Notes pour une allocution du greffier du Conseil privé, secrétaire du Cabinet
et chef de la fonction publique,
M. Alex Himelfarb
à l’occasion du
Symposium de l’Association professionnelle
des cadres de la fonction publique du Canada
« Le défi intermestique »
Ottawa (Ontario)
Le 5 juin 2002
Merci beaucoup, Claire. Et merci, Michel.
Vous savez, il était prévu depuis longtemps que je monte sur cette scène
en compagnie de Claire pour m’adresser à vous, mais comme coprésident, pas
comme greffier. Quelle surprise pour tout le monde! Quelle surprise pour moi!
Effrayant... intimidant... incroyable. En tout cas, je suis ici comme greffier.
Wow!
Mes amis savent que je n’ai jamais lu un discours écrit, mais mes
collègues au Conseil privé m’ont expliqué que tout doit changer maintenant,
puisque je suis greffier. On doit être prudent, particulièrement moi.
Et j’ai ici un discours bien écrit, excellent, pour une autre fois.
Je vais vous parler seulement pendant quelques minutes. Les dernières
semaines ont été folles. En fait, les derniers mois, l’ont été tout autant.
Il est difficile d’être fonctionnaire, ne trouvez-vous pas, quand on y
songe? Les événements du 11 septembre ont tout bousculé, ils ont
modifié notre façon à tous de voir le monde, notre confiance dans l’avenir,
notre confiance dans le gouvernement. Mais les fonctionnaires de presque tous
les ministères n’ont pas eu le temps d’y penser beaucoup : ils ont dû
intervenir pour assurer la sécurité des aéroports, s’occuper de voyageurs
laissés en plan, veiller à la sécurité des frontières, travailler en
collaboration avec les États-Unis, et trouver de nouvelles façons de faire les
choses, en plus de s’acquitter de leur charge de travail. Et je pense que nous
nous sommes remarquablement bien tirés d’affaire.
En plus de cela, nous avons fait face à des controverses répétées au
sujet de l’administration des programmes, la plus récente au sujet du
programme des commandites. Et, des erreurs ont été mises au jour. Or, ces
histoires nous blessent profondément, car il n’y a pas de groupe qui tire
plus de fierté de son intégrité et de ses valeurs que le nôtre.
Les valeurs et l’intégrité de la fonction publique ont été par le
passé une source d’avantage comparatif énorme pour le Canada. Elles le sont
encore, et elles le seront toujours. Je sais que c’est difficile, mais
ensemble nous réparerons les erreurs et nous continuerons d’assurer les
Canadiens et les Canadiennes que nous sommes les meilleurs au monde.
Et, bien sûr, nous avons découvert à quel point le monde de la politique
est volatil et excitant.
J’allais dire « merde de merde », mais je sais que c’est
exactement ce qui inquiétait mes collègues du Conseil privé. Je ne le dirai
donc pas, car c’est tout à fait inopportun. Et je veux qu’il soit bien
noté que je ne l’ai pas dit.
Mais nous vivons à une époque excitante et je n’ai pas besoin de ce genre
d’excitation.
Cela crée du stress dans les ministères qui sont touchés. Ça crée du
stress partout dans la fonction publique. Cependant, c’est aussi une occasion
de nous concentrer sur ce qui nous donne le plus de fierté et sur ce à quoi
nous excellons comme fonction publique professionnelle et impartiale.
Nous en sommes là où nous pouvons accomplir beaucoup. C’est le moment de
nous concentrer sur nos valeurs de base et de les réaffirmer : intégrité
et excellence dans tout ce que nous faisons; respecter les gens, les citoyens,
les employés, les collègues, les élus; inclure la diversité comme source de
force; dualité linguistique – je reviendrai sur ce point – et adaptabilité.
Si nous ne pouvons accepter le changement et en être les chefs de file, nous
devons à tout le moins nous y adapter, mais protéger en même temps les
institutions qui font la spécifité et la force du Canada.
