Allocution du Premier ministre Jean Chrétien devant la «Saskatchewan Association of Rural Municipalities»
Le 15 mars 1995
(Saskatoon, Saskatchewan)
Je vous parlerai du Budget de 1995 de ce qu'il signifie pour le Canada et, en particulier, pour l'Ouest.
La préparation de ce budget n'a pas été une tâche facile. Les compressions ont été difficiles à faire. Et elles auront des répercussions pour un grand nombre de personnes. Mais il est essentiel d'assainir nos finances et d'atteindre notre objectif intermédiaire en matière de réduction du déficit soit 3 % du PIB. Il est tout aussi important d'y parvenir d'une façon qui est équitable envers les Canadiens et envers toutes les régions du pays.
Si nous voulons que l 'économie canadienne soit prospère au Canada, dans l'Ouest, et en Saskatchewan nous n'avons plus les moyens d'afficher ces énormes déficits budgétaires.
Par contre, après la dure récession que nous avons connue, la situation économique s'améliore. L'an dernier, le taux de croissance économique a atteint 4,5 %, soit la meilleure performance enregistrée depuis six ans. Plus de 430 000 emplois ont été créés au cours de cette période. Pour la première fois en quatre ans, le taux de chômage a baissé sous la barre des dix pour cent, soit 9,4 %.
La situation s'améliore. Il nous reste certes beaucoup de travail à faire, mais au moins, nous allons dans la bonne direction.
Mais des mesures de redressement budgétaire vigoureuses sont nécessaires, sans cela il n'y aurait plus de place pour l'amélioration. En raison du poids des déficits et de la dette, les Canadiens et Canadiennes paient les taux d'intérêt les plus élevés du monde occidental. Cela freine l'expansion des entreprises canadiennes et la création d'emplois, cela empêche les gens de s'acheter une maison. Et cela impose d'énormes contraintes aux agriculteurs également.
Sans des mesures de redressement budgétaire vigoureuses, notre économie ne jouira pas de la confiance des investisseurs étrangers. Or, nous avons besoin de ces capitaux pour stimuler la croissance et la création d'emplois au Canada. Tous les pays ont besoin de ces investissements. Cela est une réalité incontournable.
Sans des mesures de redressement budgétaire aussi vigoureuses, nous continuerons à consacrer davantage au service de la dette. Nous consacrons déjà presque 40 milliards de dollars par an pour rembourser les frais intérêts sur l'énorme dette dont nous avons hérité. C'est plus que ce que nous dépensons au titre de l'assurance-chômage et des pensions.
Et si nous n'avions pas adopté des mesures énergiques, la situation aurait empiré. Nous n'en avons pas les moyens. Aucun pays n'en a les moyens.
Pour vous donner une idée des sommes en cause, permettez-moi de dire que le total du revenu net de tous les agriculteurs canadiens pendant dix ans, ne suffirait pas à payer l'intérêt accumulé sur la dette pendant une seule année.
Si les taux d'intérêt, qui fluctuent en relation avec le niveau d'endettement, augmentaient de deux p. cent, les frais d'intérêt aux agriculteurs canadiens pourraient grimper de 200 millions de dollars en une seule année. Et en tenant compte de la renégociation des emprunts à terme, la hausse des frais d'intérêt pourrait dépasser 400 millions de dollars.
Je pense que les Canadiens et Canadiennes reconnaissent que nous n'avions d'autre choix que d'intervenir avec vigueur pour renverser la tendance.
J'aurais préféré hériter d'une situation plus favorable. Mais dans un gouvernement, le rêve n'a pas sa place. Nous devons composer avec la réalité et faire de notre mieux pour améliorer les choses. C'est ce que nous faisons.
La clé consiste à agir de façon responsable et équitable. C'est ce que nous avons fait dans notre budget. Nous avons travaillé pour élaborer un budget qui est le plus équitable possible pour les Canadiens, le plus équitable possible pour toutes les régions.
C'est pour cette raison que nous avons décidé de ne pas majorer l'impôt sur le revenu des particuliers. Nous croyons que les Canadiens ont essuyé suffisamment de hausses d'impôts ces dernières années, alors que leurs revenus réels n'ont pas augmenté. Il ne faut donc pas leur en demander davantage.
Et nous avons travaillé d'arrache-pied pour que le budget soit équitable envers chaque région du Canada.
Je sais qu'ici en Saskatchewan, notre décision de faire disparaître les subventions aux transports du Nid de corbeau n'a pas été facile à accepter. Le fait que cela était nécessaire pour satisfaire aux nouvelles exigences des accords du GATT n'a pas été d'un plus grand réconfort que le fait de savoir que cela devait arriver un jour ou l'autre.
Mais lorsque vous faites face à une dette de 500 milliards de dollars, une subvention de 560 millions de dollars par année n'est tout simplement plus viable.
