Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin Annuel 1, 1977-1978

Accueil
English
Introduction
Histoire
Index annuel
Auteur et Sujet
Crédits
Contact


Cliquez figure 3 ici pour une image agrandie







Cliquez figure 5 ici pour une image agrandie







Cliquez figure 7 ici pour une image agrandie

Festin d'Absalom de Mattia Preti

par John T. Spike


Pages  1  |  2  |  3  |  4  |  5  |  6

Il est extrêmement difficile d'établir des comparaisons entre les peintures sur toile de Preti et ses décorations de la voûte, que l'on ne voit qu'à distance. (Notre travail aurait été considérablement facilité si l'on avait pensé prendre autant de photographies que possible au moment du nettoyage de l'église il y a dix ans.) Quoi qu'il en soit, le rendu de la voûte est extrêmement harmonieux même si Preti y a travaillé pendant cinq ans, période au cours de laquelle son style a beaucoup évolué si l'on en juge d'après ses toiles. Le seul changement que l'on peut signaler dans la décoration de la voûte se rapporte aux dimensions des personnages, plus petits et regroupés au fur et à mesure que l'on s'éloigne du portique vers l'autel.

Parmi les rares toiles de Preti que l'on peut comparer à une scène de la voûte, citons l'une de deux peintures découvertes dans l'église de Sambughè, village du nord de l'Italie situé à proximité de Trévise; ces toiles avaient été offertes à l'église en 1667. (12) Il existe, en effet, des liens étroits entre la Comparution du Christ devant Hérode (fig. 3) de Sambughè, et le Saint-Jean-Baptiste blâmant Hérode (côté gauche, cinquième section de la voûte de la cathédrale) réalisé vers 1665. Sans chercher à savoir laquelle de ces deux oeuvres a inspiré l'autre, on est frappé par leurs caractéristiques communes: même corps frêle des protagonistes, même physionomie chargée d'une spiritualité intense. Contrairement aux autres personnages, saint Jean-Baptiste se distingue, comme le Christ, non par un physique robuste mais par un regard ardent qui jaillit de petits yeux enfoncés.

Les mêmes observations peuvent s'appliquer au Christ et la Samaritaine qui, sans aucun doute, date de la même époque (Heim Gallery , Londres; fig. 4). (13) Nous en sommes maintenant au tableau d'Ottawa, Festin d'Absalom, qui présente une similitude étonnante avec le Christ et la Samaritaine. Preti a recours aux mêmes effets en dirigeant une lumière blanche et brillante sur les visages à carnation laiteuse de la Samaritaine et d'Absalom. Que Preti ait choisi de représenter un homme et une femme sous des traits identiques, sans que cela ne choque, illustre bien le haut niveau d'abstraction de son style à cette époque. Les deux personnages ont les mêmes narines rosées et une chevelure couleur cuivre. Dans les tableaux d'Ottawa et de Londres, le rendu des tissus présente des similitudes très marquées. Les lourdes étoffes se bouclent dans leurs plis. Comparez la cape d'Absalom et celle de la Samaritaine, ou les manches d'Absalorn et le manteau du Christ. Les costumes de ces deux derniers sont du même bleu foncé avec une légère résonance de vert sombre qui perce l'ombre là où Preti laisse transparaître la couche de fond.

Si le Festin d'Absalom se compare aisément au Christ et la Samaritaine, il est plus difficile de l'apparenter à d'autres toiles réalisées vers la même époque, par exemple, la Résurrection de Lazare, qui se trouve maintenant au Palazzo Spinola à Gênes. Ces oeuvres représentent des personnages au physique décharné et à l'expression intense, comme pour le Christ de la Samaritaine de Heim, mais qui n'ont rien de commun avec la stature imposante d'Absalom dans son lourd costume. On peut donc supposer que la réalisation du tableau d'Ottawa se situe à la limite chronologique de ce groupe. Il est évidemment impossible de classifier rigoureusement les oeuvres d'un artiste aussi prolifique et varié que Preti. Nous espérons, en examinant d'autres oeuvres de Preti, en arriver à savoir si le Festin d'Absalom suit ou précède les oeuvres contemporaines de la cinquième section de la voûte de Saint-Jean.

