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Notes pour une allocution prononcée par
Jocelyne Bourgon
Greffier du Conseil privé et secrétaire du Cabinet

 Conférence sur la gestion publique au XXIe siècle

Maison Willson
Lac Meech (Québec)
Le 22 avril 1998


INTRODUCTION

 Permettez-moi d’abord de vous souhaiter la plus chaleureuse des bienvenues et de remercier tout spécialement tous ceux d’entre vous qui êtes venus de loin pour participer à cette conférence.

Une conférence de ce genre est un cadeau du ciel et une merveilleuse occasion d’apprendre.

C’est un cadeau, parce qu’au cours des trois prochains jours, vous serez loin des pressions qui sont le lot quotidien de vos charges respectives. Nous aurons l’occasion de discuter, d’échanger et de réfléchir, sans interruption, sur les tendances qui influenceront notre travail dans les années qui viennent.

C’est une occasion d’apprendre, parce qu’au cours des trois prochains jours, nous apprendrons les uns des autres.

Certains d’entre nous ont été élus. D’autres ont été les architectes d’une grande réforme dans le secteur public, d’autres encore conseillent leur gouvernement sur le rôle de l’État dans leurs pays respectifs.

Nous mettrons toutes ces compétences à bon usage. Nous avons beaucoup en commun. Nous partageons des valeurs communes au sein du Commonwealth et nous partageons un engagement commun au service du bien public et de l’intérêt collectif. En même temps, nous sommes très différents. Nos pays varient grandement par leur géographie, leur histoire, leurs conditions sociales et économiques, leurs forces politiques et leurs traditions culturelles.

La force d’une conférence de ce genre, c’est sa diversité. Au cours des prochains jours, nous ne devrions pas nous attendre à nous entendre sur un modèle unique de réforme de la fonction publique, mais nous pouvons aspirer à tirer des leçons de l’expérience des autres. Nous pourrions dégager des principes qui guideront nos actions futures. Nous pourrions lancer de nouvelles idées que nous voudrons mettre à l’essai, en sachant que nous ne sommes pas seuls à penser de la sorte.

J’aimerais amorcer notre discussion en exposant quelques observations de portée générale et vous décrire certaines caractéristiques du Canada qui ont influencé la démarche que nous avons adoptée pour réformer la fonction publique. Je vous décrirai enfin le « modèle canadien » de la réforme du secteur public.

I. Des problèmes communs, des solutions différentes

 1. Maintenant que s’achève le XXe siècle et que nous nous tournons vers le troisième millénaire, l’importance du rôle de l’État est reconnue à nouveau.

Il n’y a pas si longtemps, la réflexion internationale sur le développement portait surtout sur les questions économiques ou techniques. Dans certains milieux, l’État était considéré comme un obstacle au développement, pas la solution. Certains croyaient que le développement et la prospérité économique passaient par les forces du marché et qu’il fallait réduire le rôle du gouvernement à sa plus simple expression.

Vous vous souviendrez que, dans les années 70, certains spécialistes de grande renommée prédisaient la fin de l’État-nation.

Depuis, nous avons fait la part des choses et nous redécouvrons l’importance du rôle de l’État et des institutions publiques dans le bon fonctionnement de l’économie et de la société. À l’ère de la mondialisation, les pays qui ont une société pacifique, une infrastructure moderne, une main-d’oeuvre de haut calibre et un gouvernement capable d’investir dans les gens et dans la recherche-développement jouissent d’un avantage comparatif important pour attirer l’investissement nécessaire à la prospérité.

Des rues sûres, des quartiers sûrs, de l’air propre, de l’eau propre, de bonnes écoles, des établissements d’enseignement de calibre élevé et des soins de santé modernes, tout cela joue un rôle primordial dans la lutte que se livrent les pays pour attirer et garder des talents recherchés sur toute la planète. Dans une économie et une société du savoir, les avantages comparatifs ne sont pas acquis, ils sont créés. Le savoir et les compétences nécessitent des investissements continus dans l’éducation et la formation ainsi que dans une infrastructure moderne des communications.

Tous ces facteurs supposent un rôle stratégique de premier plan pour le gouvernement et les institutions gouvernementales.

 2. Depuis une décennie, nous constatons que les pays qui peuvent compter sur une démocratie forte et une économie de marché vigoureuse ont devancé tous les autres.

Dans ce contexte, la réforme du rôle du gouvernement et la réforme du secteur public ont un sens très différent d’un pays à l’autre, selon l’histoire politique, le niveau de développement, les circonstances économiques et les traditions culturelles. Nous partageons le même but, mais nous sommes différents et notre démarche doit donc être différente.

Certains pays n’ont ni une démocratie qui fonctionne bien, ni une économie de marché qui fonctionne bien. Leur niveau de vie est généralement très bas, parce que les conditions nécessaires à l’épanouissement des institutions d’État et d’une économie de marché n’existent tout simplement pas. Pour ces pays, le défi est double, car il faut oeuvrer sur les deux fronts à la fois. C’est un défi de taille.

