Cadre d'application de la précaution dans un processus
décisionel scientifique en gestion du risque
Table des matières
1.0 Introduction
2.0 Contexte
3.0 La science et l’incertitude dans la prise de décisions
4.0 Principes directeurs pour l’application de la précaution
dans un processus decisionnel scientifique en gestion du risque
Cinq principes généraux
d’application
4.1 La précaution
est une démarche légitime
et particulière de décision dans la gestion du risque
4.2 Il est légitime que les décisions
soient guidées par le niveau de protection contre le risque que choisit la
société.
4.3 L’application de la précaution
doit reposer sur des données
scientifiques solides et sur leur évaluation;
la nature des données scientifiques
et la partie chargée de les
produire peuvent changer avec l’évolution
du savoir
4.4 Il devrait y avoir des mécanismes
pour réévaluer le fondement des décisions
et pour tenir éventuellement d’autres
consultations dans un processus transparent.
4.5 Il convient d’assurer un degré élevé
de transparence, de reddition de comptes et de participation
significative du public
Cinq principes d’application des mesures de précaution
4.6 Les mesures de précaution
devraient être sujettes à réexamen selon l’évolution
de la science, de la technologie et du niveau de protection choisi par
la société.
4.7 Les mesures de précaution
devraient être
proportionnelles à la gravité
possible du risque que l’on veut gérer
et au niveau de protection choisi par la société.
4.8 Les mesures de précaution
devraient être non
discriminatoires et concorder avec celles prises dans des circonstances
similaires.
4.9 Les mesures de précaution
devraient être efficientes
et avoir pour objectif d’assurer (i) un avantage net global à la société
au moindre coft et (ii) un choix
judicieux de mesures.
4.10 Si plusieurs options réunissent
ces caractéristiques, on devrait
choisir celle qui entrave le moins le commerce.
5.0 Conclusion
1.0 Introduction
Ce Cadre énonce les modalités d'application de la précaution dans la prise
de décisions scientifiques dans les secteurs d'activité réglementés au
palier fédéral et concernant la protection de la santé et de la sécurité,
l'environnement, et la conservation des ressources naturelles.
Qu'est-ce que l'application de la précaution?
La « précaution », le « principe de précaution », ou « l'approche de
précaution », exprime l'idée qu'il ne faut pas invoquer l'absence de
certitude scientifique complète pour différer les décisions comportant un
risque de préjudice grave ou irréversible.
L'application de la précaution est intrinsèque à la prise de décisions
scientifiques pour gérer le risque, et se caractérise par trois éléments
fondamentaux : la nécessité de prendre une décision, l'existence d'un risque
de préjudice grave ou irréversible, et l'absence de certitude scientifique
absolue.
Il y a déjà longtemps que l'on applique la précaution au Canada dans les
domaines d'activité réglementés au palier fédéral. L'obligation du
gouvernement à cet égard est régie par les dispositions pertinentes des lois
fédérales, des ententes fédérales-provinciales exécutoires et des ententes
internationales auxquelles le Canada est partie.
Des lignes de conduite et une assurance sont-elles nécessaires?
Étant donné les circonstances particulières de l'application de la
précaution, notamment l'absence de certitude scientifique au sujet d'un risque
de préjudice grave ou irréversible, des lignes directrices et une certaine
assurance sont nécessaires pour guider la prise de décisions, notamment dans
les cas où l'incertitude scientifique est grande.
Quel est le but de ce Cadre?
Ce Cadre est destiné à renforcer et à décrire la pratique canadienne
actuelle. Il vise donc :
- à rendre l'application de la précaution par le gouvernement fédéral
plus prévisible, plus crédible et plus uniforme, afin d'assurer des décisions
adéquates, raisonnables et financièrement efficientes;
- à appuyer la prise
de saines décisions par le gouvernement fédéral tout en réduisant au minimum
les crises et controverses et en tirant parti des opportunités;
- à
rehausser la confiance du public et des parties prenantes, au Canada et à
l'étranger, sur le fait que l'application de la précaution à la prise de
décisions fédérales est rigoureuse, saine et crédible;
- à accroître la
capacité du Canada à exercer une influence positive sur les normes
internationales et sur l'application de la précaution.
