NOTES POUR UN DISCOURS DU PREMIER MINISTRE
JEAN CHRÉTIEN À L'OCCASION DE L'OUVERTURE DE LA 58e SESSION DE L'ASSEMBLÉE
GÉNÉRALE DES NATIONS UNIES
Le 23 septembre 2003
New York
Je suis heureux de prendre la parole devant cette importante assemblée.
J'aimerais féliciter aujourd'hui le nouveau président de l'Assemblée
générale et lui offrir mes meilleurs voeux.
Comme vous le savez tous, le Canada a toujours privilégié une approche
multilatérale à l'égard des questions internationales, non pas pour des
raisons d'idéologie, mais parce qu'il s'agit d'une méthode éprouvée pour
rehausser la sécurité et pour résoudre les problèmes qui dépassent le cadre
des États.
Notre époque nous offre d'immenses possibilités d'action. Nous pouvons
améliorer la santé et prolonger l'espérance de vie, surtout dans les pays
pauvres. Nous pouvons protéger la sécurité et rehausser les droits des
citoyens. Nous pouvons aussi mettre l'accent sur l'éducation et aider les gens
à réaliser leurs aspirations.
Notre époque nous place également devant des défis urgents. Protéger
l'environnement. Enrayer des maladies comme le VIH-sida et la malaria. Prévenir
les conflits et mettre fin à l'impunité pour les crimes contre l'humanité.
Faire échec au terrorisme et au crime organisé. Contrôler les armes de
destruction massive.
Chaque gouvernement a la responsabilité d'agir à l'intérieur de ses
propres frontières. Cependant, à l'ère de la mondialisation, il n'est pas
possible de régler de tels problèmes seul.
La coopération multilatérale est indispensable pour assurer le mieux-être
et la protection efficace des citoyens.
Songez à la lutte contre le terrorisme. Aucun d'entre nous n'a jamais cru
qu'il était possible de contrôler le terrorisme sans la coopération de tous,
et encore moins d'y mettre fin. La tâche de tarir les sources de financement
des terroristes requiert à la fois de la coordination et des régimes
juridiques efficaces. Le partage des renseignements est indispensable pour
prévenir les attentats.
L'ONU a joué un rôle extrêmement utile dans cette lutte. Depuis les
événements tragiques du 11 septembre 2001, le Conseil de sécurité poursuit
un vaste effort d'appui à la lutte contre le terrorisme international.
Songez aussi à la santé. L'éloignement de la source des nouveaux virus
n'assure plus la protection voulue. Un tel virus pourrait toujours arriver à
bord du prochain vol. La coopération multilatérale est essentielle à la
gestion des menaces à la santé. Nous risquons la catastrophe si nous ne
partageons pas tous les faits que nous possédons et si nous ne coordonnons pas
nos efforts pour combattre les épidémies. Il faudra également agir de concert
en faveur du développement dans les pays pauvres et pour assurer un accès
raisonnable aux soins de santé.
Songez, en outre, au problème que continuent de poser les armes nucléaires,
chimiques et biologiques. La prolifération de ces armes de destruction massive
aux États et aux groupes terroristes représente un défi grandissant. Il faut
mettre fin à cette prolifération au moyen de la coordination et de
l'application stricte de contrôles d'exportation. Au moyen de vérifications
rigoureuses et de l'exécution des traités multilatéraux. Et au moyen d'autres
formes d'action collective prévues en droit international.
Nous reconnaissons tous que l'ONU nous a permis de relever avec succès de
nombreux défis internationaux. Mais nous reconnaissons aussi que nous avons
échoué dans certains autres cas. Nous avons tardé à adapter l'ONU à
l'évolution des circonstances. L'heure est venue d'amorcer un renouvellement
audacieux aux Nations Unies.
Ce matin, le Secrétaire général a énoncé des propositions qui sont
opportunes, nécessaires et courageuses. Je le félicite pour son discours
remarquable. Et je peux affirmer que le Canada souscrit pleinement aux objectifs
qu'il propose.
L'ONU demeure l'instrument principal d'une action multilatérale efficace.
J'engage les autres dirigeants à faire d'une réforme véritable de l'ONU une
priorité.
Il ne faut pas douter du succès de nos efforts. Il suffit de penser à
certaines des réalisations récentes de l'ONU, notamment le Sommet du
millénaire de 2000 et la Conférence de 2002 sur le financement du
développement à Monterrey. Nous avons établi un cadre commun aux fins de
l'établissement des priorités en matière d'aide. Nous avons défini des
objectifs et des principes fondamentaux. Nous avons précisé les
responsabilités mutuelles des pays industrialisés et des pays en voie de
développement. Cet esprit d'imputabilité et de responsabilité partagée est
aussi au coeur du Nouveau Partenariat pour le développement de l'Afrique, le
NEPAD, et du Plan d'action du G8 pour l'Afrique. Il nous a conduits à adopter
de nouvelles politiques en matière d'accès aux marchés et de disponibilité
des médicaments pour les pays les plus pauvres. À titre d'exemple, cette
année, le Canada a supprimé la quasi-totalité des tarifs et des contingents
sur les produits en provenance des pays les moins avancés.
En même temps, l'issue de la conférence de l'Organisation mondiale du
commerce à Cancun est très préoccupante. Il faut réduire sensiblement les
subventions à l'agriculture dans les pays industrialisés afin de donner la
chance aux pays en développement, en Afrique surtout, de prospérer. Le monde
industrialisé a l'obligation d'agir sans tarder.
Mesdames et Messieurs, il n'existe aucun domaine où il soit plus essentiel
ni plus difficile de progresser que celui de la protection des innocents.
Le Canada, de concert avec d'autres, recommande de placer la protection des
personnes au coeur du mandat de cette organisation.
