Allocution du Premier ministre Jean Chrétien devant l'assemblée parlementaire de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe
Le 5 juillet 1995
Ottawa, Ontario
Je suis ravi d'accueillir dans la capitale de notre pays la quatrième assemblée parlementaire annuelle de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Nous avons rarement au Canada l'occasion d'être les hôtes d'une délégation aussi impressionnante de dirigeants européens. Je suis particulièrement heureux de vous recevoir à Ottawa si peu de temps après notre fête nationale. Samedi dernier, en effet, le Canada a célébré son cent vingt-huitième anniversaire -- 128 années de démocratie parlementaire fondée sur le principe «de la paix, de l'ordre et du bon gouvernement».
Mais nous avons également célébré d'autres événements mémorables en 1995. Comme vous, nous avons commémoré le cinquantième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Et le cinquantième anniversaire de la fondation des Nations Unies.
Dans moins d'un mois, nous soulignerons par ailleurs le vingtième anniversaire de la signature de l'Acte final d'Helsinki. Ces événements revêtent une grande importance pour le Canada.
Des milliers de Canadiens ont donné leur vie pour sauvegarder la démocratie lors des deux guerres mondiales. Et nous avons été parmi les chefs de file des efforts déployés pour établir des mécanismes de sécurité collective face à la menace nucléaire de l'époque de la guerre froide.
Nous devons nous assurer que l'histoire ne se répétera pas.
Le Canada est résolu à travailler avec les autres pays pour garantir le maintien de notre sécurité et de notre prospérité communes. Votre présence à Ottawa aujourd'hui est un signe de notre engagement soutenu à assurer la sécurité grâce à la coopération internationale. La fin de la guerre froide a marqué le début d'une ère nouvelle -- une ère pleine de défis, mais également de possibilités.
Nous devons désormais repenser nos liens, y compris ceux qui nous rattachent aux pays d'outre-Atlantique.
La division entre l'Est et l'Ouest est chose du passé.
Mais nous devons veiller à ne pas remplacer les anciens blocs de sécurité par des blocs économiques. Nous devons faire face au changement et en profiter en créant de nouveaux liens au lieu d'en prendre prétexte pour creuser un fossé entre l'Europe et les Amériques.
Une des grandes priorités de notre gouvernement a consisté à accroître le commerce multilatéral et à le libéraliser davantage.
Nous avons cherché à renverser les obstacles à la circulation des biens, des services et des personnes qui vont d'un pays à l'autre pour fournir ces services. C'est pourquoi nous jouons un rôle majeur afin d'établir des zones de libre-échange dans les deux Amériques et dans la région du Pacifique. Collectivement, les pays intéressés ont accompli des progrès réels et se sont fixé des buts et des échéances concrets.
En même temps, les pays du centre et de l'est de l'Europe accroissent leur intégration économique avec l'Europe de l'Ouest. Non seulement ces liens apporteront la promesse d'une élévation du niveau de vie, mais encore ils contribueront largement à la sécurité et aux valeurs auxquelles l'OSCE est vouée.
Ces progrès qu'on observe de part et d'autre de l'Atlantique ne devraient cependant pas se faire dans l'isolement. Si nous ne faisons rien pour les relier, nos rapports dans la région de l'Atlantique seront affaiblis. Comme toutes les bonnes relations de longue date, il faut les cultiver et les entretenir.
Le Canada cherche à établir des liens économiques plus étroits et à libéraliser davantage le commerce avec les pays d'Europe. Nous allons poursuivre résolument ces efforts. Mais les gouvernements peuvent seulement faciliter les choses dans le domaine économique, et non pas jouer le rôle principal.
C'est pourquoi il appartiendra aux agents du secteur privé de consolider nos liens avec les pays d'outre-Atlantique. Nous disposons à cette fin de plusieurs atouts. Parce que notre pays a ouvert ses portes aux populations captives de l'Europe centrale et de l'Est après la Seconde Guerre mondiale, nous avons maintenant des gens qui possèdent l'intérêt, les compétences linguistiques, les connaissances et les contacts personnels nécessaires pour mener ce travail à bien.
Grâce à la formation de nouveaux partenariats dans le secteur privé et avec des organismes non gouvernementaux, nous renforçons quotidiennement nos liens avec les pays d'Europe centrale et de l'Est.
Mais ce renforcement ne saurait se limiter aux échanges commerciaux ou à l'intégration économique. Notre sécurité reste indissociable de la vôtre. En fait, il est encore plus important de protéger la paix et la sécurité internationales du fait de cette plus grande intégration économique.
C'est pourquoi notre contingent de gardiens de la paix dans l'ancienne Yougoslavie est le troisième en importance parmi les pays de l'OTAN.
