CONSTATATIONS
1. UNE QUESTION FONDAMENTALE : POURQUOI NOUS EN SOUCIER?
Convient-il, en dépit de la mondialisation, dune tendance à la fragmentation et
dune intégration économique de plus en plus marquée avec les États-Unis, que
nous nous efforcions de conserver au sommet du continent nord-américain un espace
socio-culturel distinct? Cest là une question sociale qui ne touche pas vraiment
notre thème, mais à laquelle un bon régime de gouvernance permet de répondre plus
facilement, la société devenant dès lors plus en mesure de bien mener sa
barque.
2. DÉMARCHE ORIGINALE PLUTÔT QUE MAINTIEN STRICT DU STATU QUO
Le Canada na rien perdu de son importance aux yeux des citoyens, mais
linsatisfaction croissante que suscitent les gouvernements (ce qui amène de plus en
plus une quelconque élite à se demander pourquoi se soucier de gouvernance, et entraîne
certaines initiatives traduisant une volonté à peine voilée de
« contourner » les gouvernements) les prive justement dune partie de
leurs moyens à un moment où ils en auraient bien besoin (pour faire face à
linimaginable, à des problèmes nouveaux sans solutions véritables, à un risque
de perte dinfluence sur la scène internationale). Dans le temps long de
lHistoire, une saine gouvernance peut aider le Canada à se définir, à se tailler
une place dans le monde et à la maintenir.
Ce sont des valeurs communes ainsi que la volonté de travailler et de vivre ensemble
qui peuvent assurer sa continuité au régime de gouvernance (à cette capacité qua
une société de mener sa barque) à une époque où, dans un avenir prévisible, les
caractéristiques prédominantes de notre environnement sont linterconnexité, la
complexité et la permanence du changement. (Que lon pense, par exemple, à
ladaptabilité dont doivent faire preuve une compagnie de marines ou un
prêtre en Afrique. Que ferait le pape là-bas?)
Le Canada ne se définit plus en termes de territoire géographique et
dappartenance ethnique, mais plutôt en termes de valeurs communes (comme en
témoignent, par exemple, la Charte canadienne des droits et libertés et lEntente-cadre
sur lunion sociale) ainsi que dune détermination à travailler et à
vivre ensemble en dépit de différences profondes, quelles soient géographiques,
culturelles, historiques ou autres. Notre compréhension et notre acceptation de ces
valeurs ainsi que de la nécessité de travailler ensemble (compte tenu de nos
différences, celles-ci cessant dêtre simplement tolérées) doivent se développer
lentement. Cela signifie que létablissement et la poursuite dun dialogue
constituent la clé du problème au Canada. (Les tensions croissantes associées aux
affaires autochtones nous offrent une occasion importante dapprendre comment faire
en sorte que ce dialogue soit davantage productif.)
Nos institutions et nos structures, ces anciens facteurs de continuité pour nos
systèmes de gouvernance, doivent pouvoir répondre aux besoins nouveaux (c.-à-d. devenir
plus flexibles , plus interreliés et, par conséquent, plus robustes). Il convient de
mettre laccent sur les gens, sur les processus et sur les moyens daction
(p. ex. dans le cas des organismes donateurs, acheminer largent vers les
institutions de bienfaisance où leurs employés font du bénévolat plutôt que vers des
organismes figurant sur une liste prédéfinie, comme autrefois).
3. ACCENT MIS SUR LES GENS, SUR LES PROCESSUS ET SUR LES MOYENS DACTION
Sattacher de plus en plus à quelque chose dextérieur à soi est un besoin
fondamental de lêtre humain. Pour passer du bien public « local » au
bien public « mondial », il y a un cheminement social (inclusion
6 intégration 6
sentiment dappartenance) et un cheminement individuel (engagement occasionnel
6 sentiment dinterdépendance 6 engagement total [= fierté]).
Lobjectif consiste à regrouper les mesures susceptibles de favoriser ces deux
cheminements commencer sur place; semer et faire croître plutôt que de démolir
pour ensuite reconstruire; accorder une plus grande attention aux jeunes, la notion de
« réseau » leur posant sans doute moins de problèmes quà
dautres.
Par exemple, dans le cas de la société, cela signifie :
- miser sur les élans spontanés (p. ex. se rappeler quune mondialisation
intensive peut aboutir à une intensification de la production locale, et que les
collectivités sappuyant déjà sur des processus largement inclusifs ont souvent
plusieurs longueurs davance sur les autres);
- concentrer les efforts sur le bon niveau (qui est souvent celui des communautés);
- veiller à ce quun véritable processus décisionnel soit mis en place, dans un
contexte dautorité clairement définie, de responsabilité, de souplesse
financière et de transparence.
