À l'École d'économie et de gestion de l'Université Qinghua
Le 20 novembre 1998
Beijing, Chine
C'est un honneur pour moi d'être parmi vous aujourd'hui.
L'université Qinghua est l'une des meilleures universités de Chine. Elle possède une longue tradition en tant que lieu de formation pour le leadership national. Et je n'ai qu'à vous regarder aujourd'hui pour être convaincu que cette grande tradition bat son plein. Vous aiderez à tracer la voie que prendra la Chine du nouveau millénaire et à édifier une Chine qui est essentielle au monde que nous voulons tous construire - pour nos enfants et nos petits-enfants.
C'est de ce monde que je désire vous parler.
Nous vivons un moment unique et palpitant dans l'histoire du monde. Pour la première fois, nous possédons - ensemble - un potentiel suffisant pour arriver à créer une paix durable dans le monde et pour subvenir aux besoins des populations de tous les coins de la planète.
Réfléchissez à cela un moment. Au fait que nous soyons rendus si loin dans la longue évolution de notre civilisation. Au fait que nous entreprenons un nouveau siècle avec, à notre portée, un potentiel suffisant pour vaincre les deux plus grands ennemis du progrès humain : la guerre et la pauvreté. Au fait que nous possédons des instruments issus tout droit du 21e siècle pour construire sur ces fondations, et créer des sociétés qui reflètent nos aspirations et nos espoirs individuels et collectifs.
Certains ont souvent affirmé qu'il existe, entre les pays asiatiques et occidentaux, un fossé infranchissable au plan des valeurs. D'un côté se trouverait un attachement profond aux droits collectifs et à la notion de stabilité, et de l'autre, un attachement tout aussi profond à l'égard des droits individuels. Et que ces deux tendances sont à jamais inconciliables.
Je n'accepte pas ce raisonnement.
Il ne rend pas justice à la diversité des valeurs asiatiques. Et il ne représente pas vraiment l'équilibre entre les droits individuels et les besoins collectifs que l'on retrouve au Canada, et dans l'ensemble du monde occidental. Ce qui est encore plus troublant à mes yeux est que le portrait que l'on dresse ainsi de l'avenir des relations entre l'Occident et l'Orient est rempli de conflits nécessairement inévitables.
Certains disent que le droit de manger à sa faim est plus important que le droit de parler librement. Que les droits collectifs doivent toujours l'emporter sur les droits individuels. Ce n'est pas vrai, et l'inverse est aussi faux.
Un jardin a besoin à la fois d'eau et des rayons du soleil pour fleurir. L'un n'est pas plus important que l'autre. Il faut plutôt atteindre le juste équilibre entre les deux. Le même principe s'applique à l'édification d'une société en santé.
Nous sommes très fiers de l'équilibre que nous avons atteint au Canada. Notre société est fondée sur la garantie des droits fondamentaux de la personne : la liberté d'expression, la liberté de presse, la liberté de religion, le droit de vivre à l'abri de la discrimination, et la présomption d'innocence. Je suis fier d'avoir contribué, à l'époque où j'étais ministre de la Justice, à l'enchâssement de la Charte des droits et libertés dans notre constitution.
Mais nous sommes aussi conscients qu'il est nécessaire de promouvoir les intérêts de la société dans son ensemble. C'est pourquoi notre constitution et nos lois assurent la protection et la promotion des droits des minorités. C'est pourquoi le principe de discrimination positive est protégé dans le cadre de notre Charte des droits. C'est pourquoi nous sommes fiers de notre système de sécurité sociale, qui garantit l'accès universel à l'éducation et aux soins de santé, et qui fait en sorte que les personnes âgées puissent vivre dans la dignité.
