Chapitre
2.3 - Projets
de loi : rédaction et approbation par le Cabinet
Aperçu
Le présent chapitre complète la section 4 de la Directive du
Cabinet sur l’activité législative. Il traite des diverses étapes
relatives à la mise en forme législative des orientations et objectifs,
et à l’approbation par le Cabinet du projet de loi qui en résulte. Il
dresse un portrait des activités et des résultats liés à ce processus.
Sommaire
- Sommaire du processus de rédaction et d’approbation des projets de
loi
- Protocole de rédaction législative
- Comment les projets de loi sont-ils rédigés?
- Activités et résultats liés à la rédaction et à l’approbation
des projets de loi
Destinataires
- Les fonctionnaires qui participent à la rédaction des projets de
loi et qui sont chargés de les soumettre à l’approbation du Cabinet.
Messages
clés
- La rédaction d’un projet de loi est une tâche complexe et cruciale
au sein du processus et on ne saurait surestimer le temps et les efforts
qu’elle exige.
- Les projets de loi sont rédigés selon des normes bien
établies : les conventions de rédaction législative.
- Les fonctionnaires responsables des programmes doivent être prêts à
réagir à l’analyse critique du projet de loi à laquelle se livrera
le leader du gouvernement à la Chambre des communes.
- Cette étape devrait servir de préparation à l’étape du processus
parlementaire.
Sommaire
du processus de rédaction et d’approbation des projets de loi
Rédaction des
projets de loi
Le processus rédactionnel s'ouvre par une décision du Cabinet
autorisant, conformément aux instructions qu'elle comporte, la rédaction
d'un projet de loi.
La Section de la législation, qui fait partie de la Direction des
services législatifs du ministère de la Justice, est chargée de la
rédaction de tous les projets de loi émanant du gouvernement. Elle
se compose de conseillers juridiques spécialisés en rédaction legislative
(légistes) qui jouissent de l'appui d'autres personnels de la Direction,
notamment ceux des services de Jurilinguistique, de Révision législative
et d'Informatique. Elle comporte également un bureau satellite au
ministère des Finances, chargé de la rédaction des projets de nature
fiscale.
Tout projet de loi est rédigé par une équipe de deux légistes de la
Section de la législation travaillant parallèlement aux versions
française et anglaise. Aucune des deux versions n’est subordonnée à l’autre.
La corédaction tient par ailleurs compte du bijuridisme, chaque légiste
ayant habituellement étudié soit la common law, soit le droit civil. L’un
des deux a la responsabilité première de communiquer avec les chargés de
projet et de gérer les tâches administratives. Le ministère parrain peut
vouloir consulter d’autres ministères sur l’avant-projet de loi.
Les chargés de projet, qu'ils soient ou non conseillers juridiques
auprès du ministère responsable du projet, jouent un rôle essentiel. Ils
fournissent aux légistes la matière – contexte, détails,
objectifs, documentation et autres renseignements techniques –
nécessaire à la réalisation d'un texte de loi qui soit conforme à la
fois à la décision du Cabinet et aux objectifs poursuivis par le
ministère. Ils analysent et commentent chacune des ébauches préparées
par la Section de la législation au cours de la navette.
La tradition veut que les avant-projets de loi soient traités comme des
documents secrets du Cabinet. De nos jours, toutefois, la Directive du
Cabinet sur l’activité législative permet aux ministères de
procéder, avec l’autorisation du Cabinet, à des consultations au sujet
des avant-projets de loi.
Les aspects financiers du projet devraient être pris en compte au plus
tôt dans le processus rédactionnel afin de déterminer si la
recommandation royale (dépenses publiques) ou une motion de voies et moyens
(mesures fiscales) est requise. Ces questions peuvent avoir un effet
déterminant sur la planification législative du gouvernement, notamment
sur le choix de la chambre où le projet de loi sera d’abord
déposé : Sénat ou Communes. Ces questions résolues, les légistes
pourront en aviser le Secrétariat de la législation et de la planification
parlementaire/Conseiller du BCP. Le ministère des Finances devrait être
consulté sur le besoin de recourir à une motion de voies et moyens.
