La 14e séance plénière annuelle du Conseil InterAction des anciens chefs de gouvernement
Le 19 mai 1996
Vancouver (B.C.)
C'est avec grand plaisir que je profite de cette occasion pour
m'adresser à un groupe aussi distingué sur une question
aussi importante.
Nous avons tous vécu une période de changements
remarquables dans le système financier international. La
mondialisation et la technologie rapprochent toujours davantage
les marchés nationaux. Les mouvements de capitaux ont augmenté
de façon considérable, et les hauts et les bas d'un
marché se transmettent aux autres marchés par quelques
frappes sur un clavier.
Lorsque le Canada a accueilli le Sommet de Halifax l'été
dernier, ces changements étaient très présents
à l'esprit des chefs du G7.
Nos économies dépendent de plus en plus de capitaux
qui viennent de l'extérieur de nos frontières. Au
point en fait que bien des gens croient que la souveraineté
économique de l'État-nation est remise en question.
Lorsqu'on a le sentiment de ne pas être en mesure de contrôler
notre destinée économique, cela ajoute à
l'anxiété générale au sujet de la
sécurité d'emploi, de notre niveau de vie, et du
monde qui sera celui de nos enfants.
Pour ma part, je crois que nous devons faire face au changement,
et ne pas chercher à nous y soustraire. Nous devons préparer
nos citoyens non seulement à faire face au changement,
mais aussi à saisir les magnifiques possibilités
qu'il présente.
Nous devons voir le changement dans une perspective plus large.
Je suis convaincu que le changement nous mènera vers un
monde meilleur, tant pour les pays en voie de développement
que pour les pays développés.
Au fur et à mesure de l'intégration de la communauté
des États-nations, les gens prennent connaissance de points
de vue différents. Et plus il devient difficile pour les
gouvernements autoritaires de réprimer la dissidence et
d'étouffer la démocratie. Les conséquences
pour les droits humains et la qualité de la vie sont profondes.
+ Halifax, les chefs du G7 se sont interrogés pour
savoir si les institutions économiques mondiales telles
que le FMI et la Banque mondiale sont à la hauteur des
nouveaux défis posés par l'économie mondiale.
Alors que nous nous préparons pour le Sommet de Lyon le
mois prochain, les leaders politiques s'interrogeront pour savoir
comment nous pouvons améliorer les possibilités
tant pour les pays en voie de développement que pour les
pays développés dans cette économie mondiale
en transformation rapide. L'objectif des décideurs doit
être de s'assurer que la mondialisation se fait à
l'avantage de tous les citoyens.
Les finances internationales ne connaissent pas de frontières.
Les transferts d'argent vont et viennent sans effort, bousculant
les taux d'intérêt et les taux de change. Et nous
savons tous les conséquences que cela peut avoir pour les
plans les mieux tracés des gouvernements.
Ces vagues financières semblent souvent causées
par les sentiments changeants ou les attentes à court terme
des proverbiaux jeunes ambitieux sur le parquet de la Bourse.
Lorsqu'une crise se déclare, un État-nation peut
sembler impuissant.
+ mon avis, l'État-nation n'est pas impuissant. Il
peut influencer ces flux même s'il ne peut pas les contrôler.
Les décideurs peuvent travailler à rendre le système financier mondial plus sûr en améliorant les mesures
prises par les gouvernements à l'échelle mondiale.
Fondamentalement cependant, les mouvements de capitaux sont à
la source même de la prospérité et du bien-être.
Au cours des années 90, nous avons observé un accroissement
phénoménal des mouvements de capitaux entre les
pays. Ainsi les flux de capitaux des pays industrialisés
vers les pays en développement ont triplé, passant
de 40 milliards de dollars en 1990 à 125 milliards de dollars
en 1994.
J'ai moi-même pu observer en Asie et en Amérique
latine les effets très positifs de cette tendance : de nouvelles
infrastructures, de nouveaux équipements et installations
industrielles, ainsi qu'une plus grande compétitivité.
Nous assistons à un remarquable renforcement du processus
de libéralisation des échanges.
De la même manière, lorsqu'on analyse la performance
économique, tant des pays industrialisés qu'en développement,
on voit très clairement que ceux qui ont libéralisé
leurs échanges, ouvert leurs frontières à
l'épargne étrangère, et ont travaillé
pour favoriser une plus grande intégration de leurs économies
connaissent une croissance plus vigoureuse.
