Allocution du Premier ministre Paul Martin à une conférence internationale sur la pêche
Mai 01, 2005
St. John’s (Terre-Neuve-et-Labrador)
Le texte prononcé fait foi Au nom du gouvernement — et de tous les Canadiens, en effet — je vous souhaite la bienvenue au Canada, à Terre-Neuve-et-Labrador et à St. John’s.
Bon nombre d’entre vous avez parcouru de grandes distances pour venir ici. Je suis convaincu que vous garderez un excellent souvenir de votre séjour dans cette merveilleuse province. La population d’ici sait bien accueillir les visiteurs. Et je puis vous assurer, d’après ma propre expérience, qu’une fois que vous aurez connu Terre Neuve et Labrador, vous serez conquis à jamais.
Les Canadiens en sont très conscients. Cette province — surnommée affectueusement « le rocher » — tient une place spéciale dans notre cœur, peu importe d’où nous venons, peu importe où nous vivons dans ce pays. Elle tient aussi une place spéciale dans notre histoire.
C’est ici où les Vikings ont débarqué pour la première fois en Amérique du Nord, il y a mille ans. C’est ici où l’histoire de l’Amérique du Nord a commencé. Et c’est ici où la pêche au Canada a démarré pour de bon.
Il y a cinq siècles — après que les pêcheurs vikings, basques et portugais eurent établi les fondements de la pêche au Canada — l’explorateur italien Jean Cabot notait que la morue pullulait dans les eaux de la soi disant « terre neuve ». Il y en avait tant, a t il dit, qu’on pouvait prendre les poissons à l’aide de paniers appesantis par des pierres.
Les échos de ses paroles ont retenti de l’autre côté de l’Atlantique. Des pêcheurs de partout en Europe se sont mis à traverser l’océan annuellement dans le but de prendre ce qu’ils pouvaient pendant l’été, pour ensuite vendre leur prise dans les marchés animés de Londres, Paris, Madrid, Lisbonne et ailleurs.
L’hiver canadien étant ce qu’il est, il n’est pas surprenant que ces pêcheurs rentraient chez eux chaque automne. Mais au fil du temps, nombre d’entre eux ont décidé de rester – pendant un an, deux ans. Ceux qui étaient plus hardis ne sont jamais repartis.
Ils sont arrivés avec leur culture, leurs coutumes et leur langue. Aujourd’hui, les villes de Terre Neuve et Labrador portent encore la trace des noms que leur ont donnés ces premiers colons. Gambo. Port aux Choix. Portugal Cove. Spaniard’s Bay. Il n’est aucunement exagéré de dire que l’histoire de l’Amérique du Nord tire ses origines, à bien des égards, de celle de Terre-Neuve-et-Labrador. Les sources des valeurs modernes du Canada — la diversité, la coopération et le respect du monde naturel — remontent à ces premiers colons venus de tous les coins de l’Europe, et aux peuples autochtones qui leur ont montré comment survivre et prospérer dans ce beau, mais rude pays.
Ce sont la promesse d’abondance et les dons de la mer qui ont attiré tant de personnes vers les rives canadiennes. Quelle affreuse ironie de constater que c’est en raison du mauvais état de la pêche que cette conférence nous rassemble.
La question de la pêche allume de vives passions chez les Canadiens de la région atlantique. De même que chez n’importe quel Canadien qui vit près d’un des trois océans. La pêche est une partie intégrante de leur être. Lorsqu’elle se porte mal, ils sont les premiers à en ressentir les effets. Le souvenir de l’effondrement des stocks de morue pendant les années 90 est encore frais dans les mémoires, surtout dans ce coin du pays. On le voit sur le visage de ceux qui l’ont vécu. Et on l’entend lorsqu’ils expriment leur frustration devant l’état de la pêche et des océans dans le monde.
Des experts de nombreux pays conviennent que cette situation désespérée crée l’une des principales crises environnementales auxquelles nous faisons face à l’heure actuelle. D’innombrables stocks ont été réduits à des niveaux sans précédent. Certaines espèces sont poussées rapidement au bord de l’extinction. Et il est de plus en plus difficile pour nos pêcheurs de tirer leur gagne pain de l’océan.