C’est le moment de revenir aux compétences que nous savons le mieux
exercer : analyser rigoureusement les politiques, élaborer des options
stratégiques créatrices et des modes de prestation innovateurs, gérer
efficacement les ressources et tenant toujours compte du rapport qualité-prix,
conseiller avec courage, exécuter avec loyauté. Telles sont les choses que
nous savons bien faire. Et nous avons une occasion réelle, voire une
obligation, de nous remettre à cela, de réaffirmer nos engagements, de faire
ce pour quoi on nous paye, de faire ce pour quoi nous avons été embauchés, de
faire ce qui nous a attirés à la fonction publique.
C’est le moment de nous rappeler les valeurs et les principes canadiens que
nous sommes chargés de faire respecter : démocratie pluraliste;
fédéralisme; multiculturalisme; dualité linguistique; place particulière des
Autochtones; liberté et égalité inhérentes de tous les individus; paix,
ordre et bon gouvernement; ouverture au monde; et tout ce qu’on entend par «
défis intermestiques ».
Vous savez, nous sommes fort en beaucoup de choses, mais pas en fabrication
de mots. « Horizontalité? » « Intermestique? » Pardon?
C’est le moment de nous tourner les uns vers les autres, de dépendre les
uns des autres, de compter les uns sur les autres, mais aussi de nous parler
franchement les uns aux autres.
Vous savez, je parlais avec de nouveaux cadres de direction hier, et il me
vient à l’esprit que nous avons un pied dans le passé et l’autre dans l’avenir.
Nous ne devrions donc pas nous étonner du fait qu’il y a des tensions et de l’ambiguïté
et parfois même des messages contradictoires. On vous a dit, et vous avez dit
à d’autres : « Allez vite; ralentissez. Ayez l’esprit d’entreprise;
ne prenez pas de risques. Prenez des risques; ne faites pas d’erreurs. Soyez
audacieux; soyez prudents. Soyez créateurs; ne dites rien qui s’écarte de la
norme ». Et vous ressentez parfois les mêmes contradictions intérieurement.
La seule façon de les résoudre est de nous parler franchement.
Premier principe : les erreurs sont mauvaises. Je ne sais pas où nous
avons pris l’idée que les erreurs sont bonnes. On ne dirait pas : « Aïe, il
a fait une erreur! Très bien! ».
Deuxième principe : les erreurs varient. Certaines sont vraiment
profondes. Les erreurs d’éthique et les violations de la loi sont
inacceptables. D’autres erreurs sont inévitables. Elles ne sont pas bonnes,
mais on ne peut les éviter, et il faut en tirer des enseignements.
Prendre des risques est acceptable si les risques le sont. Mais il est
inadmissible de prendre des risques qui sont inacceptables. Nous devons être
clairs et honnêtes les uns avec les autres, et déterminer quels risques sont
acceptables. Ne forcez pas les employés à prendre le risque et à faire l’erreur.
Pensez-y sérieusement.
Nos valeurs doivent être plus puissantes que la hiérarchie, et notre
honnêteté doit être meilleure que nos discours. C’est le moment de nous
parler franchement et de travailler ensemble, de nous appuyer les uns sur les
autres, de dépendre les uns des autres.
En ce qui concerne les valeurs, on m’a reproché d’être un peu fanatique
au sujet du Canada. Je suis épris du Canada, et je ne m’en cache pas. Les
gens de mon ministère étaient las de mes discours qui faisaient l’apologie
du Canada. Pour moi, le Canada n’est pas un drapeau, ni un symbole, ni une
question d’identité; c’est un pays où les gens peuvent être ce qu’ils
choisissent d’être, s’identifier à de nombreux groupes, et posséder
vraiment une liberté profonde. Et cela se fonde sur un ensemble de principes de
base que nous faisons respecter.