Dans le cas des individus, cela signifie :
- prendre des décisions qui répondent vraiment à un besoin, toujours dans un contexte
dautorité clairement définie, de responsabilité, de souplesse financière et de
transparence;
- apprendre lart du dialogue et du consensus, c.-à-d. les compétences propres au
« nouveau leadership »;
- aider les personnes intéressées à bien comprendre comment ces compétences
sappliquent à la prise de décisions de portée générale (p. ex. à
léchelle locale, communautaire, provinciale, nationale et supra-nationale), et
guider leurs pas à chaque nouvelle étape;
- reconnaître les risques inhérents à une pareille démarche (p. ex. des attentes
plus élevées, frottement avec dautres approches « traditionnelles »);
- en commençant avec les plus jeunes, graver dans les esprits les rudiments de ce
nouveau leadership, et inscrire dans les mentalités la participation des citoyens aux
processus décisionnels et la responsabilisation.
Il devient nécessaire, par exemple, de mettre en place des mécanismes qui soient
davantage inclusifs; de prendre les mesures qui simposent pour concevoir, édifier,
utiliser et adapter ces mécanismes; de savoir et de comprendre comment fonctionnent ces
mécanismes de façon à pouvoir y jouer un rôle éclairé et satisfaisant. En
dautres mots, il faut trouver des mécanismes et des espaces permettant un dialogue
public, des moyens de communiquer nos valeurs communes.
Il ressort de ce paradigme un régime de gouvernance qui sexprime dans des
institutions et des structures pertinentes et flexibles. On voit mieux limportance
de certains principes comme linformation (crédibilité et accessibilité) et la
mobilité entre les organisations, les réseaux, les structures. Il est plus avantageux de
commencer au bas de léchelle et de répartir les fonctions dautorité au fur
et à mesure que lon monte, plutôt que de simplement procéder à partir du sommet.
Les élus deviennent les gardiens des façons de voir de leur collectivité, des courtiers
(pris au sens de « rassembleur » plutôt que dans son sens strictement
financier).
4. LA RÉFORME RÉINVENTÉE PEUT SAVÉRER UTILE
Renforcement au
niveau des valeurs, du consentement et de lapprentissage; utilisation immédiate de
certains leviers dintervention; critères dévaluation des progrès
réalisés.
a) Renforcement au niveau des valeurs, du consentement et de
lapprentissage
Les trois points suivants ont été jugés essentiels par la plupart des participants.
Valeurs Les objectifs à cet égard sont nombreux : adopter une vision
normative et non plus déterministe de lavenir (façonner lavenir); faire
primer, en partie, la raison dhumanité sur la raison dÉtat,
car tous les humains sont liés entre eux par des valeurs communes ainsi que par une même
volonté de vivre et de travailler ensemble; restaurer le sens moral au coeur des affaires
politiques et gouvernementales. Pour y arriver, nous devons adopter une philosophie
politique de type pluraliste fondée sur les valeurs; faire des choix qui, fondés sur les
valeurs, sont plus explicites et témoignent davantage de préoccupations globales;
établir un dialogue continu sur la définition et le maintien de valeurs communes;
contribuer à une gestion constructive des différences au niveau des valeurs (au gré,
p. ex., des régions, de la culture, de lhistoire)
Consentement Il convient, à cet égard, de renforcer le consentement à
tous les niveaux afin daméliorer les rapports entre les citoyens et leurs
dirigeants. Les moyens pour y arriver sont : une participation active et éclairée
des citoyens (plutôt quun apport fondé strictement sur lignorance ou
labsence de sens moral); une transparence accrue (responsabilisation, évaluation de
la performance, rapports au public en temps opportun); consultation des bonnes personnes.
Il faut permettre aux gens daffirmer et de faire valoir leurs positions dans des
cadres dont ils reconnaissent la validité; écouter attentivement ce quils ont à
dire. Il faut aussi nous assurer quun nombre adéquat de Canadiens se sentent
suffisamment à laise (du point de vue économique et social aussi bien que
culturel) pour prendre part à un processus de consultation quel quil
soit.
Apprentissage Lobjectif consiste à renforcer lapprentissage à
tous les niveaux dans un climat où lon finit toujours par être blâmé pour
quelque chose. Il faut pour cela bien comprendre ce que suppose lacte dapprendre
(capacité de dire la vérité, notamment); passer à laction (c.-à-d. veiller à
la mise en place de mécanismes de rétroaction aux bons niveaux [y compris les valeurs]
et déchange dinformation); joindre le geste à la parole, et faire en sorte
que les institutions et les mécanismes servent à faire la lumière et non pas simplement
à trouver quelquun à blâmer.
b) Utilisation immédiate de certains leviers daction
Le modèle de réforme réinventée propose trois leviers daction qui
peuvent être utilisés immédiatement. Tous contribuent à un renforcement au niveau des
valeurs, du consentement et de lapprentissage. Quoique très différents, ils sont
autant détapes stratégiques importantes sur la voie dune saine
gouvernance.