Certes, le Canada n’est pas le seul pays à être confronté à ce défi. Les Nations Unies estiment que plus de 52 pour cent des pêches dans le monde sont déjà exploitées au maximum. Que 24 pour cent d’entre elles sont soit surexploitées, épuisées ou en train de se rétablir avec peine. Que 30 pour cent des prises proviennent de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée. Dans certaines régions, les flottilles attrapent jusqu’à trois fois le nombre permis de poissons. Et ce, à un moment où les stocks sont réduits à presque rien.
Depuis 1990, les prises commerciales dans l’Union européenne ont diminué de 20 pour cent. En Australie, de 11 pour cent. Ici, au Canada, de 36 pour cent. C’est tout simplement inacceptable. Et cela mine sérieusement notre crédibilité en ce qui a trait à la gestion de nos pêches, tant au pays qu’à l’étranger. Cela dit, mesdames et messieurs, nous ne devons jamais oublier que cette question nous concerne tous, et que nous pourrons seulement redresser la situation en unissant nos efforts.
Permettez-moi de m’exprimer franchement — les Canadiens sont plus que frustrés devant le manque de progrès enregistré par la communauté internationale dans ses tentatives de mettre fin à la surpêche. Les pêcheurs qui suivent les règlements n’hésitent pas à dire que beaucoup trop de personnes les enfreignent.
Leur frustration devant la surpêche est aussi palpable que compréhensible. Les conséquences de la surpêche sont bien réelles. On peut les mesurer directement. Il n’y a qu’à visiter l’un des avant ports de cette province pour les constater. Des villages de pêche qui étaient le cœur de l’industrie de la pêche au Canada sont aujourd’hui dépeuplés. Dans des collectivités autrefois dynamiques on trouve maintenant des immeubles abandonnés et des maisons vides. Mères et pères regardent leurs enfants quitter leur foyer pour se trouver un emploi sur le continent.
De toute évidence, la surpêche a des répercussions sur l’environnement. Mais ne vous y trompez pas : ses répercussions sur l’économie sont d’une ampleur stupéfiante. Et le pire, c’est que l’être humain n’y échappe pas non plus.
C’est pourquoi je vous dis, ce soir, que cela ne peut durer. Nous ne pouvons permettre que cette situation perdure. Nous ne le permettrons pas. Il est insensé qu’aujourd’hui encore la surpêche par des flottilles étrangères se poursuive sur le nez et la queue des Grands Bancs, et ce, malgré l’état alarmant de nos pêches, malgré la perturbation causée dans la vie et le gagne pain de tant de personnes. Je suis venu ici vous dire que mon gouvernement ne gardera pas les bras baissés devant cet état de fait. La surpêche est irresponsable. Elle est indéfendable. Et elle doit cesser.
Je sais que vous êtes nombreux à connaître des histoires semblables à celles des habitants de Terre Neuve et de Labrador et des autres Canadiens de la région atlantique. Des histoires concernant des stocks de poisson qui ne sont plus que l’ombre de ce qu’ils ont déjà été. Des histoires concernant la concurrence féroce — et parfois les conflits enflammés — provoquée par une ressource en diminution. Des histoires concernant ceux qui, d’une génération à l’autre, ont toujours été pêcheurs, et qui sont maintenant forcés d’aller voir ailleurs les possibilités qui s’offrent à eux. Des histoires concernant l’impatience de nos citoyens lorsqu’ils nous entendent évoquer le besoin de changer les choses, sans jamais procéder au changement.
Nous n’avons pas toujours fait les choses comme il faut. Mais ici au Canada, nous avons pris un certain nombre de mesures pour transformer notre mode de gestion des pêches et des océans. Modernisation de nos politiques. Participation des parties prenantes au processus décisionnel. Priorité à la conservation.
Nous préparons également un plan d’action pour les océans afin de gérer la grande diversité des activités humaines en mer, en mettant à profit la science des écosystèmes et les technologies de pointe, et en faisant appel à la coopération nationale et internationale.
