« Le nouveau modèle de gestion des affaires
publiques »
Voulons-nous et pouvons-nous exercer le pouvoir différemment?
Notes pour une allocution prononcée par
Jocelyne Bourgon
Greffier du Conseil privé et secrétaire du Cabinet
au Forum des SMA
Musée canadien des civilisations, Hull
29 octobre 1997
Introduction
Bonsoir. Il est agréable de vous revoir tous. Le
titre de mon allocution, ce soir, est « Le nouveau modèle de gestion des affaires
publiques ».
Si vous n'y voyez pas d'inconvénients, j'opterai
pour un titre qui convient mieux à ma personnalité. Ainsi, voulons-nous et pouvons-nous
exercer le pouvoir différemment? Les représentants élus et nommés sont-ils prêts à
travailler en partenariat avec d'autres, sont-ils capables de rallier et de mettre à
contribution les citoyens? Voulons-nous partager pouvoir et responsabilité afin de mieux
servir l'intérêt public?
Votre programme traite de leadership, d'appel aux
citoyens, de collaboration et d'horizontalité. S'agit-il de mots à la mode chez les
hauts fonctionnaires? Témoigneraient-ils plutôt de la façon dont le gouvernement du
Canada exercera le pouvoir à l'avenir?
Leadership, collaboration, interdépendance,
partenariats : tous ces mots prennent forme dans un contexte précis. En prévision de vos
délibérations de demain, laissez-moi vous décrire en quelques mots à quel point le
présent mandat sera différent du précédent.
J'aimerais aussi souligner combien ce mandat sera
crucial :
- pour positionner le Canada de demain;
- pour renforcer l'unité nationale;
- pour moderniser la relation entre gouvernements et
citoyens.
De quelle façon le présent mandat
différera-t-il du précédent?
1. De la réduction des
dépenses à l'investissement stratégique
Il aura fallu 10 ans pour dégager un large
consensus social pour assainir les finances publiques. Durant cette période, de
nombreuses mesures ont été prises pour réduire les dépenses de l'État, la plupart
sans succès.
Nous le savons bien, car nous étions là, en fait,
nous y avons pris part. Il y a eu le Groupe de travail Nielsen, des budgets "x",
des gels de salaires, le principe « de faire plus avec moins ». Ces mesures
ont été infructueuses parce qu'un programme n'était pas sitôt éliminé qu'un autre
voyait jour. Les décisions de financer de nouvelles initiatives se prenaient
indépendamment des décisions de compressions budgétaires. Il n'y avait pas de plans
d'ensemble ou assez de cohésion pour y adhérer.
Au cours des quatre dernières années, le
gouvernement, et nous tous, avons finalement atteint le but visé.
Ces efforts ont été fructueux, à cause de l'appui
des Canadiens et parce que les ministres et hauts fonctionnaires ont pris le risque de
travailler en équipe. Les sceptiques étaient nombreux. Les ministres et leurs équipes
ont mis de l'avant des propositions ambitieuses pour repenser le rôle de l'État et
réduire les dépenses. Travailler ensemble et se faire mutuellement confiance : Quelle
révolution!
La morale de cette histoire est que le partage du
pouvoir génère un plus grand pouvoir, les responsabilités que l'on partage sont
garantes de meilleurs résultats. Il faut souligner l'apport du ministère des Finances
dans la réussite de cette entreprise. La préparation des budgets durant cette période a
été bien différente de celle du passé.
Nous arrivons maintenant à un tournant décisif. Le
gouvernement passera d'un objectif qui consistait à réduire le déficit à celui,
beaucoup plus complexe, de préparer le Canada et les Canadiens pour l'avenir, et ce, dans
les limites de nos moyens collectifs.
Ce sera une période riche en défis de toutes
sortes, à l'extérieur comme à l'interne, car :
- il n'y a pas de consensus dans la société sur la
meilleure façon de préparer l'avenir;
- chaque nouvelle initiative sera bien accueillie par
ceux qui en bénéficieront, et critiquée par tous les autres. Dans la lutte contre le
déficit, les Canadiens pouvaient juger par eux-mêmes des progrès vers l'objectif
global. Cette fois, il n'y aura pas de moyen facile de mesurer le progrès.
- certains Canadiens sont d'avis que l'on ne peut pas
faire confiance aux gouvernements pour investir judicieusement, que toute marge de
manoeuvre sera gaspillée au lieu d'investie.
À l'interne, la tâche sera également difficile.
Les ministres relèveront-ils à nouveau le défi de la collégialité? Les ministres et
les hauts fonctionnaires prendront-ils une fois de plus le risque de s'élever au-dessus
de leurs organisations respectives pour se concentrer sur les priorités et les besoins
nationaux? Quels incitatifs les pousseront à agir de la sorte? Les ministres et les hauts
fonctionnaires réussiront-ils à se concentrer sur les grandes priorités plutôt que de
se laisser distraire par une suite sans fin de transactions?
