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L'ancienne
chapelle des Récollets de Trois-Rivières
par John R. Porter et Léopold Désy
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En 1703 le tabernacle de Saint-Maurice n'existait pas encore; il devait
être réalisé environ quinze ans plus tard. Nous n'avons
malheureusement pas le contrat qui dut être passé entre les
Récollets de Trois-Rivières et le sculpteur de l'autel. Toutefois
son nom nous est connu grâce aux archives de la paroisse de Saint-François-du-Lac. En effet, le 23 février 1721, le curé
de cette paroisse, M. Jean-Baptiste Dugast, trouvant fort de son goût
le tabernacle des Récollets, voulut en avoir un semblable pour son
église.
Le marché passé ce jour-là se lit comme suit:
« fut présent Jean Jacquies dit Leblond maître sculpteur demeurant en cette ville, lequel a promis et promet par ces présentes
à Jean-Baptiste Dugast, prestre-curé de la paroisse de St-François
...de faire et parfaire...tous et chacun les ouvrages de menuiserie
et ornement de sculpture d'un tabernacle semblable, tant en largeur qu'en
hauteur, à celuy qu'iceluy Leblond a cy-devant fait aux Révérends
Pères Récollets de cette ville [de Trois-Rivières]
et qui est à présent
au mètre-hôtel
de leur église ». (45)
Le sculpteur disposait d'un an pour réaliser son ouvrage.
On s'engageait à lui fournir le bois, à lui payer 350 livres
en monnaie et à lui donner vingt livres de tabac. (46)
Dans les documents de l'époque, le nom du sculpteur Jacquies
prend plusieurs formes orthographiques allant de Jacques à Jacquesse
en passant par Jacquet, Jacquez, Jacquier et Jaquier. (47) Originaire de Bruxelles
en Brabant, il est né en 1688. (48) Il est le fils de Luc Jacquies
et de Barbe Segris. (49) Contrairement à ce que l'on croit, il serait
arrivé au pays avant 1712 puisque, dès 1708, on retrouve
son nom dans les archives de la paroisse de Batiscan: « a mond Sr
le Blond il a avance 48 li pour les statues qu'il a promis faire ». (50) Il peut difficilement s'agir ici du sculpteur Jacques Leblond dit Latour,
alors curé de Baie-Saint-Paul. Quoi qu'il en soit, en 1712, Jacquies
s'engage pour deux ans au service du sculpteur Noël Levasseur. (51)
Le 24 novembre 1715, il épouse à Montréal Marie Chretiene
Guillemot. (52) Sept mois plus tôt, sa présence était
signalée à Trois-Rivières. (53) Le 28 juin 1716, il y
entreprend l'autel de l'église des Ursulines. (54) C'est à cette
époque qu'il se serait installé dans la cité trifluvienne;
il y fait baptiser des enfants en 1720, 1722 et 1724. C'est à peu
près tout ce que nous savons de Jean Jacquies dit Le-blond. A partir
de 1724, nous perdons sa trace. Nous pouvons toutefois affirmer qu'il mourut
en ou peu avant 1734 puisque cette année-là, sa femme est inhumée à Montréal et que dans les registres on
le mentionne comme « deffunct ». (55) Parallèlement à
son activité de sculpteur, Leblond aurait réalisé
un certain nombre de tableaux. On lui attribue notamment une Marie-Madeleine et une
Madone. (56)
Fermons
cette parenthèse biographique et revenons au tabernacle que Leblond
réalisa pour les Récollets vers 1718. Il repose actuellement
sur un tombeau de bois dont les motifs correspondent au style de l'église
néo-gothique de Saint-Maurice construite en 1863. On peut facilement
présumer que les Récollets de Trois-Rivières, comme
ceux de Québec, firent usage, à l'époque d'une large boîte rectangulaire recouverte
d'un parement sur son devant. Au Québec, cet usage s'avère
d'ailleurs très fréquent pour les autels très anciens.
Fait de bois de pin, le tabernacle de Saint-Maurice (fig. 17)
est remarquable par son habile composition. Sur la table de l'autel, deux
gradins aux prédelles richement ornées encadrent un espace
rectangulaire où deux motifs végétaux développés
en volutes enserrent la porte du tabernacle. Un troisième étage,
beaucoup plus important, présente un riche développement
architectural comprenant un soubassement, des colonnes corinthiennes et
un entablement. Cette section s'articule grâce à de nombreux
décrochements (fig. 18) et à l'intégration, dans l'entrecolonnement,
de motifs décoratifs, de volutes et de niches. Par-delà l'entablement,
la partie centrale de l'autel est soulignée par un quatrième
étage composé d'un avant-corps disposant de deux ailes. Cette
disposition répond à celle des trois premiers étages.
