VIII
LES PRINCIPES DÉCOULANT DE
L’ OBLIGATION DE RENDRE
COMPTE
L’obligation de rendre compte dans le système découle directement
de la responsabilité des ministres. Ceux-ci répondent de leurs actes
devant le Parlement, où ils sont mis au défi de justifier la manière
dont eux-mêmes ou leurs collaborateurs exercent le pouvoir qui leur
revient légitimement en vertu de la responsabilité constitutionnelle afférente à leur qualité de
ministres. Le Parlement s’attend et exige que les ministres assument
leurs responsabilités, et il a libre accès aux ministres dans le but de
les rendre responsables. Les sous-ministres tiennent presque tous leurs
pouvoirs de leurs ministres respectifs. Ils sont loyaux envers ces
derniers, et sont tenus de participer activement aux décisions politiques
et administratives prises individuellement et collectivement par les
ministres, et de les soutenir activement . En somme, les sous-ministres
sont responsables envers leurs ministres respectifs. 1
Le présent document s’est attaché à faire ressortir la hiérarchie
du pouvoir qui émane de la Couronne ainsi que la manière dont ce pouvoir
a été mis au service du système de gouvernement représentatif. Henry
Parris a résumé en ces termes la longue évolution qui a fondé le
gouvernement parlementaire sur la concentration de la responsabilité
entre les mains des ministres:
[traduction]
Si le conseil reçu par la Couronne émanait d’un fonctionnaire
permanent, que pourraient faire les adversaires de la politique
découlant de ce conseil? Ils ne pourraient pas s’attaquer au ministre,
qui n’était pas leur cible. Ils ne pourraient pas non plus s’attaquer
au fonctionnaire responsable, qu’ils ne pourraient pas faire révoquer
à cause de son statut de fonctionnaire permanent. On a finalement
réglé ce problème en étendant la doctrine de la responsabilité
ministérielle. Dans les cas extrêmes, les ministres démissionnaient
et les fonctionnaires restaient en fonction. Maitland a souligné que «l’immunité
royale est assortie de la responsabilité ministérielle». Lowell a lu
l’inscription qui figurait à l’endos de la médaille : «Le
fonctionnaire permanent, comme le roi, est infaillible».2
Toutefois la Couronne doit évidemment agir «sur avis» de même que
les fonctionnaires doivent se subordonner aux ministres, et ce sont
justement ces considérations qui président à la responsabilité
constitutionnelle des ministres.
Néanmoins, c’est un fait que le gouvernement est une grande
entreprise. Ce n’est pas seulement de nos jours que les ministres ne
peuvent pas savoir tout ce qui se passe sous leur autorité; ce
phénomène est seulement plus prononcé à l’heure actuelle qu’il ne
l’était il y a 200 ans, ce qui ne constitue pas une preuve prima
facie de l’anachronisme de la responsabilité ministérielle. Les
ministres passent une grande partie de leur temps à fournir des
renseignements au
Parlement, ce qui signifie qu’ils doivent fournir et partager les
renseignements, sans pour autant partager leur responsabilité. Le
Parlement a reconnu cette nécessité, et sans déroger à son droit de
tenir les ministres responsables, il a consenti de plus en plus à ce que
les fonctionnaires répondent des dossiers qui, à première vue tout au
moins, ne semblent pas mettre en question la confiance que la Chambre
accorde au ministre. Les pratiques que les comités permanents du
Parlement ont adoptées montrent clairement cette évolution.
Selon les principes fondamentaux de l’obligation de rendre compte, le
pouvoir émane de la Couronne et il est exercé par les ministres qui sont
responsables envers le Parlement. Les fonctionnaires conseillent
les ministres et sont responsables envers ces derniers. Quant à l’obligation
qui incombe aux ministres de rendre compte au Parlement, on peut faire la
distinction entre les questions qui mettent directement en cause ou qui,
au cours des débats, finissent par mettre en cause la confiance que la
Chambre accorde aux ministres d’une part, et les questions qui ne
mettront probablement pas en cause cette confiance. Cette distinction
faite, et eu égard à la nécessité de faire en sorte que les ministres
soient en mesure de tenir les fonctionnaires effectivement responsables,
il est intéressant de noter que selon la pratique en cours, les comités
parlementaires jouent (ou sont susceptibles de jouer) un rôle
considérable en tenant les fonctionnaires respon- sables envers eux
aidant ainsi les ministres à assurer la bonne gestion du service
public et ajoutant à l’efficacité de l’obligation directe ou
officielle qui incombe aux fonctionnaires de rendre compte à leurs
propres ministres.
Les comités parlementaires peuvent bien jouer un rôle dans l’obligation
de rendre compte des sous-ministres, mais il incombe aux ministres de s’assurer
que les sous-ministres, qui sont leurs mandataires, leur rendent compte.
En dernière analyse, dans notre système, les ministres sont élus
pour prendre des décisions tandis que les fonctionnaires sont nommés
pour administrer et pour conseiller. L’obligation de rendre compte
des sous-ministres doit donc refléter harmonieusement les rapports avec
le Premier ministre, le ministre et le Conseil des ministres, que le
sous-ministre doit établir en vertu de la responsabilité qui lui incombe
d’appuyer la responsabilité individuelle et collective des ministres.
