Discours à la Chambre des communes
Le 18 novembre 1996
Montréal (Québec)
Monsieur le président,
Je veux vous rendre compte ainsi qu'à la Chambre, des événements
remarquables de la semaine dernière. Je veux aussi expliquer
les raisons qui ont incité le Canada à prendre les
devants pour mettre sur pied une mission d'aide aux masses de
réfugiés affamés d'Afrique centrale.
Comme chacun sait maintenant, la situation s'est grandement améliorée
au Zaïre depuis que nous avons lancé notre initiative
la semaine dernière. De retour au Rwanda, les réfugiés
ont croisé la frontière par centaines de milliers.
Ce changement serait dû à la détermination
démontrée par la communauté internationale
sous l'impulsion du Canada.
Beaucoup a été dit et écrit sur les gestes
de notre gouvernement, sur notre décision de briser l'impasse
aux Nations unies, sur notre effort de mobilisation de la communauté
internationale, et sur l'offre canadienne de diriger une mission
multinationale dangereuse, mais combien essentielle.
Cela étant dit, le Canada est passé à l'action
parce que, en toute conscience et par respect pour la dignité
humaine, c'est ce qu'il fallait faire. Nous avons agi parce que
deux guerres mondiales et 40 ans de maintien de la paix, nous
ont appris que le monde ne peut simplement détourner le
regard lorsque le désastre et la catastrophe surviennent.
Nous avons agi parce que, dans la profondeur de leur âme,
les Canadiens ont une conscience aiguë d'être des citoyens
du monde, qu'ils prennent cette responsabilité très
au sérieux, et que lorsque vient le temps de se tenir debout,
le Canada est là.
Cette conviction nous a animé à travers deux guerres
mondiales et 40 ans de maintien de la paix. Comme pays le plus
privilégié au monde, nous avons compris et mis en
valeur la responsabilité qui découle de notre citoyenneté
mondiale.
Il n'y a aucun mystère dans notre impulsion, aucun calcul,
aucune arrière-pensée. Le gouvernement l'a ressentie.
Les chefs des quatre partis d'opposition, que nous avons consultés,
l'ont ressentie. Les hommes et les femmes des forces armées,
qui, sans hésitation, étaient prêts à
se mobiliser, l'ont ressentie. Nos diplomates en poste dans le
monde entier, ainsi que des fonctionnaires des ministères
des Affaires étrangères, de la Défense et
de l'ACDI, qui ont contribué à planifier et à
organiser cette mission, l'ont ressentie. Les Canadiens d'un
bout à l'autre du pays l'ont ressentie.
Alors la décision du gouvernement d'agir, d'en appeler
à la communauté internationale, n'a pas été
difficile à prendre. Mais elle n'a pas été
prise à la légère -- on ne décide
jamais à la légère de mettre des hommes et
des femmes dans des situations dangereuses, même quand ils
font partie d'une grande force internationale.
Mais cette décision allait de soi. Elle a été
prise sans tambour ni trompette, sans dramatisation et sans prétention.
Nous avons plutôt agi avec la discrétion typique
et le pragmatisme qui caractérisent les Canadiens ; il
y avait un travail à faire et nous étions prêts
à nous en charger.
En soi, notre décision n'était donc pas remarquable.
Ce qui l'était cependant, c'est la réaction de
la communauté internationale. J'aurais souhaité
que chaque Canadien puisse entendre les conversations téléphoniques
que j'ai eues la semaine dernière avec les dirigeants d'autres
pays.
Des dirigeants des pays les plus riches et puissants, à
ceux des plus petits pays en développement, en passant
par le secrétaire général des Nations unies
Boutros Boutros-Ghali, la réaction était forte et
allait dans le même sens : le Canada est un fidèle
gardien de la paix, un médiateur honnête, une force
morale et humanitaire qui rayonne autour du monde -- encore et
encore, c'est ce que les chefs d'État et de gouvernement
du monde entier m'ont répété.
Il est parfois utile de relever la tête, de faire le vide
un instant, et de se regarder à travers les yeux des autres.