Des colonnes torses et de riches volutes florales (fig. 25) y encadrent
des panneaux sculptés. Surmonté en son centre par une petite
balustrade aux angles de laquelle apparaissent deux fleurs de lys (fig.
35), cet étage supérieur est coiffé d'un petit dôme
supportant une croix dressée sur un globe (fig. 19). De part et
d'autre de l'étage supérieur apparaissent deux vases aux
motifs floraux supportant un cadre cintré sur lequel s'appuient
latéralement deux fines volutes. Ce sont là les reliquaires
de saint Clément et de saint Modeste (fig. 20) dont il était
brièvement question plus haut.
La présence de ces reliques vient confirmer que le tabernacle
étudié ici est bien celui des Récollets de Trois-Rivières.
En effet, le 27 février 1712, la paroisse trifluvienne recevait
d'importantes reliques de la part de M. Louis Ango des Maizerets, supérieur
du Séminaire de Québec. Il s'agissait des « ossements
sacrez des saints corps Clement et Modeste martyrs ». (57) Ces reliques
furent déposées dans deux modestes châsses et placées
sur le maître-autel de la nouvelle église paroissiale. (58)
Or nous savons que les Récollets assumèrent les fonctions
curiales de la paroisse de Trois-Rivières de 1693 à 1776.
Dans ces conditions, leur supérieur, qui était aussi curé
de la paroisse, n'eut sans doute aucune peine à se procurer une
partie des reliques pour le tabernacle de la chapelle de son couvent.
Parallèlement
à ses qualités de menuisier, l'auteur du tabernacle de Saint-Maurice
a fait preuve d'intelligence et d'ingéniosité. Son art
relève d'une exubérance contenue. Les rinceaux de feuillage
de la première prédelle semblent très libres et
très mouvants mais un regard attentif nous révèle
des préoccupations symétriques certaines (fig. 21). Il en
va de même pour la deuxième prédelle et pour l'encadrement
de la porte du tabernacle. Les tiges végétales de cet encadrement débordent de façon agitée la surface du
relief pour s'abandonner un moment dans un espace tridimensionnel; pourtant,
ce jeu se fait à nouveau à l'intérieur des règles
de la symétrie et ne parvient pas tout à fait à nous
faire oublier la forme sous-jacente des deux volutes (fig. 22). Entre celles-ci,
la porte du tabernacle (fig. 23) nous frappe par sa simplicité:
on y voit un ciboire assez rudimentaire, au couvercle étrange et
au noeud très prononcé, partiellement recouvert d'un voile
au drapé raide et flottant. Les troisième et quatrième
étages présentent d'autres exemples d'équilibre notamment
dans l'agencement des panneaux décoratifs de l'entrecolonnement
(fig. 24) et du soubassement des colonnes, dans les volutes adossées
aux ailes du quatrième étage (fig. 25) et dans la curieuse
synthèse inhérente aux reliquaires.
Les deux étages supérieurs nous montrent également
l'étendue des connaissances architecturales de Leblond. La composition
générale de l'autel est extrêmement éloquente:
un corps central bien affirmé, deux ailes habilement soulignées
à leur tour, des décrochements subtils, etc. De plus, l'intégration
de motifs architecturaux en miniature se fait en souplesse et se prêterait
volontiers à l'agrandissement (fig. 26). L'usage du répertoire
architectural est d'ailleurs des plus savants (fig. 27): colonnes finement
galbées, chapiteaux corinthiens bien proportionnés, entablement
exécuté en détail et intégrant architrave,
frise et corniche, niches latérales se terminant par une conque,
niche centrale encadrée (fig. 28), telle une porte cintrée,
d'imitations de pierres de taille (traitement qui n'est d'ailleurs pas
sans rappeler le dessin de Vignole dont nous parlions plus haut). De plus,
le sculpteur-architecte a pris soin de bien distinguer les deux étages
supérieurs de son autel. Alors que le troisième présente
un ordre corinthien, le quatrième adopte des colonnes torses jumelées
(fig. 29) et agréablement tournées; celles-ci sont surmontées
d'un entablement plus simple que celui du troisième étage.
Comme dans l'architecture baroque, la partie centrale est ici traitée
avec plus d'emphase grâce à une petite balustrade au-dessus
de laquelle se dresse le dôme soutenant la croix.
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