Nous sommes effectivement très actifs au pays, mais dans un même temps, nous devons reconnaître la nécessité d’œuvrer ensemble — à l’échelle internationale — pour vraiment faire bouger les choses. Il s’agit d’un problème commun, d’un défi d’envergure mondiale. La solution ne viendra pas de l’un d’entre nous, mais de nous tous, travaillant de concert.
Nombreux sont ceux qui soutiendront que pour réaliser des progrès sur le plan international, il faut de la patience, de la collaboration et de la détermination. Qu’il n’y a pas de solution miracle. Et ils ont raison.
Il n’en reste pas moins que nous devons effectuer des changements sérieux et durables. Le temps presse. J’espère que cette conférence permettra d’accélérer les choses. Encore mieux, qu’elle pourra nous orienter dans la bonne direction.
La surpêche est un problème mondial aux implications profondes. Et c’est dans ce sens que nous devons aborder cette question. Les poissons ne respectent aucune frontière. Nos océans ne peuvent être liés par les limites de compétence imposées par les États.
Nous devons mettre de côté ces contraintes. Nous devons délaisser cette veille façon de penser. Nous bénéficions ensemble de nos océans et des ressources qu’ils recèlent. Nous devrions donc partager ensemble la responsabilité de leur gestion et de leur protection dans l’avenir.
Je suis heureux de constater que je ne suis pas le seul à penser cela.
En tant que Premier ministre, j’ai voulu que le règlement de la surpêche et du problème de l’affaissement des ressources océaniques constitue l’une des pierres angulaires de la nouvelle politique étrangère du Canada. Je l’ai voulu parce que je crois sincèrement, et depuis des années, qu’il s’agit d’un dossier où les pays du monde peuvent se concerter pour obtenir des résultats qui sont non seulement dans leur propre intérêt, mais dans l’intérêt commun de la planète et de nos populations. J’ai véhiculé ce message partout dans le monde. J’en ai discuté avec des dirigeants sur tous les continents. J’ai soulevé la question aux Nations Unies. Et j’ai proposé la création d’un nouveau forum multilatéral pour les dirigeants, à savoir le G20, dont la taille et le mandat se prêteraient particulièrement bien à une action décisive et concrète en matière de surpêche.
Ce que j’entends dire m’encourage. Les dirigeants savent que l’état des ressources océaniques est inquiétant. Ils sont d’accord que nous avons consacré suffisamment de temps aux discours et qu’il faut maintenant, en tant que communauté internationale, passer à l’action.
La bonne nouvelle, c’est que nous disposons déjà de bon nombre des ententes qu’il nous faut.
Au cours des quinze dernières années, le Canada, en étroite collaboration avec d’autres pays pêcheurs, s’est attaché à mettre au point une série d’ententes et de mécanismes visant à contenir la surpêche et les effets de la pêche sur les écosystèmes maritimes. Beaucoup de personnes ici présentes ont joué un rôle important dans l’élaboration de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer et de l’Accord de l’ONU sur les stocks chevauchants et migrateurs.
Ici en Amérique du Nord, le Canada et les États-Unis ont multiplié leurs efforts dans le cadre de la gestion conjointe des stocks communs comme le flétan et le saumon.
Le Canada est aussi membre du Groupe de travail sur la haute mer formé de ministres et présidé par la Grande Bretagne. Il s’est joint à cette dernière, de même qu’à l’Australie, au Chili, à la Namibie et à la Nouvelle Zélande — et à un certain nombre d’organisations non gouvernementales — pour créer une coalition de pays et d’organismes environnementaux consacrée à la lutte contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée en haute mer.
Il est clair qu’il y a volonté d’agir. Des ententes ont été conclues. Le problème, c’est que la conclusion d’ententes et leur application sont deux choses différentes.
Reste à savoir maintenant si les pays ont la volonté politique d’aller de l’avant. Pouvons nous mobiliser le courage qu’il nous faut sur le plan international pour modifier le statu quo? Pouvons nous assurer un avenir meilleur à nos pêches et à l’environnement maritime? Votre présence ici à St. John’s cette semaine m’indique que la réponse à ces questions est « oui ».