Il y a une semaine ou deux, quelqu’un m’a dit que j’étais le premier
immigrant à devenir greffier. J’ai pensé : « Mon vieux, voilà la manière
canadienne ». C’est épatant. Cela me remplit d’une fierté incroyable.
Nous devons retourner aux valeurs de base. Nous devons nous les approprier et
les faire nôtres. Je ne pense pas qu’il soit mauvais d’en être passionnés,
d’être passionnés du Canada, d’être passionnés de la fonction publique,
d’être passionnés des gens. Je pense que c’est très bien.
C’est aussi le moment d’approfondir notre compréhension de l’obligation
de rendre compte. Il existe actuellement une transparence incroyable, et on
entend dire toutes sortes de choses au sujet de l’obligation de rendre compte.
Celle-ci est une bonne chose; elle nous permet de garder la confiance du public,
de la servir, et de servir l’intérêt public dans une démocratie pluraliste.
Il est également vrai que, si nous pouvons déléguer des pouvoirs, nous —
les gens qui sont dans cette salle, y compris moi — ne pouvons déléguer l’obligation
de rendre compte, car elle n’est pas délégable. Nous l’avons et nous la
gardons. Lorsque nous déléguons des pouvoirs, nous nous assurons que le cadre
dans lequel le délégataire va travailler est clair, qu’il possède les
connaissances et les outils voulus pour accomplir le travail, que nous les
soutenons et que nous encaissons les coups, car l’obligation de rendre compte
n’est pas délégable.
Cela signifie que nous rendons compte de nos progrès aux Canadiens. Cette
obligation n’est pas une mauvaise chose — nous avons beaucoup de progrès à
signaler. Cela signifie également que nous rendons des comptes aux Canadiens
lorsque nous avons eu un échec ou commis des erreurs, et que nous les informons
des mesures correctrices que nous avons prises pour nous remettre dans la bonne
voie.
L’obligation de rendre compte est une bonne chose. Nous ne l’esquivons
pas. Nous en sommes fiers; elle fait partie de la fonction publique, de ce dont
nous tirons de la fierté. C’est donc le moment de nous tourner de nouveau
vers l’obligation de rendre compte en tant que force positive pour la
démocratie et façon de édifier la confiance. Cette obligation n’a rien à
voir avec le blâme. Elle a tout à voir avec la responsabilité.
C’est le moment de faire très attention à ne pas être hypocrites quand
nous parlons. Et, chaque fois que je parle de la dualité linguistique, je me
sens mal à l’aise, non pas parce que mon système de valeurs ne l’embrasse
pas comme une force fondamentale au Canada, mais parce que ma langue me trompe
parfois.
Il est important que les cadres supérieurs de la fonction publique donnent
forme à l’engagement du gouvernement envers l’égalité de statut et d’utilisation
des deux langues officielles et envers les droits des employés de travailler
dans la langue de leur choix.
Nous ne devons pas nous contenter de montrer que nous prenons au sérieux l’obligation
du gouvernement à cet égard, parce qu'il faut prouver que les choses peuvent
fonctionner. Les Canadiennes et les Canadiens peuvent communiquer avec le
gouvernement du Canada dans l’une ou l’autre des deux langues officielles.
Les employés de la fonction publique peuvent également communiquer avec
leurs supérieurs dans l’une ou l’autre des deux langues officielles.
Nous n’avons pas encore fait suffisamment sur ce plan. Je n’ai pas
encore fait suffisamment sur ce plan. Voilà pourquoi la question des langues
officielles est une priorité stratégique cette année encore pour nous, et
particulièrement pour moi.
Nous pouvons faire encore beaucoup. Nous pouvons tous travailler plus fort
pour améliorer nos compétences en langue seconde. En outre, en qualité de
cadres supérieurs et de dirigeants de la fonction publique, nous pouvons faire
beaucoup au sein de nos ministères et directions pour que la fonction publique
devienne davantage bilingue.
