Allocution du Premier ministre Jean Chrétien lors de la conférence des organismes politiques internationaux sur les droits de la personne et de démocratie : un plan d'action international
Le 23 avril 1995
Ottawa (Ontario)
Je suis heureux que de pouvoir vous accueillir officiellement à Ottawa et fier que le Canada ait été choisi pour la tenue de cet événement historique.
Il s'agit réellement d'une nouvelle page d'histoire. C'est en effet la première fois que sont réunis les regroupements internationaux des partis conservateurs, libéraux et sociaux-démocrates.
Je tiens à saluer le sénateur Robert Hill de l'Union démocratique internationale, Sir David Steele de l'Internationale libérale, ainsi que Peter Jankowitsch de l'Internationale socialiste qui représentent leurs organisations respectives à cette importante réunion. Je tiens à remercier Ed Broadbent et le Centre international des droits de la personne et du développement démocratique qui a préparé cette conférence. Et je veux rendre hommage à mon collègue, le sénateur Al Graham, qui a consacré beaucoup de temps et d'énergies à promouvoir la croissance de l'Internationale libérale et l'établissement de liens avec d'autres partis nationaux.
Il est tout à fait de circonstance d'avoir choisi un édifice qui porte le nom de Lester Pearson pour cette conférence. Après tout, notre ancien Premier ministre a remporté le prix Nobel de la paix pour avoir trouvé un terrain d'entente entre des factions belligérantes. Nous, de tous partis et de toutes allégeances, mettons nos guerres politiques de côté durant les trois prochains jours.
D'ordinaire, nous débattons des questions qui nous divisent, libéraux, conservateurs et sociaux-démocrates. + cette conférence, nous discuterons plutôt de dossiers auxquels nous croyons fermement : la démocratie et des droits de la personne.
Et nous n'aurions pu choisir meilleur moment de nous réunir pour réaffirmer cette conviction.
Nous avons tous constaté les progrès réalisés par la démocratie dans le monde depuis quelques années. Ainsi, un plus grand nombre de pays tiennent des élections multipartites et un plus grand nombre de gouvernements démocratiquement élus arrivent au pouvoir. Et, ce qui encore plus encourageant, nous assistons à un accroissement du nombre de gouvernements élus qui sont remplacés par d'autres gouvernements élus équitablement et librement.
Mais nous savons également à quel point la démocratie et le respect des droits sont fragiles. Et comment, pour trop de personnes dans le monde, ils ne sont qu'un objectif bien lointain.
Ceux qui parmi nous formons le gouvernement, avons le devoir de promouvoir la démocratie et les droits de la personne dans nos pays comme à l'étranger.
Sur la scène internationale, la collaboration entre les gouvernements peut faire toute la différence.
Au cours des derniers mois, nous en avons servi un bel exemple au monde entier : des gouvernements de toutes allégeances politiques ont en effet collaboré à rétablir le gouvernement démocratiquement élu d'Haïti.
Et je crois que, sauf dans les cas les plus extrêmes, les gouvernements ont le devoir d'ouvrir des avenues de dialogue et d'échanger avec les autres pays. Les communications, la technologie, les voyages, le commerce et les idées rendent l'isolationnisme impossible. Par voie de conséquence, l'oppression se perpétue de plus en plus difficilement. Il suffit d'observer l'effondrement du communisme en Europe de l'Est.
Bien entendu, soutenir la démocratie et les droits de la personne est bien plus qu'une simple préoccupation en matière de politique étrangère ou d'administration gouvernementale.
Quelle que soit notre allégeance politique, toutes les personnes présentes aujourd'hui croient au pluralisme. De plus, nous savons tous que des valeurs telles que la tolérance et le respect de l'autre, qu'il ne faut par ailleurs jamais prendre pour acquises, sont la base même du pluralisme. Tandis que les manifestations de haine et d'intolérance constituent des menaces pour la démocratie.
Cela s'observe dans l'extrémisme politique qu'on voit poindre un peu partout dans le monde. Les nationalismes ethniques, le fanatisme religieux, le racisme et, enfin, leur expression ultime : le terrorisme.
Ces sortes de politique n'ont que faire de la démocratie, des droits de la personne et de la vie elle-même; elles les méprisent. Elles n'ont rien d'autre à offrir que haine et violence. Et elles ne doivent pas être tolérées.
Elles essaient de détruire les fruits mêmes de la démocratie, soit la liberté et le respect de l'autre, et de nous réduire à une société fermée, repliée sur elle-même, où règnent la peur, le doute et la violence. En guise de symbole, elles nous ont légué les corps mutilés des nourrissons qu'on a retirés sans vie des décombres dans l'Oklahoma au cours des derniers jours. Des vies qui se sont éteintes sans jamais avoir eu la chance de vivre. Des promesses d'avenir fauchées par la violence qui accompagne l'extrémisme. L'avenir anéanti.
De telles images nous ont tous choqués et mis en colère. De voir des populations qui coexistaient se soulever les unes contre les autres en Afrique et en Europe. De voir les auteurs de massacres se faire passer pour des martyrs au Moyen-Orient. De voir des Skinheads attaquer des immigrants et perpétrer des attentats à la bombe en Europe occidentale. De voir des médecins devenir la cible ou les victimes d'attentats en Amérique du Nord.
Nous, qui représentons un très large éventail politique, avons la responsabilité de dénoncer l'extrémisme.
Et nous devons assumer avec encore plus d'empressement la responsabilité de le combattre avant qu'il ne se manifeste sous forme de terrorisme, de refuser qu'il puisse faire partie des courants politiques dans nos pays, et de le dénoncer à chaque occasion.
D'affirmer clairement que nous, libéraux, conservateurs, sociaux-démocrates, bien que nous ne soyons pas d'accord sur tout - de fait, que nous ne soyons pas d'accord sur grand chose - nous entendons toutefois pour dire que, dans l'activité politique de nos pays, il n'y a pas de place pour semer la haine ou chercher des boucs émissaires. Et que nous sommes déterminés à ne pas laisser ces tendances nous empoisonner l'existence.
J'espère que vous en tiendrez compte durant vos délibérations des deux prochains jours. Et que vous lancerez ce message avec fierté et clarté aux populations du globe.
Plus important encore, prenons tous l'engagement de le mettre en pratique à chaque jour de notre carrière politique.
Dans un monde où nous sommes témoins de trop d'exemples de violence et d'extrémisme, nous devons également nous rappeler que nous offrent ceux et celles qui luttent pour améliorer la qualité de vie de leur semblable et qui, de ce fait, sont de véritables promoteurs de la démocratie et des droits de la personne.
Un de ces exemples remarquables, un Canadien du nom de John Humphrey, a perdu la vie le mois dernier. Il a joué un rôle clé dans la promotion des droits de la personne durant plus de 50 ans. Ses efforts sont à jamais gravés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations unies, dont il est le co-auteur. Alors que vous amorcez vos travaux ici à Ottawa pour les deux prochains jours, j'aimerais vous quitter en lisant quelques mots de cette Déclaration -- des mots dont l'importance est tout aussi vitale aujourd'hui que lorsqu'ils ont été écrits en 1948 :
[traduction] « l'inhérente dignité et les droits égaux et inaliénables de tous les membres de la grande famille humaine sont le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde. »
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