Le but de cette conférence est justement de forger la volonté nécessaire. Dans les prochains jours, vous aurez l’occasion unique de débattre de ces questions et d’explorer les solutions en tant que membres de la communauté mondiale.
Ne vous y trompez pas. Comme le suggère le thème de la conférence, le temps où on se limitait à discuter du problème est révolu. Le Canada se joint à d’autres pays en quête d’une action concertée pour empêcher le pillage systématique de nos océans et de leurs ressources. Nous — et par « nous », j’entends la communauté internationale — devons aboutir à des résultats concrets dans un court laps de temps.
Premièrement — il faut des organisations régionales de gestion des pêches qui sont efficaces. Trop souvent, les obligations qu’elles établissent ne sont tout bonnement pas respectées. Nous devons doter ces organisations des outils et des pouvoirs requis pour qu’elles puissent donner des résultats.
Deuxièmement — un certain nombre de ces organisations a été créé à une époque où nos pêches étaient robustes et saines. Il est évident qu’elles doivent être adaptées à la réalité que nous connaissons.
Troisièmement — en ce qui concerne les flottilles de pêche qui enfreignent les règlements, il faut des sanctions sérieuses et musclées. Malheureusement, la pêche illicite existe car les profits dépassent de loin les pénalités. Il ne suffit pas de taper sur les doigts des contrevenants et de les renvoyer à leur port d’attache. Trop souvent, les amendes pour infraction aux règlements sont perçues comme faisant « simplement partie des frais d’exploitation ». C’est inacceptable. Ce déséquilibre doit être corrigé, le bien doit passer avant l’appât du gain, il faut cesser de prétendre que certains pays ne violent pas les règlements et prévoir plutôt des sanctions sévères à l’intention de ceux qui sont fautifs.
Quatrièmement — les nations doivent rendre compte des activités de leurs flottilles de pêche. Si les vaisseaux qui arborent notre pavillon ne respectent pas les règlements ou contreviennent aux obligations imposées par la communauté internationale, nous ne pouvons pas fermer les yeux. Nous devons répondre de leurs actions.
Enfin — nous devons appliquer les ententes dont nous disposons. Par exemple, l’Accord de l’ONU sur les stocks, qui présente un grand potentiel pour la protection et la reconstruction de l’industrie des pêches et l’assainissement de nos océans à long terme.
La conférence de St. John’s nous donne l’occasion de démontrer que la communauté mondiale entend sérieusement faire avancer les dossiers comme ceux-ci. Que nous sommes déterminés à préparer un avenir meilleur pour la pêche dans le monde. Et que nous faisons appel à la volonté politique et au courage de tous les pays pour fixer une limite afin de pouvoir déclarer, une fois pour toute, que le pillage s’arrête ici.
Mesdames et messieurs, partout dans le monde, on s’entend pour dire qu’on ne peut plus prendre pour acquis les océans; que les stocks de poisson ne peuvent être exploités jusqu’à leur extinction. On s’entend pour dire que ces ressources sont un don de la nature. Un don précieux qu’il faut entretenir. Un don qui doit être pris en charge par la communauté mondiale.
On s’entend aussi pour dire qu’il y a un lien direct entre des économies vigoureuses et prospères et la vigueur et la prospérité de nos environnements naturels. Que la viabilité de l’environnement et la réussite économique ne sont pas des objectifs qui s’excluent l’un l’autre. Et on s’entend pour dire que l’avenir des océans et de leurs ressources dépend de notre capacité actuelle de concertation.
Ce soir, je vous demande de faire fond sur ce consensus global. Je vous demande de saisir cette occasion historique et de lancer le processus qui permettra d’arrêter, une fois pour toute, le pillage de nos pêches et de nos océans.
Je vous demande d’unir vos efforts — en tant que communauté mondiale — afin d’entamer le prochain chapitre de l’histoire des pêches et des océans du monde et de rétablir la place de ceux ci, jadis source de fierté, dans nos cultures, nos pays et nos vies.
Merci beaucoup.
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