Nous pouvons offrir une formation linguistique plus importante à nos
employés en début de carrière. Nous pouvons essayer de faire en sorte que nos
employés se sentent libres de s’exprimer dans la langue de leur choix. Nous
pouvons aider ceux et celles qui veulent maintenir leurs compétences en langue
seconde entre deux tests en les incitant à appliquer leurs compétences
linguistiques dans des activités professionnelles et sociales en milieu de
travail. Il suffit qu’ils entendent quotidiennement parler français et
anglais au travail pour que les gens aient envie de pratiquer leur langue
seconde.
Bien sûr, mon plan commence par moi-même. Mon français va s’améliorer,
garanti.
Je suis bilingue. Mon corps est bilingue. Mes oreilles sont bilingues. Mon
coeur est bilingue. C’est seulement ma langue qui me trompe!
Le leadership par l’exemple commence donc par moi-même. Promis.
Nous exprimer franchement, nous tourner les uns vers les autres, réaffirmer
nos valeurs, réaffirmer notre engagement à l’égard des résultats, envers
les Canadiens et en faveur de l’obligation de rendre compte. Ce n’est pas
une mauvaise recette.
Nous avons la chance de créer des politiques, une gestion et un programme de
services extraordinairement emballants. Nous avons l’obligation de le faire,
car les Canadiens l’exigent de nous.
C’est le moment d’innover, d’aller au delà de la hiérarchie, de nous
assurer que celle-ci ne fait pas obstacle au dialogue, que les lignes de
démarcation ministérielles et gouvernementales n’entravent pas la
collaboration. C’est le moment de former des partenariats.
À l’automne, nous aurons un programme dans lequel, entre autres, nous nous
engagerons réellement, envers les Canadiens à observer les normes éthiques
les plus élevées, parce qu’ils ont monté la barre. En fait, celle-ci a
été relevée partout dans le monde. Pourquoi ne serions-nous pas les premiers
à la monter en tant que fonction publique?
Notre programme comprend la réforme des ressources humaines (RH). J’ai lu
des articles : « Oh non! Mel est parti, Alex l’a remplacé, la réforme des
ressources humaines est morte! » Elle est au contraire très vivante, mais elle
pourrait simplement être différente.
C’est un engagement. Nous voulons que la fonction publique soit le meilleur
milieu de travail possible. Nous avons d’excellents éléments, et nous
voulons qu’ils puissent s’épanouir pleinement. Nous devons attirer plus d’éléments
prometteurs pour l’avenir. Nous devons être une fonction publique perméable,
mobile et stimulante. Nous devons être pénétrés en tout, sur le plan
institutionnel comme dans tous nos comportements, des valeurs grâce auxquelles
nous sommes les meilleurs.
Nous aurons la réforme des RH et celle des soins de santé; nous aurons un
programme d’innovation et un programme d’apprentissage et d’acquisition de
compétences; nous nous rapprocherons des Autochtones et des pauvres, et nous
ferons en sorte que tous les enfants aient un bon début dans la vie. C’est
là un programme énorme; nous allons lui donner forme et pertinence pour les
Canadiens, et il sera tourné vers l’avenir.
Nous offrirons aux élus les options les plus intéressantes qu’ils n’ont
jamais vues. Ils auront des choix qu’ils n’ont jamais eus auparavant, et
nous ferons bon ménage ensemble.
Vous savez, je pense tous les jours au privilège que représente le fait d’être
fonctionnaire. J’ai ce sentiment aujourd’hui encore plus qu’il y a
20 ans, à mon arrivée à la fonction publique. Il m’arrive parfois d’être
dans une salle avec des décideurs et de me demander : « Est-ce qu’ils
vont me remarquer, ou me demander de sortir? Comment suis-je arrivé ici? »
Quelle joie, quel privilège! Et cela est vrai pour nous tous. Nous pouvons en
faire une réalité.
C’est le moment de nous rappeler combien il est formidable d’être
fonctionnaires. Merci beaucoup.
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