Allocution du Premier ministre Paul Martin à l`occasion de sa visite aux Nations Unies
Monsieur le Président, j’aimerais vous entretenir aujourd’hui de la réforme de l’ONU, en particulier de la façon dont nous devrions travailler, dont nous devrions fonctionner si les Nations Unies veulent être en mesure de jouer le rôle que nous voulons lui confier au XXIe siècle.
Septembre 22, 2004
New York (New York)
DISCOURS DU PREMIER MINISTRE
Le texte prononcé fait foi
Monsieur le Président, j’aimerais vous entretenir aujourd’hui de la réforme de l’ONU, en particulier de la façon dont nous devrions travailler, dont nous devrions fonctionner si les Nations Unies veulent être en mesure de jouer le rôle que nous voulons lui confier au XXIe siècle.
Le monde est divisé en des États indépendants, et la principale obligation des gouvernements est de s’occuper de leur propre peuple. Cela nous met devant un dilemme fondamental. Car à moins d’agir ensemble, sur la base de notre humanité commune, les riches vont s’enrichir, les pauvres vont s’appauvrir, et des millions de personnes se trouveront dans le péril. Il nous faut, par conséquent, des institutions dont la première obligation est à l’égard de notre humanité commune.
D’où l’importance des Nations Unies. L’ONU est composée d’États membres, mais sa mission consiste, effectivement, à servir les populations du monde. Cela est énoncé très clairement dans sa charte, et je cite : « Nous, peuples des Nations Unies, résolus.... à proclamer à nouveau notre foi dans les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité de droits des hommes et des femmes ».
D’autres vous parleront, à juste titre, de la réforme structurelle.
J’aimerais, de mon côté, discuter aujourd’hui de réformes conçues afin de mettre notre humanité commune au cœur des priorités de l’ONU. Le Canada a constaté cinq secteurs où des mesures audacieuses s’imposent. Le premier secteur a trait à la « Responsabilité de protéger », au besoin d’élaborer des règlements et de développer la volonté politique qui permettraient à la communauté internationale d’intervenir dans des pays pour prévenir une catastrophe humanitaire.
Le Darfour présente une tragédie humaine d’une proportion alarmante. Nous saluons la décision du Conseil de Sécurité d’appuyer un engagement élargi au Darfour bien que nous aurions préféré une action plus robuste. L’Union africaine, qui s’est déclarée prête à en assumer la direction, mérite un appui résolu de la communauté internationale. Le Canada met 20 millions de dollars au service de cette entreprise et invite instamment d’autres pays à s’y associer.
Il est bon que la communauté internationale se soit finalement décidée à agir, mais cela a pris beaucoup trop de temps.
Le Conseil de sécurité s’est enlisé dans des débats sur la question. Ses membres se demandaient si le Darfour constituait « une menace à la paix et à la sécurité internationales ». Ils tentent de déterminer si la tragédie peut être qualifiée de génocide, parce que l’un ou l’autre des cas pourrait, dans le cadre du droit international, justifier une intervention. N’empêche que tandis que la communauté internationale éprouve des difficultés à définir ce qui se passe, le peuple du Darfour continue de souffrir. Les gens ont faim, ils n’ont pas de logement, ils sont malades, et un bon nombre d’entre eux ont été chassés de leur propre pays. Des dizaines de milliers de personnes ont été tuées, violées et agressées. Des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ont été commis et le sont toujours.
Il ne faut pas que des débats sur la définition à retenir deviennent des obstacles à l’action. Nous ne devrions pas passer par des discussions aussi pénibles afin de déterminer comment réagir à une catastrophe humanitaire. Des principes clairs s’imposent qui permettront à la communauté internationale d’intervenir plus rapidement dans des situations comme celle du Darfour.
Notre humanité commune devrait suffire comme argument de poids, mais voilà justement ce qui manque. En termes simples, le droit international ne contient toujours pas de disposition explicite établissant l’intervention pour des motifs humanitaires. La responsabilité de protéger vise à combler cette lacune. D’après ce concept, nous devrions avoir le droit légal d’intervenir dans un pays pour la seule raison qu’il existe une urgence humanitaire, et ce, dans des cas où le gouvernement du pays ne veut ou ne peut protéger sa population de graves dangers résultant d’une guerre interne, de la répression ou de la faillite de l’État.
L’État est responsable en première instance de la protection de sa propre population, et nous ne sommes pas en train de justifier un droit d’intervention unilatéral dans un pays chaque fois qu’un autre pays en a envie. Il est toujours préférable d’obtenir une autorisation multilatérale avant d’intervenir dans les affaires d’un État souverain. Notre objectif, c’est l’évolution du droit et des pratiques sur le plan international de telle sorte qu’une action multilatérale puisse être entreprise dans des situations humanitaires d’extrême urgence.
