Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada Bulletin 18, 1971

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L'ancienne chapelle des Récollets de Trois-Rivières

par John R. Porter et Léopold Désy

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En 1703 le tabernacle de Saint-Maurice n'existait pas encore; il devait être réalisé environ quinze ans plus tard. Nous n'avons malheureusement pas le contrat qui dut être passé entre les Récollets de Trois-Rivières et le sculpteur de l'autel. Toutefois son nom nous est connu grâce aux archives de la paroisse de Saint-François-du-Lac. En effet, le 23 février 1721, le curé de cette paroisse, M. Jean-Baptiste Dugast, trouvant fort de son goût le tabernacle des Récollets, voulut en avoir un semblable pour son église.

Le marché passé ce jour-là se lit comme suit:

« fut présent Jean Jacquies dit Leblond maître sculpteur demeurant en cette ville, lequel a promis et promet par ces présentes à Jean-Baptiste Dugast, prestre-curé de la paroisse de St-François ...de faire et parfaire...tous et chacun les ouvrages de menuiserie et ornement de sculpture d'un tabernacle semblable, tant en largeur qu'en hauteur, à celuy qu'iceluy Leblond a cy-devant fait aux Révérends Pères Récollets de cette ville [de Trois-Rivières] et qui est à présent au mètre-hôtel de leur église ». (45)

Le sculpteur disposait d'un an pour réaliser son ouvrage. On s'engageait à lui fournir le bois, à lui payer 350 livres en monnaie et à lui donner vingt livres de tabac. (46)

Dans les documents de l'époque, le nom du sculpteur Jacquies prend plusieurs formes orthographiques allant de Jacques à Jacquesse en passant par Jacquet, Jacquez, Jacquier et Jaquier. (47) Originaire de Bruxelles en Brabant, il est né en 1688. (48) Il est le fils de Luc Jacquies et de Barbe Segris. (49) Contrairement à ce que l'on croit, il serait arrivé au pays avant 1712 puisque, dès 1708, on retrouve son nom dans les archives de la paroisse de Batiscan: « a mond Sr le Blond il a avance 48 li pour les statues qu'il a promis faire ». (50) Il peut difficilement s'agir ici du sculpteur Jacques Leblond dit Latour, alors curé de Baie-Saint-Paul. Quoi qu'il en soit, en 1712, Jacquies s'engage pour deux ans au service du sculpteur Noël Levasseur. (51) Le 24 novembre 1715, il épouse à Montréal Marie Chretiene Guillemot. (52) Sept mois plus tôt, sa présence était signalée à Trois-Rivières. (53) Le 28 juin 1716, il y entreprend l'autel de l'église des Ursulines. (54) C'est à cette époque qu'il se serait installé dans la cité trifluvienne; il y fait baptiser des enfants en 1720, 1722 et 1724. C'est à peu près tout ce que nous savons de Jean Jacquies dit Le-blond. A partir de 1724, nous perdons sa trace. Nous pouvons toutefois affirmer qu'il mourut en ou peu avant 1734 puisque cette année-là, sa femme est inhumée à Montréal et que dans les registres on le mentionne comme « deffunct ». (55) Parallèlement à son activité de sculpteur, Leblond aurait réalisé un certain nombre de tableaux. On lui attribue notamment une Marie-Madeleine et une Madone. (56) 

Fermons cette parenthèse biographique et revenons au tabernacle que Leblond réalisa pour les Récollets vers 1718. Il repose actuellement sur un tombeau de bois dont les motifs correspondent au style de l'église néo-gothique de Saint-Maurice construite en 1863. On peut facilement présumer que les Récollets de Trois-Rivières, comme ceux de Québec, firent usage, à l'époque d'une large boîte rectangulaire recouverte d'un parement sur son devant. Au Québec, cet usage s'avère d'ailleurs très fréquent pour les autels très anciens.