Le Cadre est foncièrement un prisme qui permet de s'assurer que la prise de
décisions avec précaution est conforme aux valeurs et aux priorités sociales,
environnementales et économiques des Canadiens. Il complète deux documents du
gouvernement: Cadre de gestion intégrée du risque et Cadre applicable aux avis
en matière de science et de technologie : Principes et lignes directrices pour
une utilisation efficace des avis relatifs aux sciences et à la technologie
dans le processus décisionnel du gouvernement.
2.0 Contexte
Au Canada, il y a fort longtemps que l'on applique la précaution aux
programmes de réglementation scientifique. La technologie, la mondialisation et
l'économie du savoir produisent des changements considérables dans les
secteurs privé et public. Le risque, inhérent aux activités des individus et
des entreprises, contribue à accroître l'incertitude. Conjugués à des
événements fortement médiatisés et comportant un certain degré de risque,
ces changements font ressortir la nécessité d'adopter des stratégies plus
efficaces pour gérer le risque et pour tirer parti des opportunités offertes
par le changement.
Il est rare qu'un gouvernement puisse agir en se basant sur une certitude
scientifique complète, garantissant un risque nul. De fait, les gouvernements
sont toujours appelés à faire face à des risques nouveaux ou naissants qui
sont associés à des opportunités nouvelles, ce qui les oblige à prendre des
décisions dans un contexte de grande incertitude scientifique. Toutefois, le
besoin de prendre des décisions face à l'incertitude scientifique est devenu
de plus en plus grand et de plus en plus visible par le public, ce qui a
débouché sur une plus grande prise de conscience du problème par celui-ci et
sur la nécessité croissante d'appliquer la précaution à la prise de
décisions.
Alors que c'est essentiellement aux étapes d'élaboration des options et de
prise de décisions que s'applique la précaution, celle-ci est clairement
reliée à l'analyse scientifique (on ne peut l'appliquer sans une évaluation
sérieuse des facteurs scientifiques et des risques correspondants). En fin de
compte, son application est une question de jugement fondée sur des valeurs et
des priorités, mais compliquée par l'aspect foncièrement dynamique de la
science – même si l'information scientifique peut être non concluante, il y
a toujours des décisions à prendre car la société s'attend à ce que les
risques soient pris en compte et gérés, et à ce que les niveaux de vie
augmentent.
Au Canada, la précaution est appliquée avec souplesse, compte tenu des
besoins de chaque situation. De plus, on utilise des démarches fondées sur des
règles pour atteindre les résultats qu'exigent des lois particulières ou les
obligations internationales (p. ex., la gestion des pêches).
3.0 La science et l'incertitude dans la prise de décisions
Comme la démarche scientifique est souvent caractérisée par l'incertitude
et le débat, le processus décisionnel pour la gestion des risques associé à
l'information scientifique exige un jugement sûr. L'application de la
précaution à la prise de décisions se distingue de la gestion traditionnelle
du risque à cause du degré plus élevé d'incertitude scientifique, des
paramètres permettant d'établir ce qui constitue un fondement scientifique
adéquat, et des aspects particuliers d'un jugement sûr et rigoureux. Dans ce
contexte, faire preuve d'un jugement sûr signifie s'interroger à savoir :
- que constitue un fondement scientifique suffisamment solide ou crédible?
- quelles devraient être les activités de suivi nécessaires?
- qui
devrait établir un fondement scientifique crédible? et
- tenir compte du
caractère foncièrement dynamique de la science, quand on doit prendre une
décision.
Que constitue un fondement scientifique suffisamment solide ou crédible?
Dans les situations traditionnelles de prise de décisions pour gérer les
risques, la notion de « preuve scientifique solide » désigne généralement
soit une preuve définitive et convaincante appuyant une théorie scientifique,
soit une information empirique sérieuse établissant clairement le degré de
risque.
