Notes pour une allocution prononcée par
Jocelyne Bourgon
Greffier du Conseil privé et secrétaire du Cabinet
Symposium de lAssociation professionnelle des cadres
de la fonction publique du Canada
Ottawa (Ontario)
Le 27 mai 1998
Introduction
Je suis ravie dêtre ici. Aujourdhui, je
voudrais faire trois choses : situer la réforme du secteur public au Canada dans le
contexte mondial; nous rappeler le « modèle canadien » de réforme du secteur
public; dire quelques mots au sujet des défis à venir.
La réforme du secteur public : le contexte
Dans le monde entier, les pays repensent le rôle du
gouvernement et lorganisation de leur secteur public. Les réformes effectuées dans
certains pays sont bien connues : il y a le modèle britannique, le modèle australien et
le modèle néo-zélandais.
Mais ce ne sont pas les seules réformes. Les pays
dEurope occidentale saffairent à créer un système plus intégré et plus
souple. Les pays dEurope de lEst sont en train de mettre sur pied les
mécanismes nécessaires à lépanouissement dune économie de marché. De
nombreux pays dAfrique et dAsie sont aux prises avec un rajustement
économique et des compressions dans leurs fonctions publiques respectives au moment où
ils tentent de se doter dinstitutions démocratiques et des mécanismes nécessaires
à une économie de marché. Certains pays asiatiques doivent relever le défi de freiner
les forces déchaînées du marché.
Il nexiste aucun modèle de réforme
« correct » ou « parfait » en soi. Dans tous les pays,
lapproche dépend des circonstances politiques, économiques et culturelles. Nous
poursuivons cependant tous les mêmes buts : dabord assurer aux citoyens les
avantages dune économie et dune société qui fonctionnent bien; réaliser
ensuite léquilibre entre la poursuite dentreprises collectives et
individuelles; et enfin préparer lavenir.
Il en est de même au Canada. Le Canada a choisi une
démarche adaptée à sa situation. Elle nous a permis décrire un important
chapitre quant à la redéfinition du rôle du gouvernement et à la réforme des
institutions du secteur public.
Le travail sest fait dune façon typiquement
canadienne, cest-à-dire calmement, efficacement et avec compétence. Nous avons
accompli des choses vraiment exceptionnelles. Aujourdhui, nos réformes sont
reconnues à léchelle internationale. Il en a été question lors dune
conférence du Commonwealth, à lOrganisation de coopération et de développement
économiques et, plus récemment, aux Nations unies.
Le modèle canadien de réforme du secteur public
Permettez-moi donc de vous rappeler le « modèle
canadien » de réforme de la fonction publique en résumant les principes qui le
sous-tendent. Aucun des principes nest proprement canadien, mais pris ensemble, ils
représentent une approche suffisamment différente de celles utilisées ailleurs pour
quelle mérite une attention particulière.
Le modèle canadien de réforme du secteur public
tient compte de limportance dun gouvernement à la mesure de nos moyens, mais
rejette la théorie selon laquelle, quand il sagit du gouvernement, le moins est
synonyme du mieux.
Il sagit dun principe important. Cela signifie
que lobjet dune réforme de la fonction publique nest pas de rendre les
services publics plus intéressants pour les acheteurs éventuels, mais de fournir des
services gouvernementaux à un coût abordable, de mettre laccent sur les grands
dossiers de lheure et de moderniser la prestation des services au public.
Le modèle canadien de réforme du secteur public
sappuie sur des partenariats et des alliances stratégiques.
Pour que lintérêt public soit bien servi, le
gouvernement na pas besoin de jouer tous les rôles à la fois. En fait, il doit
plutôt sappuyer sur les forces des autres, soit le secteur privé, les organismes
sans but lucratif, les organismes bénévoles et les citoyens eux-mêmes.
Aujourdhui, on retrouve dans chaque ministère toutes sortes de partenariats, tous
différents, chacun servant à jeter des ponts entre les divers secteurs travaillant à
latteinte dun but commun. Ce nétait pas le cas il y a quelques années
à peine.