Dans certains pays, la centralisation de l’État est bien ancrée dans les moeurs, mais il n’existe aucune économie de marché, ou si peu. Le défi dans leur cas ne consiste pas à démanteler l’ancien État pour permettre à l’économie de marché de s’épanouir. Le défi consiste plutôt à créer un nouvel État pouvant fournir les régimes juridiques et réglementaires essentiels au bon fonctionnement de l’économie de marché.

Certains pays ont des marchés privés vigoureux mais un État très faible. En l’absence des contrepoids nécessaires, la qualité de vie est médiocre, les contrôles environnementaux sont faibles ou les droits de la personne sont bafoués. Réformer le secteur public dans ces pays signifie bâtir les institutions démocratiques et les institutions du secteur public qui disciplineront le marché et permettront de poursuivre en même temps l’intérêt collectif et les intérêts personnels.

Enfin, certains pays bénéficient depuis cent ans d’un secteur privé fort et d’un secteur public tout aussi fort. C’est le cas de la plupart des pays industrialisés. Pour eux, le défi consiste à réaligner les rôles tout en continuant de récolter les fruits d’une démarche équilibrée. Croyez-moi, c’est une tâche beaucoup plus facile que toutes celles que je viens d’évoquer.

 3. Peu importe les circonstances dans nos pays respectifs, l’État et les institutions de l’État et du secteur public ne peuvent jouer leur rôle que s’ils peuvent compter sur des ressources humaines qualifiées et compétentes.

Là encore, le but est le même, mais notre situation est très différente.

Certains pays luttent pour éliminer la corruption gouvernementale. D’autres s’efforcent d’instituer une fonction publique qui soit professionnelle et exempte de favoritisme. D’autres ont depuis longtemps une fonction publique professionnelle et non partisane, mais elle est entravée par des règles et des procédures désuètes ou par les tracasseries administratives.

Quelle que soit notre situation, nous avons tous beaucoup de pain sur la planche si nous voulons que les fonctionnaires continuent de posséder les compétences, les connaissances et l’expérience nécessaires pour servir les citoyens et leurs représentants élus à l’avenir.

II. Le contexte de la réforme au Canada

Je passerai maintenant à mon propre pays et vous décrirai certains facteurs qui ont influencé notre façon d’envisager la réforme du secteur public.

Premièrement, le Canada est une fédération, pas un État unitaire. Il comprend dix provinces et deux (bientôt trois) territoires. Cette grande démocratie est la plus décentralisée au monde. La constitution répartit les pouvoirs de l’État entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux, et les tensions fédérales-provinciales sont une réalité de notre vie politique. Toutes les grandes questions de politique publique doivent être examinées dans l’optique des relations fédérales-provinciales.

Deuxièmement, le Canada a été créé par l’union de trois nations : les anglophones, qui sont établis dans toutes les régions du Canada, y compris le Québec; les francophones, qui vivent principalement, mais pas exclusivement, au Québec; et les Autochtones, qui vivent eux aussi dans toutes les régions du Canada. Les débats sur l’unité et l’identité nationales font partie de la réalité canadienne depuis longtemps; ils existaient même avant la Confédération.

Troisièmement, le Canada compte 30 millions de personnes sur une terre émergée si vaste qu’il est bordé par trois océans et qu’il est le deuxième pays au monde pour ce qui est de la superficie.

Quatrièmement, le Canada est très varié. La diversité régionale est un facteur important chez nous. Le Canada est varié également du point de vue culturel et linguistique. Vous savez tous que le français et l’anglais sont les deux langues officielles du Canada. Mais combien d’entre vous savent que le chinois est la troisième langue au Canada? Le Canada s’est bâti au rythme des vagues d’immigration successives.

Cinquièmement, le Canada est une économie mixte. Bien que les Canadiens se soient déclarés insatisfaits des coûts de la gestion publique, ils n’ont pas exigé le retrait du gouvernement ni une approche axée sur les seules forces du marché.

Sixièmement, les réformes dans le secteur public au Canada ont commencé dix ans avant une crise financière qui a culminé en 1993. Après une décennie d’efforts, un consensus social s’est dégagé sur la nécessité de prendre des mesures pour éliminer le déficit et repenser le rôle du gouvernement.

Les Canadiens voulaient :

  • un bon gouvernement, mais un gouvernement prudent dans ses dépenses;

  • des normes morales élevées pour les élus et pour les fonctionnaires;

  • un meilleur gouvernement – une qualité, une efficacité, une imputabilité et une transparence accrues entre les paliers de gouvernement et au Parlement;

  • une participation accrue des citoyens (les citoyens veulent se réapproprier leurs institutions).

Les liens entre tous ces facteurs ont façonné le « modèle de réforme canadien ».

 III. Le modèle canadien de réforme du secteur public

Permettez-moi de vous présenter le « modèle canadien » de réforme de la fonction publique en résumant ses fondements philosophiques et ses principes directeurs. Aucun de ces principes n’est uniquement canadien, mais ensemble, ils créent une approche assez différente de celles des autres pays pour mériter qu’on s’y attarde.

