Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin 18, 1971

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L'ancienne chapelle des Récollets de Trois-Rivières

par John R. Porter et Léopold Désy

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Ces informations permettent désormais de procéder à l'analyse de la construction de 1754. Le plan de celle-ci s'avère très simple: un vaisseau unique dans lequel les murs du choeur sont dans le prolongement de ceux de la nef. Par ses caractéristiques générales, ce plan rectangulaire rappelle celui de la chapelle de l'Hôpital-Général de Québec. Il présente également des analogies avec le célèbre « plan Maillou », si l'on fait exception de son chevet à fond plat. En effet, dans les deux cas, il s'agit de constructions de petites dimensions dont chacun des murs latéraux est percé de baies cintrées. De plus, la chapelle des Récollets est le seul cas connu d'une église québécoise ancienne où l'on ait pratiqué une ouverture au centre du mur du choeur. Aujourd'hui, cette ouverture n'est perceptible que de l'extérieur (fig. 9), ayant été bouchée à l'intérieur (fig. 13) de l'église par un écran monumental cintré.

À l'extérieur, on se souvient que l'ensemble du mur était originellement « enduit et crépit » mais qu'après la restauration de 1823 il se trouva recouvert d'un mortier gris foncé. En 1754, l'emploi de la pierre de taille fut réservé aux angles de l'édifice, aux cadres des ouvertures et des niches, et au portail. En se fondant sur les prémisses que nous avons établies, nous pouvons suggérer une reconstitution vraisemblable de la façade de 1754 (fig. 10). Le résultat présente beaucoup d'intérêt puisqu'il nous permet de rattacher cette dernière à une tradition architecturale précise.

La partie basse de la façade (fig. I) s'articule grâce à une habile subdivision. Un portail s'inscrit entre deux surfaces latérales encadrées de pierre de taille et disposant chacune d'une niche s'enfonçant dans le mur. Nous n'avons trouvé aucune mention de statues ayant un jour occupé ces niches. Le portail se développe à l'intérieur d'un espace rectangulaire vertical. De toute évidence, les boiseries occupant sa partie centrale ne remontent pas à 1754. En effet, elles sont en excellent état de conservation et les motifs qu'on y retrouve appartiennent à un vocabulaire et un agencement plus tardifs. Elles sont surmontées d'une baie en plein cintre dont le derni-cercle est subdivisé avec complexité en rayons concentriques rassemblant cinq formes ovoïdales. Toute cette partie centrale est encadrée par deux pilastres reposant sur un piédestal et supportant une surface en pierres de taille coiffant l'ouverture cintrée. Cette même surface est surmontée d'une corniche sur laquelle s'appuie le pignon triangulaire dressé au-dessus de l'ensemble de la partie basse. Ce pignon est percé d'un oeil-de-boeuf éclairant autrefois soit les combles de la chapelle (comme aujourd'hui), soit son intérieur proprement dit. Enfin, le sommet du triangle est surmonté d'une flèche reposant sur un socle de forme carrée.

Cette façade ne constitue pas un cas isolé dans l'architecture religieuse du régime français. Par son portail, ses deux niches latérales et son oeil-de-boeuf, elle rappelle l'ancienne église des Récollets de Québec construite par Juconde Drué en 1693. Des analogies de même ordre la rapprochent de l'ancienne église Notre-Dame-des-Victoires de Québec dont la façade, réalisée en 1711, devait être modifiée après la Conquête. Il est d'ailleurs intéressant de constater l'étroite parenté de notre portail avec celui du « plan Maillou » dont il est inutile de rappeler la large diffusion.

D'autre part, la très grande simplicité de la façade de la chapelle de Trois-Rivières nous amène à la rapprocher également de certaines petites églises de la campagne française que les recherches d'Alan Gowans ont mises en évidence. Ainsi, la façade de l'église d'Arme-nonville-les-Gatineaux qui date du milieu du XVIIe siècle relève d'un usage analogue de la pierre de taille, de la porte cintrée, des deux niches latérales et de l'oeil-de-boeuf. (34)  

Les sources du type commun que nous avons sous les yeux remontent à l'architecture française classique du XVIIe siècle. On retrouve d'humbles échos des grandes constructions officielles de cette époque tant dans la campagne française des provinces du nord-ouest que dans les villages québécois du régime français. Le répertoire classique de cette époque se fondait notamment sur les traités d'architecture de l'Italien Giacomo Barrozzio dit Vignole (1507-1573) et du Français François Blondel (1617-1686). Leurs traités connurent de multiples rééditions jusque tard au XIXe siècle. On y retrouve plusieurs exemples de façades aux lignes de force soulignées par de la pierre de taille et englobant les niches latérales et la porte centrale cintrée. Dans le cas de cette dernière, par exemple, nous nous contentons de suggérer un regard comparatif entre le portail (fig. 11) de la chapelle des Récollets de Trois-Rivières et la planche 51 du traité de Vignole (fig. 12) pour bien saisir et nuancer la filiation dont il est question.

