Déclaration de la Gouverneure générale désignée
Août 04, 2005
Ottawa (Ontario)
Le texte prononcé fait foi Mesdames, messieurs et chers collègues
Je ne m’attendais pas à ce que le destin frappe de cette façon-là à ma porte. Je suis émue et honorée par cette grande marque de confiance : le Premier ministre m’a recommandée comme 27e Gouverneure générale du Canada et a reçu l’assentiment de la Reine.
C’est une grande distinction mais à laquelle il m’a fallu réfléchir. Je me suis demandée : en quoi et comment une Canadienne, une Québécoise comme moi qui suis très consciente de mes droits mais aussi de mes devoirs et de mes responsabilités de citoyenne peut contribuer à l’histoire - au présent - et à l’avenir de ce très vaste pays.
Ce pays… aux possibilités immenses, illimitées… riche de l’apport quotidien de gens venus du monde entier. J’en fais partie. Mon père et ma mère comme de nombreux autres exilés ont trouvé au Canada une terre d’asile chargée de promesses pour leurs deux enfants et pour se refaire une vie.
En jetant l’ancre au Québec, nous avons pu nous épanouir dans cette langue que nous chérissons tant, le français.
On parlait autrefois de la solitude des peuples fondateurs du Canada. De nos jours, le Canada compte une multitude de voix, des voix voulant se faire entendre, se faire respecter et se faire comprendre.
La diversité de notre géographie, de notre population, de nos cultures fait naître un sentiment d’appartenance à la collectivité canadienne.
Les gens de ce pays ont besoin, non seulement de se faire dire qu’ils sont inclus, mais aussi de découvrir et d’expérimenter ce que le Canada signifie pour eux, et de pouvoir prendre part à tout ce que le pays a à offrir.
La grande force de ce pays c’est qu’il se transforme. Durant toutes ces années où j’ai œuvré comme journaliste et animatrice, sur les différentes chaînes de notre télévision publique, j’ai vu les préjugés reculer et les mentalités évoluer. Fini le temps où l’on osait penser et dire qu’une personne de race noire n’avait aucune crédibilité en information aux yeux du public.
Il faut continuer d’avancer. Et c’est dans cet esprit que j’acquiesce à la proposition qui m’est faite et que j’entends exercer le rôle de gouverneure générale.
Je vais donc représenter la couronne au Canada et accomplir tous les devoirs constitutionnels et protocolaires que nécessite notre démocratie parlementaire.
Mais, plus encore, ce qui m’importe c’est vraiment de faire de cet espace institutionnel, un lieu où la parole citoyenne trouve un écho.
Car j’estime que cette institution se doit d’être à la portée de toutes et de tous dans ce pays, sans distinction. Je désire que cette institution continue d’être pleine de vie et qu’elle rejoigne les gens de tous les milieux et de toutes les origines, en d’autres mots qu’elle tisse des liens avec tous les Canadiens et Canadiennes.
J’y crois sincèrement … avec la volonté, l’enthousiasme de tout mettre en œuvre pour susciter et multiplier des occasions de rencontres entre les citoyens en les incitant à des actions constructives dans leurs communautés et en valorisant ce qu’ils accomplissent. L’imagination nourrit l’espoir... et tout cela m’inspire.
Les efforts de ceux qui luttent pour être entendus, ici comme ailleurs dans le monde, ont nourri mon parcours journalistique, ma curiosité intellectuelle et ma passion.
J’ai consacré une importante partie de ma vie à interroger et à entendre les autres… En prenant le temps de bien saisir leurs préoccupations et d’apprécier leur volonté de faire, d’agir, de s’investir pour le mieux-être de la collectivité humaine.
Des années d’engagement social et de journalisme ont forgé mon regard et mon appréciation des réalités de notre monde de plus en plus complexe. J’aimerais, à titre de gouverneure générale, pousser encore plus loin mon désir de contribuer à la nécessaire humanisation de l’humanité.
Je le ferai dans le respect de mes convictions, en restant fidèle à qui je suis, portée par tout ce que la vie m’a enseigné.
Je viens de loin. Mes ancêtres étaient des esclaves. Je suis née en Haïti, le pays le plus pauvre de cet hémisphère. Je suis fille d’exilés chassés de leur terre natale par un régime dictatorial.
Je suis une mère de famille inquiète de ce que l’avenir sera pour son enfant et pour tous les enfants sur cette terre.
Je tiens aux valeurs fondatrices de ce pays qui nous unissent et qu’il nous faut défendre, faire évoluer et préserver.
La valeur souveraine à mes yeux étant celle du respect, le Canada que j’aime est celui qui se définit dans le respect de l’autre, le respect de son intégrité et de sa dignité.
Pour tout cela, je veux bien mettre l’épaule à la roue. J’aime à penser que je serai la gouverneure générale animée d’un idéal qu’il faut poursuivre, pour une aventure à mener d’un bout à l’autre de ce pays que j’ai eu l’occasion de traverser, mais pas encore entièrement, et qu’il me reste à découvrir autrement, plus en profondeur, en allant à la rencontre des hommes et des femmes qui font qu’il existe.
Je tiens à souligner aussi que c’est un honneur pour moi de succéder à Madame Adrienne Clarkson. Madame Clarkson a consacré une énergie et un dévouement absolument remarquables à servir son pays et ses concitoyens. Elle y est parvenue avec le soutien admirable de son époux John Ralston Saul. Ensemble ils ont su insuffler une énergie nouvelle à la fonction : qu’on pense aux nombreux forums d’idées qu’ils ont mis de l’avant, à la ferveur avec laquelle ils ont soutenu les œuvres, les productions et les créateurs de partout au Canada.
Formidable aussi aura été le travail important qu’ils ont effectué auprès des communautés autochtones. Cela dit, on se souviendra de l’exceptionnelle contribution d’Adrienne Clarkson à la fonction publique et au Canada, non seulement à titre de Gouverneure générale, mais tout au long de sa carrière, y compris celle qu’elle a menée comme journaliste. Je suis persuadée que tous les Canadiens se joindront à moi pour lui exprimer la plus vive des reconnaissances.
Tout cela est tellement emballant!
Et j’ai beaucoup de chance : je pense à mon mari Jean-Daniel et à notre fille Marie-Éden. Tous les deux sont aussi heureux que moi et aussi déterminés à se lancer dans cette riche aventure…
Je suis une femme d’action et j’ai très hâte de commencer.
Merci.
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