C'est pourquoi également le renouvellement des conflits ethniques, nationalistes et sectaires dont nous avons été témoins dans cette région est si inquiétant. Dans l'ancienne Yougoslavie et certaines autres régions, l'intégration mondiale semble s'être effectuée au même rythme que la désintégration locale.
La communauté internationale doit s'occuper de conflits qui, par le passé, étaient considérés comme des affaires internes. Ce ne peut désormais plus être le cas. Ces conflits posent en effet des menaces à la sécurité devant lesquelles on ne peut rester impassible.
Permettez-moi de parler brièvement du conflit en cours dans l'ancienne Yougoslavie, qui ébranle nos institutions multilatérales. Le conflit qui sévit en Bosnie remet en question notre capacité de faire face à des menaces sérieuses à notre sécurité. Pourquoi en est-il ainsi? La communauté mondiale a consacré des ressources impressionnantes à ce conflit. Plus de 40 000 soldats des Nations Unies. Des quantités importantes d'aide humanitaire. Le Conseil de sécurité des Nations Unies a adopté des dizaines de résolutions sur cette question. Des organisations régionales comme l'OTAN et l'UEO sont intervenues. Plusieurs groupes de négociateurs ont essayé en vain d'y apporter une solution négociée à laquelle souscriraient toutes les parties.
En un mot, la communauté internationale a consacré du temps et de l'énergie pour tenter de résoudre ce conflit.
Malgré des efforts aussi considérables, nous éprouvons tous un sentiment de frustration après trois années d'un conflit qui semble insoluble et interminable.
Manifestement, cela n'est pas attribuable au manque de ressources. Nous disposons de toute une gamme d'institutions multilatérales. Mais les pays ont trop souvent utilisé ces institutions pour défendre et promouvoir des intérêts nationaux au lieu de réaliser des consensus véritables. D'où un manque de coordination des mesures prises par les diverses parties. Nous devons tous tirer des enseignements importants de cette situation. Par-dessus tout, nous ne pouvons attendre de nos institutions multilatérales qu'elles soient efficaces si elles sont toujours dominées par des intérêts nationaux.
Nous devons prévenir la répétition de conflits du genre de celui qui sévit en Bosnie. À cette fin, nous devons amplifier à la fois notre définition des nouveaux défis posés à la sécurité et notre façon d'y réagir. Et le besoin de renforcer nos institutions et nos accords internationaux existe toujours. Nos institutions n'ont pas prouvé leur capacité de prévenir la répétition de conflits semblables à celui de la Bosnie.
Nous devons promouvoir l'ordre mondial. Et encourager les États à adhérer à des structures larges qui favorisent la coopération pacifique.
Le Canada est fermement résolu à réformer les institutions internationales pour les rendre aptes à faire face aux nouvelles réalités de l'heure. Les organisations régionales comme la vôtre, et d'autres mécanismes officieux ou ad hoc, contribuent à susciter la confiance chez des adversaires potentiels.
Ces efforts doivent être vraiment complets et répondre aux problèmes politiques, militaires, sociaux et économiques.
Mais les institutions internationales ne peuvent être efficaces que si les pays sont résolus à ce qu'elles le soient. Nous ne pouvons pas perdre de vue le fait qu'il continue d'incomber principalement aux États de veiller au maintien de la sécurité.
Chaque État a d'abord et avant tout la responsabilité d'assurer le bien-être de sa population. Et chacun est comptable de ses actes envers toute sa population.
C'est pourquoi les gouvernements élus démocratiquement offrent la meilleure garantie de stabilité sur le plan tant intérieur qu'extérieur. Des gouvernements attentifs aux besoins de leurs citoyens. Des gouvernements transparents et responsables qui respectent l'autorité de la loi, font preuve d'un respect profond des droits de la personne et manifestent leur engagement à bien gouverner. Des gouvernements qui sont capables de promouvoir et d'assurer la sécurité de leurs citoyens et qui encouragent la tolérance et le respect des minorités nationales. Car la sécurité réelle ne va pas sans la sécurité des personnes.
Le succès ou l'échec des accords de sécurité internationale, quelle qu'en soit la forme, dépend de l'engagement de chacun des États membres à l'égard de ces principes.
Nous avons tous intérêt à protéger la stabilité et la sécurité de tous les membres de l'OSCE.
Je sais que vous aurez ces principes présents à l'esprit au cours de cette conférence. En votre qualité de représentants de vos parlements nationaux, vous avez un rôle capital à jouer pour accroître la stabilité et la sécurité du territoire qu'embrasse l'OSCE, de Vancouver jusqu'à Vladivostok.
Je vous souhaite plein succès dans vos délibérations.
|