1. Le modèle canadien de réforme du secteur public reconnaît l’importance d’un gouvernement qui ne coûte pas trop cher, mais il rejette l’idée que petit gouvernement est synonyme de meilleur gouvernement.

C’est un principe important. Cela veut dire que la réforme du secteur public au Canada n’a pas pour but de rendre les services de la fonction publique plus attrayants aux yeux d’éventuels acheteurs du secteur privé. L’objectif de la réforme au Canada est d’obtenir un gouvernement qui coûte moins cher et une fonction publique plus moderne.

2. Le modèle canadien de réforme du secteur public reconnaît l’importance du partenariat et des alliances stratégiques.

Il reconnaît que le gouvernement n’a pas besoin de se charger de tout pour que l’intérêt public soit bien servi. Le gouvernement doit plutôt s’appuyer sur les points forts des autres : le secteur privé, le secteur bénévole, le secteur sans but lucratif et les citoyens eux-mêmes. Il doit exister un transfert constant à partir du secteur public au Canada, car la société est en mesure d’assumer de nouvelles responsabilités.

3. Le modèle canadien réaffirme l’importance des citoyens, bien au-delà de leur rôle de clients.

En deux mots, cela veut dire que le secteur public ne devrait pas être géré comme une entreprise. La fonction publique du Canada doit être dirigée conformément aux valeurs et aux principes de la fonction publique. Comme vous le savez, certains – au gouvernement, dans la fonction publique et dans les milieux universitaires – ne sont pas du tout de cet avis.

À l’instar du secteur privé, le secteur public est résolu à offrir un service de qualité et à accroître son efficience, mais pour des raisons qui lui sont propres. Il recherche l’efficience, parce que chaque dollar économisé peut permettre de fournir plus de services aux Canadiens ou d’alléger leur fardeau fiscal. Il recherche la qualité, par respect pour ceux qu’il sert.

 4. La réforme du secteur public canadien a accordé un poids égal au renforcement de la capacité d’élaboration des politiques et à la modernisation de la prestation des services.

Je suis particulièrement fière des progrès accomplis jusqu’ici dans ce domaine.

À l’heure actuelle, on peut trouver dans la fonction publique du Canada des exemples de services intégrés entre ministères et organismes, des services intégrés entre gouvernements, et une utilisation accrue de la technologie de l’information pour brancher les Canadiens et leurs collectivités et leur donner accès au savoir qui se trouve actuellement entre les mains de trois paliers de gouvernement. Nous avons rejeté l’idée de la « taille unique » dans la gestion de la fonction publique. Nous tentons plutôt d’encourager l’expérimentation et la naissance de divers modèles institutionnels.

Au niveau des politiques, on peut désormais trouver un réseau de services d’élaboration des politiques à l’échelle du gouvernement. Ces services, qui se trouvent dans 30 ministères et organismes fédéraux, ont défini un programme de travail partagé portant sur des questions comme la croissance, le développement humain, la cohésion sociale, les défis mondiaux et l’adaptation à une société du savoir. Leurs premiers résultats ont fait l’objet de discussions avec 40 organismes de recherche externes et les membres de la collectivité des politiques devraient tenir leur première conférence nationale à l’automne 1998. L’élaboration des politiques est bien vivante dans la fonction publique du Canada.

5. Enfin, le modèle canadien exige un leadership dynamique pour les représentants élus et nommés.

Là encore, l’évolution de la réforme de la fonction publique du Canada a été différente de celle des autres pays. Au Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande, la réforme de la fonction publique résultait du dynamisme du leadership politique. Dans notre cas, le leadership a été partagé : leadership politique pour repenser le rôle du gouvernement, pour assurer l’équilibre et pour décider de l’orientation; leadership de la fonction publique pour proposer des options inventives, pour rendre possible ce qui est souhaitable et pour s’occuper de la tâche difficile de la mise en oeuvre.

CONCLUSION

Je vais donc tenter de résumer :

  • Chaque pays est différent et doit définir son propre plan d’action pour réformer la fonction publique en tenant compte de sa situation.

  • Même si les façons de procéder sont différentes, l’objectif est le même : mieux servir les citoyens et leurs représentants élus. Nous pouvons donc tirer des leçons de l’expérience des autres.

  • Le Canada a adopté un modèle de réforme adapté à sa situation particulière. Aujourd’hui, nous sommes fiers de ce que nous avons accompli. Les résultats sont probants : un réalignement important du rôle du gouvernement et un budget équilibré. Nous y sommes parvenus tout en maintenant une économie vigoureuse et en protégeant une qualité de vie qui compte parmi les plus élevées au monde.

La réforme de la fonction publique et la gestion de la fonction publique sont un art, à savoir celui d’adapter sa démarche à la situation particulière de notre société, dans l’intérêt collectif. Le Canada a une contribution à apporter pour moderniser la gestion de la fonction publique.

J’espère que cet aperçu sera utile à vos délibérations et je me réjouis à l’avance de pouvoir en discuter avec vous.


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Mise à jour : 2006-10-02 Haut de la page Avis importants