Allocution du Premier ministre Paul Martin au Quai 21
Décembre 01, 2004
Halifax (Nouvelle Écosse)
Le texte prononcé fait foi Dans la matinée du 11 septembre 2001, tandis que se répandait la nouvelle des attentats terroristes commis à New York et à Washington, 224 avions commerciaux ont été déroutés immédiatement vers 17 aéroports dans ce pays : en Colombie Britannique et en Alberta, au Yukon et dans les Territoires du Nord Ouest, au Manitoba, en Ontario et au Québec – mais surtout ici, vers des pistes d’atterrissage dans la région de l’Atlantique. Ces avions transportaient quelque 33 000 personnes, dont la plupart étaient des Américains. Certains étaient en voyage d’affaires ou en vacances, d’autres rentraient à la maison.
Un bon nombre d’entre eux ont appris que leur avion atterrirait à Halifax ou à St. John’s, à Moncton ou à Stephenville, à Goose Bay ou à Gander. À des endroits dont la plupart des passagers n’avait jamais entendu parler. Des endroits qui restent maintenant gravés dans leur mémoire.
La réaction ici a été immédiate, et elle a été essentiellement canadienne. Les aubergistes ont ouvert grand leurs portes; ils offraient des chambres gratuitement. Des résidents ont passé la nuit debout à cuisiner pour leurs invités. Ils faisaient du porte à porte pour trouver de la literie. Ils ont mis des affiches manuscrites dans leurs fenêtres : “ Entrez ici prendre une douche. ”
À St. John’s, Linda Moyles a offert son propre lit à Jeannette DeCamp, une spécialiste de l’armée américaine de la Floride qui était enceinte de huit mois et qui avait passé sa première nuit sur le plancher d’une église. “ Fait comme chez toi, lui a t elle dit. La porte n’est jamais fermée à clé. ”
Ici en Nouvelle Écosse, les familles de Leah Cameron et de Donna Popowich, qui sont voisines à Lower Sackville, ont chacune accueilli six membres du groupe réuni pour le mariage de Tracy et de Ken Johnson, un couple anglais qui s’en allait à Las Vegas se marier. Tracy et Ken ont été si touchés par ce geste et par l’hospitalité qu’il ne leur semblait pas correct de ne pas se marier ici, à Halifax. Leah a aidé à tout préparer en seulement huit heures. Ils se sont mariés à l’hôtel de ville.
Dans des salons partout au Canada atlantique, dans des petites villes comme Gambo, Deer Lake, Lewisporte et Norris Arm, les gens, hôtes et invités, ont écouté la télévision ensemble et appris les horribles détails de cette journée la plus pénible pour les États Unis. Dans les salles à manger, ils ont pris des repas ensemble, se sont raconté des histoires et ont trouvé réconfort dans la compagnie les uns des autres. Ils ont prié ensemble pendant des cérémonies interconfessionnelles. À la suite d’un service, des Canadiens comme des Américains ont chanté à l’unisson le Star-Spangled Banner. Des hommes étaient émus jusqu’aux larmes.
Plus tard, après que les avions ont pris le chemin du retour, un Texan qui avait été immobilisé dans la région de l’Atlantique pendant plusieurs jours écrirait une lettre à un quotidien de Dallas pour dire : “ Ces Canadiens nous ont embrassé comme des membres de la famille. ”
C’est ainsi qu’un voisin se comporte. C’est ainsi qu’un ami se comporte. C’est ainsi que les Américains s’étaient comporté il y tant d’années passées, en 1917, lorsqu’un navire qui transportait des munitions avait pris feu dans le port de Halifax et explosé, tuant ou blessant plus de 10 000 personnes et détruisant une bonne partie de la ville. À mesure que la nouvelle se répandait, des Américains partout dans le nord est apportaient leur aide, rendaient service comme ils le pouvaient. À ce jour, la population de Halifax envoie un arbre de Noël chaque année à Boston à titre de remerciement et d’amitié. Il est toujours installé en décembre dans le parc Boston Common. L’arbre de cette année, une épinette blanche de 46 pieds de Lunenburg, sera allumé demain soir.
Monsieur le Président, nous ne devons jamais oublier que le partenariat fructueux entre nos deux pays a été forgé sur notre grande amitié nationale et sur les valeurs que nous partageons en tant que peuples. Nous avons en commun beaucoup plus qu’un continent. Nous partageons de nombreux idéaux. Nous partageons le désir de protéger et de promouvoir la liberté, la démocratie et l’égalité. Et nous sommes inébranlables dans notre volonté d’accroître la prospérité de nos peuples et d’améliorer leur qualité de vie, dans notre volonté d’assurer la sécurité de l’Amérique du Nord et de rendre le monde aussi sûr qu’il puisse l’être.
Comme tous les partenariats, comme toutes les amitiés, les nôtres s’épanouissent mieux lorsqu’ils évoluent dans un esprit de franchise. Nous nous parlons sans détour, comme de bons amis devraient le faire. Notre amitié est assez forte et assez mûre, et assez éclairée pour nous permettre d’exprimer en toute aise nos différends à mesure qu’ils surviennent – qu’ils aient trait au commerce ou à nos politiques étrangères.
À cet égard, nous agissons, certes, dans l’intérêt de nos citoyens. Nous communiquons nos opinions avec passion. Mais nous ne perdons jamais de vue notre amitié, ni la signification de cette amitié dans un monde où les changements au sein de la communauté globale sont une réalité constante.
