Avant-propos
Depuis la Seconde guerre mondiale, le gouvernement du Canada et les
entreprises d’État jouent un rôle de plus en plus important dans la
vie des Canadiens. Les demandes croissantes de la population et la
réponse du gouvernement à ces demandes ont fortement influencé la
manière dont notre société prend conscience de certains problèmes qu’elle
doit résoudre. Les programmes que le gouvernement a établis au cours des
années 1940 et 1950 ont nettement élargi son champ d’activité, ce qui
a entraîné une augmentation correspondante de ses effectifs. Le
gouvernement a pris un rôle actif dans l’élaboration de politiques, et
a mis sur pied des structures complexes pour appuyer cette fonction. Au
cours des vingt dernières années, un nouveau type de fonction publique
est apparu pour pourvoir à ces structures et pour administrer les
programmes complexes qui en sont issues. Une nouvelle catégorie de «coordonateurs»
des politiques et autres spécialistes des relations interministérielles
a été créée. De nouvelles structures ont été mises sur pied en vue
de canaliser les initiatives. Il s’est produit plus de changements dans
l’appareil gouvernemental et dans la variété et l’envergure des
programmes qu’il met en oeuvre que dans toute période comparable de
notre histoire administrative et sociale.
Il y a dix ans, un certain nombre de mesures ont été prises en vue de
moderniser le gouvernement afin qu’il puisse s’acquitter de ses
responsabilités toujours nouvelles et de plus en plus lourdes. Outre les
grands changements organisationnels, comme la création d’un poste de
ministre chargé du Conseil du Trésor et l’élargissement du rôle d’administrateur
central de cet organisme, un grand effort a été fait afin de
rationaliser la procédure gouvernementale. S’inspirant des
disciplines scientifiques et techniques, le gouvernement s’est efforcé
d’adopter des procédures fondées sur la théorie des systèmes
pour organiser l’exécution de ses travaux, mesurer sa productivité et
évaluer ses activités. Il s’agissait d’une profession de foi,
répandue par un petit nombre et adoptée par la multitude, qui voulait
que l’organisation et la méthode seules permettent la solution de
problèmes complexes.
Pendant la décennie qui a suivi, cette théorie a été appliquée à
divers domaines, tels la préparation du budget, le rôle et les fonctions
du Cabinet, la mise sur pied d’un corps de planificateurs professionnels
et la création de mécanismes institutionalisés de coordination «horizontale».
Ces innovations ont toutes été couronnées d’un certain succès, mais
elles n’ont pas toutes comblé les espérances qui avaient présidé à
leur mise en oeuvre et, dans certains cas, on a constaté des effets
secondaires imprévus. Vu l’étendue et la portée des opérations
gouvernementales, on peut dire toutefois que, dans l’ensemble, l’adoption
d’une méthode ordonnée a facilité la résolution de problèmes et l’adoption
de propositions complexes. Mais, avec le recul, on s’aperçoit que la procédure
peut également empêcher de déceler et de résoudre les problèmes et
que, lorsqu’elle est appliquée de façon mécanique ou systématique,
elle est inefficace.
D’importants changements se sont également produits dans les
institutions fondamentales du gouvernement parlementaire et ministériel.
Étant donné la complexité et l’ampleur du gouvernement, l’avènement
de moyens de communication modernes et la participation organisée de la
collectivité à l’action politique, le Parlement a plus de difficultés
à se maintenir au centre des affaires nationales. Les ministres assument
une charge de plus en plus lourde; ils passent plus de temps à résoudre
les problèmes, et ils ont de plus en plus de mal à tenir compte des
préoccupations d’ordre politique dans ce processus. De même, non
seulement la composition de la fonction publique a-t-elle changé, mais la
procédure est si complexe que les fonctionnaires ont de plus en
plus de mal à voir un rapport entre leurs propres fonctions et celles du
gouvernement dans son ensemble.
Voilà maintenant plus de trente ans que le gouvernement fédéral a
commencé à jouer son rôle actuel. Au seuil de la quatrième décennie,
il est manifeste que les problèmes tenant à l’ampleur et à la
complexité du gouvernement ne vont pas diminuer. I1 ressort également qu’une
méthode plus scientifique peut aider tant à l’organisation qu’à la
résolution des problèmes, mais qu’une accumulation de systèmes tend
à rendre l’ensemble encore plus complexe. La responsabilité
constitutionnelle, qui est au coeur du parlementarisme, est cependant
une notion fondamentale. Comprise et appliquée à bon escient, elle doit
garantir non seulement que nos institutions gouvernementales sont
représentatives, mais encore qu’elles peuvent répondre de façon
satisfaisante aux besoins changeants de notre société.
Les Canadiens vivent dans une démocratie politique. Leur gouvernement,
qui est représentatif et donc humain, doit tenir compte des points de
vues et des besoins divergents de l’électorat, organisé ou non, à
travers le pays. Les systèmes et la logique ne peuvent pas toujours
garantir le meilleur gouvernement possible à une nation, et l’expérience
nous a appris que la complexité du gouvernement s’écarte nettement de
la précision mathématique de l’analyse des systèmes.
La représentativité de notre système de gouvernement constitue sa
caractéristique la plus importante. En effet, un gouvernement
parlementaire et ministériel est un gouvernement représentatif, donc
responsable. Si nous examinons le gouvernement et la société depuis la
guerre, notamment au cours des vingt dernières années, nous constatons
que nos efforts pour rendre le gouvernement plus apte à répondre aux
besoins de la collectivité ont souvent été faits sans une connaissance
approfondie des principes d’utilisation responsable du pouvoir qui
sous-tendent l’ensemble de notre droit constitutionnel. Nous avons
établi des programmes pour répondre à des besoins perçus et des
systèmes de gestion interne pour contrôler l’activité gouvernementale
accrue qui découle de ces programmes. Malheureusement, tous ces
changements, mis ensemble, ont milité contre l’exercice ouvert de la
responsabilité constitutionnelle, et, dans une certaine mesure, ils ont
dilué la valeur bénéfique du pouvoir tout comme l’obligation de
rendre compte de son exercice. Ironie du sort, le système passe ainsi aux
yeux de la majorité pour être insensible, et bien que le pouvoir
continue d’être exercé de manière responsable, d’aucuns s’inquiètent
que son exercice soit freiné non pas à cause des principes de
responsabilité, mais plutôt à cause de la complexité du processus
bureaucratique.
Le présent document vise un triple objectif: d’abord, aller au-delà
de la complexité pour exposer l’essentiel du système de gouvernement
parlementaire, en tant que système conçu pour limiter l’exercice du
pouvoir de l’Etat; ensuite, décrire le système constitutionnel au sein
duquel le gouvernement ministériel fonctionne et vis-à-vis duquel la
résolution de problèmes particuliers doit être recherchée; enfin,
expliquer la responsabilité personnelle et l’obligation de
rendre compte qui incombe aux ministres et aux fonctionnaires supérieurs,
ainsi que l’importance de cette obligation pour le fonctionnement du
gouvernement parlementaire.
Le Bureau du Conseil privé
Août 1977
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