Dîner offert au Premier ministre de la République française
Le 10 juin 1996
Ottawa, Ontario
Monsieur le Premier ministre, Madame Juppé
Mesdames et Messieurs,
C'est avec grand plaisir que je vous accueille ici, au Musée
des beaux-arts, en compagnie de votre délégation.
Ce musée aura le privilège de recevoir bientôt
la prestigieuse rétrospective de l'un des plus influents
peintres français du 19e siècle, Jean-Baptiste Corot,
celle-là même qui était au Grand-Palais à
Paris il y a peu de temps.
Vous représentez un pays qui nous est cher et avec lequel
nous possédons des liens exceptionnels. Les Canadiens connaissent
la contribution de la France à la culture, à l'industrie
et aux technologies et ils savent qu'elle a été
le berceau des droits de la personne.
La France a laissé en terre d'Amérique des racines
qui ont poussé, fortes et solides. Elles se sont étendues
à toutes les régions du Canada comme en témoignent
ceux qui ont en commun la langue française de Vancouver
à St. John's. Ainsi que ceux de langue anglaise qui ont
visité votre pays, qui s'intéressent à votre
culture ou qui, comme des dizaines de milliers de jeunes Canadiens,
apprennent le français dans des classes d'immersion.
La relation entre nos deux pays se vit avec le coeur mais aussi
avec la raison. Le Canada et la France partagent des valeurs et
une vision communes. Nous sommes heureux de constater, par exemple,
que la littérature canadienne connaît en France une
reconnaissance exceptionnelle, comme l'hommage rendu récemment
à un groupe de nos écrivains de langue anglaise
dans le cadre de la manifestation «Les belles étrangères».
Lorsque l'on décrit les liens qui nous unissent, on évoque
tout naturellement ces liens historiques et culturels. Il ne faut
pas seulement en faire état, mais s'en servir pour développer
notre relation.
La délégation qui vous accompagne le démontre
à merveille. Ses membres couvrent un large éventail
de nos intérêts, que ce soient la Francophonie, nos
relations économiques et politiques ou nos échanges
dans le domaine de la jeunesse et des sports.
La dimension économique de notre relation a connu une progression
remarquable. Elle se caractérise par une maturité
accrue qui se manifeste par une augmentation marquée des
investissements et des partenariats stratégiques.
Votre séjour en terre canadienne contribuera au renforcement
de nos relations.
Je vous sais un homme de décision et d'action. Votre bilan
personnel nous le démontre. Vous recevrez demain un Doctorat
honorifique de l'Université d'Ottawa en reconnaissance
de votre contribution à l'achèvement de la paix
en ex-Yougoslavie alors que vous étiez ministre des Affaires
étrangères. Cette distinction vous reviendra à
titre personnel mais c'est aussi tout le travail de la diplomatie
française qui sera ainsi reconnu.
Plus récemment, vous vous êtes attaqué avec
détermination à un vaste programme de réformes
sociales et fiscales qui aideront la France à garder sa
place de grande nation commerçante et industrielle.
Le troisième millénaire est à nos portes.
Le Canada et la France s'y préparent.
Nous sommes bien équipés pour y faire notre entrée.
Nous faisons partie l'un et l'autre des plus grands ensembles
économiques du monde actuel : l'ALENA et l'APEC pour le
Canada et l'Union européenne pour la France.
Récemment, votre ministre délégué
au Commerce extérieur M. Yves Galland, en visite au Canada,
déclarait vouloir que la France rejoigne le premier rang
des partenaires commerciaux européens du Canada.
Nos échanges commerciaux et nos investissements portent
de plus en plus sur des domaines de pointe dont les communications,
l'informatique, l'avionique et le matériel de transport.
C'est une rencontre technologique et scientifique que nous célébrons
désormais sur une base quotidienne.
Nos partenariats politiques, au plan international, eux aussi
se multiplient.
La liste des réussites que nos alliances internationales
auront permises est longue. Je mentionnais précédemment
vos réalisations dans le dossier yougoslave.
Le Canada avec la France et d'autres alliés ont travaillé
sans relâche pour que ce conflit cruel et sanglant cesse.
Trop de nos soldats y ont d'ailleurs laissé leur vie.
Il nous reste cependant à construire la paix. Nos deux
pays s'y activent avec d'autres alliés pour reconstruire
physiquement et moralement la Bosnie. La tâche est lourde.
Il en va de notre avenir démocratique.
Le Canada et la France ont aussi joué un rôle important
dans le retour du Président Aristide au pouvoir à
Port-au-Prince. Ce sont nos efforts communs aux Nations unies
qui ont permis de réaliser cet objectif.
L'élection récente de M. Préval a démontré
la vitalité de cette démocratie. La présence
de troupes canadiennes et de policiers français travaillant
ensemble est un gage de stabilité.
