À l'occasion d'un discours devant les deux chambres du Parlement par M. Vaclav Havel, Président de la République tchèque
Le 29 avril 1999
Ottawa
Messieurs les Présidents de la Chambre des communes et du Sénat, honorables députés et sénateurs, mesdames et messieurs,
À de rares occasions, nous, les parlementaires des deux chambres du Canada, laissons de côté les divisions partisanes. Nous interrompons les débats sur les grands dossiers de l'heure. Nous nous rassemblons ici et nous nous conduisons de manière absolument exemplaire. Aux yeux de quiconque a eu l'occasion d'observer nos délibérations quotidiennes, cette transformation est miraculeuse.
Et je dois avouer que cette perception est juste. Surtout aujourd'hui.
Car nous sommes en présence d'un grand homme d'État. Un leader tout à fait remarquable dont la ténacité devant la tyrannie et la dignité devant la persécution ont contribué à rendre possible la transformation démocratique de son peuple, de son pays et de son continent il y a dix ans. Une transformation qui relève, peu importe le point de vue qu'on adopte, du prodige.
Je veux parler, bien sûr, du Président de la République tchèque, Vaclav Havel.
Le grand Victor Hugo a écrit un jour que même l'armée la plus puissante au monde ne peut vaincre une idée dont l'heure est venue. Mais il est également vrai que pour triompher à son heure, une idée doit d'abord avoir un champion, un leader, un symbole.
Monsieur le Président, votre longue croisade pour la liberté et la justice, vous l'avez menée contre l'un des plus puissants ennemis du progrès humain : la peur et l'oppression. Fort du courage de vos convictions et de la justesse de votre cause, vous avez triomphé.
Pendant votre enfance, vous avez vécu une occupation étrangère, puis la consolidation d'un régime totalitaire brutal. Un régime qui a choisi d'étouffer vos aspirations pour l'avenir. De telles blessures auraient fait naître l'amertume et un sentiment de futilité chez la plupart d'entre nous. Mais chez vous, elles ont inspiré les écrits et les actes de conscience qui ont éveillé l'ardeur de vos compatriotes et l'admiration du monde entier.
Vous avez révélé le vide derrière la façade du système politique qui vous avait été imposé. Et par vos paroles et vos actes, vous avez contribué à sa perte. Lorsque le temps est venu, après tant d'années de privations, il n'y avait vraiment personne d'autre que vous pour diriger un pays qui renaissait soudain. Pour définir ses nouvelles orientations politiques et économiques et ses nouvelles relations avec l'Europe et le reste du monde.
Monsieur le Président, j'aimerais citer la première allocution du Nouvel An que vous avez adressée à votre peuple : « Vous vous demandez peut-être de quelle république je rêve. Je vous répondrai que je rêve d'une république indépendante, libre et démocratique. D'une république à l'économie prospère où règne la justice sociale. Bref, d'une république humaine qui sert l'individu et permet donc d'espérer que l'individu la servira à son tour. »
Quand vous avez visité le Canada la première fois, au début de 1990, cette vision ne s'était pas encore matérialisée. Aujourd'hui, la République tchèque est l'une des grandes démocraties de l'Europe centrale et orientale. Votre transformation économique, malgré certaines difficultés passagères, vous conduit vers l'adhésion à l'Union européenne.
Vous êtes un partenaire du Canada au sein de l'OTAN et de l'OCDE et vous jouez un rôle actif à l'OMC. Nos soldats maintiennent la paix en Bosnie. Et nous faisons cause commune à l'OSCE.
Certains de vos fils et de vos filles les plus remarquables sont venus s'établir au Canada au cours du dernier siècle. Ils comptent parmi nos plus éminents gens d'affaires, universitaires, auteurs et joueurs de hockey! En échange, depuis dix ans, le Canada a fait de son mieux pour appuyer vos efforts en vue de rétablir la démocratie et de restaurer l'économie de marché. Ensemble, nous cherchons également à établir de nouveaux liens qui soient à notre avantage mutuel dans le domaine du commerce et des investissements.
Monsieur le Président, votre cheminement personnel et celui de la République tchèque illustrent tout le chemin parcouru en Europe sur le plan de la liberté et des droits de la personne. Mais la crise au Kosovo nous rappelle crûment que nous sommes encore loin du but. J'oserais même affirmer que si nous voulons que ce cheminement garde tout son sens dans l'Europe du nouveau millénaire, nous devrons appliquer ses leçons à la fois simples et éloquentes, sans hésiter, dans cette région complexe et troublée.
Les habitants du Kosovo et des autres pays d'Europe doivent un jour connaître les sentiments de sécurité et d'attachement à leur patrie que vous avez décrits il y a tant d'années, quand vous rêviez tout haut d'une république humaine. Cet idéal que vous avez consacré tant d'efforts à réaliser dans la République tchèque d'aujourd'hui. Il me paraît encourageant qu'une personne aussi fermement convaincue de la force de la justice et du droit ait adhéré à cette cause, sans aucune hésitation.
Ensemble, avec nos alliés de l'OTAN, nous faisons ce qui doit être fait au Kosovo. Ensemble nous réussirons!
À notre époque d'inflation verbale, Monsieur le Président, les mots perdent souvent leur sens et leur valeur par un excès de rhétorique. Mais, dans votre cas, aucune exagération n'est possible. J'ai l'immense plaisir et le grand honneur de présenter à cette honorable chambre un flambeau de la liberté. Un homme dont les réalisations font mentir l'idée reçue selon laquelle les poètes et les rêveurs n'ont pas leur place parmi les hommes d'État.
Mesdames et messieurs, je vous présente un poète, un rêveur, un homme d'État : Vaclav Havel.
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