Le 15 octobre 2001
Ottawa (Ontario)
Monsieur le Président,
Il y a quelques semaines, j’ai conduit une délégation de parlementaires
canadiens dans un lieu d’horreur. Sur la tombe de 6000 âmes innocentes. Un
lieu que l’on a nommé le Point zéro.
Il est impossible de contempler les ruines du World Trade Center sans être
rempli d’émotion. De consternation. De compassion pour les victimes. De
révolte contre les auteurs de ce crime. Du désir de les punir comme ils le
méritent. Mais surtout, de la ferme détermination de faire front. De défendre
nos citoyens. Nos valeurs. Notre mode de vie. D’adresser un message très
clair aux lâches tapis dans l’ombre qui ont ourdi ce crime contre l’humanité :
« Vous ne pourrez plus vous terrer bien longtemps. »
Et si les attentats du 11 septembre marquent jusqu’où peut tomber la
nature humaine, la mobilisation résolue et vigoureuse du Canada et du monde
contre les forces de la terreur montre jusqu’à quels sommets peuvent s’élever
le courage et la volonté collective.
De la réaction sage et mesurée au Président George Bush. À l’unité
manifestée par l’OTAN. En passant par la formation rapide d’une coalition
multinationale et multiethnique sans précédent. Une coalition au sein de
laquelle les principaux adversaires de la Guerre froide – les États-Unis, la
Russie et la Chine – font maintenant cause commune.
Ici, au pays, Monsieur le Président, l’engagement des Canadiens a été
total. Et tous les gouvernements ont fait preuve du même engagement. Les maires
et les premiers ministres des provinces ont pris des mesures efficaces et fait
des propositions utiles. Les fonctionnaires ont travaillé sans arrêt,
méritant la reconnaissance de tous les Canadiens. Cette chambre a tenu des
débats de fond et nos comités ont eu des discussions approfondies.
Monsieur le Président, la protection des citoyens innocents contre le
terrorisme constituait une priorité fondamentale des nations civilisées avant
les terribles événements du 11 septembre. Le Canada pour sa part avait déjà
pris des moyens novateurs pour empêcher les terroristes d’exploiter notre
pays comme base d’opération pour lancer des attaques. Par exemple, nous
soumettons les voyageurs aériens à un contrôle à l’étranger, avant même
qu’ils ne s’embarquent pour le Canada.
De plus, les modifications proposées à la Loi sur l’immigration et
à la Loi sur les douanes qui ont été déposées devant le Parlement
anticipaient bon nombre des questions de sécurité et d’économie qui ont
pris tant d’importance ces derniers temps. J’invite tous les partis à
collaborer en vue d’adopter ces projets de loi de toute urgence.
Depuis le 11 septembre, nos postes frontaliers sont en état de haute alerte.
Et les mesures de sécurité ont immédiatement été resserrées dans nos
aéroports.
Mais depuis, il est devenu clair que la terreur fait peser une menace inouïe
sur notre mode de vie.
En Amérique du Nord, nous avons eu la chance extraordinaire de vivre en
paix, à l’abri des attaques.
La situation a changé.
Des mesures additionnelles devront être prises par le Canada, et par tous
les pays – individuellement et de concert les uns avec les autres – pour
mener une véritable offensive mondiale contre le terrorisme.
Par conséquent, Monsieur le Président, j’ai le plaisir d’informer la
Chambre des mesures concrètes que prend notre gouvernement dans le cadre d’un
plan d’action global pour la sécurité canadienne. Un plan d’action dont
les objectifs sont de protéger les citoyens canadiens. De veiller à la
sécurité de nos frontières. De préserver nos valeurs. De soutenir la
croissance économique. Et d’affronter la menace que le terrorisme fait peser
sur les nations libres et civilisées du monde entier.
Notre plan d’action prévoit à la fois des mesures immédiates et de
nouvelles dispositions législatives. Il est mesuré et bien ciblé. Il équipe
le Canada des moyens nécessaires pour être un partenaire international
énergique de la coalition qui s’est donnée pour mission de détruire, de
fond en comble, les réseaux nébuleux d’approvisionnement, de financement et
de pénétration grâce auxquels les terroristes ont exécuté le massacre du 11
septembre.
Avant tout, notre plan d’action donnera l’assurance à la population
canadienne que, même au lendemain des événements du 11 septembre, nous
pouvons mener nos vies comme nous l’entendons. Selon nos valeurs. Et non selon
les conditions dictées à partir de l’ombre.
Cependant, comme je l’ai affirmé devant l’assemblée des parlementaires
de l’OTAN la semaine dernière, Monsieur le Président, nous devons prendre
clairement conscience que nous sommes engagés dans un nouveau genre de conflit
contre un nouveau genre d’ennemi. Nous ne pouvons pas nous fier à la
rhétorique et à l’expérience des guerres passées pour définir nos
tactiques ou mesurer notre succès.