Dans le contexte de la précaution, déterminer ce qu'est un fondement
scientifique suffisamment solide ou crédible est souvent difficile et peut
prêter à controverse. L'accent doit être mis à fournir des arguments solides
et crédibles établissant qu'il existe un risque de préjudice grave ou
irréversible. La notion de fondement scientifique « suffisamment solide » ou
crédible devrait signifier posséder un ensemble d'informations scientifiques
– empiriques ou théoriques – permettant d'établir la validité d'une
théorie, incertitudes comprises, et révélant un potentiel de risque.
Quelles devraient être les activités de suivi nécessaires?
Étant donné que l'application de la précaution comporte implicitement une
incertitude scientifique non négligeable, elle entraîne généralement des
activités de suivi, par exemple de recherche et de surveillance scientifiques.
Dans certains cas, les ententes internationales (comme l'Accord sur
l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires de l'Organisation
mondiale du commerce) exigent une surveillance scientifique et un suivi quand on
applique la précaution. De tels efforts peuvent contribuer à réduire
l'incertitude scientifique reliée à certains risques et permettre ainsi de
prendre des décisions de suivi éclairées. Dans d'autres cas, établir le
degré d'incertitude scientifique peut prendre beaucoup plus de temps ou, à
toutes fins pratiques, ne jamais être possible.
Afin de saisir toute la diversité de pensée et d'opinion dans le domaine
scientifique, le fondement de la décision devrait être établi à partir de
sources scientifiques diverses, en faisant appel à des experts de nombreuses
disciplines. Le décideur devrait cependant accorder une importance
particulière aux études scientifiques révisées par les pairs et à
l'obligation de porter un jugement raisonné. De plus, la fonction scientifique
peut s'appuyer davantage sur des processus consultatifs formels, structurés et,
s'il y a lieu, indépendants, comprenant des individus dont la réputation et la
crédibilité sont largement reconnues.
Qui devrait établir un fondement scientifique crédible?
Savoir qui aurait la charge d'établir un fondement scientifique crédible
soulève une question différente : à qui devrait-on confier la responsabilité
de produire les données scientifiques et d'établir le fondement de la
décision? Parmi les critères que devrait employer le décideur, mentionnons :
qui détient la responsabilité ou le pouvoir légal (p. ex., le promoteur de
projet qui est désigné agent légal au Canada); qui est le mieux placé pour
fournir les données scientifiques; qui est capable de produire des informations
opportunes et crédibles.
Bien que ce soit celui qui entreprend une action comportant un risque de
préjudice grave qui soit généralement considéré comme la partie
responsable, il peut être préférable de prendre cette décision au cas par
cas. Des stratégies novatrices peuvent aussi être adoptées, comme des
mécanismes de collaboration entre différents paliers de gouvernement et
l'industrie. À mesure que le savoir scientifique évolue, cette responsabilité
peut varier entre les gouvernements, l'industrie ou un autre promoteur (p. ex.,
les agents du secteur de la santé documentant les effets préjudiciables d'un
produit déjà commercialisé).
Tenir compte du caractère foncièrement dynamique de la science quand on
doit prendre une décision
La dynamique inhérente de l'incertitude en science présente des défis
uniques. Les changements climatiques en fournissent un bon exemple. La
communauté internationale s'accorde généralement pour dire que les activités
humaines accroissent les quantités de gaz à effet de serre dans l'atmosphère
et que ces augmentations contribuent à modifier le climat de la Terre.
Toutefois, il existe de l'incertitude scientifique au sujet de la sensibilité
du climat à ces augmentations, particulièrement en ce qui concerne le moment
et le caractère régional des changements climatiques. Il existe en outre un
degré d'incertitude dans les coûts économiques des mesures possibles pour
réduire les gaz à effet de serre, quoique des données indiquent que les
répercussions de ces mesures ainsi que les coûts économiques peuvent être
gérés et s'adapter aux changements de climat prévus.
Bien que l'information scientifique reste non concluante, il y a des
décisions à prendre pour répondre aux attentes de la société en matière
d'accroissement des niveaux de vie et de prise en compte des risques potentiels.
On doit bien comprendre tout le potentiel des produits et des processus
découlant de l'évolution rapide des sciences et de la technologie si l'on veut
élaborer correctement les lois et règlements du Canada, ainsi que les ententes
et les lignes directrices internationales. On commence seulement à voir
apparaître les ramifications de ces phénomènes, lesquelles influeront à
terme sur les décisions.
