Ouverture du VIIe Sommet de la Francophonie
Le 14 novembre 1997
Hanoï (Vietnam)
Je voudrais d'abord remercier les autorités et le peuple de la République socialiste du Vietnam pour leur accueil chaleureux. Je voudrais également souligner par la même occasion le très grand soin que nos hôtes ont apporté à la préparation de ce Sommet. Cela augure bien pour le succès de nos discussions et nous leur en sommes très reconnaissants.
Partout où elle se manifeste, la Francophonie est porteuse de valeurs qui lui sont propres. Elle se nourrit et s'enrichit de l'apport unique de chacun de ses partenaires. A Hanoï, nous nous sommes mis à l'écoute des préoccupations de nos hôtes vietnamiens qui ont souhaité accentuer le volet économique de nos travaux.
Nous appuyons leur initiative. L'Asie a connu un essor économique important auquel le Vietnam a pris une part active. Nul doute que nous pouvons, comme communauté et individuellement, tirer des enseignements précieux de ces expériences. Le bien-être et la prospérité de nos sociétés, la consolidation de la démocratie et le rayonnement de notre espace francophone sont en effet inséparables d'un développement économique soutenu.
Je vous invite tous à voir avec moi, dans notre décision de nous réunir en terre d'Asie, un triple symbole.
Symbole d'abord de la consécration, si besoin en était, à la fois du caractère universel et de la vocation globale de ce qui sous-tend notre communauté.
Symbole ensuite de notre attachement à la langue française et notre volonté de nous y appuyer pour resserrer toujours davantage nos liens, quel que soit le continent qui nous héberge.
Symbole, enfin, non seulement du droit à la différence, mais également du respect de cette différence qui est une source de richesses pour tous.
Hanoï va marquer une étape importante dans le développement de cette Francophonie des Sommets née à Versailles, il y a à peine douze ans. Car c'est ici que nous donnerons plein effet à la « Charte de la Francophonie ».
Lorsque nous nous sommes réunis la dernière fois à Cotonou, nous avions marqué notre volonté de rendre la Francophonie plus dynamique, de la consolider davantage comme instrument de dialogue et de coopération.
Plus spécialement, nous avons voulu assurer la promotion politique de la Francophonie pour qu'elle soit plus visible, plus crédible et plus agissante. C'était là un voeu que le Canada formulait depuis longtemps.
Ici à Hanoï, nous élirons un premier Secrétaire général de la Francophonie toute entière, qui sera à la fois porte-parole politique de notre communauté et grand coordonnateur de la coopération francophone multilatérale.
Nous consacrerons la dimension politique de notre institution en élargissant cette vocation à des missions d'arbitrage, de négociation et de prévention des conflits tout en continuant à promouvoir ses actions traditionnelles de promotion de l'État de droit.
Nous enracinerons enfin le passage de la Francophonie dans l'ère de la modernité, par un accent accru mis sur les Inforoutes et le développement économique, faisant ainsi pendant à une dimension politique renforcée.
La dimension politique de la Francophonie nous en avons beaucoup parlé. Mais comment la traduire dans les faits ? Notre monde en mutation a besoin de l'aide et de la solidarité de ses proches. L'ONU ne peut pas tout faire ; nous le savons.
Depuis 1989, il y a eu 101 conflits armés dans le monde dont plus de 90 p. 100 ont été des conflits internes. Dans cette ère de mondialisation, il y a une place pour des regroupements comme le nôtre, plus sensibles à la préservation des identités de chacun, plus près des acteurs et décideurs, et mieux disposés aux compromis. Je rentre à peine du Sommet du Commonwealth où j'ai senti les mêmes inquiétudes et les mêmes attentes.
C'est dans cet esprit que nous devons aborder les crises qui secouent parfois notre Communauté. La situation dans la région des Grands Lacs africains est à cet égard, hautement préoccupante. Notre Plan d'Action nous invite, à bon droit, à oeuvrer et à participer aux efforts de réconciliation entrepris sous l'égide de l'ONU et de l'Organisation de l'unité africaine (OUA). Et que faire des situations qui mettent en péril certains acquis démocratiques ? La Francophonie doit s'en préoccuper, avec franchise et générosité. La prévention des conflits et la consolidation de la paix doivent prendre racine dans le raffermissement de la démocratie et le renforcement du respect des droits de la personne. Il est essentiel de protéger les groupes les plus vulnérables par l'adoption rapide d'une convention de l'Organisation internationale du Travail visant à éliminer les terribles abus du travail des enfants.