La semaine dernière, dans nos appels aux pays du monde
entier, dans notre présence aux Nations unies, dans l'engagement
rapide et approprié du général Baril et de
ses collègues, le monde a entendu la voix de la raison
et de la compassion. La voix d'un pays jeune qui ne porte pas
le poids d'une histoire si lourde pour tant d'autres pays. Un
pays bilingue et diversifié qui connaît l'importance
du compromis et de la compréhension mutuelle.
Ils ont vu un pays qui n'avait aucun intérêt personnel
à défendre dans son appel à l'action. Un
pays qui a fait ses preuves dans des opérations de maintien
de la paix et des opérations militaires délicates.
Un pays qui a la crédibilité voulue pour organiser
l'effort international et la capacité de l'exécuter.
Ils ont compris que notre histoire, notre expérience et
notre réalité font de nous un pays unique pour accomplir
cette tâche urgente. Un pays sans passé colonial
en Afrique. Un pays bilingue qui a des liens avec cette région
francophone du monde et qui est capable d'y fonctionner. Un acteur
sur la scène internationale, à la fois membre du
G7 et puissance moyenne.
Monsieur le président, voici les raisons pour lesquelles
nous avons lancé notre initiative la semaine dernière.
Voilà pourquoi nous avons réussi à convaincre
la communauté internationale de se joindre à nous.
Mais il ne s'agit que d'un prologue à l'opération
humanitaire proprement dite. Les Canadiens ont le droit de savoir
dans quoi nous nous sommes engagés et ce à quoi
nous pouvons raisonnablement nous attendre.
En ce moment, plus de 400 000 réfugiés sont rentrés
au Rwanda, dans la région de Goma. On s'attend à
ce que 150 000 autres traversent la frontière au cours
des deux prochains jours.
Ce sont là de bonnes nouvelles mais on ne doit pas perdre
de vue que les affrontements continuent dans la région
et que la situation est très volatile.
Nous savons que l'évolution de la situation va affecter
la mission. Laissez-moi vous dire ce qui a été fait
pour en tenir compte. Hier, nous avons annoncé une nouvelle
aide humanitaire pour répondre aux besoins changeants sur
place. Et nous avons envoyé le général Baril
dans la région pour évaluer la situation.
Le Canada et tous les pays engagés dans cet effort humanitaire
sont en contact étroit. Nous nous réunirons avec
les représentants d'autres pays à Stuttgart, jeudi,
pour discuter des répercussions de ces événements
sur la mission militaire proposée. Le secrétaire
d'État pour l'Afrique se rendra sur le continent africain
au cours de la semaine pour y consulter des gouvernements. Et
au cours des prochains jours, le Canada convoquera une réunion
des pays qui apportent une aide humanitaire dans le but de mobiliser
les appuis en faveur des réfugiés qui rentrent.
Mais la communauté internationale doit poursuivre ses efforts
pour faciliter la tâche des organisations civiles de secours
qui dispensent l'aide humanitaire à ceux et celles qui
souffrent, ce dont nous sommes témoins tous les soirs à
la télévision.
Et pour faciliter le retour des réfugiés qui veulent
rentrer dans leurs foyers au Rwanda.
Le Canada continuera donc de diriger les efforts de la communauté
internationale. Tous ensemble pour mettre un terme à la
souffrance.
Pour le Canada, la semaine dernière a été
un moment très spécial. Un moment dont nous pouvons
tous être fiers. Nous ne savons pas exactement ce que les
jours et les semaines à venir nous réservent.
Et au cours de ces moments difficiles, nous devons nous rappeler
le but de cette mission. Dans un siècle ravagé
par les guerres et les agressions diverses, cet engagement n'a
rien à voir avec la conquête ou la gloire.
Nous n'engageons pas le combat contre un ennemi. Notre seul ennemi,
c'est la souffrance humaine. Nous combattons la faim et la maladie.
Notre seul adversaire, c'est la douleur et la misère.
Nous avons déjà gagné une première
bataille contre l'aveuglement moral et l'égoïsme en
mobilisant la communauté internationale autour d'une action
commune. Faisons maintenant ce qu'il faut pour compléter
notre tâche.
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