Pendant la rédaction du projet de loi, le ministère parrain prépare la
documentation qui sera nécessaire à l’examen du projet par le leader du
gouvernement à la Chambre des communes et au cours du processus
parlementaire; en voici les principaux éléments :
- les cahiers d’information à l’usage du ministre ou du
secrétaire parlementaire et des membres des comités parlementaires
qui étudieront le projet de loi;
- des ébauches des déclarations que feront le ministre, le
secrétaire parlementaire et d’autres représentants du gouvernement
au cours des débats aux diverses étapes du processus parlementaire;
- un document d’information succinct décrivant le projet de loi;
- les documents mis au point au chapitre des communications.
Dans la phase finale de sa rédaction, le projet de loi est
imprimé par St-Joseph Ottawa-Hull en vue d’être soumis au
processus d’approbation par le Cabinet.
Approbation des
projets de loi par le Cabinet
Une fois le projet de loi rédigé dans les deux langues officielles à
la satisfaction du ministère parrain, du ministre responsable, du directeur
de la Section de la législation et du Bureau du Conseil
privé, il doit être approuvé par le Cabinet avant d’être présenté au
Parlement.
Le processus d’approbation par le Cabinet comporte plusieurs
étapes :
- Le personnel du Secrétariat de la législation et de la
planification parlementaire/Conseiller (SL&PP/C) communique avec l’adjoint
législatif du ministre parrain pour coordonner le moment du dépôt
du projet de loi.
- Tout au long du processus d’impression, les copies sont envoyées
directement au SL&PP/C et au ministère parrain.
- Le SL&PP/C examine le projet de loi et consulte le secrétariat
approprié du BCP pour s’assurer qu’il correspond aux objectifs
approuvés par le Cabinet.
- Le SL&PP/C prépare une note de breffage à l’intention du
leader du gouvernement à la Chambre des communes.
- Le SL&PP/C remet le projet de loi et la documentation au leader
du gouvernement à la Chambre des communes. Celui-ci procède à un
examen détaillé, au terme duquel il prend la décision de
recommander ou non au Cabinet le dépôt au Parlement.
- S’il en recommande le dépôt, le leader du gouvernement à la
Chambre des communes demande au Cabinet de lui déléguer le pouvoir d’approuver
le projet de loi en vue de son dépôt.
- Après la réunion du Cabinet, et avant le dépôt du projet de loi,
le SL&PP/C distribue le projet de loi accompagné d’un nouveau
mémoire au Cabinet.
Protocole
de rédaction législative
Vue
d'ensemble
Le 30 octobre 1840, Stendhal écrivait à Balzac qu'il lisait chaque jour
quelques pages du Code civil pour s'imprégner de son style naturel. Ceux
qui lisent les lois fédérales à cette fin ne sont sans doute pas légion.
Quoi qu'il en soit, on reconnaît celles-ci à un style qui, pensent les
légistes, est en rapport avec le rôle que joue la législation dans notre
société.
La langue française et la langue anglaise constituent le matériau de
base des lois et des règlements, puisant à la fois dans le vocabulaire
courant et dans le vocabulaire juridique. On trouve aussi parfois des
formules mathématiques dans certains types de textes.
Les conventions de rédaction législative viennent modeler le texte de
loi : elles sont à la langue ce que sont les conventions
constitutionnelles au droit constitutionnel.
On peut dire qu'elles découlent d'un certain usage, que le passage du
temps est venu consacrer. Ainsi, les légistes auront le plus souvent
recours au présent de l'indicatif pour exprimer l'obligation. Cela ne veut
pas dire que le futur ou d'autres formulations soient incorrectes, mais tel
est l'usage reconnu dans la francophonie.
Par ailleurs, les légistes ne peuvent déroger à la grammaire
courante : le faire porterait atteinte à l'intégrité de la langue et
serait source de confusion.