Bien sûr que tout ne tourne pas toujours sur des roulettes
dans cette course à la mondialisation. Les conditions économiques
et politiques qui prévalaient au Mexique à la fin
de 1994 ont coïncidé avec un affaiblissement du climat
d'investissement dans les pays industrialisés. Résultat
: la crise de change qui a secoué le Mexique.
Je me suis rendu en Amérique du Sud dans les semaines qui
ont suivi la crise mexicaine. Je me souviens des graves inquiétudes
qu'avaient les dirigeants au Brésil, en Argentine et au
Chili. Si ces pays commercent très peu avec le Mexique,
la crise eut un effet instantané sur leurs taux de change.
Ces événements nous ont montré que les mouvements
de capitaux, tant par leur importance que par leur rapidité
et leur ampleur, étaient à la fois porteurs de menaces
et d'avantages. L'information économique voyage à
la vitesse de l'éclair. Les réactions peuvent être
imprévues et brutales.
Le principal enseignement que nous puissions tirer de cette réaction
des marchés est d'une grande simplicité : lorsque
ses finances publiques sont saines, un État parvient à
mieux absorber de tels chocs.
Tous les pays emprunteurs, petits et grands, doivent prendre note
de ces enseignements. De nombreux pays industrialisés,
y compris le Canada, ont choisi de compter sur les marchés
financiers internationaux pour contribuer au financement non seulement
des investissements, mais également des mesures gouvernementales.
Si cela peut être un choix viable à court terme,
le fardeau croissant de la dette publique et des déficits
budgétaires devient éventuellement insoutenable.
Cela se traduit par des taux d'intérêt de plus en
plus élevés et une plus grande insécurité
au chapitre des mouvements de capitaux; ce qui peut parfois entraîner
une plus grande volatilité des taux de change.
Tous les pays industrialisés ont dû apprendre leurs
leçons de façon pénible, et ont dû
payer le prix.
Mais maintenant, nous avons compris les fondements. Nous sommes
en train de rétablir notre santé financière,
et nous sommes en train de regagner notre flexibilité financière.
Cela nous permettra de diriger nos ressources financières
limitées vers ceux qui en ont le plus besoin.
Nous pouvons déjà faire état de certains
succès dans l'atteinte de ces buts au Canada. Nous avons
été en mesure de juguler l'inflation, et les sommes
d'argent que le gouvernement canadien est obligé d'emprunter
diminuent rapidement.
D'ici l'année 1997-1998, les besoins financiers du Canada
se situeront bien en bas de 1 % du PIB, comparativement à
2,6 % en 1995-1996. Sur cette base, le Canada connaîtra son
déficit financier le plus bas depuis 30 ans, et le plus
bas parmi nos partenaires du G7.
Il est vrai que la remise en ordre de nos finances limite ce qu'un
gouvernement peut faire à court terme. Cela ne signifie
pas cependant que nous cédons notre souveraineté
aux marchés. En fait, meilleure sera notre situation financière,
moins nous serons vulnérables aux lubies de ces jeunes
ambitieux sur le parquet de la Bourse.
Au niveau international, la clé, c'est de voir venir une
crise comme celle que nous avons vue au Mexique avant qu'elle
ne se déclare. Puis, de pouvoir nous mobiliser et agir
rapidement.
Depuis la conférence de Bretton Woods en 1944, nous avons
constamment amélioré le filet de sécurité
du système financier mondial. En 1994 et 1995, nous avons
constaté que le filet avait quelques nouveaux trous. Lors
du Sommet de Halifax, le G7 a lancé un certain nombre d'initiatives
destinées à améliorer les mécanismes
de notre filet de sécurité.
Depuis, nous avons amélioré la capacité avec
laquelle le FMI peut prévoir les crises, nous avons mis
au point de meilleures normes en matière de traitement
des données, nous avons mis en place un dispositif de financement
d'urgence, et nous travaillons actuellement à doubler les
ressources d'appoint qui sont à la disposition du FMI en
cas de crise.
Le Sommet de Lyon tablera sur les progrès réalisés
lors du Sommet d'Halifax en abordant le thème des moyens
qui permettaient une meilleure intégration des pays en
développement à l'économie mondialisée.
L'un des problèmes qui ralentit l'intégration de
certains des pays les plus pauvres est leur niveau d'endettement.
Nous avons demandé avec insistance à la Banque mondiale
et au FMI de s'attaquer au problème de l'endettement des
pays en développement qui sont parmi les plus pauvres et
les plus endettés.