Notre manière d'équilibrer l'ensemble de ces droits pourrait faire l'objet d'un débat. Nous ne prétendons pas à la perfection, pas plus que nous croyons avoir toutes les réponses. Nous reconnaissons le fait que l'expression extrême de l'individualisme - qui laisse de côté les besoins supérieurs de la société - peut mener à une société instable, voire chaotique. Une société incapable d'arriver aux fins collectives qui sont la raison d'être de la vie en société, telles que la sécurité et le soutien mutuel.
Mais nous reconnaissons aussi que le progrès humain requiert de la créativité et de l'imagination, lesquelles ne peuvent être réalisées que par des individus bénéficiant de toute la liberté nécessaire afin de réaliser leurs rêves et leurs ambitions, et d'exploiter leur plein potentiel. Cela est impossible lorsqu'une société met seulement l'accent sur la satisfaction des besoins collectifs. C'est ce dont je parle lorsque je dis qu'un jardin a besoin à la fois d'eau et de soleil.
Ce n'est pas une question de valeurs occidentales ou de valeurs orientales, mais bien de valeurs universelles. Cela concerne le monde dans lequel toutes nos populations veulent vivre au siècle prochain.
Nous, Canadiens, avons beaucoup à apprendre de la Chine, de sa richesse historique, et de ses cinq mille ans de vie culturelle et scientifique. La Chine a beaucoup donné à l'Occident : le papier, l'énergie hydraulique, l'excellence en matière d'administration publique, en littérature, en art et en culture. Cependant, au cours des siècles, nous n'avons pas toujours manifesté un esprit d'ouverture à l'endroit des influences chinoises. Aujourd'hui, nous savons qu'aucun pays ne possède le monopole du progrès. Et nous apprenons de nouveau de la Chine. Nous étudions ses médecines traditionnelles. Nous importons ses percées en matière de technologie optique.
En retour, la Chine adapte les expériences et les connaissances d'autres pays afin de relever ses propres défis, qui sont uniques et complexes. Par exemple, vous intégrez des principes juridiques universels tels que la présomption d'innocence et le droit d'être représenté par un avocat à votre philosophie légale traditionnelle. Nous applaudissons ce type d'initiatives.
Cependant, en toute franchise, je dois vous dire que bien des Canadiens sont inquiets lorsque nous entendons dire que la liberté d'expression politique est restreinte dans votre pays. Nous sommes particulièrement inquiets lorsque nous apprenons que certaines personnes seraient harcelées et emprisonnées pour avoir exprimé des opinions politiques différentes de celles du gouvernement. Lorsque les Canadiens ont vent de telles choses, les nombreux progrès politiques et sociaux de la Chine sont souvent oubliés.
Et la Chine fait des progrès. Des progrès que nous applaudissons.
Nous étions très heureux que la Chine signe la Convention de l'ONU sur les droits civiques et politiques, qui enchâsse la liberté d'expression et d'association, la participation aux affaires publiques et les élections. Cette décision suivait celle, prise l'an dernier, de signer la Convention de l'ONU sur les droits économiques, culturels et sociaux.
Nous exhortons la Chine à faire de la ratification et de la mise en oeuvre de ces conventions une grande priorité.
Et nous applaudissons les autres efforts que la Chine a déployés afin d'apporter de véritables changements à sa culture judiciaire. Déjà, au cours du dernier mois, des experts de partout au monde sont venus ici afin de partager leurs expériences en matière de prévention des fraudes financières et de tenir des sessions spéciales de formation destinées aux juges principaux. Le Canada est heureux d'avoir contribué à ces initiatives. Nous sommes également heureux de travailler avec vous à la création d'un programme d'assistance juridique. Pour les personnes démunies, un tel système permet de donner une signification concrète à des droits juridiques abstraits.
Il est également intéressant de voir l'importance grandissante des organisations non gouvernementales au sein de la société chinoise. D'ailleurs, je soulignerai demain à Lanzhou le lancement du premier grand projet où des ONG de la Chine et du Canada et nos gouvernements unissent leurs efforts en vue d'atténuer la pauvreté.