Trop souvent, on laisse des conflits s'embraser tout en sachant quelles
conséquences terribles en résulteront. Trop souvent, des civils innocents sont
laissés à leur sort.
L'an prochain sera le dixième anniversaire du génocide au Rwanda. En toute
conscience, nous devons nous demander si nous sommes davantage prêts maintenant
qu'alors à réagir à un nouveau Rwanda. Je crains que la réponse ne soit
malheureusement négative.
C'est en pensant à nos échecs collectifs en Bosnie et au Rwanda que le
Canada a parrainé la création de la Commission internationale de
l'intervention et de la souveraineté des États. La Commission a accompli un
travail admirable. Dans son rapport, elle soutient que la souveraineté confère
des devoirs aussi bien que des droits.
Le devoir le plus fondamental d'un État consiste à protéger ses citoyens.
Lorsqu'un gouvernement omet de le faire, par impuissance ou par manque de
volonté, la responsabilité de les protéger devient provisoirement une
responsabilité collective de la communauté internationale.
Certains redoutent cette idée sous prétexte qu'une intervention pourrait
être déclenchée pour des motifs insignifiants ou n'ayant rien à voir avec la
protection de personnes. D'autres, ayant eux-mêmes vécu une expérience
tragique, craignent que la participation extérieure ne soit insuffisante. Il
nous faut réconcilier ces deux points de vue.
Nous sommes convaincus, à l'instar de la Commission, que devant des pertes
de vie sur une grande échelle ou un nettoyage ethnique, la communauté
internationale a la responsabilité morale de protéger les plus vulnérables.
L'objectif primordial doit être de prévenir la souffrance humaine et d'y
mettre fin.
Aucune entité n'est mieux placée que le Conseil de sécurité de l'ONU pour
autoriser un engagement politique ou une action militaire dans le but de
protéger des innocents. Mais les États membres du Conseil ont parfois laissé
tomber les innocents. Les échecs passés doivent nous inciter à mieux nous
préparer en vue de futures crises. Nous pouvons réussir la réforme du
fonctionnement de l'ONU. Nous pouvons en améliorer l'efficacité, en accroître
l'utilité et inspirer ses participants.
Avant de terminer, j'aimerais dire quelques mots sur certains des défis
auxquels nous sommes tous confrontés sur le plan de la paix et de la sécurité.
En Afghanistan, nous avons accompli un travail considérable, mais il est
loin d'être terminé. Pour sa part, le Canada participe à la guerre contre le
terrorisme depuis le début. Notre pays est celui qui apporte la contribution
militaire la plus importante à la Force internationale d'assistance à la
sécurité.
Nous avons promis de consacrer 250 millions de dollars canadiens à l'aide
humanitaire et à la reconstruction. Nous restons déterminés à aider le
peuple afghan à bâtir une société démocratique et pluraliste.
En Iraq, nous nous sommes joints à l'effort international visant à aider le
peuple iraqien. Nous avons décidé d'y affecter 300 millions de dollars
canadiens – soit la plus importante contribution que nous ayons jamais
destinée à un seul pays. Nous sommes encouragés de voir les membres du
Conseil de sécurité explorer les moyens d'élargir le rôle de l'ONU dans la
reconstruction et dans le rétablissement de la souveraineté des Iraqiens.
La situation au Moyen-Orient est un sujet de préoccupation pour nous comme
pour la communauté internationale tout entière. Les deux parties déplorent
les pertes de vies innocentes. Les familles israéliennes et les familles
palestiniennes ont peur pour leurs enfants et pour leur avenir. Le terrorisme et
la violence, quelle qu'en soit la forme ou quelle que soit la cause, ne font
qu'engendrer la violence et coûter la vie à d'autres innocents.
Pour la communauté internationale, comme pour les Israéliens et les
Palestiniens, le désespoir n'est pas une option. Notre objectif doit demeurer
une solution politique reposant sur l'existence de deux États viables, Israël
et la Palestine, à l'intérieur de frontières sûres et reconnues. Nous devons
soutenir les efforts palestiniens pour se doter d'un gouvernement moderne,
transparent et responsable.
Nous devons également appuyer ceux qui cherchent à promouvoir le dialogue
entre Israéliens et Palestiniens dans la recherche de solutions pratiques aux
principaux enjeux. Nous avons la responsabilité d'aider ceux qui préparent la
paix qui viendra un jour.
Quand le moment sera venu, la communauté internationale devra être en
mesure d'assurer une présence internationale robuste qui garantira la
sécurité d'Israël et d'un État palestinien. Et nous devons nous y préparer
dès maintenant. Nous devrions aussi tirer des leçons de la façon dont la
communauté internationale a agi pour faire cesser la violence ailleurs, comme
par exemple à Chypre et au Kosovo.
En dépit des tensions régionales, de la guerre contre la terreur et des
efforts de reconstruction dans les régions dévastées par de récents conflits,
nous devons continuer d'aider les Africains à atteindre leurs objectifs en
matière de commerce et d'investissement, de démocratie, de développement
humain et de saine gouvernance.
Bref :
La coopération multilatérale demeure indispensable. L'ONU reste au coeur du
système multilatéral. De nouveaux défis appellent de nouvelles structures. Et
une occasion historique de les mettre en place s'offre à nous.
Il faut la saisir et concrétiser l'idéal qui a présidé à la création de
l'Organisation des Nations Unies. L'idéal selon lequel les nations peuvent
s'unir pour sauver les peuples du fléau de la guerre.
Puissent les générations à venir dire de nous que nous n'avons pas manqué
à ces idéaux. Que nous avons réalisé le potentiel de l'institution admirable
qu'est l'Organisation des Nations Unies. Que nous l'avons soutenue, renouvelée
et revitalisée pour mieux servir l'humanité.
Merci beaucoup.
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