4.0 Principes directeurs pour l'application de la précaution dans un
processus decisionnel scientifique
Comme nous l'avons déjà indiqué, l'application de la précaution à la
prise de décisions scientifiques pour gérer le risque dépend des
circonstances et des facteurs de chaque cas et se caractérise par trois
éléments fondamentaux : la nécessité de prendre une décision; l'existence
d'un risque de préjudice grave ou irréversible; et l'absence de certitude
scientifique absolue.
Les principes énoncés dans ce Cadre reflètent les pratiques actuelles et
sont destinés dans l'ensemble à assurer l'uniformité globale de l'application
de la précaution, à prévoir la souplesse requise pour tenir compte de
circonstances et de facteurs particuliers, et à contrer le mauvais usage ou
l'abus de la précaution. Bien qu'ils soient axés sur les aspects du processus
qui sont particuliers à la gestion du risque de manière générale, ils ne
sauraient amener le décideur à agir de manière contraire à son pouvoir
légal. En outre, ce Cadre n'est pas destiné à créer de nouvelles obligations
légales d'application de la précaution.
Les principes d'application généraux font ressortir les traits distinctifs
de la prise de décision avec précaution, alors que les principes d'application
des mesures de précaution décrivent les caractéristiques particulières qui
s'appliquent une fois que l'on a décidé que des mesures s'imposent.
Cinq
principes généraux d'application
4.1 L'utilisation de la précaution est une démarche légitime et
particulière de décision dans la gestion du risque.
- Alors que la précaution s'applique avant tout aux étapes d'élaboration
des options et de prise de décisions, elle est clairement reliée à l'analyse
scientifique (on ne peut l'appliquer sans une évaluation sérieuse des facteurs
scientifiques et des risques correspondants). En fin de compte, son application
repose sur le jugement, fondé sur des valeurs et des priorités.
- L'obligation qu'a le gouvernement d'appliquer la précaution découle des
dispositions pertinentes des lois fédérales, des ententes
fédérales-provinciales exécutoires, et des ententes internationales
auxquelles le Canada est partie.
- Le gouvernement ne considère pas que le principe/l'approche de
précaution soit une règle du droit international coutumier.
4.2 Il est légitime que les décisions soient guidées par le niveau de
protection contre le risque que choisit la société.
- Dans toute la mesure du possible, le niveau de protection devrait être
établi à l'avance, au moyen des instruments de politique nationaux tels que
les lois et les ententes internationales.
- Bien que les valeurs de la société et son degré d'acceptation du
risque soient des facteurs clés pour déterminer le niveau de protection, de
solides preuves scientifiques constituent dans tous les cas une condition
essentielle de l'application de la précaution.
- Il est clair que certains risques sont nouveaux ou émergents et que
l'évolution du savoir scientifique peut influer sur le degré de tolérance de
la société et sur le niveau de protection qu'elle choisit. De ce fait, des
mécanismes de participation du public permettant de solliciter l'opinion des
parties les plus directement touchées par les décisions devraient déboucher
sur une meilleure évaluation du niveau de protection contre le risque.
4.3 L'application de la précaution doit reposer sur des données
scientifiques solides et sur leur évaluation; la nature des données
scientifiques et la partie chargée de les produire peuvent changer avec
l'évolution du savoir.
- Il est particulièrement important que des données scientifiques solides
et leur évaluation constituent le fondement (i) de la décision d'agir ou de ne
pas agir (c.-à-d., d'appliquer ou non des mesures de précaution), et (ii) des
mesures mises en œuvre une fois la décision prise.
- Pour déterminer ce qu'est un fondement scientifique suffisamment solide
ou crédible, l'essentiel doit être d'avancer des arguments solides et
crédibles établissant qu'il existe un risque de préjudice grave ou
irréversible. La notion de fondement scientifique « suffisamment solide » ou
crédible veut dire que l'on doit posséder un ensemble d'informations
scientifiques – empiriques ou théoriques – permettant d'établir la
validité d'une théorie, incertitudes comprises, et révélant un potentiel de
risque.