Fait de bois de pin, le tabernacle de Saint-Maurice (fig. 17) est remarquable par son habile composition. Sur la table de l'autel, deux gradins aux prédelles richement ornées encadrent un espace rectangulaire où deux motifs végétaux développés en volutes enserrent la porte du tabernacle. Un troisième étage, beaucoup plus important, présente un riche développement architectural comprenant un soubassement, des colonnes corinthiennes et un entablement. Cette section s'articule grâce à de nombreux décrochements (fig. 18) et à l'intégration, dans l'entrecolonnement, de motifs décoratifs, de volutes et de niches. Par-delà l'entablement, la partie centrale de l'autel est soulignée par un quatrième étage composé d'un avant-corps disposant de deux ailes. Cette disposition répond à celle des trois premiers étages. Des colonnes torses et de riches volutes florales (fig. 25) y encadrent des panneaux sculptés. Surmonté en son centre par une petite balustrade aux angles de laquelle apparaissent deux fleurs de lys (fig. 35), cet étage supérieur est coiffé d'un petit dôme supportant une croix dressée sur un globe (fig. 19). De part et d'autre de l'étage supérieur apparaissent deux vases aux motifs floraux supportant un cadre cintré sur lequel s'appuient latéralement deux fines volutes. Ce sont là les reliquaires de saint Clément et de saint Modeste (fig. 20) dont il était brièvement question plus haut.

La présence de ces reliques vient confirmer que le tabernacle étudié ici est bien celui des Récollets de Trois-Rivières. En effet, le 27 février 1712, la paroisse trifluvienne recevait d'importantes reliques de la part de M. Louis Ango des Maizerets, supérieur du Séminaire de Québec. Il s'agissait des « ossements sacrez des saints corps Clement et Modeste martyrs ». (57) Ces reliques furent déposées dans deux modestes châsses et placées sur le maître-autel de la nouvelle église paroissiale. (58) Or nous savons que les Récollets assumèrent les fonctions curiales de la paroisse de Trois-Rivières de 1693 à 1776. Dans ces conditions, leur supérieur, qui était aussi curé de la paroisse, n'eut sans doute aucune peine à se procurer une partie des reliques pour le tabernacle de la chapelle de son couvent. 

Parallèlement à ses qualités de menuisier, l'auteur du tabernacle de Saint-Maurice a fait preuve d'intelligence et d'ingéniosité. Son art relève d'une exubérance contenue. Les rinceaux de feuillage de la première prédelle semblent très libres et très mouvants mais un regard attentif nous révèle des préoccupations symétriques certaines (fig. 21). Il en va de même pour la deuxième prédelle et pour l'encadrement de la porte du tabernacle. Les tiges végétales de cet encadrement débordent de façon agitée la surface du relief pour s'abandonner un moment dans un espace tridimensionnel; pourtant, ce jeu se fait à nouveau à l'intérieur des règles de la symétrie et ne parvient pas tout à fait à nous faire oublier la forme sous-jacente des deux volutes (fig. 22). Entre celles-ci, la porte du tabernacle (fig. 23) nous frappe par sa simplicité: on y voit un ciboire assez rudimentaire, au couvercle étrange et au noeud très prononcé, partiellement recouvert d'un voile au drapé raide et flottant. Les troisième et quatrième étages présentent d'autres exemples d'équilibre notamment dans l'agencement des panneaux décoratifs de l'entrecolonnement (fig. 24) et du soubassement des colonnes, dans les volutes adossées aux ailes du quatrième étage (fig. 25) et dans la curieuse synthèse inhérente aux reliquaires.

Les deux étages supérieurs nous montrent également l'étendue des connaissances architecturales de Leblond. La composition générale de l'autel est extrêmement éloquente: un corps central bien affirmé, deux ailes habilement soulignées à leur tour, des décrochements subtils, etc. De plus, l'intégration de motifs architecturaux en miniature se fait en souplesse et se prêterait volontiers à l'agrandissement (fig. 26). L'usage du répertoire architectural est d'ailleurs des plus savants (fig. 27): colonnes finement galbées, chapiteaux corinthiens bien proportionnés, entablement exécuté en détail et intégrant architrave, frise et corniche, niches latérales se terminant par une conque, niche centrale encadrée (fig. 28), telle une porte cintrée, d'imitations de pierres de taille (traitement qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler le dessin de Vignole dont nous parlions plus haut). De plus, le sculpteur-architecte a pris soin de bien distinguer les deux étages supérieurs de son autel. Alors que le troisième présente un ordre corinthien, le quatrième adopte des colonnes torses jumelées (fig. 29) et agréablement tournées; celles-ci sont surmontées d'un entablement plus simple que celui du troisième étage. Comme dans l'architecture baroque, la partie centrale est ici traitée avec plus d'emphase grâce à une petite balustrade au-dessus de laquelle se dresse le dôme soutenant la croix.

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