Allocution du Premier ministre Paul Martin à la Conférence des Nations Unies sur le changement climatique
Décembre 07, 2005
Montréal (Québec)
Le texte prononcé fait foi
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les délégués,
Au nom du Canada et de tous les Canadiens, je souhaite la bienvenue à tous ceux et celles qui travaillent très fort ici à Montréal depuis plus d’une semaine. Je suis heureux aussi d’accueillir toutes les personnes qui viennent de se joindre à la conférence.
Laissez-moi d’abord vous dire que nous n’aurions pas pu avoir un champion plus convaincant de la cause environnementaliste que notre président, Stéphane Dion. Il a littéralement visité des douzaines de pays, il a rencontré plusieurs d’entre vous, souvent plus qu’une fois. Il a écouté tous les points de vue, il a cherché à bâtir des consensus, et il a voulu le progrès.
Je tiens à vous dire à quel point il est important pour chaque membre de mon gouvernement – et pour moi-même personnellement – d’atteindre les objectifs que nous avons à cette conférence.
En octobre, j’ai rencontré un groupe de Canadiens préoccupés par le changement climatique. Ils ont demandé que notre réponse soit ferme. Ils ont proposé des objectifs à court et à moyen terme pour guider les efforts du Canada dans la réduction des gaz à effet de serre. Ils ont exprimé leur espoir que cette conférence mène à l’élaboration d’un régime inclusif et vraiment effectif d’ici 2008 ou 2009. Ils veulent un plan et la certitude qu’il sera mis en œuvre après 2012. Ils veulent que nous poursuivions la mise en œuvre des mécanismes de développement propre et des échanges de permis d’émission.
De telles demandes m’avaient été présentées auparavant. Mais jamais par des personnes comme celles-là – des dirigeants de quelques-unes des plus grandes entreprises au Canada, y compris celles dans les secteurs des ressources et de l’énergie. Ils encourageaient le gouvernement à adopter un plan agressif pour combattre le changement climatique. Ils m’ont dit qu’ils avaient fini par comprendre que l’avenir économique et l’avenir environnemental du Canada sont étroitement liés. Ils ont compris que notre nation avait la responsabilité de se joindre à ceux qui luttent – en première ligne – contre le réchauffement de la planète.
Tout le monde ici dans cette salle comprend que le monde change. Maintenant, les attitudes changent aussi. Un consensus prend racine. Et ce consensus nous donne une occasion, une chance, de faire bouger les choses. Une chance de faire de Montréal un synonyme de la rencontre des nations qui, ensemble, ont pris la voie – longue mais vitale – du progrès, d’un progrès véritable, d’un progrès mesurable, d’un progrès qu’on pourra un jour célébrer.
Les jours où on débattait des effets du changement climatique sont révolus. Nous n’avons plus à demander aux gens d’imaginer ces effets, car nous les constatons. Vous pouvez probablement tous citer des exemples tirés de votre propre région du monde. À mesure que s’installe le changement climatique, nous serons obligés de revoir la façon dont nous pouvons réussir à cultiver la terre et à faire nos récoltes. Les configurations des précipitations – de la sécheresse – varient, tandis que les événements météorologiques s’intensifient. Les tempêtes, les feux de forêt et les infestations mettent déjà à rude épreuve notre capacité d’y réagir et de nous en remettre. À mesure que le temps passe, ces phénomènes empireront. Il y aura des conséquences sur le plan de l’économie. Des conséquences sur le plan humain.
Ici, au Canada, le Grand Nord est devenu un incubateur dans lequel se dessine le monde de demain. Loin dans l’Arctique, dans les zones intérieures et sur nos côtes, le pays que nous avons connu se transforme. Les hivers sont plus doux, les étés plus chauds et plus difficiles, des plantes poussent dans des endroits où il n’y en avait pas; on voit de l’eau là où il y avait de la glace. Notre pergélisol fond – ce qui libère du méthane dans l’atmosphère et accélère le mécanisme même du changement climatique. En l’espace de quelques décennies, le passage historique du Nord Ouest, renommé pour être non navigable, pourrait se prêter à la navigation – un exemple frappant et dérangeant d’un équilibre délicat qui succombe à une perturbation insupportable.