- Les données scientifiques correspondant au risque doivent être
évaluées au moyen d'un mécanisme sérieux, crédible, transparent et
inclusif, débouchant sur une conclusion qui exprime l'éventualité d'un
préjudice et la gravité de celui-ci (y compris l'ampleur, la persistance, la
réversibilité et l'effet décalé des dommages éventuels).
- L'information scientifique disponible doit être évaluée en mettant
l'accent sur l'obtention de preuves scientifiques de grande qualité (et non pas
en grande quantité). Les rapports doivent résumer l'état actuel du savoir
scientifique, fournir des opinions scientifiques sur la fiabilité de
l'évaluation, et évaluer les incertitudes restantes ainsi que les domaines
appelant d'autres recherches scientifiques ou une surveillance.
- L'examen par les pairs est un test concret pour l'application pratique de
la précaution à la prise de décisions. Un processus d'examen par les pairs
peut permettre d'évaluer la solidité de la preuve scientifique et sa
crédibilité inhérente au sein de la communauté scientifique.
- Les avis scientifiques doivent émaner de sources et d'experts divers et
refléter toute la diversité des interprétations scientifiques correspondant
à la preuve disponible. Cela n'interdit pas de faire appel au savoir
traditionnel de sources telles que les Premières Nations du Canada ou les
collectivités de pêcheurs – elles ont un rôle légitime à jouer à la fois
en fournissant des données scientifiques et en les interprétant. Les
conseillers scientifiques doivent attacher de l'importance aux études
examinées par les pairs, et leur objectif doit être d'obtenir des preuves
solides et raisonnées sur lesquelles fonder leur jugement.
- Dans les situations où il existe un risque de préjudice imminent, il
peut être légitime de prendre une décision et d'appliquer des mesures de
précaution à court terme, étant entendu qu'on surveillera attentivement
l'efficacité des mesures de gestion de risques et les répercussions globales.
- Des activités de suivi, notamment de recherche et de surveillance, sont
essentielles pour réduire l'incertitude scientifique et améliorer les
décisions futures.
- En règle générale, c'est la partie qui entreprend une action
comportant un risque de préjudice grave (p. ex., celle qui veut commercialiser
un produit, avoir recours à un processus ou extraire des ressources naturelles)
qui a la responsabilité d'établir un fondement scientifique solide. On devrait
cependant déterminer dans chaque cas quelle partie est la mieux placée pour
fournir les données nécessaires. Cela peut dépendre de la partie qui détient
la responsabilité ou le pouvoir de décider, mais cela peut dépendre aussi
d'autres critères, par exemple qui est capable de produire des données
opportunes et crédibles.
- Il peut être préférable de décider au cas par cas, voire dans un
esprit de collaboration, qui a la responsabilité d'établir le fondement
scientifique solide. Il convient par ailleurs de tenir compte du fait que la
nature d'un fondement scientifique adéquat et la responsabilité de sa
production peut varier en fonction de l'évolution du savoir et des rôles
respectifs des secteurs public et privé.
4.4 Il devrait y avoir des mécanismes pour réévaluer le fondement des
décisions et pour tenir éventuellement d'autres consultations dans un
processus transparent.
- Il est souhaitable que les parties touchées par une décision
participent au processus de réévaluation.
- Il convient d'évaluer l'incidence (avantages et inconvénients) des
mécanismes de réévaluation et de consultation dans chaque situation (p. ex.,
ces mécanismes peuvent être irréalistes ou improductifs dans certains cas).
Dans la mesure où existent des mécanismes de réévaluation et de consultation
(p. ex., sur la conservation des ressources halieutiques), il se peut que
d'autres mécanismes ne soient pas appropriés.
- Une réévaluation peut être déclenchée par l'émergence de nouvelles
informations scientifiques ou d'une nouvelle technologie, ou par un changement
dans la tolérance du risque par la société. Une révision efficace des
décisions exige que l'on surveille de manière continue l'efficacité des
décisions en prévoyant une rétroinformation régulière et la production de
rapports sur la mesure du rendement.