Je crois que si on leur en donne l'occasion, les agriculteurs ne veulent pas de subventions, il veulent uniquement un meilleur accès aux marchés. Ils veulent obtenir un bon prix pour leurs produits agricoles.
C'est ce à quoi nous travaillons, aider les producteurs agricoles des Prairies à faire ce qu'ils font de mieux que personne d'autre : nourrir la planète, diversifier leurs productions, et être un moteur de croissance économique tout en gagnant honnêtement leur vie
Je suis conscient qu'en Saskatchewan les gens s'inquiètent de voir l'offre de 1,6 milliard de dollars du gouvernement bel et bien profiter aux exploitations agricoles, soient-elles exploitées par leur propriétaire ou par un locataire. Et, que les institutions financières et les propriétaires étrangers les laissent profiter de ces retombées bénéfiques. Nous nous sommes engagés à faire tout notre possible pour que cela se produise.
Je sais également, qu'à titre d'édiles municipaux, vous êtes inquiets de l'accroissement du trafic routier qu'entraînera la fin de la subvention du Nid de corbeau. C'est pour cette raison que nous avons prévu un programme de transition qui vous aidera à améliorer la chaussée, à construire de nouvelles routes, et à fournir de nouvelles options de transport aux agriculteurs.
Je suis persuadé que Ralph Goodale travaillera pour vous faciliter cette adaptation en faisant preuve de la même intensité qu'il déploie pour défendre les intérêts des agriculteurs. Je vous confierai que je suis en politique depuis longtemps et que je n'ai jamais vu personne d'autre défendre avec autant d'intensité et d'éloquence les intérêts des agriculteurs.
Le Budget a eu des répercussions à la grandeur du pays. Nous fermons des bases militaires pas à Moose Jaw, et Ralph y a été pour quelque chose. Nous supprimons 45 000 postes dans la fonction publique partout au Canada. Et nous mettons fin à des subventions au transport qui touchent d'autres régions du pays, notamment la subvention au transport des céréales fourragères et les aides au transport des marchandises dans la région Atlantique.
Nous avons également éliminé les transferts aux entreprises d'utilité publique dont ont surtout profité l'Alberta et la Nouvelle-Écosse.
Chaque région écope. Mais chaque région fait sa juste part. Aucune région n'a eu droit à un traitement de faveur. Aucune région n'a été ciblée davantage que les autres. La situation nous affecte tous et c'est ensemble que nous allons nous en sortir.
Ce que nous avons tenté de faire, c'est d'identifier les bonnes priorités. Celles qui correspondent aux priorités des Canadiens et Canadiennes. Cela aurait été facile d'utiliser la recette des Conservateurs et de couper à l'aveuglette 15 ou 20 % des enveloppes budgétaires. Il n'y a rien de compliqué la-dedans. Sauf que cela n'aurait pas été la bonne façon d'agir.
Comparativement aux compressions de 7,3 %, en moyenne qui toucheront les programmes fédéraux, nous avons moins comprimé les transferts aux provinces soit une moyenne de 4,4 % seulement.
Mais nous ne pouvions pas soustraire ce secteur des compressions. Votre gouvernement provincial sait à quel point il est important de réduire le déficit. C'est ce que nous avons entrepris. Je suis persuadé qu'ils ne s'attendaient pas à nous voir subventionner leur déficit en maintenant le nôtre.
Mais nous avons donné un préavis aux provinces pour leur permettre de se préparer à la baisse des transferts. Comme je l'ai dit, nous avons moins comprimé les transferts aux provinces que nos programmes. Cela, parce que ces transferts sont importants pour les Canadiens et Canadiennes. Des mesures telles que l'assurance-santé et l'enseignement postsecondaire sont prioritaires.
Quelqu'un a déjà dit que « gouverner c'est choisir. » Nous avons fait nos choix. Nous avons choisi les priorités des Canadiens et Canadiennes.
Nous croyons aux mesures sociales et nous en sommes tous fiers. Notamment l'assurance-santé qui a pris naissance dans cette province. Je siégeais au Parlement lorsque nous avons instauré le régime d'assurance-santé à la grandeur du Canada dans les années 60. Député du gouvernement de l'heure, j'ai eu l'honneur de voter en faveur de l'assurance-santé. Et cela demeure un des moments les plus mémorables de ma vie.
Et les gestes que nous posons aujourd'hui sont destinés à pérenniser des mesures telles que l'assurance-santé pour les générations futures.
Nous ne pouvons soutenir l'assurance-santé que si notre économie est saine et que nous dépensons sagement. C'est pour assumer cette responsabilité que nous avons annoncé les récentes mesures budgétaires pas pour démanteler l'assurance-santé, mais pour en assurer la survie. Et pas uniquement pour nous, mais également pour nos petits-enfants et leurs petits-enfants.
