«Catherine Jolicoeur, celle qui
rêvait d'être missionnaire et qui se passionnera
de légendes»
Par Hector J. Cormier
À la façon d'une étoile
filante, Sr Catherine Jolicoeur sera passée trop vite
parmi les siens. Mais la trace qu'elle laisse ne sera pas
qu'un simple éblouissement. Si les jeunes qui s'intéressent
à la légende en Acadie ont envie de poursuivre
des études dans le domaine, ils pourront le faire grâce
à l'oeuvre considérable qu'a léguée
cette femme.
Si nous nous plaisons à la présenter
aux lecteurs de l'ENTRE NOUS, c'est à la fois parce
qu'elle sert de modèle à ces retraités
de l'enseignement qui auraient envie de se lancer dans une
deuxième carrière. Nous la proposons en exemple
pour une autre raison, toute aussi importante: Sr Jolicoeur,
pour autant que les dieux ne l'aient prédestinée,
est devenue une pionnière en Acadie dans le domaine
du folklore au même titre que les Anselme Chiasson,
les Daniel Boudreau, les Charlotte Cormier, les Laurainne
Léger en Acadie, les Luc Lacoursière et les
Félix-Antoine Savard au Québec.
Ces chercheurs ont fait pour la tradition
orale en Acadie ce que les grands d'une autre époque
ont fait pour le classique. Ils l'ont consacrée. Ils
ont réhabilité le conte, la légende et
la chanson populaire au point de les élever au rang
de discipline universitaire. Sr Jolicoeur dira que c'est à
travers le folklore et la légende qu'on arrive à
rejoindre l'âme d'un peuple. Elle a raison, car en plus
des réalités quotidiennes, les peuples se nourrissent
de rêves, de superstitions s'apparentant du merveilleux
autant que du fantastique.
Les recherches sur la vie de Catherine Jolicoeur
pourraient nous porter à conclure que rien ne la destinait
ni à la vie religieuse, ni chez les filles de Marie-de-I'Assomption,
ni dans le domaine du folklore.
À l'adolescence, elle trouve agréable
la compagnie de la gente masculine au point de vouloir un
jour se marier et élever une douzaine d'enfants. Rien
là qui prédispose à un voeu de chasteté!
Pas vraiment!
Pourquoi la trouvera-t-on chez les filles
de Marie-de-l'Assomption, elle, qui, quand elle s'est sentie
interpellée à la vocation, voulait devenir missionnaire?
Une certaine soeur Mary Greene aura parlé
aux Enfants de Marie de la paroisse dont Catherine faisait
partie et la convaincra de se consacrer plutôt auprès
des « petits Chinois » de Campbellton. Ceux qu'elle
caractérisait ainsi, ce sont des garçons qui,
selon elle, ne savaient même pas faire le signe de la
croix à quatorze ans. On dit même que, pour quelques
années, Sr Jolicoeur aura gardé la nostalgie
de la vie missionnaire en pays étranger.
C'est après une retraite pour institutrices
laïques qu'elle entrera au noviciat des filles de Marie-de-l'Assomption
de Campbellton à l'âge de dix-neuf ans contre
la volonté de sa mère qui s'y opposait fermement.
Sr Jolicoeur est une Gaspésienne qui
aura passé la majeure partie de sa vie en Acadie. Née
à Nouvelle en mars 1915, elle sera appelée à
changer de milieu à cause de l'emploi qu'occupe son
père au Canadien National. C'est pourquoi on la retrouvera
à Whites Brook au Nouveau-Brunswick et, trois ans plus
tard, à Shippagan où elle entreprendra ses études
primaires. Pour ce qui est de ses études secondaires,
elle les fera à Nouvelle lorsqu'elle y sera retournée
avec sa famille.
Elle aura enseigné trente-six ans après
avoir fait l'École normale au sein de sa communauté.
On la retrouvera à Campbellton, à Atholville,
à Edmundston à Bathurst à Paquetville,
à New Richmond, à Gaspé et à Buttes
Amirault en Nouvelle-Écosse. Elle aura formé
des centaines de jeunes du Québec, du Nouveau-Brunswick
et de la Nouvelle-Écosse. C'est ce qui explique qu'elle
est particulièrement connue des gens du nord de la
province.
Aussi accaparante que puisse être la
profession d'enseignante, Sr Jolicoeur trouvera le temps de
parfaire des études nombreuses et variées à
partir du baccalauréat jusqu'au doctorat. Dans sa notice
biographique, on la décrit comme un bourreau de travail
qui n'aura trouvé de repos que dans la lecture, la
recherche et l'étude.
Son baccalauréat ès Arts, elle
l'obtient de l'Université de Bathurst en 1950; son
baccalauréat (1954) et sa maîtrise en sciences
sociales de l'Université Saint-Louis d'Edmundston en
1955; son baccalauréat en pédagogie lui sera
décerné par la même institution en 1956;
sa maîtrise ès Arts (1959) et son doctorat (1963),
elle ira les décrocher à l'Université
Laval de Québec. Ce sera le couronnement de plusieurs
années d'étude.
Non seulement a-t-elle trouvé du temps
pour autant d'études, elle les réussira avec
brio. Elle défendra sa thèse, dont le thème
« Le vaisseau fantôme : légende étiologique
», lui attirera les plus hauts éloges et la mention
« summa cum laude ».
Voici ce qu'auront eu à dire les membres
du jury à l'issue de la soutenance de sa thèse:
« Le travail de Sr Jolicoeur révèle une
grande originalité. À la documentation internationale,
elle a ajouté de très abondantes sources canadiennes-françaises,
acadiennes, anglo-canadiennes, américaines (...) Style
simple, fluide, que sied bien un travail scientifique. Lecture
facile et intéressante. Fréquentes pointes d'humour,
ce qui ne dépare jamais un travail scientifique. Des
personnes croient que pour être scientifique, un travail
doit être ennuyeux et illisible. Il serait regrettable
que les folkloristes qui, par profession, étudient
des manifestations de l'esprit humain tombent dans ce travers
somnifère, sinon nécrophone. »
Ce n'est pas qu'une mince tâche que
sa thèse doctorale qui exigera quatre années
de travail ardu à fouiller intensément les archives,
à lire des séries de journaux, à distribuer
plus de quatre cents questionnaires au Canada, aux États-Unis
et à l'étranger. Elle aura recueilli au-delà
de six cents versions différentes de la légende
du vaisseau-fantôme.
Rappelons que cette très célèbre
légende acadienne raconte l'histoire « d'un navire
à voiles qui apparaît souvent tout en feu avec
des marins qui courent sur le pont et grimpent dans les haubans.
On dit de plus qu'il s'agit d'un navire qui aurait été
puni pour ses crimes et condamné ainsi à réapparaître
en flammes comme preuve de son châtiment exemplaire
».
Ses recherches pour appuyer sa thèse
donneront une toute autre tournure à sa vie. Elle se
passionnera pour le folklore et ce sera l'amour de sa vie
jusqu'en 1982, date à laquelle elle commencera à
souffrir des effets de la maladie d'Alzheimer.
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