Certains évoquent les coûts qu’entraînera tout changement dans nos habitudes ou façons de faire. Mais comment peut-on ne pas être conscient, à ce moment-ci, du coût plus élevé que nous paierons si nous ne pouvons faire preuve de toute la volonté ou la détermination qu’exige le changement.
Nous pouvons parler de coûts en termes de sécurité énergétique, en termes d’économie. Nous pouvons en parler en termes d’écologie ou de notre obligation éthique les uns envers les autres. Dans chaque cas, les faits s’alignent de la même façon. Dans chaque cas, ils nous amènent à la même conclusion. Il faut agir et il faut agir maintenant.
Les combustibles fossiles traditionnels sont devenus trop coûteux pour être gaspillés – trop dispendieux pour être utilisés sans discrimination dans nos maisons et nos entreprises; ils ont aussi un impact trop grand et trop durable sur notre planète. Ce qu’il faut faire, c’est maximiser nos ressources pour limiter l’impact sur notre atmosphère de l’utilisation du carbone.
Devant le défi qui se pose, nous ne pouvons distinguer l’intérêt collectif de l’intérêt national. Nous devons accepter le fait que notre comportement, nos gestes se répercutent les uns sur les autres et ont des incidences sur la planète que nous partageons. Ce qui se passe nous concerne tous.
De nombreuses personnes dans les pays en développement accusent les pays développés d’avoir créé la situation dans laquelle nous nous trouvons. Qui serait en désaccord avec ça? Certainement pas moi. Cela dit, nous sommes tous dans le même bateau. Nous ne pouvons nous cacher du fait que le monde en développement, qui est plus vulnérable, sera celui qui souffrira le plus si les effets du changement climatique provoquent un déclin encore plus grand des conditions de vie ou un ralentissement économique mondial. Ces pays n’ont tout simplement pas de marge de manœuvre.
Les pays développés ne peuvent pas se défiler de leurs responsabilités. Je n’ai qu’à regarder mon propre pays. Nous sommes un pays à la fois producteur et consommateur d’énergie. Notre bilan dans la lutte contre le changement climatique dans les années 90 est loin d’être reluisant.
Mais aujourd’hui, nous investissons des milliards de dollars dans des initiatives novatrices et efficaces au même moment où nous travaillons à respecter notre engagement envers l’accord de Kyoto. Nous nous servons de l’atout que sont nos ressources comme tremplin vers l’innovation : aux chapitres de l’énergie propre, renouvelable ou durable, de l’efficacité et de la conservation.
Cette année, nous avons présenté le budget le plus favorable à l’environnement de notre histoire, de même qu’un programme complet pour combattre le changement climatique. De concert avec les gouvernements de nos provinces et territoires, nous investissons dans des sources d’énergie propre. Avec l’aide de nos municipalités, nous investissons dans le transport en commun et dans des infrastructures écologiques. Avec l’aide des grands émetteurs de dioxyde de carbone, nous investissons dans de nouvelles technologies et dans l’innovation.
Nous faisons tout cela parce que le monde a besoin d’une économie plus efficace et viable, et nous voulons que le Canada, incluant la communauté d’affaires, progresse dans ce sens. C’est ce que les gens d’affaires nous demandent. Et ce dont ils ont besoin de nous – de leur gouvernement – c’est la certitude que leurs investissements vont valoir quelque chose – que nous ne manquerons pas à notre devoir envers eux, en établissant un cadre de référence, qu’il s’agisse de cibles concrètes ou d’un marché pour mettre un frein aux émissions ou échanger des crédits.
À l'issue de cette conférence, des gestes dynamiques devront être posés par les 157 pays qui ont ratifié le Protocole de Kyoto. Tous ceux qui sont rassemblés ici devront prendre des mesures dynamiques. Nous devons nous doter des moyens nécessaires pour que les pays signataires respectent le Protocole. Et nous devons penser à l'avenir. Les engagements futurs pris dans le cadre du Protocole de Kyoto enverront un message clair : le monde tente de régler le problème du changement climatique à long terme.