Une remarque : le texte qui suit expose des règles qui s'appuient
sur le génie de la langue française. Ces règles ne sont pas
nécessairement transposables en anglais, pas plus que les règles de
l'anglais n'ont droit de cité en français. Le lecteur est donc invité à
lire la version anglaise de ce texte, et à comparer les leçons qu'il peut
en tirer.
Le lecteur trouvera dans le protocole canadien de rédaction législative
publié par la Conférence pour l’harmonisation des lois au Canada un
aperçu de normes de rédaction législative généralement reconnues :
http://www.law.ualberta.ca/alri/ulc/acts/fdraft.htm).
Comment
éviter les ambiguïtés ou imprécisions en rédaction législative?
Une des fonctions premières des conventions législatives est d'éviter
les ambiguïtés et les imprécisions de la langue dans les lois et les
règlements.
Une des difficultés principales, en rédaction, découle de la
polysémie, c'est-à-dire le fait qu'un même mot ait parfois plusieurs
sens. Et le droit ne fait pas exception : qu'on songe au mot
« droit » lui-même, qui désigne tantôt la science juridique,
tantôt l'ensemble des règles de conduite que se donne une société,
tantôt une prérogative individuelle sanctionnée par la loi, tantôt une
somme d'argent versée aux pouvoirs publics, etc.; il en va de même de
« cause », « objet », « acte »,
« disposition » ou « conseil ». La plupart du temps,
c'est le contexte d'une phrase qui permet de résoudre les difficultés de
polysémie. La convention veut que le légiste évite d'employer le même
mot dans des acceptions différentes.
Les
définitions
Le légiste aura souvent recours à la technique de la définition pour
limiter les effets de la polysémie. La définition équivaut alors à une
règle d'interprétation instantanée dont la portée est limitée au texte
où elle se trouve.
Certaines définitions servent à alléger le texte :
« Conseil » pour « Conseil de la radiodiffusion et des
télécommunications du Canada ». D'autres serviront à préciser ou
à étendre la portée d'un terme. Ainsi, on pourra assimiler à
« végétal », les « graines, pollens, spores et cultures
tissulaires » du végétal visé.
La définition ne devrait jamais servir à reproduire la signification
courante d'un terme, telle qu'on la retrouve dans les dictionnaires. La
présence d'une définition ne signifie pas que le terme visé est
particulièrement important, pas plus que l'ensemble des définitions ne
constitue un relevé des termes les plus fréquemment utilisés.
Suivant la convention – elle-même fondée sur le simple bon
sens –, on s'abstiendra de donner par définition un sens artificiel
à un terme. Ainsi, on évitera les définitions du genre : « on
entend par "animal" les animaux et les végétaux [...] ».
Les
éléments des lois et des règlements
L'article est l'unité élémentaire et fondamentale. Aussi convient-il
d'éviter de le fragmenter en sous-unités inférieures au paragraphe. Le
recours aux alinéas et aux sous-alinéas sera limité aux cas de véritable
énumération verticale, où cette présentation permet de mieux saisir
l'articulation d'éléments placés sur le même plan.
L'effet
du bilinguisme
Les conventions rédactionnelles varient selon les exigences
linguistiques propres à chaque langue : celles communément
appliquées en français ne sont pas forcément reconnues en anglais, et
vice-versa.
Les versions françaises des lois plus anciennes, assujetties à des
contraintes de traduction qui ne rendaient pas justice au génie de la
langue, étaient le parfait miroir de la version anglaise. Par exemple, les
définitions propres au français étaient présentées selon l'ordre
alphabétique anglais!
Les définitions illustrent bien l'autonomie de chacune des deux
versions. Il arrive qu'une définition nécessaire dans une langue soit
superflue dans l'autre, ou sensiblement différente. L'exemple le plus
courant est l'adjectif « prescribed », qu'il est nécessaire de
définir en anglais afin de préciser qu'il se rapporte aux règlements. Le
français n'en a pas besoin, car ce rapport ressort clairement de l'adjectif
« réglementaire ».