La mesure perverse du succès qu’utilisent nos adversaires n’est pas l’accumulation
de gains territoriaux, mais l’étendue des dommages qu’ils peuvent causer
par la terreur. Ils veulent s’attaquer aux fondations mêmes de nos
sociétés. Perturber nos économies. Susciter des affrontements entre
communautés, entre religions et entre citoyens.
Monsieur le Président, il ne fait aucun doute que le pouvoir militaire aura
un rôle à jouer dans ce nouveau conflit.
Ainsi, j'ai autorisé l'exécution de l'Opération Apollo – le plus vaste
déploiement de militaires canadiens depuis la Guerre de Corée. Plus de 2000
hommes et femmes vont y prendre part. Des tâches vitales ont été assignées
à nos navires, à nos transporteurs aériens et à nos avions de surveillance
aérienne dans le cadre de la campagne militaire internationale en cours contre
Oussama ben Laden. Son réseau al-Quaïda. Et le régime renégat des talibans
qui les abrite en Afghanistan.
Dès le début de cette campagne, nous avons dit très clairement que nous ne
ciblons pas l'Islam, mais bien un groupe d'extrémistes dont le but est de
terrifier et de perturber les nations. Et dont les actes meurtriers ont
injustement sali une grande religion mondiale. Nous ne sommes pas non plus en
conflit avec le peuple afghan. En fait, le monde entier a entrepris de fournir
des secours à la population de l'Afghanistan. Nous sommes en conflit avec le
régime taliban.
Monsieur le Président, aucune décision ne pourrait être plus grave pour un
Premier ministre que celle d'envoyer des Canadiens participer à des opérations
militaires. Je sais que tous les députés, comme tous les Canadiens et
Canadiennes, sont conscients de la gravité de cette décision.
Et j'ai été touché par l'appui solide que les représentants de tous les
partis ont exprimé à l'égard de nos militaires et de leurs familles. Je tiens
à remercier tout particulièrement les chefs des partis d'opposition de leur
collaboration.
Monsieur le Président, alors que le monde est rivé aux images des
opérations militaires, nous ne devons pas oublier que l'aspect militaire ne
représente qu'une partie de la lutte. Nos ennemis n'ont pas de domicile ni
d'adresse fixe, et toute action militaire efficace nécessitera des
renseignements précis et exacts. De plus, les Canadiens s'attendent, avec
raison, à ce que le Canada fasse davantage que riposter contre des actes de
terreur. Ils s'attendent à ce que nous agissions pour prévenir les actes
terroristes.
Pour y arriver, il faudra que les forces de police et de sécurité, ainsi
que les services de renseignement du monde entier, unissent leurs efforts et
fassent preuve de détermination et d'ingéniosité. Le défi qui se pose à
tous les États est de veiller à ce que les organismes d'enquête disposent des
outils dont ils ont besoin pour accélérer la mise en place de mesures de
première ligne pour protéger les citoyens. Pour déjouer les terroristes. Et
pour les traduire en justice.
Notre plan d'action contient déjà des mesures énergiques.
Nous avons approuvé de nouvelles dépenses à l'appui de mesures de
sécurité renforcées et de capacités d'enquête accrues. La sécurité est
resserrée à tous les postes frontaliers – aussi bien terrestres que
maritimes et aériens. Et pour tous les moyens de transport, en particulier le
transport aérien. Un plus grand nombre d'agents de la GRC et des services
d'immigration et de douanes seront affectés aux postes frontaliers. Les
technologies de pointe en matière de sécurité seront introduites rapidement.
Elles permettront d'améliorer la détection et de faciliter l'échange de
renseignements.
Cette semaine, nous allons annoncer de nouvelles mesures dans le domaine des
activités du renseignement et de la planification d'urgence.
Aujourd'hui, Monsieur le Président, la ministre de la Justice a déposé un
projet de loi qui nous aidera à lutter contre le terrorisme international.
Jusqu'à maintenant, le Canada a eu recours au Code criminel pour réprimer
le terrorisme. Dans le cas d'actes tels que les détournements, les attaques
contre des aéronefs et le meurtre, le Code criminel est un outil important. Ses
dispositions continueront d'ailleurs à servir pour poursuivre les terroristes
qui commettent de tels actes.
Mais les événements du 11 septembre nous ont montré qu'il nous faut
adopter une approche législative encore plus énergique et mieux ciblée. Pour
trouver des façons d'empêcher les attentats terroristes avant qu'ils ne se
produisent. En s'attaquant à leur organisation et à leur financement.
Ce projet de loi rendra illégale la participation aux activités d'un groupe
terroriste. Il interdira aussi de financer le terrorisme. Les nouvelles
dispositions assureront la mise en oeuvre complète, et efficace, de la
Convention des Nations Unies pour la répression du financement du terrorisme.
Et de la résolution 1373 du Conseil de sécurité de l'ONU.