L’obligation de rendre compte dépend des moyens systématiquement
mis en oeuvre pour l’appréciation des activités. À cet égard, il y a
lieu de faire la distinction entre les fonctions de conseiller politique
et les fonctions d’administrateur des sous-ministres. L’évaluation du
rôle politique des sous-ministres est essentiellement subjective; elle
concerne également son aptitude à réaliser des objectifs politiques
spécifiques qui ont été établis. Par contre, l’appréciation de ses
fonctions administratives est plus objective et vise son aptitude à
appliquer les normes de gestion et d’autres critères relativement
objectifs. À cet égard, il importe d’accorder aux sous-ministres un
rôle suffisant dans l’établissement et l’application des pratiques
et des modalités de gestion prescrites par les organismes centraux,
lesquelles régissent l’utilisation des ressources essentielles à la
réalisation des objectifs et des programmes du gouvernement.
I1 faut que les sous-ministres comprennent (et si possible, contribuent
à établir) les critères selon lesquels ils seront jugés et tenus
responsables. Cette règle s’applique particulièrement à la
formulation et à la gestion des programmes et à l’administration de
leur ministère. Elle est aussi importante dans le secteur de la
détermination des politiques et de l’établissement des objectifs
politiques, où les sous-ministres doivent s’assurer qu’ils se sont
prévalu de leur droit de présenter leurs vues et de signaler toutes les
entraves administratives ou autres qui pourraient gêner la réalisation d’objectifs
donnés. I1 ne faut pas que la responsabilité des sous-ministres soit
fragmentaire. On ne peut séparer la gestion et les finances de la
politique, et bien qu’on puisse apprécier séparément les activités
des sous-ministres dans ces secteurs, les conclusions ainsi que les
décisions touchant leur carrière doivent être fondées sur une
appréciation globale. Les activités des sous-ministres doivent faire l’objet
de l’appréciation la plus objective possible, leur obligation de rendre
compte doit être fonction du jugement de ceux envers qui ils sont
responsables (à savoir le ministre et le Premier ministre), et ce
jugement doit être fondé sur les meilleures appréciations spécifiques
et méthodiques qui puissent se faire.
Conclusion
L’obligation de rendre compte qui est fondée sur toutes ces
considérations dépend de ce que le Parlement, les ministres, la fonction
publique, et avant tout les sous-ministres et les organismes centraux
comprennent le rôle complexe que jouent les sous-ministres dans le
renforcement des responsabilités assumées individuellement et
collectivement par les ministres. L’obligation de rendre compte du
sous-ministre - qui se fonde sur la responsabilité constitutionnelle de
son ministre, qui est renforcée par la tradition de la responsabilité
collective et qui est rendue plus efficace par sa responsabilité
administrative devant le Parlement - doit s’exercer envers ceux qui l’ont
nommé, qui décideront de son avenir, et auxquels il doit rendre compte.
1
M. Pickersgill a fait
cette observation: [traduction] «... bien qu’il n’appartienne
pas aux fonctionnaires de faire de la politique, ils n’ont pas le
droit de rester neutres entre le gouvernement et l’opposition. Les
fonctionnaires sont tenus de servir loyalement le gouvernement au
pouvoir, peu importe qu’ils approuvent au non sa politique. Les
gouvernements accèdent au pouvoir par la volonté des électeurs,
et les fonctionnaires n’ont nullement le droit de saboter cette
décision, ni même d’y faire obstacle. Aux yeux des meilleurs
fonctionnaires, il ne suffit pas de ne pas faire obstacle à la
volonté politique du ministre et du gouvernement. Les meilleurs d’entre
eux s’efforceront de contribuer dans les limites de leur aptitude
à la formulation, à l’amélioration et à l’exécution de
nouvelles politiques ou des changements de politique adoptés par le
gouvernement au pouvoir, étant donné que c’est le gouvernement,
et non la fonction publique, qui doit rendre compte à l’assemblée
législative et au peuple» (Bureaucrats and Politicians, p.
426 et 427). Lord Armstrong, qui dirigeait la fonction publique de
Grande-Bretagne, tenait les mêmes propos au sujet du rapport entre
la loyauté et la responsabilité, au cours d’un témoignage
devant un comité spécial de la Chambre des communes: [traduction]
«L’impartialité de la fonction publique réside dans le soutien
loyal qu’elle accorde au parti au pouvoir et cette impartialité
ne signifie pas neutralité entre gouvernement et opposition». Voir
Maurice Wright, «The Professional Conduct of Civil Servants» dans Public
Administration, printemps 1973, p. 1 à 15. En ce qui concerne l’avantage
d’un système de fonctionnaires supérieurs permanents et
relativement anonymes, voir Sir William Armstrong, «The Role and
Charter of the Civil Service» publié pour la British Academy
(Oxford, 1970) p. 13 à 16.
2
Voir Parris, Constitutional
Bureaucracy, p. 104 et 105.
[Précédent]
[Table des
matières]
|