Vaisseaux-fantômes
Le caboteur français Claude-André
rentrait d'une campagne de pêche. À quelques
milles de l'Orient, il découvrit soudain, à
bâbord, un voilier blanc sur la poupe duquel était
inscrit le nom Laissez-dire. Il s'approcha et ne découvrit
aucun signe de vie à bord. La nuit était tombée.
Le lendemain matin, le Laissez-dire avait disparu. Il n'en
fallut pas davantage pour que l'équipage du Claude-André
parlât de vaisseau-fantôme. On devait apprendre
quelques jours plus tard que le Laissez-dire avait été
volé dans le port de la Côtière, île
d'Oléron. On n'en avait plus de nouvelles jusqu'à
sa rencontre avec le Claude-André. On n'en a plus eu
depuis.
Neuf fois sur dix, les histoires de vaisseaux-fantômes
ont une explication extrêmement simple : il s'agit d'épaves
abandonnées par leur équipage pour une raison
ou une autre et entraînées à travers les
océans par les courants marins. Dérives dangereuses
pour les navires qui sillonnent les mers, tel ce Fred-Taylor
qui, abandonné en plein Atlantique Nord, fut coupé
en deux par un transatlantique que la collision faillit faire
couler. Après quoi les deux morceaux du Fred-Taylor
continuèrent à dériver, l'un finissant
par échouer sur la côte américaine près
de Philadelphie, l'autre allant se perdre dans les glaces
polaires.
Ces épaves peuvent parcourir des distances
considérables. Le Frédéric-Roesmer, abandonné
près de La Havane et pris dans le Gulf Stream, dériva
de 300 milles en quatre jours. Le cargo russe Dorothée,
abandonné sur la côte mexicaine, s'échoua
près du cap Finisterre. Emile Condroyer, grand spécialiste
des choses maritimes, citait, peu avant la guerre, le cas
d'un schooner américain qui battit un véritable
record : abandonné près de la Floride, il piqua
une course fantastique jusqu'aux Açores, puis fit demi-tour
et revint s'échouer sur les côtes de Terre-Neuve.
Il avait navigué ainsi sans équipage pendant
près de trois ans, couvert 15 000 kilomètres
et été signalé par 45 bateaux.
Il y a parfois des drames affreux à
l'origine de ces courses vagabondes. L'un des plus sinistres
se déroula, voici un siècle et demi, à
bord du Regina Coeli, voilier nantais transportant une cargaison
de nègres à La Réunion. Les esclaves
se révoltèrent, massacrèrent sauvagement
l'équipage, flottèrent longtemps au gré
des vents et abordèrent enfin à l'île
Maurice où une partie d'entre eux put gagner l'intérieur,
tandis que l'autre fut capturée et fusillée
sur place par les planteurs anglais.
Il y a quelque temps, on trouvait, dans les
eaux malaises, l'épave d'un yacht mystérieux
dont le pont était couvert de sang et dont la cabine
contenait quatre bras droits coupés.
G.N.
Université de Moncton,
Centre d'études acadiennes, Archives de folklore
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