Conventions
découlant de la procédure parlementaire
Il arrive que la procédure parlementaire (voir Sommaire du processus
parlementaire au chapitre 2.4) engendre des conventions de rédaction
législative.
C'est le cas de la règle voulant que, même si un projet de loi comporte
d'autres divisions, l'unité fondamentale qui jalonne l'étude en comité
– et l’objet des votes – est l’article. Il est donc de la
première importance de ne regrouper dans un même article que les
éléments qui sont propres à exprimer clairement un seul concept. En
amalgamer plusieurs en un seul article – bien qu’en paragraphes
distincts – aurait pour conséquence de priver les parlementaires, au
moment du vote, de la possibilité de se prononcer de façon significative
sur chacun des concepts.
Par ailleurs, le préavis de dépôt du projet de loi indique le titre
intégral de celui-ci. Le titre doit refléter correctement le contenu du
projet, à défaut de quoi celui-ci pourra être jugé irrecevable. Cette
convention ne vise toutefois pas le titre abrégé qui, au regard de la
procédure parlementaire, n'est qu'un article parmi d'autres.
Comment
faciliter l'accessibilité des textes législatifs?
Bon nombre de conventions de rédaction ont pour objectif de rendre les
textes législatifs plus accessibles, tant du point de vue de leur lecture
que de celui de leur consultation. La plupart des utilisateurs ne lisent pas
les lois ou les règlements dans leur entier, car seules quelques
dispositions les intéressent. Celles-ci ont donc intérêt à être
agencées selon un ordre logique et constant.
On a vu que, par convention, c'est l'article qui est l'unité de base. Un
texte peut ou non comporter des parties, sections ou sous-sections, mais la
numérotation des articles est continue d'un bout à l'autre du texte; elle
n'est donc pas renouvelée à chaque division.
L'article devrait ne comporter qu'une seule idée, exprimée le plus
souvent par une seule phrase; plusieurs idées connexes seront quant à
elles regroupées en autant de paragraphes sous un même article.
On évite, toujours par convention, de renuméroter des dispositions
existantes, de façon à éviter toute confusion possible dans les renvois.
Dans la formulation de la règle de droit, on favorisera toujours la
logique : pour une activité réglementée, on prévoira d'abord la
délivrance des permis, ensuite leur suspension ou révocation.
Il importe de structurer le projet selon les besoins de son lectorat.
Ainsi, on mettra généralement au début du texte les dispositions
concernant l'objet et les principes généraux; celles portant sur la mise
en œuvre, le contrôle d'application et les pouvoirs réglementaires seront
quand à elles mises à la fin.
Comment
faciliter le travail de révision des textes législatifs?
Les lois et les règlements fédéraux font à l'occasion l'objet d'une
révision, ce qui permet d'en retrancher les textes devenus superflus par
abrogation ou autrement et d'y intégrer les textes nouveaux.
Ce processus a engendré un certain nombre de conventions, dont l'effet
premier a été de faciliter le travail des réviseurs, et surtout de ne pas
bouleverser la structure du texte. Ainsi, on regroupera à la fin du projet,
car elles disparaîtront à plus ou moins brève échéance :
- les dispositions transitoires ou à effet limité dans le temps;
- les dispositions abrogatives ou modificatives;
- les dispositions d'entrée en vigueur.
D'autres conventions ont pour but de faciliter le réaménagement
périodique des textes par révision générale ou publication
administrative ponctuelle. En voici quelques exemples qui ont trait
aux projets de loi modificative :
- les modifications seront expresses et non implicites, notamment en
cas d'antinomie entre la nouvelle disposition et une disposition
existante; on évitera ainsi à l'usager d'avoir à trier le bon grain
de l'ivraie;
- les modifications porteront sur le texte directement et non sur son
interprétation; on évitera ainsi les raisonnements spéculatifs et
les interprétations indésirables.
Hormis le cas des changements terminologiques globaux, on remplace
une unité au complet – article, paragraphe, alinéa,
etc. – et non quelques termes à la fois. L'informatique est à
cet égard fort utile aux légistes.
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