Autre drame intolérable, celui des mines terrestres antipersonnel dont les effets dévastateurs, au-delà de sa dimension humanitaire, s'opposent aux efforts de reconstruction et de développement. Vous savez l'engagement du Canada dans ce processus ; nous savons, de notre côté, pouvoir compter sur nos partenaires de la Francophonie pour le conduire à bien.
Dans moins de trois semaines, des représentants de plus d'une centaine de pays vont venir à Ottawa pour signer un traité interdisant pour toujours l'utilisation de ces engins meurtriers. Je suis encouragé par les efforts soutenus des dernières semaines qui m'ont permis d'attirer quelques pays de plus à la table des signataires. Mais il en reste encore à convaincre et je compte m'y employer avec toute l'énergie dont je suis capable d'ici là. Et je me permets de vous demander de m'aider à y arriver.
Le changement climatique à l'échelle planétaire est un autre dossier qui devrait attirer notre attention car il comporte des conséquences dramatiques pour nous tous. En effet, plusieurs d'entre nous luttent contre la désertification. D'autres sont menacés par la crue du niveau des océans.
Dans trois semaines, plus de 150 pays se réuniront à Kyoto, au Japon, pour arrêter une stratégie globale afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Le succès n'est pas assuré, car des divisions importantes persistent au sein de la communauté internationale. Il n'y aura pas de solution au problème du réchauffement mondial sans participation pleine et entière de tous les pays, car ce fléau planétaire doit nécessairement trouver une solution planétaire.
Le Canada, pour sa part, croit qu'il existe des éléments de solution autour desquels les pays de la Francophonie peuvent se rallier. Nous appuyons fermement la création d'un système de partage des émissions des gaz à effet de serre dont la mise en oeuvre reviendrait à tous les membres de la communauté internationale, développés et en voie de développement.
Ce système permettrait aux participants d'échanger des crédits d'émissions jusqu'à concurrence d'un plafond maximal applicable à l'ensemble des pays. Il encouragerait le transfert des technologies environnementales et offrirait l'occasion à tous les pays, de capitaliser sur leurs propres réductions. J'encourage les pays de la Francophonie à considérer sérieusement une telle option. C'est dans la réflexion sur des moyens pratiques et flexibles que nous trouverons une solution.
Tous nos débats sur la dimension politique de la Francophonie nous renvoient à la discussion que nous aurons sur le mandat que nous voulons confier à notre nouveau Secrétaire général. Il faudra un mandat fort et clair. Il devra encourager la poursuite et le renforcement des actions entreprises par divers opérateurs, au premier titre l'Agence de la Francophonie, en matière de consolidation de l'État de droit. Au-delà de la coopération, son statut de porte-parole politique de la Francophonie lui conférera l'autorité morale requise pour se poser en véritable interlocuteur. Un cran plus haut se situera son mandat de développer des initiatives politiques susceptibles de contribuer au règlement pacifique des conflits en cours. Ce qui est sûr, c'est que nous devrons éviter que notre nouveau porte- parole se retrouve en contradiction avec la volonté réelle des États ; sinon, sa crédibilité personnelle s'en ressentirait, et avec elle, celle de notre mouvement.
Nos partenaires vietnamiens ont voulu que ce VIIe Sommet porte sur l'économie. Nous partageons cette préoccupation et nous les aiderons à la transcrire dans la réalité. Il faut en effet une dimension économique crédible qui aille de pair avec la nouvelle vocation politique de nos Sommets.