C'est dans ce contexte que sera éprouvée notre
volonté de travailler en équipe, de collaborer et d'adopter une approche horizontale. Si
nous réussissons, nous accomplirons des choses extraordinaires au cours des quatre
prochaines années. Si nous échouons, nous ne devrons pas sous-estimer la colère et le
ressentiment que cela suscitera dans l'opinion publique. Pour certains, ce sera la preuve
qu'on ne peut pas faire confiance aux gouvernements, et que réduire sa taille est la
seule voie à suivre.
2. De l'indépendance à
l'interdépendance
Le discours du Trône prononcé le 23 septembre
dernier établissait les priorités du gouvernement du Canada à l'aube du XXIe siècle
:
- investir dans l'éducation, le savoir et
l'innovation;
- investir dans les soins de santé et leur qualité;
- ouvrir des débouchés pour les jeunes Canadiens;
- aider à préparer les enfants à apprendre et à
réussir dans une société moderne.
C'est un « agenda social ». Chaque priorité
représente un investissement stratégique dans l'être humain. Ensemble, elles
fournissent les éléments essentiels pour préparer les Canadiens à une société axée
sur le savoir. Nombre de ces priorités nécessitent une approche horizontale,
c'est-à-dire qu'elles doivent faire intervenir plusieurs ministres et plusieurs
ministères. Ce sont aussi des priorités sociétales de nature. Elles débordent
largement la responsabilité du gouvernement du Canada et s'étendent à celle des
provinces. En fait, elles débordent la responsabilité de tous les gouvernements. Elles
font appel à tous les partenaires de la société.
C'est dans ce contexte que seront éprouvées notre
volonté de pratiquer l'horizontalité entre les ministères et notre capacité de gérer
l'interdépendance entre les gouvernements. Au cours du dernier mandat, nous avons
beaucoup travaillé à clarifier les rôles et responsabilités, à réduire les
chevauchements et le double emploi. Cette phase est pratiquement terminée. C'était la
partie la plus facile ... le plus difficile ne fait que commencer.
Gérer l'interdépendance entre les gouvernements
implique qu'il faut d'abord reconnaître :
- que les deux ordres de gouvernement ont un rôle à
jouer;
- qu'il s'agit non pas de se limiter à des questions
de transfert de responsabilité, de désengagement ou de délégation, mais plutôt de
trouver des moyens pour répondre, ensemble et avec efficacité, aux besoins des citoyens;
- que l'apport des différents gouvernements doit être
conforme à leurs responsabilités propres;
- que les gouvernements doivent prendre des décisions
et établir des priorités ensemble, ainsi que partager la responsabilité et
l'imputabilité ;
- que les gouvernements doivent apprendre que, les
critiques des uns à l'égard des autres minent la crédibilité de tous les gouvernements
dans l'esprit des Canadiens.
Nous pouvons trouver dans nos ministères respectifs
de nombreux exemples de partenariats réussis entre les gouvernements.
Les priorités du gouvernement nous donneront
l'occasion de pousser plus loin. Si nous réussissons, nous moderniserons la fédération
canadienne et renforcerons l'unité nationale. Échouer voudrait dire revenir aux vieilles
habitudes : nous avons de l'argent, nous faisons ce que nous voulons quand nous le
voulons, nous n'avons besoin de personne, pas même des provinces -- peu importe que nous
empiétions sur leur domaine de compétence. Après tout, nous savons ce qu'il y a à
faire.
3. De l'unilatéralité à
l'appel aux citoyens
Rendre l'infrastructure de l'information et du
savoir accessible à tous les Canadiens d'ici l'an 2000, faisant ainsi du Canada la
nation la plus branchée au monde est l'une des priorités les plus intéressantes qui se
dégagent du discours du Trône.
Cette priorité a des ramifications profondes :
- elle peut donner une signification plus riche et plus
large aux principes de la démocratie et de la citoyenneté;
- elle peut lever les contraintes imposées par la
géographie;
- elle peut donner un avantage comparatif au Canada
pour attirer les talents et les investissements;
- elle peut modifier la relation entre l'État et les
citoyens.
Ce sera pour nous tous un immense défi. Votre
programme soulève la question de l'engagement des citoyens. Cela peut prendre de
multiples formes.
1. Les citoyens veulent participer, ils veulent
influencer l'élaboration des politiques qui les touchent directement.
Dans vos discussions, notez qu'il y a une importante
distinction entre l'information, la consultation et l'appel aux citoyens. Nous devrons
clarifier notre terminologie et nos pratiques.
Ce n'est pas pour ménager les bons sentiments du
public que les gouvernements doivent faire appel aux citoyens, mais pour élaborer de
meilleures politiques. Toutefois, c'est une approche ardue et laborieuse qu'il ne faut pas
entreprendre à la légère. Cette approche doit être réservée aux initiatives qui ont
une influence majeure sur la vie des citoyens.