Tandis que de nouveaux pays deviennent des puissances économiques, tandis que de nouvelles menaces planent sur notre bien être collectif, le partenariat entre les États Unis et le Canada prendra encore plus d’importance – en termes économiques, en termes de notre sécurité mutuelle et en termes humains. Le besoin sera plus fort de travailler en collaboration en notre capacité de nations souveraines et de renforcer nos liens, au pays comme à l’étranger.
Les terribles événements du 11 septembre ont redéfini de nombreuses réalités dans le monde et sur notre propre continent. Nous sommes en guerre contre le terrorisme, et nous sommes liés, Américains et Canadiens, dans ce combat. De ce port, des familles et des êtres chers ont vu partir des militaires canadiens déployés en Afghanistan et à d’autres endroits à l’étranger.
Mais nous sommes passés par des épreuves ici aussi. D’énormes pressions se sont exercées sur notre frontière commune. Nous sommes préoccupés par la sécurité de notre pays. Nous devons défendre ce continent, protéger ses frontières, garder ses ports – et le Canada compte absolument faire ce qu’il faut.
Malgré les changements entraînés en Amérique du Nord par ces pressions, la confiance, la bonne volonté et l’affection entre les populations de nos deux pays n’ont jamais fléchi. À vrai dire, elles se sont affermies.
Ensemble, nous avons pris conscience du fait que le monde a diminué depuis le 11 septembre. Il est plus complexe, plus périlleux, plus exigeant. Il y a près d’un siècle, des tranchées coupaient les champs bucoliques de la France, laissant pendant de longues années des cicatrices qui marqueraient le front de la Grande Guerre, les terrains où tant de soldats canadiens et américains tomberaient au nom de la liberté. Ces hommes savaient où l’ennemi se trouvait et qui il était. L’ennemi portait un uniforme. Il se battait pour agrandir son territoire.
Aujourd’hui, le front de la guerre s’étend des boîtes de nuit de Bali aux cours d’école de la Russie, il passe par les gares de l’Espagne et se rend jusqu’aux avenues de Manhattan et dans le quotidien des Nord Américains. Il ne s’agit pas d’une guerre conventionnelle, et l’océan ne sert plus de tampon. Nous ne voyons pas l’ennemi. Il ne porte pas d’uniforme. Il cherche seulement à tuer. Par conséquent, nous devons maintenir une vigilance ferme et implacable.
Monsieur le Président, lorsque vous avez accepté l’été dernier la nomination de votre parti, vous avez affirmé votre croyance en le “ pouvoir transformateur de la liberté ”.
Nous partageons cette conviction. Nous croyons que la liberté doit s’inscrire et être entretenue au sein d’institutions démocratiques. Nous croyons que la sécurité ne peut être assurée que par la liberté de choix, l’éducation, l’initiative individuelle et l’égalité des chances. Ces idées sous tendent notre action en Bosnie, en Afghanistan, en Haïti et bientôt, nous l’espérons, elles motiveront les élections au Moyen Orient et en Irak.
Nous croyons pouvoir accroître notre sécurité en encourageant une saine gouvernance dans les États faibles, dans ceux qui ont connu des conflits ou l’effondrement de la société civile.
Nous croyons que les États doivent accepter la responsabilité de protéger leurs propres citoyens contre la violence ethnique et les catastrophes humanitaires. S’ils choisissent de ne rien faire, la communauté internationale a la responsabilité, de son côté, de s’appliquer à trouver de nouveaux moyens, plus pertinents, d’intervenir rapidement et de façon décisive lorsqu’une crise éclate. C’est la raison pour laquelle le Canada met de l’avant un nouveau concept de multilatéralisme, une initiative qui permettra, en bout de ligne, à toutes les nations de jouir d’une sécurité accrue dans le monde.
Monsieur le Président, dans la foulée immédiate des événements du 11 septembre, vous avez dit : “ L’Amérique a été attaquée car nous portons le flambeau de la liberté et des possibilités le plus lumineux au monde. Et personne n’empêchera cette lumière de briller. ”
Cette flamme brille encore avec éclat aujourd’hui. Et je tiens à vous assurer qu’elle ne brûle pas seule. Elle est entretenue par ceux et celles partout dans le monde qui croient à la liberté, aux droits de la personne et à la démocratie. Elle est entretenue grâce au soutien que nous apportons à tous ceux qui, partout dans le monde, souffrent des ravages causés par les conflits ou, comme nous le rappelle aujourd’hui la Journée mondiale du Sida, la maladie.
Monsieur le Président, nous vous souhaitons la bienvenue au Canada et à la superbe ville de Halifax. Vous vous adresserez aujourd’hui au peuple de ce pays dans un lieu qui revêt une signification particulière dans l’histoire du Canada. Ceci est le Quai 21. Pendant plus de quarante ans au cours du XXe siècle, près d’un million d’immigrants sont arrivés ici; ils ont enrichi notre caractère national et participé à l’éclosion de l’esprit multiculturel qui définit aujourd’hui les Canadiens dans le monde.
De ce même quai durant les années quarante, quelque 500 000 membres des forces militaires canadiennes se sont embarqués dans des navires en direction de l’Europe, pour participer à la guerre, pour se battre pour la liberté. Certains sont revenus au Quai 21 dans des bâtiments hospitaliers. Mais des milliers d’autres ne rentreraient jamais à la maison.
En ce lieu les émotions sont vives; jubilation et chagrin, sourires et larmes; c’est un endroit marqué par de nouveaux départs et des possibilités, par le devoir, l’engagement, la résolution et la perte. Ce lieu, Monsieur le Président, c’est le Canada. Et c’est un honneur de le partager aujourd’hui avec le dirigeant de notre grand ami.
Mesdames, Messieurs, je vous présente le Président des États Unis d’Amérique.
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