Le modèle canadien réaffirme limportance des
citoyens au-delà de leur rôle de clients.
En termes simples, cela signifie que le secteur public ne
peut pas se gérer comme une entreprise privée. Un citoyen nest pas comme un
client. Par conséquent, la fonction publique du Canada doit être gérée dune
manière conforme aux valeurs et aux principes du secteur public. Tout autant que le
secteur privé, nous avons à coeur lefficience et la qualité du service, mais pour
des raisons dintérêt public. Lefficience nous tient à coeur parce que
chaque dollar épargné peut servir soit à offrir plus de services aux Canadiens, soit à
alléger leur fardeau fiscal. La qualité, par respect pour ceux que nous servons.
La réforme du secteur public canadien a mis le
renforcement de la capacité délaboration des politiques sur le même pied que la
modernisation de la prestation des services.
Nous avons plusieurs raisons dêtre fiers des
progrès réalisés jusquà maintenant dans ce domaine. En ce qui concerne
lélaboration des politiques, nous disposons maintenant dun réseau
interministériel regroupant les unités de politiques de 30 ministères et organismes. Ce
réseau sest doté dun plan de travail commun. Les conclusions préliminaires
ont fait lobjet de discussions avec plus de 300 analystes et 40 organismes de
recherche de lextérieur. Le réseau se prépare maintenant à tenir une conférence
nationale à lautomne 1998.
Sur le plan des services, les ministères et agences et
les gouvernements intègrent de plus en plus leurs services, et lutilisation des
technologies de linformation est plus répandue. Elles relient les Canadiens et les
collectivités tout en leur donnant accès à linformation que détiennent
actuellement trois paliers de gouvernement. Nous navons pas adopté une approche
« passe-partout ». Nous avons plutôt encouragé lexpérimentation et la
mise en place dune variété de modèles institutionnels.
Le modèle canadien exige un leadership solide de la part
des élus et des responsables nommés.
Au Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande, les
réformes du secteur public ont été rendues possibles grâce à un ferme leadership
politique. Dans notre cas, le leadership a été partagé. Dune part, le leadership
politique a permis de redéfinir le rôle du gouvernement en vue dassurer un
meilleur équilibre et de maintenir le cap. Dautre part, le leadership de la
fonction publique a permis de proposer des options novatrices, de rendre faisable ce qui
était désirable et dassurer une mise en oeuvre sans heurts.
Le modèle canadien de réforme de la fonction publique
nous a bien servis.
Aujourdhui, tous peuvent constater les résultats de
nos efforts : Nous avons présidé à la redéfinition la plus profonde du rôle du
secteur public au Canada depuis la Seconde Guerre mondiale. Nous avons produit le premier
budget équilibré depuis 1970. Nous avons réduit les dépenses du gouvernement fédéral
en pourcentage du produit intérieur brut à leur plus bas niveau depuis 1949-1950. En
même temps, nous avons modernisé la prestation de nos services, renforcé la capacité
délaboration des politiques et rajeuni linstitution.
De plus, le Canada y est parvenu en conservant un
excellent bilan économique et lune des meilleures qualités de vie au monde.
Sur le plan personnel, nous avons tous payé un prix
élevé pour en arriver à ces résultats. Nous devons nous assurer que ça en valait la
chandelle. Nous devons rapidement nous assurer que la fonction publique et les employés
de la fonction publique du Canada en ressortent grandis.
Passons maintenant aux défis qui nous attendent.
Lintérêt public avant tout
Dans mon rapport annuel au premier ministre, jai
mentionné que lun des principaux défis consisterait à enrichir les rapports entre
lÉtat et les citoyens. Nous devons accroître la participation des citoyens à
lélaboration des politiques gouvernementales et améliorer l'accès aux services
gouvernementaux de manière à mieux répondre à leurs besoins et à leurs conditions de
vie.
Je mexplique brièvement.
La participation des citoyens
Les citoyens veulent avoir de nouveaux rapports avec leurs
institutions démocratiques et publiques. Ils ne se contentent plus d'aller aux urnes à
tous les quatre ou cinq ans. Ils veulent être à même de jouer un rôle dans
l'élaboration des politiques qui les toucheront le plus directement. Ils veulent
participer à l'édification du Canada de demain.