Le droit international évolue dans le bon sens. Les instruments comme la Convention sur le génocide et les traités sur les droits de la personne reconnaissent effectivement les obligations d’un État à l’égard de sa population. La création de la Cour pénale internationale et celle de tribunaux pénaux constituent d’autres pas en avant. Le droit international coutumier se transforme donc de manière à fournir une base solide à la conception d’un cadre normatif applicable aux interventions collectives pour des motifs humanitaires. Afin d’accélérer le processus, les États membres devraient maintenant adopter une résolution de l’Assemblée générale qui reconnaît l’évolution de la notion de souveraineté de manière à englober la responsabilité internationale à l’égard des populations.
Le Conseil de sécurité doit établir de nouveaux critères en prévision des cas où la communauté internationale conclut qu’une population civile fait face à des menaces extrêmes; où il convient d’explorer des options non militaires ou, au besoin, des options militaires proportionnelles, en vue de protéger les civils. La responsabilité de protéger n’est pas un permis d’intervention; elle sert de garante internationale pour la responsabilisation politique.
Le deuxième secteur a trait à la responsabilité de refuser cela comprend le besoin de veiller à ce que les armes de destruction massive ne se répandent pas aux États ni aux terroristes qui seraient prêts à s’en servir dans n’importe quelle circonstance, et surtout contre des populations civiles innocentes. La non prolifération et le désarmement demeurent des piliers fondamentaux de l’engagement de l’ONU à l’égard de la paix et la sécurité internationales.
Dans les deux cas, le multilatéralisme a été mis à l’épreuve par d’importants changements au chapitre de la sécurité, et le besoin se fait manifestement sentir de renforcer nos systèmes et de les rendre plus adaptables. Une vérification rigoureuse est essentielle.
L’organe de surveillance nucléaire des Nations Unies, soit l’Agence internationale de l’énergie atomique, requiert des outils plus puissants et un soutien politique. Il faut des contrôles plus sévères sur la technologie nucléaire de nature délicate, et le Conseil de sécurité doit être prêt à gérer efficacement toute dérogation aux conventions. Le fait demeure que des États proliférateurs déterminés comme la Corée du Nord ont pu contourner leurs obligations conventionnelles. Les ambitions nucléaires de l’Iran risquent sérieusement de contribuer à la prolifération. Il faut un organe de surveillance multilatéral qui aidera le Conseil de sécurité à résoudre les problèmes liés aux armes dans les États qui suscitent des inquiétudes.
L’ONU devrait établir un mécanisme d’inspection et de vérification permanent capable de renforcer et de compléter les systèmes de vérifications actuels.
De façon plus générale, et pour illustrer les progrès qu’il nous reste à accomplir aux chapitres du désarmement et de la responsabilité de refuser, la Conférence du désarmement des Nations Unies, à qui on a confié la responsabilité de négocier de nouveaux instruments multilatéraux, ne réussit même pas, depuis 1998, à s’entendre sur un plan de travail. La Conférence doit reprendre ses travaux et produire des résultats.
Monsieur le Président, il y a en troisième lieu la responsabilité de respecter, le respect de l’être humain, de sa dignité, de sa liberté, et de sa culture. Je veux parler d’une conception élargie des droits de la personne qui englobe les droits individuels, la protection des droits collectifs et le pluralisme tel qu’il se reflète dans le concept de la diversité culturelle. En fait, le récent rapport sur le développement humain souligne que la diversité culturelle est aussi affaire de liberté. C’est pourquoi nous favorisons un instrument de l’UNESCO sur la promotion des cultures.
Depuis la Charte des Nations Unies et la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, l’humanité a connu des progrès remarquables en matière de droits de la personne. Des conventions assurent maintenant la protection de nombreux droits : civils, politiques, économiques, sociaux et culturels.
Mais la vigilance s’impose face à de nouvelles formes de manquements comme le trafic international des personnes ou le commerce sexuel des enfants.
Parallèlement aux droits individuels, différentes conventions permettent de mieux protéger les minorités, de dénoncer les discriminations raciales et de lutter contre les phénomènes d’exclusion.
Néanmoins, les conflits les plus déchirants découlent le plus souvent de la tentative par un groupe d’empêcher d’autres groupes de satisfaire à leurs aspirations économiques, religieuses, sociales et politiques les plus légitimes. Des communautés entières sont menacées. S’ensuivent violence, luttes civiles et faillite de l’État. Le Kosovo, la Bosnie, la région des Grands Lacs d’Afrique, et aujourd’hui le Darfour, en sont les exemples les plus criants. La communauté internationale doit agir avec vigueur pour assurer la protection de l’individu et des collectivités minoritaires. Il ne suffit pas de disposer de divers instruments juridiques; il faut les mettre en application. Les institutions responsables des droits de la personne doivent révéler au monde entier les coupables d’abus, qu’il s’agisse de groupes armés, de communautés ou de gouvernements, et prendre les mesures qui s’imposent pour y mettre fin.
Les Nations Unies sont notre conscience morale. À nous d’agir.