- Il convient d'identifier clairement la hiérarchie décisionnelle et les
attributions et responsabilités des participants au processus de façon à ce
que chacun comprenne, respecte et communique les responsabilités de tous. Ceci
facilitera également les demandes de mesures additionnelles de réévaluation
et de consultation.
- La nature, le type et la fréquence des mécanismes de réévaluation et
de consultation peuvent dépendre de chaque cas particulier, par exemple du fait
que la précaution est appliquée dans le cadre d'un mécanisme continu de
conservation des ressources ou dans des situations où il faut réagir à un
risque imminent.
4.5 Il convient d'assurer un degré élevé de transparence, de reddition de
comptes et de participation du public.
- L'exigence d'un degré élevé de transparence, de reddition de comptes
et de participation du public repose sur une bonne compréhension de la «
tolérance du risque par le public » ou du « niveau de protection choisi par
la société ».
- Divulguer avec transparence les motifs de la décision rehausse la
responsabilité.
- Le partage mutuel des informations et la prise en compte d'un éventail
de points de vue dans le processus décisionnel peuvent devenir les pierres
angulaires de l'ouverture et de la transparence du processus de décision et
rehausser la crédibilité et la fiabilité des décisions prises par le
gouvernement. La Politique des communications du gouvernement énonce les
principes à suivre pour des communications bien coordonnées, bien gérées et
adaptées à chaque situation.
- La participation du public peut devenir un outil de résolution des
conflits ou de contribution à un processus conjoint de résolution des
problèmes en fonction de règles bien établies. Elle peut engendrer la prise
en considération des ambiguïtés et des incertitudes et favoriser
l'acceptation de points de vue différents. De plus, elle peut stimuler la
révision par les pairs et aider à comprendre comment le public interprète
l'incertitude et le risque.
- La participation du public devrait être intégrée à l'examen
scientifique et au processus consultatif, ainsi qu'au processus décisionnel. Il
faut cependant savoir que les possibilités de participation du public
dépendront souvent du contexte particulier et du délai de la décision
requise. En cas de grande incertitude (eu égard l'ampleur et la probabilité
d'un préjudice ou les moyens les plus efficaces de le contrer, couplé à la
complexité du domaine scientifique), la participation du public s'impose pour
comprendre comment il interprète l'incertitude et le risque.
Cinq principes d'application des mesures de précaution
4.6 Les mesures de précaution devraient être sujettes à réexamen selon
l'évolution de la science, de la technologie et du niveau de protection choisi
par la société.
- Les mesures de précaution devraient généralement être appliquées à
titre provisoire, c'est-à-dire qu'elles devraient être réexaminées à la
lumière des nouvelles informations scientifiques ou d'autres facteurs
pertinents, comme le degré de protection que choisit la société contre le
risque.
- Considérant les limites d'un savoir scientifique en évolution
constante, les décideurs devraient admettre que l'incertitude scientifique peut
ne pas être levée rapidement et, dans certains cas, qu'elle est intrinsèque
à la situation (p. ex., le changement est intrinsèque dans le secteur des
ressources naturelles) – ils devraient donc suivre l'évolution du savoir
scientifique. Dans certains cas, fixer des échéanciers serait improductif.
- Les obligations intérieures ou internationales peuvent exiger que
certaines mesures de précaution soient considérées comme explicitement
provisoires et sujettes à réexamen; elles peuvent inclure des obligations
exigeant des mécanismes de surveillance continue et de rapport.
- Qu'il existe ou non une obligation formelle, il convient d'encourager
l'activité scientifique de suivi (p. ex., un complément de recherche et de
surveillance) étant donné que cela peut contribuer à réduire l'incertitude
et permettre d'améliorer les décisions à mesure que la science évolue.
4.7 Les mesures de précaution devraient être proportionnelles à la
gravité possible du risque que l'on veut gérer et au niveau de protection
choisi par la société.
- Il y a besoin implicite d'identifier, dans la mesure du possible, à la
fois le niveau de tolérance de la société pour le risque et les mesures
d'atténuation des risques possibles. Cette information servirait de fondement
à la décision quant à savoir si les mesures envisagées sont proportionnelles
à la gravité du risque que l'on veut gérer, et si les mesures assureront le
niveau de protection voulu, tout en étant conscient du fait que celui-ci
pourrait évoluer.