Cela veut donc dire qu'il y a deux choses importantes pour nous, en tant que Canadiens. D'une part, nous devons maintenir la croissance économique une dimension indispensable pour maintenir des mesures sociales telles que l'assurance-santé. D'autre part, nous devons contenir toute hausse démesurée des coûts de l'assurance-santé.
Il y a dix ans, nous consacrions 8,7 % de notre PIB aux dépenses publiques et privées en matière de santé. Aujourd'hui, nous y consacrons plus de 10 %.
Mais la situation semble s'être calmée. Le taux d'accroissement s'est stabilisé et les dépenses de santé on légèrement diminué dans le secteur public. Dans l'ensemble, nous faisons du progrès. De fait, au cours des trois dernières années, le coût des soins et de l'hospitalisation par personne couverts par le système public ont légèrement diminué Les provinces sont déterminées à maîtriser les coûts de la santé tout en maintenant la même qualité de soins.
Nous devons poursuivre sur cette voie. Et cela ne veut pas dire des compressions dans l'assurance-santé. Loin de là.
De fait, si nous parvenons à maintenir les dépenses au titre de la santé au même niveau et à maintenir le taux de croissance économique, les dépenses de santé diminueront en proportion du PIB, sans affecter la qualité des soins offerts aux Canadiens et Canadiennes.
C'est de cette façon qu'il faut assurer l'avenir de l'assurance-santé, et non pas à coup de compressions ou de ticket modérateur. Il faut chercher à accroître l'efficience du système. Et ce, toujours en respectant cinq grands principes : les soins de santé doivent être universels, transférables, complets, financés par les fonds publics et administrés par les pouvoirs publics. Pour les Canadiens, ces principes sont incontournables.
L'assurance-santé n'est pas la seule mesure sociale que les Canadiens chérissent. Et ce budget ouvre la voie à une évolution des mesures sociales grâce au nouveau Transfert social canadien.
En regroupant ainsi les transferts et en éliminant des contraintes inutiles, nous donnons aux provinces l'occasion d'élaborer des programmes qui aideront la population à vivre décemment et à être productive.
Permettez-moi de vous donner un exemple. Tous les spécialistes affirment que les programmes d'alimentation prénatale et scolaire favorisent le développement des enfants en particulier les plus pauvres. C'est un investissement dans leur avenir. Mais, à l'heure actuelle, les transferts versés en vertu du Régime d'assistance publique ne peuvent servir au financement de programmes d'alimentation scolaire.
La même contrainte s'applique dans le cas des travailleurs à faible revenu. À l'heure actuelle, les fonds du RAPC ne peuvent être utilisés pour complémenter leurs revenus ou pour leur offrir des prestations couvrant le coûts des médicaments ou des prothèses des initiatives qui favoriseraient l'autonomie de ces personnes. En éliminant ces contraintes inutiles, nous pouvons réaliser de nombreux progrès dans ces secteurs.
Nous n'avons ni besoin de méga-projets ni de méga-financement pour y parvenir. De plus, nous n'avons pas les milliards additionnels à injecter dans de tels programmes. De fait, nous avons déjà dépensé des milliards de dollars pour faire tourner un système qui n'a pas répondu aux attentes. Un système qui n'a pas aidé ceux et celles qui en avaient besoin. Un système qui laisse tomber les Canadiens et les Canadiennes.
La solution ne consiste pas à accroître les dépenses. Non. Nous n'en avons tout simplement pas les moyens. Nous devons dépenser plus intelligemment.
Et c'est ce que tout le pays doit faire travailler en collaboration. Le Transfert social canadien donnera aux gouvernements provinciaux les instruments pour faire ce qu'ils font le mieux concevoir des programmes qui répondent aux besoins de leurs populations. Et je tiens à assurer les provinces que nous les aiderons, en collaborant à l'élaboration de principes mutuellement convenus qui correspondent à la société que nous voulons tous bâtir pour les Canadiens -- des principes qui affirment que nous sommes prêts à collaborer pour réussir.
Une économie en croissance qui se diversifie davantage, qui crée des emplois pour les Canadiens et Canadiennes. Des mesures sociales qui aident les gens à retrouver leur dignité et leur autonomie. Des gouvernements souples et capables d'agir sans être à la merci des créanciers ou des marchés financiers. C'est cela le Canada que nous voulons bâtir.
Et le budget de monsieur Martin nous oriente définitivement dans cette direction.
En remettant de l'ordre dans les finances publiques, nous faisons en sorte que les valeurs et les priorités des Canadiens reçoivent l'attention qu'elles méritent. Nous redressons l'économie pour chaque région. Et nous agissons de façon responsable et équitable envers tous les Canadiens.
- 30 -
|