Le Canada et d'autres pays créanciers ont fait énormément
de progrès dans le but d'alléger le fardeau de la
dette de ces pays par la réduction de la dette bilatérale
au Club de Paris. Nous sommes disposés à en faire
davantage. Mais nous croyons que les problèmes de dette
multilatérale pourraient se régler en ayant recours
dans une large mesure aux dispositifs multilatéraux et
non pas aux dispositifs bilatéraux.
Je viens d'évoquer le risque rattaché à la
mondialisation de l'économie et ce que nous pouvons faire
pour le réduire.
Mais je crois fermement et sincèrement que les avantages
potentiels d'une économie mondialisée l'emportent
largement sur les risques qu'elle représente.
Je n'ai jamais caché qu'à mon avis, le commerce
accru avec la Chine, l'Inde et avec d'autres pays en voie de développement
est l'une des meilleures façons d'apporter des améliorations
à la vie des gens ordinaires sur notre planète.
Je crois fermement qu'il s'agit là de la clé qui
nous ouvrira les portes d'un ordre économique et politique
international offrant à tous davantage de sécurité.
La libéralisation du commerce et des investissements rapproche
les pays et accroît la prospérité économique.
Elle ouvre également le dialogue au sujet des problèmes
de tous les jours.
Traditionnellement, le Canada a toujours cru fermement au multilatéralisme.
Nous croyons que la meilleure façon d'amener les autres
pays à effectuer des changements positifs est de les faire
participer, et non pas de les isoler.
Pour nous, cette expérience internationale représente
un actif important. Le Canada est une société bilingue
et multiculturelle, un pays qui a participé de façon
active aux affaires mondiales. En conséquence, nous sommes
en mesure de créer des liens avec les cultures sur tous
les continents. Dans un monde qui s'achemine vers une mondialisation
toujours accrue, il s'agit là d'un avantage majeur.
Je sais cependant que cette nouvelle ouverture, que ces nouvelles
occasions mondiales et ces nouveaux marchés, peuvent également
susciter des inquiétudes. Je sais que dans les économies
plus développées, les gens s'inquiètent de
l'ampleur et de la rapidité des changements. Cela est vrai
au Canada, comme aussi dans bien d'autres endroits à travers
le monde.
Les gens s'inquiètent de leur emploi; ils s'inquiètent
aussi des possibilités d'emploi pour leurs enfants. Ils
ne sont pas sûrs qu'ils peuvent vraiment envisager une vie
plus sûre et plus prospère. Il est difficile pour
les gens de comprendre et d'accepter les forces économiques
beaucoup plus vastes qui transforment nos vies aujourd'hui.
La sécurité d'emploi ne peut être garantie
en fermant la porte aux forces du changement. Ce n'est pas en
se mettant la tête dans le sable que l'autruche peut se
défendre ou tirer avantage des nouvelles possibilités.
La sécurité, cela signifie avoir confiance en nous-mêmes
pour faire face à une communauté mondiale dynamique
en évolution.
Les enjeux et les défis sont nombreux et complexes. Ainsi,
l'expansion rapide des activités dans le domaine des télécommunications
ouvre bien des perspectives enthousiasmantes, particulièrement
pour les pays tels que le Canada qui font preuve d'un leadership
innovateur dans ce domaine. Cette expansion rapproche également
les gens et les pays dans une communauté mondiale et ouvre
la porte à de nouvelles idées, à de nouvelles
valeurs, et à de nouvelles créations. Oui, bien
sûr, il s'agit d'une remise en question du statu quo, et
de nos identités culturelles distinctes. Il nous faut trouver
une approche équilibrée.
Il n'y a pas de façon facile de nous adapter aux nombreux
défis qui se posent à nous.
Certains voudraient remonter le temps pour retrouver des jours
plus tranquilles.
Cela est impossible. Nous ne pouvons éviter le changement.
Nous ne pouvons pas arrêter les progrès techniques.
Nous ne pouvons pas non plus arrêter la mondialisation.
Nous devons faire face au changement, et nous devons nous y ajuster.
Nous avons la responsabilité à l'égard des
pauvres de ce monde que tous ces progrès se révèlent
à leur avantage.
N'oublions pas que le système financier mondial fait ce
qu'il est censé faire : un grand flux de capitaux, qui
va des investisseurs aux pays développés et en voie
de développement.