Quatrièmement, nous avons la responsabilité de construire. Les objectifs du Sommet du millénaire sur la pauvreté, la maladie et l’insécurité dans le monde resteront lettre morte si on ne respecte pas le consensus de Monterrey. Selon ce consensus, un vrai développement exige une démarche globale sur les questions de dette, d’accès aux marchés et d’investissements sociaux.
Ceci dit, comme on l’a vu à Haïti, toute l’aide du monde n’aura qu’un effet éphémère si un pays ne dispose pas d’institutions publiques qui fonctionnent. Nous devons développer les capacités de gouvernance des pays et y mettre le temps. Il en va de même des institutions économiques. Celles qui fonctionnent bien, mobilisent les énergies créatrices des entrepreneurs locaux.
C’est le message de la Commission des Nations Unies pour le secteur privé et le développement : Une économie florissante dépend de la confiance des citoyens dans les institutions publiques de leur pays. Bref, le développement dépend de la gouvernance.
Il y a enfin la responsabilité à l’égard de l’avenir, c’est-à-dire l’obligation que nous avons de léguer à nos enfants un monde meilleur. Le défi est de taille. Il touche tous les aspects de notre patrimoine commun – santé, environnement, océans, espace.
Les nouvelles pandémies constituent l’une des grandes urgences de l’heure. Le SIDA, le SRAS et l’Ebola sont des signaux d’alarme terrifiants. Mais les scientifiques nous prédisent des maladies pires encore. L’Organisation mondiale de la santé doit renforcer ses systèmes de surveillance. Elle doit travailler en meilleure coordination avec les autres organismes des Nations Unies.
Au delà des questions de santé, se pose toute la question de la gestion de notre environnement. Il est gravement menacé. Seules la coopération internationale et l’assistance technique peuvent apporter des solutions durables, par exemple, pour l’accès à l’eau et à l’air purs.
De même, il faut une politique des océans qui permette de reconstituer nos stocks de poisson. Mais l’accès aux pêches doit être mieux réglementé par le droit international. Tout simplement, le pillage de ces ressources mondiales doit cesser.
L’espace est notre dernière frontière. Depuis toujours, il a envoûté notre imagination. Quelle tragédie si l’espace ne devait plus être qu’une gigantesque base d’arsenaux et le lieu d’une nouvelle course aux armements.
Les Nations Unies ont convenu en 1967 que les armes de destruction massive ne devaient pas être basées dans l’espace. Le moment est venu d’étendre cette interdiction à toutes les armes.
Monsieur le Président, j’ai parlé aujourd’hui de responsabilités; permettez moi d’en mentionner une autre – la responsabilité d’agir.
Nous attendons le rapport du Groupe de personnalités de haut niveau mis sur pied par le Secrétaire général, et nous prévoyons des recommandations substantielles en matière de réforme. Beaucoup de pays mettent l’accent sur la réforme du Conseil de sécurité. Nous devrions, en effet, soutenir des réformes qui permettront d’accroître l’efficacité du Conseil de sécurité et qui donneront aux pays qui appuient activement, entre autres, les activités de maintien de la paix et de développement de l’ONU, la possibilité réelle de continuer à apporter leur contribution.
Mais nous attendons aussi des recommandations qui dépasseront le cadre du Conseil de sécurité. Qui traiteront, par exemple, du besoin de prendre des mesures en vue de faciliter une réponse intégrée au large éventail de défis qui se posent en matière de sécurité, en partant de la prolifération du terrorisme jusqu’à l’amélioration de la coordination à l’ONU des activités relatives au développement, à la santé et à l’environnement. Individuellement en tant que pays, en tant que membres d’organisations régionales, en tant que participants à divers groupes internationaux qui sont créés sur la base d’intérêts particuliers, nous devons tous tout mettre en œuvre pour surmonter les différences qui nous séparent et pour forger un consensus international sur la réforme des Nations Unies.
Dans un autre contexte, par exemple, le Canada avait proposé de tenir une réunion spéciale où les dirigeants d’une vingtaine de pays développés ou en développement se réuniraient afin de discuter des défis que nous avons à relever et de nos responsabilités collectives. Cela pourrait très bien englober la promotion importante des efforts visant à réformer l’ONU.
De toute façon, peut importe comment on y arrive, le temps est venu de réformer sérieusement les Nations Unies. Nous devons mettre de côté nos intérêts étroits et travailler ensemble à renforcer cette institution universelle, dont les activités donnent vigueur à notre humanité commune.
Il y a quatre ans, lors du Sommet du millénaire, les dirigeants du monde ont convenu, et je cite, que « nous avons ... des devoirs à l’égard de tous les citoyens du monde, en particulier les personnes les plus vulnérables... ». Ce devoir ne s’accomplira que si nous sommes disposés, en tant que gouvernements, à nous exprimer en faveur de la dignité et de la liberté de chaque être humain sur la planète, ici, en ce lieu de rassemblement des nations.
Merci.
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