Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Annual Bulletin 1, 1977-1978

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Festin d'Absalom de Mattia Preti

par John T. Spike


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Festin d'Absalom, réalisé vers 1665 comme nous le verrons, compte chez Preti parmi ses premières oeuvres du baroque tardif. Preti est reconnu comme l'un des premiers à avoir amorcé cette évolution: de 1658 à 1666, il se consacre avec ardeur au perfectionnement de ce style auquel il reviendra quelquefois. Les difficultés rencontrées dans la réalisation du cycle des dix panneaux pour les plafonds de la nef et du transept de l'église San Pietro a Maiella de Naples (mai 1657 à février 1659), (3) semblent être à l'origine de cette recherche de nouveaux moyens d'expression. Il pense trouver progressivement une solution à ces difficultés en donnant plus de place à l'effet décoratif de l'ensemble. Il se peut également que l'approche de l'échéance fixée l'ait poussé à changer de style. Quoi qu'il en soit, Preti procède alors par touches rapides, amples et vigoureuses, esquissant sommairement ses personnages, moins préoccupé de rendre la perspective que de remplir ses toiles de couleurs. En 1932, Nikolaus Pevsner estime que la première fresque peinte par Mattia Preti dans le style du baroque tardif a été réalisée en 1661, au Palazzo Doria Pamphili à Valmontone près de Rome. (4) Quelques mois plus tard, il arrive à Malte où il peindra la toile d'Ottawa.

Avant de tenter de déterminer la date du Festin d'Absalom, il serait utile de résumer les influences auxquelles a été soumis l'artiste avant son séjour à Malte. Preti vient à Rome, à peu près en 1630, pour y retrouver son frère, Gregorio, artiste sans grand talent, qui probablement lui enseigne les rudiments du métier. Cette didactique qui n'adopte aucun style déterminé peut avoir entravé sa carrière. En effet, Preti hésitera longtemps entre les différents courants artistiques de l'époque et n'atteindra sa pleine maturité qu'au bout d'une période relativement longue pour un artiste appelé à devenir l'un des plus imaginatifs de son temps. Par contre, c'est justement parce qu'il ne subit pas l'influence d'un grand maître que Preti peut, en toute liberté, se livrer à un remarquable effort de synthèse des divers grands courants, parfois contradictoires, du baroque italien.

Les premières oeuvres de Preti trouvent un précédent dans l'oeuvre du Caravage (1570 / 71-1610), ainsi que dans des oeuvres d'autres artistes issus du caravagisme. Au début du siècle, le Caravage avait découvert un style tout à fait personnel de luminisme et de naturalisme inspirés des écoles lombarde et vénitienne, et son innovation consistait à diriger sur les éléments du tableau un éclairage qui respectait les règles de l'optique plutôt qu'en se fondant sur les normes arbitraires de la composition picturale. Cette conception, tout en donnant au tableau un aspect particulièrement réaliste permettait également d'obtenir de très beaux effets dramatiques.

Dans ses premières oeuvres nocturnes de concerts et de parties de chasse, Preti fait appel à des clairs-obscurs violemment contrastés, comme l'avait fait le Caravage à la fin de sa carrière, pour faire surgir son sujet des ombres les plus profondes. Preti réalise alors un compromis entre le caravagisme et l'adoption d'une palette plus claire et plus brillante qui lui permettra d'assimiler les divers courants artistiques de son temps.

Les exemples de Titien, Véronèse et Tintoret, grands maîtres vénitiens du XVIe siècle, lui enseignent le traitement de la couleur. Soulignons que ce retour à la Renaissance vénitienne permettra à plusieurs générations d'artistes de surmonter les diverses crises qu'ils connaîtront au cours du XVIIe siècle, dès les débuts de la période baroque et tout au long de son évolution. Au cours des années 1630 apparaît à Rome le style néo-vénitien, que plusieurs peintres importants, tels Nicolas Poussin, Pierre de Cortone et Andrea Sacchi, adoptent dès le début de la décennie, alors qu'ils atteignent la maturité de leur art. Tout comme les Vénitiens, ces artistes optent pour l'intensité de couleur, la liberté d'expression et la lourdeur perceptible de l'atmosphère. L'esquisse du Martyre de saint Erasme (1628) de Poussin, qui appartient à la Galerie nationale du Canada, est un excellent exemple de ce style.

Mattia Preti est rapidement attiré par le néo-vénitianisme, qu'il cultive à partir du style du Caravage dont il conserve l'éclairage qui fait alterner les différents plans de lumière et d'ombre, creusant l'espace sans casser le plan de la composition. Parmi les autres influences qui marquent le style de Preti, mentionnons les oeuvres baroques du Guerchin (1591-1666) et de Giovanni Lanfranco (1582-1647), des peintres d'Émilie. Les lignes amples, énergiques, la vitalité des personnages, ainsi que, à certains moments de sa carrière, les textures fluides que ces artistes utilisent inspirent Preti.

Festin d'Absalom témoigne des études réalisées par Preti, au cours des années 1640, sur les oeuvres de ses prédécesseurs vénitiens. Le magnifique apparat du festin, depuis le décor somptueux jusqu'au page, s'inspire de Véronèse, dont les oeuvres établirent le modèle de faste historique. Preti n'emprunte non seulement les détails du décor mais aussi l'harmonie des tons, les clairs-obscurs vénitiens et les règles de la plastique du XVIe siècle. Vers 1654, cette progression le conduit à réaliser des oeuvres comme L'Adoration des Mages (Holkham Hall) qui vont bien au-delà de ce qu'expriment ses peintures figuratives romaines des années 1650 pourtant marquées par l'influence vénitienne. Si proche est-il de Véronèse que l'on pourrait y voir un exemple d'un retour à l'art du XVIIe s.

Quand il peint Festin d'Absalom, Preti a maîtrisé le vocabulaire véronésien. Il ne vise aucune renaissance; en vérité, son style est fougueux, vraiment original. Cette étape avait débuté lors de son arrivée à Naples, à la fin de 1656.

Preti a été appelé à Naples pour peindre des fresques votives aux saints patrons de cette ville implorant la cessation de la peste meurtrière de 1656. Et c'est là un temps prospère à la réformation de l'art napolitain. Les deux plus grands maîtres de l'école napolitaine viennent de mourir - Giuseppe Ribera en 1652 et Massimo Stanzione, victime de la peste - comme tant d'autres artistes d'envergure. L'arrivée de Preti à Naples coïncide avec le retour du prodige napolitain Luca Giordano (1634-1705) qui revient d'un séjour d'études à Rome et à Venise.

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