Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin Annuel 3, 1979-1980

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Un choix de livres illustrés par des
artistes québécois entre 1916 et 1946

par Jean-René Ostiguy

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Maintes images pour Le grand silence blanc évoquent
par surcroît certains peintres nabis. Quelques lettrines et toute l'ornementation, y compris les culs-de-lampe, évoquent Paul Gauguin. Dans son ensemble, l'ouvrage rappelle Les petites fleurs de saint François d'Assise (1913) illustré par Maurice Denis avec la collaboration de Jacques Beltrand (fig. 10). On pourrait reprendre à son sujet la critique tout à la fois sévère et élogieuse de Raymond Escholier à l'égard de ce livre célèbre: « Sans doute, il y aurait beaucoup à dire contre la polychromie dans ce livre, la couleur rompant l'unité de la page. Mais si une exception devait être admise, comment ne serait-ce pas en faveur de cet ouvrage traditionnel qui se rattache tout naturellement aux livres à miniature de l'époque médiévale? » (21)

Par la couleur comme par la stylisation des personnages, certaines images du Maria Chapdelaine (1933), autre livre illustré par Gagnon, ramènent l'historien d'art et le critique à Maurice Denis. La scène du jardin à la page 150 (fig. 11) supporte cette impression. Les roses tendres des pommiers et les verts acides du printemps n'ont de meilleurs équivalents que chez Denis, de même que les profils angéliques et arrondis de la jeune mère et de son enfant, dans le coin inférieur droit de la composition.

Les illustrations de Rodolphe Duguay pour Du soleil sur l'étang noir (1933) ont été conçues dans une semblable esthétique. Elles sont tout autant, sinon plus, apparentées aux travaux des peintres postimpressionnistes, bien qu'exécutées dans la technique du bois gravé en noir et blanc. Pure coïncidence? L'auteur de ce recueil de poèmes, Ulric Gingras, salue dans ses vers les adeptes des « croquis verts et gouaches roses », ce qui paraît une référence à un goût plutôt symboliste et denisien. Là, Rodolphe Duguay, dans des bois (fig. 12) dignes d'Auguste Lepère et de Paul Baudier (fig. 13), agrémente symboliquement des pages où les espaces blancs répondent généreusement à ceux des compositions. Les beaux noirs incrustés des bois répondent harmonieusement à ceux des caractères d'imprimerie.

La contribution d'Adrien Hébert à des ouvrages illustrés est plutôt mal connue encore aujourd'hui. Le Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec signale la couverture (22) du volume de Yvonne Charette, Nuances (éditions Le Devoir, 1919). Il est dommage que les éditeurs se soient contentés d'une seule image en couverture car l'artiste donne dans ce petit dessin l'essence de sa manière symboliste qu'il abandonnera l'année suivante. Le dessin à l'encre de Chine pour le frontispice (fig. 14) de Château de cartes (vers 1931) d'Hélène Charbonneau se prête bien, quant à lui, à une comparaison avec le frontispice (fig. 15) du Riquet à la Houpe et ses compagnons de Raymond Hesse illustré par Gus Bofa (connu 1914-1942). Le fait qu'un exemplaire de ce dernier ait été trouvé dans la bibliothèque personnelle d'Adrien Hébert renseigne sur les sources ignorées de l'esthétique postcézannienne du dessinateur montréalais. À la même époque, Hébert procure quatre illustrations fort agréables à l'éditeur du recueil de René Chopin, Dominantes. Elles sont conçues dans le même style que la précédente, mais deux d'entre elles introduisent une variété sous la forme de bandeaux (fig. 16).

Le milieu des écoles des beaux-arts, celui de Montréal, dès 1928, comme celui de Québec, peu après l'accession de Simone Hudon au poste de professeur de gravure en 1931, fournit au marché du livre quelques illustrateurs de qualité. Ils s'inspirent d'une esthétique nouvelle faite des apports du fauvisme et du style 1925. Tous utilisent le bois gravé ou, à défaut, le linoléum.

À peine nommé professeur à l'École des beaux-arts, Edwin Holgate entreprend l'illustration de Other Days Other Ways (fig. 17), une traduction du Vieilles choses vieilles gens de Georges Bouchard dont l'original connaîtra une nouvelle édition française en 1931 avec la réutilisation des mêmes bois. La mise en page (fig. 18) paraît très soignée dans ces ouvrages. Les bandeaux et culs-de-lampe s'y montrent tout aussi importants que les quatre hors-texte et le frontispice en deux tons. L'artiste dévoile dans son travail une rigueur classique en montrant comment aucun coup de couteau n'a été donné en pure perte. Dessinateur hors pair, Holgate étudie longuement ses moindres compositions en se rappelant les avantages d'une sérieuse économie de moyens. Il en résulte des motifs stylisés pour un maximum d'effets. En ce sens, et aussi par le type d'illustrations et leur emplacement, également par leur iconographie paysanne, l'ensemble pourrait évoquer le travail du graveur français Maurice Delavier pour le roman de Panaît Istrati, un romancier roumain, Les chardons du Baragan (fig. 19) édité par]. Ferenczi et Fils, à Paris, en 1929, dans la collection Le livre moderne illustré.

Mais Holgate s'avère tout de même un créateur plus versatile que Delavier. Dans ses illustrations pour le poème de Robert Choquette, Metropolitan Museum, ses inventions touchent à un modernisme que l'on peut rattacher soit à Hermann Paul, soit à ce graveur anglais Robert Gribbings qui dirige pendant quelques années The Golden Cockerel Press en Angleterre. Le bois gravé de la page trois (fig. 20) du livre de Choquette peut ici servir de preuve à cet avancé. Il est dommage que l'enseignement d'Edwin Holgate n'ait pas conduit à la formation d'illustrateurs du livre!

À Québec, l'enseignement de Simone Hudon eut plus d'influence que celui de Holgate, alors que l'artiste elle-même avait fort peu travaillé le livre illustré. On doit retenir tout de même ses gravures sur linoléum pour le recueil de Jacqueline Francoeur Aux sources claires (fig. 21) publié aux éditions Albert Lévesque à Montréal en 1935. C'est bien humblement qu'elle avoue avoir rarement retrouvé dans ses illustrations le souille décoratif qu'elle admirait alors chez l'une des grandes figures de l'Art Déco, Edy-Legrand (1892-1970). Son condisciple Henri Beaulac, qu'elle épousera en 1940, connaîtra une production beaucoup plus considérable. Déjà ses illustrations datant de 1934 et 1935, pour La vie gracieuse de Catherine Tekakwitha et pour La vie inspirée de Jeanne Mance (fig. 22) possèdent la franchise décorative d'un Jean Lebedeff (1884-?) (fig. 23), malgré son utilisation du linoléum, un matériau qui ne permet pas une netteté impeccable des découpages. Dans un style encore plus souple, il exécute en 1940 de fort belles pages pour le livre du docteur Antoine Panneton (pseudonyme Sylvain), Dans le bois (fig. 24).

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