Cela dit, la Francophonie a déjà fait beaucoup pour l'économie. Ses programmes d'éducation et de formation ou la distribution de banques de données et de moyens d'échange d'information constituent de puissants ingrédients de développement économique. Bien sûr, il y a les inévitables enjeux macro-économiques globaux qu'aucun de nous ne maîtrise totalement. Cependant, l'ouverture et l'intégration plus poussée à l'économie mondiale portent aussi la promesse d'une plus grande prospérité. C'est là une raison de plus pour renforcer les institutions qui ont été créées à cet effet.
Sur ces enjeux économiques, la Francophonie doit parler fort. Déjà le message est passé au G7. L'objectif d'un partenariat pour le développement en Afrique vise non seulement à faciliter l'intégration des pays d'Afrique à l'économie mondiale, mais aussi à faciliter l'insertion des plus démunis dans la vie économique, sociale et politique de leur pays.
Au plan commercial, les pays d'Afrique seront les principaux bénéficiaires des efforts déployés à l'Organisation mondiale du commerce pour assurer aux pays les moins avancés des conditions prévisibles et favorables d'accès aux marchés.
Le développement dépend aussi de la mise en place de politiques saines, d'un système juridique stable et de l'investissement dans les ressources humaines. Sur ces plans, la Francophonie dispose d'avantages comparatifs de taille, en s'appuyant sur ses assises de formation, d'information et de concertation.
Si la Francophonie tend à devenir plus politique, nous devons néanmoins comprendre que la coopération demeurera toujours son assise fondamentale et l'une de ses principales raison d'être. Les cinq grands axes de coopération dont nous avons décidé la priorité à Cotonou, doivent continuer de guider nos actions. Ces programmes mobilisateurs constituent le fruit d'une réflexion et d'une démarche de coopération longue de 25 ans. J'espère que nous serons en mesure de donner dès demain notre approbation aux grandes orientations de la programmation de ce Sommet de Hanoï. Quant à lui, le Canada n'aura aucune hésitation à le faire.
Je voudrais ici souligner la qualité des programmes qui nous ont été présentés par l'Agence de la Francophonie et saluer celui qui a présidé à ses destinées pendant plus de huit ans. A la veille de son départ, Jean-Louis Roy a droit à nos remerciements et à notre reconnaissance pour avoir transcrit la solidarité francophone en une action pertinente, moderne, dynamique et agissante. Bravo !
Dans le cadre de la coopération, les projets canadiens conçus pour le biennum de Hanoï représentent un dosage équilibré de continuité et de nouveauté reposant sur trois axes d'intervention majeurs. Il s'agit d'abord de la poursuite et de la consolidation de certains projets du précédent Sommet de Cotonou, particulièrement ceux visant à la consolidation de l'État de droit, à la promotion des droits de la personne et à la prévention des conflits. Puis, de la mise en oeuvre du Plan d'Action de Montréal de la Conférence ministérielle sur les Inforoutes, où il y va de la crédibilité du Canada qui avait suscité et accueilli cette initiative.
Il s'agit aussi de faire passer la Francophonie dans la modernité tout en tirant profit de cet outil essentiel de formation, d'information et de développement. Il s'agit enfin du lancement d'initiatives répondant au thème du développement économique à l'intérieur de la sphère de compétence de la Francophonie et conformes à ses moyens. Je sais que la signification et la portée des engagements pris à l'occasion des Sommets ont fait l'objet de récents débats au sein de nos instances. Je voudrais réitérer que les annonces faites lors de nos rencontres ont valeur d'engagement solennel et irréversible.
Nos opérateurs doivent pouvoir compter sur des financements prévisibles et assurés. Nos contributions statutaires doivent être versées en totalité, à temps et sans condition ; ce n'est d'ailleurs pas une politique nouvelle pour le Canada qui prêche, depuis plusieurs années, la même approche, aux Nations unies.
En terminant, Monsieur le Président, je rappellerai une autre décision importante que nous aurons à prendre, soit celle du lieu du prochain Sommet. Douze ans après le Sommet de Québec, je crois que le tour de l'Amérique est à nouveau venu. Le Canada vous accueillera cette fois au Nouveau- Brunswick où les Acadiens seront en mesure de faire la preuve de la vitalité de leur communauté, de la solidarité qui les anime et du sens de l'accueil qui les caractérise.
Merci, Monsieur le Président
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