Recherches sociographiques, vol. XII, no.
3, 1971
Catherine Jolicoeur, Le Vaisseau Fantôme,
Légende étiologique, Québec, Les Presses
de l'Université Laval, 1970, x+338 p. (Archives de
Folklore, 11.)
L'étude en profondeur d'une légende
ou croyance populaire comprend plus que la simple énumération
de ses variantes et des éléments universels
qui s'y trouvent. On voudrait aussi saisir l'atmosphère
particulière et la mentalité qui entourent son
élaboration et sa transmission, en plus des conditions
naturelles susceptibles de la provoquer. Ici on est plus que
satisfait. Dans son étude, centrée spécifiquement
sur les régions maritimes du Canada, mais d'une ampleur
universelle, l'auteure traite de façon exhaustive de
tous les aspects accessibIes, par enquête directe ou
recherche documentaire, du phénomène du vaisseau-fantôme.
Cette légende a pour but immédiat d'expliquer
le phénomène, dont les explications scientifiques
restent peu satisfaisantes à beaucoup d'égards,
du feu qui apparaît sur la mer.
L'analyse des manifestations du phénomène
repose principalement sur les récits des témoins
oculaires, recueillis par l'auteure, directement ou par questionnaire.
La première partie du livre recense tous les éléments
du phénomène, de la simple boule de feu qui
apparaît avant une tempête, jusqu'aux vaisseaux
complets, comportant plusieurs détails, dont entres
autres des passagers en train de danser une danse d'époque
avant l'apparition du feu qui détruit le bateau sans
laisser de traces en plein milieu d'une journée ensoleillée.
Bien que centrant son étude sur les
régions maritimes du Canada, l'auteure situe chaque
aspect du phénomène dans un cadre élargi,
en comparant les variantes du vaisseau aux feux fantômes
européens, asiatiques, africains et orientaux. L'analyse
comporte aussi une dimension historique : les apparitions
sont situées par rapport aux événements
de l'histoire censés les avoir motivées et aussi
par rapport à leur propre évolution. Tel est
le « vaisseau-fantôme Yarmouth, (qui) revient
chaque année, passe la nuit dans le port de Yarmouth
et, le lendemain matin, s'entoure d'un nuage de brume avant
de disparaître » (p. 81). Il le fait de 1811 à
1872, après quoi, faute d'intérêt ou de
croyance, on ne le revoit pas. Les manifestations moins complexes,
tel que le « feu-du-mauvais-temps », sont encore
vivaces et on soutient les avoir vues dans les années
récentes.
Le phénomène n'est pas seulement
individuel mais collectif. La même manifestation est
vue et entendue - lorsque des bruits accompagnent son apparition
- souvent par plusieurs personnes en même temps; tel
est le cas du vaisseau Yarmouth mentionné ci-haut.
L'aspect le plus fascinant est le fait que la plupart des
témoins de ces apparitions prennent les vaisseaux pour
de véritables embarcations, essaient de monter à
bord, ou ne reconnaissent leur caractère fantôme
qu'à leur disparition subite ou à la présence
d'anachronismes évidents. Après exclusion des
cas de méprise - on prend pour un vaisseau une maison
vue à travers la brume, des épaves flottant
sur l'eau ou des vieux vaisseaux abandonnés - il reste
une liste impressionnante de manifestations du phénomène
étudié qui s'expliquent difficilement par le
simple fait d'hallucinations individuelles ou collectives,
de phosphorescence sur l'eau, de mirages ou d'électricité.
Au niveau folklorique, les explications ne manquent pas :
meurtre, piraterie, violation du dimanche, ivrognerie ou manifestations
diaboliques.
L'auteure analyse aussi les récits
par rapport au témoin, à ses connaissances et
sa psychologie, en vue d'évaluer la part de l'autosuggestion
et de la superstition; l'attitude des enquêteurs, leurs
motivations et leur traitement du phénomène
sont relevés. Le traitement du thème dans la
littérature canadienne, française et anglaise
est passé en revue ; enfin, l'auteure dégage
l'aspect fictif universel du thème, depuis le Voltigeur
hollandais jusqu'à l'opéra de Wagner.
L'étude est rendue plus dense et intéressante
par la présence en appendice de cent quatre-vingt-quatre
versions enregistrées, manuscrites et autres, en français
et en anglais, qui proviennent surtout des régions
maritimes du Canada. L'aspect universel ainsi que la profondeur
psychologique et scientifique de l'analyse confèrent
à l'ouvrage un grand intérêt pour le chercheur
travaillant sur les mythes, les légendes, les phénomènes
d'hallucination collective.
Nancy Schmitz
Département d'anthropologie
Université Laval.
Université de Moncton,
Centre d'études acadiennes, Fonds Catherine-Jolicoeur,
63.008
Autres livres concernant le vaisseau-fantôme
:
Girouard, Anna, La revenante du vaisseau
fantôme de la Baie de Bouctouche, Tracadie-Sheila,
Grande Marée, 1995, 48p.
McCarthy, A.J., Bay of Chaleur Forgotten
Treasures : True Stories of Ghosts Ships and Wrecks, Rum-running
and Buried Treasure, Murders and Robberies, War Heros ans
Spies, Halifax, Nimbus Publishing, 1997, 146p.
Roy, Réjean, Le bateau fantôme
de la Baie des Chaleurs, Tracadie-Sheila, Grande Marée,
1995, 63p
Creighton, Helen, Bluenose Ghosts,
Toronto, Ryerson Press, 1959, 280p.
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