Au fil des ans, nous avons acquis de
lexpérience dans les relations entre le gouvernement et les citoyens. Nous savons
diffuser de linformation, rendre compte des résultats, mener de grandes
consultations. Au moment où nous nous parlons, 300 consultations sont en cours à
léchelle de la fonction publique du Canada.
Nous devons maintenant apprendre à faire participer les
citoyens. La participation des citoyens est un processus dapprentissage réciproque
entre les citoyens et leurs institutions démocratiques et publiques. Il implique des
compromis et la recherche dun terrain dentente. Cest un processus long,
difficile et coûteux. Mais lorsquil est utilisé à bon escient, les résultats en
valent la peine.
Nous avons déjà des exemples dont nous pouvons tirer des
leçons : Le Forum national sur le changement climatique a réuni un comité de citoyens
qui a été chargé dexaminer les enjeux, les défis, les possibilités et les
compromis que le Canada doit envisager. «Dialogue rural» a été lancé afin
dinciter les Canadiens des régions rurales à discuter de leurs priorités et de
leurs défis pour que le gouvernement soit en mesure délaborer avec eux des
programmes et des services fédéraux en fonction de leurs besoins.
Laccès aux services gouvernementaux
Les technologies de linformation nous permettent
dimaginer de nouvelles façons dentrer en rapport avec les citoyens. Elles
nous permettent dassurer à tous les Canadiens un accès universel et équitable; de
relier les citoyens et leurs collectivités; déliminer les disparités
traditionnelles et les barrières imposées par léloignement. De plus, elles
pourraient contribuer à renforcer la démocratie en assurant aux citoyens de nouvelles
façons de se faire entendre entre eux et par le gouvernement.
Les exemples suivants nous sont familiers : Rescol, les
5000 kiosques de Développement des ressources humaines Canada, Strategis, Équipe Canada
Inc. Chacun représente un pas important.
Nous devons également faire des progrès, projeter la
même image et partager une infrastructure commune afin que le gouvernement du Canada
offre un guichet unique axé sur les besoins des citoyens.
Les gens dabord
La tâche denrichir les rapports entre lÉtat
et les citoyens est de taille. Mais elle nest pas impossible à réaliser, et il
faut y parvenir, car elle est au coeur du défi le plus important de toute fonction
publique : celui de faire passer lintérêt public avant tout. Nous ny
parviendrons que si nous réussissons à faire face au défi interne de faire passer les
gens dabord.
Un certain nombre de défis se posent à nous. Les
deux objectifs suivants sont fondamentaux. Premièrement, nous devons mieux nous
connaître nous-mêmes : nos compétences, notre expérience, nos aspirations de
carrière. Nous devons améliorer considérablement nos systèmes de planification des
ressources humaines. Nous ne pouvons pas affirmer avec crédibilité que les gens
représentent notre ressource la plus importante si cette ressource est celle que nous
connaissons le moins.
En second lieu, il est urgent daméliorer notre
capacité de communiquer entre nous à léchelle de la fonction publique, et à tous
les niveaux.
Jaimerais maintenant passer des buts précis aux
buts densemble.
Une institution décloisonnée
Le premier but que nous devons viser est celui de faire de
la fonction publique une institution décloisonnée. Linstitution décloisonnée
nest pas une organisation sans structure, sans cadre législatif, sans régime
dimputabilité. Cest plutôt une institution qui a appris à fonctionner à
lère « post-structurelle ».
À lère « post-structurelle », il faut
apprendre à travailler pour changer les murs de place chaque fois quil est
nécessaire détablir des liens entre des gens ou des organisations. Les
organisations décloisonnées appuient et encouragent le travail déquipe; elles
encouragent la mobilité du personnel pour que celui-ci diversifie ses connaissances et
ses expériences.
Dans une organisation décloisonnée, les gens pensent à
ce qui se passe au-delà de leurs murs et ils ne sont pas entravés par des barrières.
Les gens peuvent se mettre en rapport avec dautres nimporte où pour réaliser
leur mission.