Les politiciens peuvent favoriser une meilleure compréhension en posant les bonnes
questions et en formulant les enjeux de la bonne façon. Trois enjeux viennent
spontanément à lesprit : les implications pour les élus et pour leurs
conseillers (politiques ou autres); les avantages ou les inconvénients des méthodes et
des règles propres à nos institutions et à nos processus politiques; les correctifs à
apporter.
Linnovation institutionnelle doit être fondée sur lutilisation de
réseaux visant à renforcer la collaboration. Dimportantes questions se posent à
cet égard : quelles lacunes importantes pourrions-nous combler de la sorte à
lheure actuelle? Quelles sont les implications dune pareille démarche sur les
rôles et responsabilités de nos élus et de leurs conseillers (politiques ou autres)?
Quel type de mécanisme de rétroaction suppose-t-elle (y compris la présentation de
rapports au moment opportun)?
Il convient de balayer lhorizon à la recherche des nouveaux enjeux, les
résultats de cette recherche devant être pertinents pour les décideurs aussi bien que
pour le grand public. Plusieurs questions méritent dêtre approfondies à cet
égard : quels rôles les universitaires, les groupes de réflexion et les
conseillers stratégiques sont-ils appelés à jouer? Comment pouvons-nous arriver à
préserver des principes comme la viabilité (financière, notamment), la crédibilité
(le degré defficience, par exemple) et lopportunité? Quelles sont les
conditions permettant dassurer, dexiger et de maintenir des liens efficaces et
efficients avec la population (y compris les décideurs)?
c) Critères de réussite
Une saine gouvernance comporte divers éléments : démocratie intégrée
garantie; appui sur les valeurs; préoccupations globales; participation éclairée;
consentement nécessaire; intégration des considérations humaines; possibilités
dapprentissage accrues dans un climat favorisant le blâme. La réussite se vérifie
à laune du travail accompli (par ailleurs déjà commencé) pour chacun de ces
éléments.
Pour une efficacité vraiment optimale, le modèle proposé de réforme réinventée
devrait être appliqué aux unités (territoriales) où les changements apportés seront
le plus évidents. Le prochain exercice de remue-méninges devrait être consacré aux
caractéristiques de ces unités.
5. FAIRE MIEUX, CEST LAFFAIRE DE TOUT LE MONDE
La recherche des moyens darriver à une saine gouvernance ne concerne pas que les
milieux universitaires et le secteur public (quoique les gouvernements peuvent jouer un
rôle de catalyseur et de chef de file). Cest laffaire de tout le monde, car
tout le monde sen ressent. Une participation active du secteur privé simpose.
La voie menant à une meilleure gouvernance offre plus davantages aux entreprises
que le maintien dun statu quo même en constante évolution. Premièrement, une
confiance accrue et un appui plus marqué de la part du public, de même que, pour la
société tout entière, une meilleure capacité de mener sa barque, peuvent se traduire
par une plus grande prévisibilité des marchés canadiens, par linstauration
accélérée dun climat commercial de type post-moderne au Canada, par une influence
plus profonde au niveau de la gouvernance supra-nationale, par une confiance réciproque
(secteurs; élites; leaders). Deuxièmement, des choix crédibles pour répondre aux
attentes et aux besoins du Canada offrent la possibilité de conduire des affaires au
Canada dune façon plus claire et plus prévisible, et favorisent une meilleure
intégration des réalités mondiales aux choix de société.
Par contre, le maintien du statu quo ne peut que ralentir la mise en oeuvre, dans nos
régimes de gouvernance, des changements dont ont besoin nos entreprises. Les
gouvernements continuent dinfluencer le climat commercial au Canada ainsi que
dexercer un pouvoir de coercition sur les entreprises et les gens daffaires.
Les « vieilles tactiques » ne fonctionnent toutefois plus aussi bien.
Lécart entre « riches » et « pauvres » (régions, groupes,
individus), de plus en plus marqué, se traduira tôt ou tard par des ruptures bien
réelles. Les gouvernements tenteront tant bien que mal de réagir, renforçant alors le
cercle vicieux méfiance 6 exclusion 6
pressions 6 intervention inadéquate 6
méfiance accrue.
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