Quel est l'effet de la mondialisation sur les valeurs humaines?
De toute évidence, à cet égard, le dossier
est bien ambigu. Mais je suis convaincu que dans l'ensemble, la
mondialisation entraîne bien des changements positifs, y
compris une plus grande prospérité pour plus de
gens dans un plus grand nombre de pays, et l'ouverture de sociétés
qui jusqu'ici étaient très fermées.
Si nous regardons autour de nous dans le monde, et particulièrement
dans des régions telles que l'Amérique centrale
et l'Afrique, nous constatons maintenant la présence de
plus en plus de gouvernements démocratiques, qui sont maintenant
la norme plutôt que l'exception. Je crois qu'il ne s'agit
pas là d'une coïncidence, mais que la mondialisation
s'est accompagnée d'un mouvement vers la démocratie
dans bien des États-nations.
Le problème, c'est que bien des pays parmi les plus pauvres
ne peuvent soutenir le rythme. Ils sont en train de se faire marginaliser.
Nous le voyons dans l'Afrique du sud du Sahara, dans les Antilles,
comme aussi en Amérique centrale. J'ai parlé de
ces préoccupations avec bien des chefs politiques de ces
régions au cours des derniers six mois : au Sommet de la
Francophonie au Bénin, au Sommet des Antilles Canada-Commonwealth
à Grenade, et au cours de la semaine dernière à
Ottawa avec six leaders de l'Amérique centrale.
Ce qui m'a frappé, c'est le fait que la préoccupation
principale de ces leaders ne soit pas l'aide. Leurs économies
peu robustes sont assaillies par des forces sur lesquelles ils
n'ont aucun contrôle. Ce qu'ils veulent, c'est de l'aide
pour s'adapter à ces changements rapides.
Nous ne pouvons négliger ces appels à l'aide. Déjà,
nous permettons à 90 % des marchandises en provenance de
ces pays d'entrer au Canada en franchise de droits. Nous continuerons
à travailler avec ces gouvernements afin de les aider à
préparer leurs économies à faire face aux
changements auxquels elles devront s'adapter.
Dans nos propres pays, les gouvernements ont un rôle très
important à jouer afin de s'assurer que les gens pourront
saisir les avantages du changement, tout en aidant ceux qui ne
peuvent s'adapter aussi rapidement.
Si nous voulons que nos citoyens puissent s'adapter dans ce monde
en évolution rapide, nous devons être prêts
à leur fournir la formation et l'éducation appropriées
pour les aider. Car nous savons qu'il est impossible de garantir
de bons emplois aux générations futures dans une
économie mondialisée sans une éducation supérieure.
Nous devons également maintenir un filet de sécurité
sociale adéquat, particulièrement à l'intention
des plus vulnérables, et les rassurer que ceux qui ne peuvent
s'adapter pourront pourtant disposer d'une certaine protection.
La remise en ordre des finances publiques nous assurera les ressources
qui nous permettront de remplir cette responsabilité.
Une distribution équitable des fruits d'un commerce accru
au sein des nations du globe nous assurera de la stabilité
à long terme nécessaire pour le progrès et
la prospérité futurs.
Bien des gens pensent que la mondialisation nous impose une saine
discipline qui mènera à des économies plus
fortes à long terme. Je pense qu'il y a une bonne part
de vérité dans cette idée.
Mais comme le faisait remarquer l'économiste John Maynard
Keynes, rien ni personne n'est éternel.
En tant qu'hommes politiques, nous savons que les électeurs
sont beaucoup plus préoccupés par le temps présent
et l'avenir immédiat que par le siècle prochain.
Nous savons également que les jeunes ambitieux sur le parquet
de la Bourse peuvent causer des dégâts considérables
à court terme.
En tant qu'anciens leaders, vous profitez d'une perspective unique.
Vous comprenez les facteurs économiques et politiques immédiats
qui sont en jeu probablement mieux que quiconque. Mais dans ce
forum, vous avez l'occasion d'examiner les enjeux à long
terme dans un environnement qui est relativement à l'abri
des distractions quotidiennes de la vie politique. C'est pourquoi
je serai très intéressé d'avoir vos avis
sur ces sujets importants.
Comme je l'ai dit plus tôt, je crois que nous devons faire
face au changement, et non pas lui tourner le dos. J'ai pleine
confiance que nous saurons relever ces nouveaux défis en
harnachant la dynamique du changement, tout comme nos ancêtres
l'ont fait avant nous.
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