Nous observons aussi avec grand intérêt les efforts déployés par les ONG afin d'aider la population chinoise à répondre à une variété de besoins collectifs pressants, tels que la protection de l'environnement et le chômage. Et nous leur prêtons assistance lorsque nous sommes en mesure de le faire.
Tel que je le mentionnais plus tôt, le Canada et la Chine se sont engagés dans la même voie pour l'avenir. Et notre destination commune est de former une société proprement civile. À Quinghua, vous possédez déjà les outils nécessaires pour contribuer à l'atteinte de cet objectif. Main dans la main avec des collègues et des amis du monde entier.
À mon avis, le monde d'aujourd'hui est transformé par la technologie et l'autoroute de l'information. À mesure que ces transformations s'opèrent, elles procurent une nouvelle pertinence aux relations entre le Canada et la Chine.
Quinghua est l'institut technologique le plus avancé de la Chine, possédant une réputation bien méritée en matière de génie et de recherche scientifique de pointe. Des chercheurs de l'Université de Quinghua et de l'Université de Toronto ouvrent ensemble de nouvelles pistes dans le domaine de la biotechnologie. Des chercheurs de Shanghai, de Lanzhou et de l'Université de Montréal trouvent des solutions aux défis posés par le transport urbain. Et des chercheurs de l'Université de Beijing et de l'Université d'Ottawa examinent les tentatives faites par différents pays afin d'intégrer des engagements internationaux en matière de droits de la personne à leur système de droit national.
Grâce aux possibilités offertes par l'Internet, nous pouvons maintenant dire que la recherche scientifique ne s'arrête jamais. Aujourd'hui, ici même à Quinghua, Nortel Networks a inauguré un laboratoire de recherche qui se joint à leur réseau mondial de recherche. Un réseau qui permet de poursuivre des efforts de recherche partout autour du monde, vingt-quatre heures par jour.
C'est à cause de telles initiatives - et bien d'autres encore - que nous pouvons dire que la planète devient plus petite à tous les jours.
L'été dernier, la télévision a transmis des images des inondations dévastatrices de Yangtse dans les foyers canadiens. Ces images ont suscité une vague de sympathie et de soutien et nous ont encouragés, en tant que gouvernement, à apporter notre modeste contribution aux efforts héroïques de la population chinoise.
Nous commençons à comprendre ce qu'entendait un grand Canadien - Marshall McLuhan - par l'expression « village planétaire ». La question pour nous tous est de savoir où cela nous mènera-t-il? Est-ce que le 21e siècle sera celui où nous vivrons dans un monde uniforme? Où il n'y aura qu'une seule culture? Je ne le pense pas. Vivrons-nous dans un monde de conflits culturels? Je ne le pense pas non plus.
Un jardin où ne pousse qu'un seul type de fleur n'est pas aussi beau qu'un jardin où se côtoient plusieurs grandeurs, couleurs et variétés de fleurs. Ensemble, nous devrions tenter d'édifier un monde d'une variété infinie. Un monde où chaque fleur est nourrie et encouragée à devenir aussi belle et aussi grande qu'elle le peut. Et où les attributs uniques de chacun forment le complément des autres au sein d'un tout harmonieux.
En tant que futurs leaders, vous serez chargés d'ensemencer et d'entretenir ce jardin. Tout comme vos homologues au Canada et ailleurs dans le monde. Mais votre capacité de réaliser le plein potentiel de vos choix dépend de notre sagesse, à nous, les leaders d'aujourd'hui.
L'amitié entre le Canada et la Chine dure depuis longtemps, et elle est toujours de plus en plus forte. Elle est fondée sur le respect mutuel, la compréhension et l'ouverture d'esprit. Elle est fondée sur la sagesse.
Cet esprit nous a unis à plusieurs reprises au cours de ce siècle. Ce que j'ai vu à Quinghua me permet de croire, sans l'ombre d'un doute, que cet esprit nous rapprochera encore plus au cours du prochain siècle.
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