Il existe deux toiles qui nous permettront de conclure que le Festin d'Absalom a été exécuté avant la cinquième section de la voûte, et que Preti a effectivement décoré la cathédrale en partant du portique pour se diriger vers l'autel. Ces deux toiles qui, je crois, ont été réalisées en même temps que la sixième section de la voûte de Saint-Jean (du même style que les oeuvres conservées à l'église de Sambughè) représentent la Madone avec saint Nicholas, saint Pierre et saint Raphaël (le retable dédié aux saints patrons des frères Cotoner de l'église Tal-Mirakli, Lija, Malte) et la Délivrance de saint Pierre (Akademie der Bildenden Künste, Vienne; fig. 5). On sait, par ailleurs, que le réaménagement de l'église Tal-Mirakli a été entrepris sous les auspices du Grand Maître Nicholas Cotoner en 1664. (14) Ces deux tableaux sont caractérisés par une saturation de couleur et une fluidité des formes absentes dans le Festin d'Absalom, et qui mettent en évidence la recherche de l'effet décoratif: le drapé des étoffes manque de réalisme, mais il offre de magnifiques champs de couleurs. Ce même genre de drapé se retrouve dans le costume de certains personnages peints de chaque cote des fenetres de la sixieme section de la voute.

L'examen d'une huile initulée Gloire du Christ reuscité parmi les saints (Prado, Madrid; fig. 6) et des deux peintures de la première section de la voûte de Saint-Jean nous éclaire sur le style de Preti tout au début de son séjour à Malte. Comme nous l'avons déjà mentionné, Preti réalisa cette section avant le 17 juin 1663, mais elle constitue sans doute sa première étape de décoration de la voûte, probablement entreprise au milieu de 1662. (15) Des portraits du bienheureux Pietro G. Mecatti (fig. 7) et de sainte Toscane flanquent des fenêtres de chaque côté de la nef. Or, ces deux types de personnages sont repris le tableau du Prado comme si l'artiste s'était servi des mêmes modèles, bien qu'ils semblent être imaginaires. Parmi d'autres similitudes mentionnons le drapé des bures franciscaines.

A cette époque, les physionomies et les étoffes que peint Pret sont beaucoup plus différenciées et moins abstraites que dans le Festin d'Absalom d'Ottawa. Dans le tableau du Prado, le volume des personnages est accentué et leur disposition bien définie daru un fond bien aéré. La composition est loin de témoigner d'une recherche d'effets décoratifs. Pour retracer l'évolution du style de Preti, citons, à mi-chemin de cette translation du réalisme au décoratif, Pilate se lavant les mains, toile réalisée vers le milieu de 1663 et récemment acquise par le Metropolitan Museum of Art New York.

Le style du Festin d'Absalom constitue donc un retour aux moyens d'expression du baroque tardif, perfectionnés par Pretti entre 1658 et 1661, mais abandonnés lors de la décoration de l'église Saint-Jean, La Valette. Valerio Mariani fait remarquer que la composition du tableau de l'abside est particulièrement décevante et banale, mais il faut noter que Preti, à son arrivée à Malte, était peut-être soumis aux goûts conservateurs des Chevaliers de l'Ordre, ou encore intimidé par l'ampleur du projet.

Les autres tableaux qui, croyons-nous, sont contemporains du tableau d'Ottawa, témoignent de la même recherche décorative tant dans les coloris utilisés que dans les traits idéalisés. La plupart de ces oeuvres, dont notamment les toiles de Sambughè, sont destinées à l'étranger. Le retable à Lija (v. 1666) nous prouve, toutefois, que l'artiste n'adopte pas un style pour l'Italie et un autre pour Malte.

La présence du Festin d'Absalom ainsi que plusieurs autres toiles de Preti à, Naples font passer son oeuvre à la postérité. (16) En effet, tous les successeurs napolitains de Preti s'inspireront de ses techniques, ên dépit de la suprématie exercée par Giordano dans la seconde moitié du XVIIe siècle. La portée de l'oeuvre de Preti n'est cependant comprise qu'un siècle plus tard, lorsque l'extraordinaire renommée de l'école de Giordano est éclipsée par celle de Francesco Solimène (1657-1747) et de ses élèves.

Quoique fortement influencé par Giordano, Solimène se penche aussi sur l'oeuvre d'autres artistes. C'est ainsi qu' il a l'occasion de découvrir le naturalisme et la qualité du dessin des oeuvres de Preti. Bernardo De Dominici a même affirmé que l'on peut considérer Solimène comme un élève de Preti et lui attribue ces paroles: « Quiconque suit le Calabrais trouve la voie de la perfection ». (17) En enrichissant son legs napolitain d'oeuvres expédiées depuis Malte, Mattia Preti a fondé une « école » in absentia. (18)


Page SuivanteNotes 1 à 15

1  |  2  |  3  |  4  |  5  |  6

Haut de la page


Accueil | English | Introduction | Histoire
Index annuel
| Auteur et Sujet | Crédits | Contact

Cette collection numérisée a été produite aux termes d'un contrat pour le compte du programme des Collections numérisées du Canada, Industrie Canada.

"Programme des Collections numérisées, droit d'auteur © Musée des beaux-arts du Canada 2001"