Le décor intérieur
 
Dans l'actuelle chapelle (fig. 13-14) anglicane St. James de Trois-Rivières, il ne reste rien du décor ancien de la chapelle des Récollets. On se souvient des multiples transformations et subdivisions qu'on y effectua après la Conquête de façon à l'adapter à des besoins successifs de dépôt de matériel d'hôpital, de cour de justice et de lieu de réunion pour les protestants. Est-il besoin de rappeler qu'en 1823 on remplace le plafond et on procède à des changements majeurs relatifs au décor et au mobilier. Si l'on ajoute à cela de nouvelles réparations à l'intérieur de la chapelle en 187, (35) 1916 (36) et 1945, (37) on est bien obligé de se rendre à l'évidence: sauf par ses dimension générales, le présent intérieur de la chapelle anglicane ne rappelle en rien l'ancienne chapelle conventuelle des Récollets.

Toutefois, on peut se demander ce qu'il advint de l'ancien décor de cette chapelle. Vers 1779, témoins de la profanation de celle-ci par les conquérants, les Trifluviens catholiques firent enlever tous les objets religieux qui s'y trouvaient et les firent déposer chez les Ursulines. Celles-ci en reçurent une partie en don de la part des Récollets sauf un tabernacle doré qu'elles achetèrent. (38) Les objets les plus précieux furent transportés au couvent de Québec. Une lettre de mère Baby de Thérèse de Jésus adressée à son frère le 22 août 1799 nous confirme ces quelques faits:

« Des débris furent apportés à notre maison par les citoyens de la ville. Ils ne valaient rien. Le plus beau et le meilleur ayant été transporté à leur [Récollets] maison de Québec, à l'exception d'un tabernacle doré que M. le grand-vicaire nous a vendu six cents livres dont lui-même a remis le montant au Père Bérée. » (39)

Les « débris » dont il est question demeurèrent « dans le grenier du monastère des religieuses Ursulines jusqu'en 1799, alors que le Père de Béree, commissaire provincial, en fit remise à une dame Macarty » (40) dont nous n'avons pu retrouver la trace. Quant à l'autel, il échappa sans doute à l'incendie du couvent des Ursulines en 1806 puisque certaines parties de leurs bâtiments furent épargnées par les flammes, notamment une maison de pierre, l'externat et une chapelle de la communauté. (41) Ceci est d'autant vraisemblable que dans le livre de comptes des années 1806 à 1808 de cette communauté on trouve la mention suivante:

« Reçu depuis l'incendie:
aumônes l5 35 .. 4
Tabernacle vendu 200.. » (42)

S'agit-il là du tabernacle provenant de la chapelle des Récollets? On se saurait le préciser. Néanmoins, environ quarante ans plus tard, un manuscrit déposé aux archives de la paroisse Saint-Maurice du comté de Champlain mentionne que l'autel en question est Conservé dans la sacristie de l'église de l'endroit. Le texte (fig. 15) de ce manuscrit se lit comme suit:

« L'autel de la sacristie vient de l'église des récollets des 3-Rivières, (aujourd'hui l'église anglicane) le plus ancien du diocèse...Monseigneur Cooke l'avait obtenu pour la paroisse St-Maurice par l'entremise de l'honorable Lewis Drummond. Les reliques de Saint Clément, pape & de Saint Modeste ont obtenu des miracles...» (43) (fig. 16).

L'autel arriva probablement dans cette paroisse vers 1845. À l'époque, Thomas Cooke était curé de Trois-Rivières, desservant du Cap-de-la-Madeleine et grand-vicaire pour le district.(44) En admettant que les ursulines aient conservé l'autel jusqu'à cette date, il aurait facilement pu obtenir de celles-ci qu'elles lui cèdent l'autel en question moyennant une compensation fournie par Lewis Drummond. Au Québec, il est d'ailleurs fréquent de voir une vieille paroisse en aider une nouvelle en lui fournissant une aide matérielle en espèces ou sous forme de mobilier religieux.

Avant de faire partie du décor de l'église des Récollets de 1754, l'autel de Saint-Maurice avait appartenu à celui de la chapelle de 1703. Au coeur de cette humble construction en bois, il constituait sans doute un point d'attraction des plus contrastants à cause de sa richesse. Ce caractère s'estompa, toutefois, lorsqu'on le plaça dans un nouvel édifice en 1754. En effet, la chapelle et le tabernacle présentèrent dès lors une harmonieuse unité fondée sur une égale richesse et sur les parentés évidentes de leur vocabulaire formel.

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