- Quoique tout jugement doive autant que possible reposer sur des preuves
scientifiques, les décideurs devraient aussi prendre en considération d'autres
facteurs tels que les valeurs sociétales et la volonté d'accepter le risque,
de même que des considérations d'ordre économique et international. Cela
permettrait d'évaluer plus clairement la pertinence de la mesure et, en fin de
compte, de contribuer au maintien de l'application de la précaution.
- En général, l'évaluation de la proportionnalité des mesures devrait
se faire en fonction de l'ampleur et de la nature du danger possible, dans des
circonstances particulières, et non en comparaison avec des décisions prises
dans d'autres contextes.
4.8 Les mesures de précaution devraient être non discriminatoires et
concorder avec celles prises dans des circonstances similaires.
-
Il convient de faire preuve de cohérence quand on détermine un niveau
approprié de protection contre le risque. En dernière analyse, le niveau de
protection devrait être choisi dans l'intérêt public en évaluant les coûts
et avantages potentiels (ou perçus) de l'acceptation du risque, d'une manière
qui soit généralement conforme aux valeurs de la société.
-
On ne devrait pas traiter des situations comparables de manière
sensiblement différente, et les décideurs devraient envisager d'utiliser les
démarches déjà employées dans des situations semblables afin d'assurer la
cohérence des mesures. Les mesures de précaution devraient être choisies avec
souplesse et au cas par cas, sauf si elles sont prédéterminées par des
ententes ou des dispositions législatives.
4.9. Les mesures de précaution devraient être
efficientes et avoir pour objectif d'assurer (i) un avantage net global à la
société au moindre coût et (ii) un choix judicieux de mesures.
-
Le processus décisionnel devrait permettre d'identifier le plus
explicitement et le plus rapidement possible les coûts et avantages éventuels,
et de cerner le risque que le public est prêt à accepter sur la base d'une
preuve scientifique solide et raisonnable, même si elle est incomplète.
-
Il convient généralement de tenir compte des compromis possibles ou de
l'évaluation comparée de risques différents, bien que ce ne soit pas toujours
possible si une action urgente est nécessaire. Cela peut garantir que la
société tire des avantages nets de la décision, et que l'application de la
précaution n'entravera pas involontairement l'innovation ou le changement
technologique et les bienfaits généraux qui peuvent en découler.
-
Avec l'évolution de la science, il est foncièrement approprié
d'évaluer l'efficience financière des décisions et des mesures associées et
d'en tenir compte dès le départ, dans l'intervalle et, si possible, à longue
échéance. Dans certains cas, on ne peut obtenir d'avantage net avant
longtemps, par exemple en ce qui concerne les décisions touchant la
biodiversité. On devrait néanmoins toujours s'efforcer d'évaluer et de
minimiser les coûts continus de façon à pouvoir intégrer les nouvelles
données scientifiques qui modifient les facteurs d'efficience financière (y
compris les résultats de la mesure du rendement), tout en maintenant la
réduction des risques et, s'il y a lieu, l'optimisation des avantages (p. ex.,
de l'innovation).
4.10 Lorsque plusieurs options réunissent ces caractéristiques, on devrait
choisir celle qui entrave le moins le commerce.
5.0 Conclusion
Un cadre d'application de la précaution dans le processus décisionnel
scientifique en gestion du risque énonce les principes directeurs à suivre
pour appliquer de manière cohérente et rationnelle la précaution à la prise
de décisions sur les risques de préjudice grave ou irréversible en l'absence
de certitude scientifique absolue, eu égard aux politiques, lois et ententes
internes du gouvernement fédéral et aux ententes et lignes directrices
internationales dans les secteurs où la science joue un rôle.
On s'attend à ce que les agents des ministères et organismes fédéraux
tiennent compte de ces principes pour prendre leurs décisions et pour
collaborer à l'élaboration, de concert avec leurs parties prenantes, de
directives détaillées pour l'application de la précaution dans leur propre
domaine de responsabilité.
|