La tâche à venir ne sera pas facile, mais il y a des précédents encourageants. En 1987, une coalition mondiale s’est réunie ici, à Montréal. Elle s’est engagée à prendre une action collective contre les agents chimiques qui détruisaient la couche d’ozone. Nous avons établi des cibles, mesuré les progrès réalisés, établi de nouvelles règles pour l’industrie, été attentifs aux nouvelles technologies qui surgissaient. Et nous avons obtenu des résultats. Des résultats véritables et durables. C’était bien sûr un défi de taille différent. L’atmosphère se remet peu à peu des dommages causés à la couche d’ozone. Ceci étant dit, comme nous le savons, les gaz à effet de serre sont plus insidieux. Ça prendra des siècles à notre planète pour se remettre de ce qui est déjà dans notre atmosphère. Mais le même principe demeure. Pour faire face au changement climatique, une action concertée est essentielle. Le leadership est essentiel. Nous devons laisser la voix de notre conscience mondiale s’exprimer.
Pour les pays industrialisés, le XXe siècle a été synonyme de croissance, de progrès, de percées, toujours plus importants, plus rapides, et en constante évolution. Ils ont été témoins d’une ingéniosité à en couper le souffle, d’esprits brillants, d’une persévérance extraordinaire. De Kitty Hawk à la Concorde, du modèle T à la Formule Un. Les frontières du savoir et de l’entreprise humaine ont été déplacées. Mais c’est seulement vers la fin du siècle que nous avons commencé à percevoir, puis à comprendre les coûts qu’entraînaient inéluctablement ces progrès, ces percées, et que nous avons ensuite été en mesure de les démontrer.
Le changement climatique est causé principalement par l’activité humaine – et surtout par la façon dont nous produisons et utilisons de l’énergie. En termes simples, nos économies – voire nos sociétés – ne peuvent pas soutenir ce rythme de consommation.
Le changement climatique présente un défi mondial qui exige, à son tour, une réponse mondiale. Et pourtant, certains pays sont récalcitrants, certaines voix tentent de minimiser l’urgence de la situation ou rejettent les connaissances scientifiques. D’autres indiquent sciemment, par leur discours ou leur indifférence, que ce n’est pas leur problème et qu’ils n’ont pas à le résoudre. Et bien, c’est notre problème. Et nous devons le confronter ensemble.
Le temps de la complaisance est révolu. Fini le temps de prétendre qu’une nation peut s’auto-suffire et s’isoler de la communauté mondiale – il n’y a qu’une seule planète Terre, et nous la partageons, on ne peut fuir sur aucune île, dans aucune ville ou dans aucun pays, peu importe sa prospérité, on ne peut fuir les conséquences de l’inaction.
Ici, à Montréal, on nous demande de protéger notre planète. Nos citoyens nous le demandent. Il faut trouver la volonté et la façon de répondre à leurs attentes légitimes.
Si nous ne réussissons pas à relever le défi du changement climatique, nous ne pourrons mettre cet échec sur le compte des pays. L’échec sera attribuable aux individus – à moi, à vous, à l’incapacité de tous ceux et celles qui sont confrontés, aujourd’hui, aux coûts évidents de notre complaisance et qui refusent d’accomplir des sacrifices et de se conformer aux nouvelles façons de faire.
Que dira-t-on des gens de notre époque – que nous avons légué un bel héritage, que nous avons tout pris pour acquis, que nous avons opté pour la facilité, que nous avons volontairement négligé les conséquences de nos propres ambitions?
Un tel avenir est possible, mais nous n’avons pas à en faire le nôtre. Ensemble, nous devons viser rien de moins qu’un héritage de responsabilité et de détermination. Ensemble, nous pouvons appliquer l’ingéniosité humaine à la noble tâche de servir les générations à venir – en réparant les dégâts plutôt que d’en causer; en offrant de l’aide au lieu de nuire; en faisant ce que nous pouvons, en mettant tout en œuvre, à des fins de restauration, de renouvellement et d’équilibre.
Le temps est venu d’agir ensemble.
Merci.
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