Récemment le Président Chirac annonçait la
fin des essais nucléaires français ainsi qu'un impressionnant
train de mesures en matière de désarmement. Cette
initiative est importante et je tiens à vous en féliciter.
Le Canada est un chef de file dans le domaine du désarmement
tant nucléaire que conventionnel, y compris dans le dossier
des mines antipersonnel.
Autant de sujets sur lesquels nous mettrons nos expertises à
contribution dans le but de promouvoir un monde plus sûr.
Monsieur le Premier ministre, dans quinze jours, votre pays sera
l'hôte du Sommet du G7 à Lyon. Dans la foulée
de celui d'Halifax, il s'agira d'une occasion unique de concertation
entre dirigeants des pays les plus industrialisés et de
la Russie pour trouver des solutions aux grands problèmes
politiques et économiques de l'heure.
Je sais qu'un des sujets qui tient à coeur au Président
Chirac et aux autorités gouvernementales françaises
est celui de l'aide au développement. La relation entre
pays riches et pauvres est un domaine qui préoccupe aussi
les Canadiens et Canadiennes.
Nous profitons d'ailleurs de notre appartenance aux grandes organisations
et conférences internationales pour faire la promotion
du dialogue Nord-Sud.
En ce sens la Francophonie est un puissant instrument dans lequel
la France et le Canada, en tant que premier et deuxième
bailleur de fonds, investissent beaucoup d'énergies. Nous
avons rendu la Francophonie encore plus efficace en décembre
dernier à Cotonou. Le volet politique que nous avons renforcé
devrait nous permettre de faire de ce forum un lieu de partage
où l'action conjuguée de nos pays créera
une véritable solidarité sur laquelle la société
internationale pourra compter.
Certains s'inquiètent de l'avenir de l'héritage
culturel français au Canada et dans le monde.
Votre séjour au Canada ne vous permettra pas de visiter
diverses régions de notre pays où se trouvent de
vigoureuses communautés de langue française que
ce soit en Acadie, au Manitoba ou en Ontario.
Je tiens toutefois à ce que vous sachiez que leur dynamisme
constitue une facette bien ancrée dans notre vitalité
nationale.
Ce dynamisme nous permet d'accueillir à bras ouverts les
nouvelles technologies qui permettent de propager le savoir à
une vitesse et avec une dimension inconnues jusqu'à maintenant.
L'inforoute, le multimédia font déjà partie
de notre vie quotidienne.
Les effets que ces nouveaux types de loisirs et d'apprentissage
auront sur nos sociétés sont encore difficiles à
évaluer.
Une chose est certaine toutefois ; c'est par la créativité
et l'adaptation que nous resterons dans le peloton de tête
et serons en mesure d'influencer ces développements au
bénéfice également du monde francophone.
L'anglais se taille la part du lion dans ce nouvel environnement.
Il est impératif que le français s'affiche aussi
comme source de création et de communication.
Voilà pourquoi le Canada et la France s'allient dans cette
vaste entreprise de faire du français une langue sur laquelle
les internautes pourront naviguer.
Dans un monde menacé d'uniformité, il devient très
important d'appuyer les groupes minoritaires dans leur affirmation
culturelle.
Notre dualité linguistique et notre diversité culturelle
qui sont au centre de nos institutions nous confèrent un
avantage lorsque vient le temps de nous adapter à un monde
en constante évolution.
Bien sûr que rien n'est parfait. Nous avons aussi nos problèmes
de sociétés. Chômage, exclusion sociale, décrochage
scolaire. Les transformations que connaissent nos économies
ont un profond impact sur nos populations.
Il nous incombe de répondre aux inquiétudes de nos
concitoyens qui sont le plus durement affectés par ces
changements.
A cet égard, en octobre dernier la population du
Québec s'est prononcée sur son appartenance au Canada.
Pour la deuxième fois en quinze ans, elle a choisi d'y
demeurer. Les Québécois ont passé à
cette occasion un message de changement. Nous l'avons entendu.
Le concept de la société distincte et d'autres mesures
du même ordre ont été adoptées par
le Parlement du Canada. D'autres sont en préparation. Elles
viseront à rendre notre pays plus efficace tout en répondant
aux attentes de nos populations, y compris celle du Québec.
Monsieur le Premier ministre, nos deux pays se sont bien sûr
développés de part et d'autre de l'Atlantique. Nos
ancêtres se sont adaptés aux conditions qui leur
étaient particulières, dans des environnements politiques,
économiques et culturels propres. Des ponts se sont bâtis
grâce à notre langue commune, et à notre combat
pour la liberté.
Votre visite au Canada, et celle des membres de votre importante
délégation illustrent une fois de plus notre désir
réciproque de poursuivre nos efforts afin de développer
toujours davantage les liens privilégiés qui unissent
nos deux grands pays.
Je n'ai aucun doute qu'ils continueront de s'accroître pour
le bénéfice de nos populations.
Je vous souhaite un séjour fructueux et agréable
chez nous au Canada.
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