous ai dit tout à l’heure qu’à
mes yeux, la relation entre nos pays ne se limite pas au bon voisinage et à l’amitié.
Nous sommes membres de la gran familia des Amériques. Et la
consolidation de cet esprit de famille sera un objectif primordial du Canada
lors du premier Sommet des Amériques du nouveau millénaire, que notre pays
accueillera à Québec en avril 2001.
Notre plan d’action pour l’hémisphère
est ambitieux et comprend l’établissement d’une Zone de libre-échange des
Amériques d’ici 2005; un meilleur en la démocratie et l’État de droit; et
veiller à ce que toutes nos populations aient accès à l’univers de
possibilités nouvelles qu’offre l’Internet.
Ensemble et chacun de son côté, nos
deux pays ont un rôle essentiel à jouer pour ce qui est de définir la voie du
progrès pour les Amériques.
Les valeurs et les forces que nous
partageons, de même que le respect que nous portons à nos différences, font
de nous des partenaires idéaux pour travailler au développement de l’hémisphère.
Ensemble, nous pouvons entrer de
plain-pied dans le nouveau siècle en étant sûrs de nos moyens, de nos
principes et de notre amitié.
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