2. La participation des citoyens mène également à
la prestation de services intégrés. Un guichet unique offrant tous les services de
l'État peut et doit devenir une réalité au Canada ... Les Canadiens n'attendent rien de
moins de leurs gouvernements.
3. L'implication des citoyens signifie également
leur donner les outils nécessaires pour qu'ils répondent à leurs propres besoins. Les
technologies de l'information nous permettent de mettre le savoir institutionnel des trois
ordres de gouvernement au service des Canadiens. Ils ont déjà payé cette information,
elle leur appartient de plein droit, et ils devraient donc pouvoir en profiter.
Loin de moi l'idée de sous-estimer les difficultés
à surmonter, mais il devrait être possible d'équilibrer le besoin d'ouverture et
d'accès avec celui de la confidentialité et de la protection.
C'est sur cette toile de fond que sera mesurée
notre engagement de faire appel aux citoyens. Si nous réussissons, ces initiatives
contribueront à renouveler et à renforcer la relation entre l'État et les citoyens.
Elles serviront en outre à unir les Canadiens de façon nouvelle et profonde, loin des
technicalités juridiques ou des feux de la rampe. Échouer minerait la confiance des
citoyens et, au fil du temps, affecterait la pertinence de l'État dans la société.
Le Canada a tout ce qu'il lui faut pour redéfinir
la relation entre l'État et les citoyens dans une société axée sur le savoir.
Il existe de nombreuses autres raisons pour
lesquelles le présent mandat sera différent du précédent :
- au cours de ce mandat le Canada franchira le cap du
XXIe siècle;
- les Canadiens se trouveront de nouveau aux prises
avec leurs vieux démons de concilier unité et diversité.
Sur un autre plan, j'ajouterais qu'un deuxième
mandat est toujours plus difficile que le précédent, car :
- le risque d'arrogance dans l'exercice du pouvoir
s'accroît avec le temps (pour les élus et les employés de l'État);
- il est difficile de se renouveler et de maintenir son
énergie;
- il y a un phénomène normal de fatigue et d'usure.
Tous ces risques peuvent être évités, mais il
faut être vigilant et rester attentif aux signes avant-coureurs.
Conclusion
Le présent mandat sera différent et, à certains
égards, plus difficile que le précédent. Nous entrons dans une phase où le Canada est
bien positionné pour entreprendre un programme ambitieux et prometteur pour l'avenir.
Au cours des prochaines années, nous
pourrons :
1. réaliser des progrès considérables pour
préparer le Canada et les Canadiens au XXIe siècle;
2. renforcer et renouveler la fédération
canadienne en passant du programme étroit de réduction des chevauchements, du double
emploi et de transfert de responsabilités à celui, plus ambitieux, de la gestion de
l'interdépendance entre gouvernements;
3. donner une signification plus large et plus riche
à la citoyenneté et à la démocratie au Canada;
4. redéfinir la relation entre les gouvernements et
les citoyens dans une société axée sur le savoir.
Ce chapitre est encore vierge -- il n'y a aucune
garantie, aucune conclusion tirée d'avance. Les résultats dépendront de la volonté et
de la détermination des titulaires de charges publiques, et de la fonction publique.
Nous tous qui sommes réunis dans cette salle, nous
devons nous poser les mêmes questions que les ministres. Sommes-nous prêts et
sommes-nous capables d'exercer le pouvoir différemment? Voulons-nous et pouvons-nous :
- veiller à ce que les gouvernements investissent
sagement?
- passer de l'indépendance à l'interdépendance?
- créer des partenariats solides?
- penser d'abord et avant tout au bien-être des
citoyens dans l'élaboration de nos politiques et dans la prestation de nos services?
Permettez-moi de conclure sur le dernier thème de
votre atelier demain, c'est-à-dire le leadership.
Tous les titulaires d'une charge publique exercent
des pouvoirs, mais ils ne sont pas nécessairement des leaders. Tous les gestionnaires
pratiquent la gestion, mais cela n'en fait pas pour autant des leaders.
Le leadership ne se limite pas à établir des
priorités, obtenir des résultats, prendre des décisions, donner des ordres et
contrôler.
Pour voir si nous faisons vraiment preuve de
leadership, regardons nos subalternes. Sans eux, il n'y a pas de leader. Un leader vous
donne le goût de vous dépasser. Il suscite chez vous ce désir de participer à l'effort
collectif. Il permet aux autres de participer et il s'appuie délibérément sur les
forces des autres.
Les leaders savent comment exercer le pouvoir, mais
ils ne dépendent pas de l'exercice du pouvoir pour obtenir des résultats. Ils savent que
partager le pouvoir, c'est aussi partager la responsabilité et l'engagement d'atteindre
des résultats.
Permettez-moi de finir là où j'ai commencé. Ma
tâche, ce soir, était de vous parler "du nouveau modèle de gestion des affaires
publiques". Dans mon esprit, la véritable question à nous poser est la suivante :
sommes-nous prêts et sommes-nous capables d'exercer le pouvoir différemment et de
pratiquer l'art du leadership?
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