En élaborant ce projet de loi, nous avons scruté les mesures prises par les
autres États démocratiques pour combattre le terrorisme. Il est essentiel
d'adopter une approche conforme à celle retenue par d'autres sociétés
démocratiques. De même qu'au droit international.
Et cet ensemble de dispositions législatives répond à nos obligations
internationales.
Monsieur le Président, une société libre et ouverte n’accroît jamais à
la légère les pouvoirs des autorités policières.
Nous avons cherché à élaborer des mesures législatives qui traduisent et
protègent de façon durable les valeurs fondamentales que sont pour nous la
liberté, la démocratie et l’égalité.
Le Canada est un pays libre. Un pays juste. Un État de droit. C’est aussi
une terre d’accueil. Un lieu où des gens de presque toutes les nations et
religions de la terre sont venus trouver la liberté, le respect, l’harmonie.
Et un avenir meilleur.
Ces valeurs sont le mortier qui lie notre société.
Le terrorisme vise à miner la primauté du droit et la préservation des
droits de la personne. Le critère d’après lequel on peut vraiment jauger nos
valeurs, c’est la mesure dans laquelle elles nous guident en période de
crise. En toute franchise, notre pays n’a pas toujours été à la hauteur
dans le passé.
Nous devons être vigilants aujourd’hui. Et éviter de répéter les
erreurs du passé.
Quand j’étais ministre de la Justice, j’ai eu le privilège de veiller
à l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés. J’y
tiens profondément. Et je suis convaincu que le projet de loi que nous avons
présenté aujourd’hui est nécessaire pour protéger ces valeurs. Nous nous
sommes efforcés de protéger ces droits et libertés dans le cadre notre Loi
antiterroriste.
En effet, elle assure une protection réelle des droits individuels grâce à
l’inclusion de garanties quant à l’application régulière de la loi. Elle
prévoit un suivi parlementaire au bout de trois ans afin de réévaluer la
nécessité et l’efficacité des mesures prévues.
Cependant, nous reconnaissons tous que le texte a dû être rédigé très
vite. Aussi, l’examen soigneux du projet de loi par le Comité de la justice
de la Chambre sera particulièrement important. Ses membres devront examiner le
projet de loi du point de vue non seulement de la sécurité publique, mais
aussi des droits individuels.
Et je vous assure, Monsieur le Président, que le gouvernement portera très
attention aux constatations et aux recommandations du Comité. Je souhaite que
le Comité scrute attentivement le projet de loi tout en tenant compte, bien
sûr, de la nécessité de le faire adopter le plus vite possible.
Depuis le 11 septembre, certains groupes et individus ont été la cible d’injures
raciales et religieuses et même d’agressions violentes. Un tel comportement
est inadmissible au Canada. Le projet de loi antiterroriste renferme des
dispositions destinées à renforcer la protection de la liberté de croyance et
à contrer la haine fondée sur la race, la religion et les préjugés
ethniques.
Monsieur le Président, n’oublions jamais que le but ultime des terroristes
n’est pas de nous capturer par la force des armes. Mais bien par la force de
la terreur. Ils ne cherchent pas à occuper le Canada. Ils cherchent à le
paralyser!
Monsieur le Président, ce gouvernement, cette chambre, ce pays, ne les
laisseront pas faire!
Alors même que nous continuons de prendre des mesures énergiques pour
répondre aux préoccupations immédiates des Canadiens en matière de
sécurité, nous poursuivons notre programme à long terme en vue de bâtir un
Canada plus prospère où personne n’est laissé pour compte.
Les Canadiens n’ont jamais été du genre à vivre dans la crainte et la
méfiance. Notre société est ouverte et prospère. Notre plan d’action vise
à prendre les mesures nécessaires pour permettre à la vie de reprendre son
cours normal. À rassurer les Canadiens sur leur sécurité.
À permettre à nos entreprises de se remettre aux affaires en sachant que la
libre circulation des produits et services à la frontière avec les États-Unis
– l’assise de la prospérité canadienne – sera maintenue.
Au pays, notre gouvernement continuera d’observer des politiques
économiques et financières conçues pour permettre aux entreprises et aux
consommateurs d’envisager l’avenir avec optimisme et confiance. Nous
veillerons aussi en collaboration avec nos partenaires du G-7 à assurer la
stabilité de l’économie mondiale.
J’ajouterais, Monsieur le Président, que si nous nous attendons à ce que
les Canadiens poursuivent leurs activités normales, nous devons leur donner l’exemple
en poursuivant les nôtres. En continuant de bâtir notre avenir collectif.
Car la sécurité du pays ne dépend pas seulement de la protection de nos
frontières et de nos aéroports. Ni du pouvoir que nous donnons aux forces de l’ordre.
Elle dépend aussi de la prospérité de notre économie. De la santé de notre
environnement. Du caractère équitable de notre société. Et de la portée de
notre voix dans le monde.
Monsieur le Président, le 11 septembre 2001, le monde a changé. Une lutte
planétaire s’est engagée. La première grande lutte pour la justice du XXI