Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin 18, 1971

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L'ancienne chapelle des Récollets de Trois-Rivières

par John R. Porter et Léopold Désy

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Enfin, le tabernacle est remarquable par son développement iconographique. La présence, sur la deuxième prédelle (fig. 30), des symboles du pain et du vin, du ciboire sur la porte du tabernacle, des reliquaires de saint Modeste et de saint Clément, de la croix au sommet de l'autel et de quatre petits reliefs sculptés à la hauteur du quatrième étage nous console de la disparition probable d'un relief au centre supérieur de l'autel et de statuettes dans ses trois niches. Il y a là toute une hiérarchie spirituelle depuis le monde céleste du Christ, de la Vierge et des saints jusqu'au monde terrestre de la communauté des fidèles. Par le pain et le vin, symbolisés par le blé et le raisin, le prêtre, représentant du Christ, assure la transition entre les deux mondes et permet de transmettre le salut apporté par le sacrifice de la croix.  

Les quatre reliefs dont nous parlions il y a un instant, s'inscrivent parfaitement dans le microcosme spirituel de l'autel. Sur le côté gauche du corps central, on retrouve saint Pierre (fig. 31) se tenant sur un culot. Comme dans les trois autres panneaux, le fond de scène est occupé par des draperies nouées, difficilement discernables à cause des repeints successifs. Dans sa main gauche, il tient la grosse clef du royaume des cieux et dans l'autre, un volume rappelant ses épîtres. Chauve, barbu, le regard pénétrant, le chef de l'Église semble vouloir imposer son autorité. La lourdeur de ses vêtements confirme cette impression.

Saint Paul (fig. 32) lui fait pendant du côté droit. Dans la main droite, il porte son attribut habituel, c'est-à-dire une épée, symbole de son enseignement pénétrant et rappel de son martyre. Son visage alourdi par de longs cheveux et une barbe prospère, semble moins éveillé que celui de saint Pierre. Chose certaine, son regard n'a rien de la vivacité de celui du chef de l'Église.

Sur les ailes latérales de la partie supérieure de l'autel, s'inscrivent deux reliefs intimement liés l'un à l'autre. Du côté gauche, il y a la Vierge Marie et du côté droit un ange tourné vers elle. Il s'agit de la scène de l'Annonciation. On connaît une dizaine de représentations de ce thème dans toute la sculpture ancienne du Québec. Celle de l'autel de Saint-Maurice est unique en son genre. En effet, l'emplacement précis du thème est exceptionnel, de même que son interprétation iconographique.

La Vierge est agenouillée sur un prie-Dieu (fig. 33); on y voit un livre sur lequel elle pose la main droite; elle paraît absorbée par un passage précis qu'elle indique du doigt. Son corps se perd plus ou moins dans les plis de son vêtement. Sa jambe droite disparaît dans un amas de nuages. Quant à l'ange (fig. 34), il a la tête de profil, comme la Vierge, et présente lui aussi une tête jouffiue aux traits à peine soulignés. Sa tête chevelue apparaît entre ses ailes déployées. Son corps est soumis à une étrange torsion. Demain gauche il indique le ciel tandis que son bras droit, obéissant au mouvement de son corps, s'incline vers le sol. Comme dans le cas de la Vierge, ses jambes se perdent dans des nuages.

Ici, la Vierge est surprise par le message de l'ange alors qu'elle médite sur un passage de la Bible ou plus précisément, selon les Pères de l'Eglise, sur la prédication d'Isaïe, « Ecce Virgo concipiet », qui la prépare aux  paroles de l'ange. Conformément à l'iconographie occidentale, l'ange est revêtu d'une robe et porte des ailes. Son attitude agenouillée relève d'une variante iconographique remontant au XIIe siècle. Son geste oratoire, destiné à souligner ses paroles, découlerait de celui des statues de philosophes de l'Antiquité. La tradition de représenter l'ange sur des nuages s'explique par la réaction du concile de Trente à l'excessive familiarité dont le thème avait été empreint jusque-là. Ce qui est étonnant ici, c'est que la Vierge se situe à gauche de l'ange (cas relativement moins fréquent que l'inverse) et surtout qu'elle se trouve elle aussi à reposer sur des nuages, privilège normalement réservé à l'ange céleste. (59)

Les quatre petits reliefs sculptés ne manquent donc pas de signification profonde en regard du développement iconographique du tabernacle. Par surcroît, le style pittoresque de leurs figures ne saurait nous laisser indifférents. Les mains immenses, les visages floris-sants et les attitudes un peu gauches s'expliquent à la fois par les petites dimensions des reliefs et par une certaine naïveté d'exécution du sculpteur. Cette dernière n'enlève d'ailleurs aucun charme à la robustesse paysanne de saint Pierre et de saint Paul et à la candeur théâtrale de la scène de l'Annonciation.

Conclusion

Somme toute, l'étude de l'ancienne chapelle des Récollets de Trois-Rivières ne manque pas d'intérêt. S'inscrivant dans le fil de traditions architecturales bien affirmées, elle constitue également un reflet de la vie des formes et de l'évolution du goût. Par surcroît, son ancien tabernacle nous apparaît comme un précieux témoin des préoccupations religieuses du début du XVIIIe siècle, tout en se présentant comme une oeuvre essentielle à notre connaissance de l'école tri-fluvienne de sculpture sous le régime français (fig. 35). 

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