Ce genre dorganisation existe déjà. Nous faisons
tous partie de réseaux et déquipes de type horizontal en plus de nos structures
verticales. Cette démarche a un énorme potentiel.
Une organisation axée sur lapprentissage continu
Le deuxième but consiste à faire de la fonction publique
une organisation axée sur lapprentissage continu.
Notre organisation est déjà axée sur les connaissances.
Nous recueillons, traitons et utilisons linformation pour proposer des politiques,
des lois et des services publics.
Cependant, nous devons devenir une organisation axée sur
lapprentissage, et ce nest pas la même chose. Une organisation axée sur
lapprentissage génère des idées nouvelles, mais peut également adopter
celles qui viennent dailleurs pouvant le mieux contribuer à la poursuite de sa
mission. Une telle organisation diffuse les connaissances et les idées afin de multiplier
et d'élargir leurs champs d'application. Enfin, elle modifie constamment son comportement
en fonction des connaissances acquises et des leçons apprises.
Une organisation axée sur lapprentissage permet au
gouvernement de sadapter aux nouveaux besoins et de jouer le rôle stratégique qui
est attendu de lui dans une société mondialisée axée sur le savoir. Cest aussi
le meilleur moyen de contribuer à la sécurité des employés dans un milieu de travail
en évolution rapide. La connaissance et une expérience diversifiée sont les seules
vraies garanties de sécurité demploi.
Un leadership efficace
Une organisation sans frontières, axée sur le savoir et
lapprentissage continu : ces concepts remettent en question nos notions
traditionnelles demployé, de gestionnaire et de leadership.
Dans une organisation axée sur les connaissances,
lemployé possède la ressource la plus importante de lorganisation : ses
connaissances et son savoir-faire. Il lui appartient donc de chercher des solutions,
démettre des idées, de partager linformation, dinnover et
dapporter sa contribution. Il partage avec lorganisation dont il fait partie
la responsabilité de tenir ses compétences, ses connaissances et ses capacités à jour
ainsi que de contribuer au perfectionnement des autres. Cest un rôle bien
différent de ce que nous avons connu dans le passé.
Quant aux gestionnaires, ils doivent aborder la gestion
différemment. La créativité ne se commande pas et ne se contrôle pas. Le rôle du
gestionnaire consiste davantage à supprimer les obstacles de manière à ce que le groupe
puisse donner sa pleine mesure. Il consiste à instaurer un climat de confiance, à
encourager la collaboration et à favoriser lintégration, pour amener chaque
employé à donner le meilleur de lui-même.
En terminant, jaimerais dire un mot au sujet du
leadership. La fonction publique du Canada a toujours eu la chance de compter un grand
nombre de leaders dans ses rangs. Certains étaient des gestionnaires, et leurs qualités
de chef augmentaient la portée de leurs efforts. De nombreux autres leaders étaient des
employés professionnels ou techniques ou des employés affectés aux opérations, à
ladministration ou au soutien. Leur qualité de leadership nous a permis
dobtenir des résultats que la plupart des gens croyaient hors datteinte.
Pour bâtir une organisation axée sur
lapprentissage et centrée sur les besoins des citoyens, nous devrons compter sur
les efforts de nombreux leaders, de nombreux «champions», à tous les niveaux, dans
divers domaines et dans tous les enjeux.
Les leaders ne jouent pas toujours le rôle de leader.
Cest un rôle que nous assumons tous à loccasion, mais la plupart du temps
nous suivons les autres. Les leaders savent quand et comment sen remettre aux forces
dautrui.
Lan dernier, je vous ai dit que la fonction
publique du Canada est en bonnes mains, car elle est entre vos mains. Jajouterais
simplement que cest toujours un grand privilège pour moi de suivre les voies que
vous tracez vers une réforme de la fonction publique. Je tiens également à vous
remercier de lhonneur que vous mavez fait en me permettant de vous guider
pendant une période marquante dans lhistoire de la fonction publique du Canada.
Avec des leaders comme vous, je nai aucune raison de douter du succès des réformes
à venir. Merci.
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