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La chapelle de l'évêché de Sherbrooke:
quelques dessins préparatoires d'Ozias Leduc
par Laurier Lacroix
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Quand Leduc commence à peindre un tableau, il en a déjà
terminé le travail de réflexion et de composition. Sa méthode
de travail, dans un atelier étroit, exige que les esquisses, mises
au carreau, soient amenées à un point de perfection tel qu'il
n'y aura que des retouches mineures à faire. L'ensemble de la composition, jusque dans ses moindres détails, est articulé
et tous les coloris sont choisis. Le tout n'a plus qu'à être
reporté sur la toile, elle-même mise au carreau. Ainsi, les
dessins préparatoires sont-ils importants pour connaître le
cheminement de l'artiste, les différentes solutions envisagées
du point de vue de l'organisation spatiale, des recherches iconographiques,
des détails de chacune des figures, des tons et de la coloration
de l'ensemble. Sa méthode d'exécution n'admet aucun repentir,
car il peint ses tableaux par fragments, chacun correspondant à
la largeur d'une lisière de toile. L'ensemble ne sera révélé
qu'au moment du marouflage alors que la toile sera vue in situ. Cette
façon de travailler diffère de celle des fresquistes ou des
grands muralistes français du XIXe siècle, qui peignaient
dans des ateliers pouvant recevoir la murale en entier. Ainsi, les dessins
préparatoires sont importants car ils représentent la murale
à toutes les étapes de son élaboration jusque dans
sa conception finale. Au moment du marouflage, seules quelques retouches
sont faites sur des points de raccord entre deux lisières.
Plusieurs dessins préparatoires, qui reprennent des éléments
déjà rencontrés, visent à étudier non seulement la composition, mais aussi la localisation des scènes
dans la chapelle. Une des difficultés que Leduc devait surmonter
tenait de l'irrégularité d'un des panneaux, sur le mur
de droite, où l'embrasure de la porte de la sacristie perçait
la partie inférieure. Différents dessins démontrent
que Leduc a tenté de résoudre ce problème en plaçant,
à tour de rôle, chacune des scènes dans cet espace. (43)
Il semble que la chronologie des événements religieux ait
dicté la disposition finale, mais il restait à savoir où
se ferait le point de départ de la série avec l'Annonce
de Marie Co-rédemptrice (fig. 5) . Leduc a finalement opté
pour l'emplacement de gauche, à l'arrière de la chapelle. L'Annonciation
est placée sur le même mur, vers l'avant.
Au-dessus de la porte de la sacristie, le Recouvrement de Jésus
au temple y fait face et reprend les motifs du jardin clos, de l'eau
et du temple, tandis que sur ce même mur droit se trouve la Crucifixion,
vers l'arrière qui, à son tour, fait face à l'Annonce
de Marie Co-rédemptrice, chacun reprenant des éléments
iconographiques communs, tels que l'arbre-croix, Adam, le serpent.
En 1953, la Galerie nationale du Canada acquit huit des dessins
préparatoires, reconnaissant ainsi l'importance de la production
religieuse de Leduc. Celui-ci expliquait alors à Pierre de Ligny
Boudreau l'esprit dans lequel ces esquisses et toute la décoration
avaient été réalisés:
[...] je dis tout de suite que les sujets choisis ne sont pas des
scènes historiques, mais plutôt des spéculations philosophiques
sur un thème accepté. Voici un exemple. Dans Jésus
retrouvé dans le Temple ce n'est pas la réunion des membres
d'une famille séparée accidentellement, ce retrouvant après
maints incidents entremêlés d'inquiétudes empoignantes,
qui est représenté, mais quelque chose qui n'a pas de forme
matérielle, qui existe cependant qui emanne des éléments,
personnes et choses qui constitue l'image captive de notre regard,
image exaltant, on voudrait, l'idée émotive réunissant
le spectateur à l'apparence produite par les couleurs et les formes
dessinées. (44)
Leduc, à la manière des symbolistes, invite donc à
rechercher, non pas dans le récit mais dans la composition,
les formes et les couleurs employées, les éléments
susceptibles de traduire les sentiments que la scène suggère.
Le dessin à la mine de plomb de l'Annonce de Marie Co-rédemptrice
(fig. 8) indique nettement le schéma de composition que Leduc
retiendra dans chacun des panneaux: division nette de l'espace en trois
registres, dans le sens de la hauteur, traversés par un axe qui
les relie et délimite, verticalement, deux côtés organisés
symmétriquement. Au bas, premier registre, Adam et Ève agenouillés
de part et d'autre d'un tronc de pommier; dans le feuillage, au deuxième,
apparaît Marie Immaculée; le troisième registre,
qui correspond à la partie ogivale du panneau, est occupé-tel qu'en héraldique
- par deux anges adorateurs, placés
au-dessus de phylactères, qui s'inclinent devant des attributs divins.
Les positions d' Adam et Ève épousent la forme d'un triangle,
tandis que le pommier, où est placée Marie, prend la forme
d'un triangle inversé, les deux pointes s'interpénétrant
sur l'axe principal. Le pommier se continue dans le troisième registre
et unifie toute la composition. Sur l'axe central se retrouvent le serpent,
enroulé sur le tronc, et Marie, placée immédiatement
au-dessous des symboles divins. Un arc-en-ciel forme une sorte d'arc en plein cintre derrière
la tête auréolée de Marie. Comme dans toute cette série de dessins
à la mine de plomb, le personnage-clé est étudié
avec plus de détails et il semble que Leduc a longuement cherché l'attitude idéale
de la Vierge. Un autre dessin au crayon, également conservé à
la Galerie nationale (fig.7), présente la tête de la Vierge sous les traits d'une jeune
fille richement
parée de bijoux. Le rapprochement entre l'oeuvre de Leduc et celle de Gustave Moreau
(Paris 1826- Paris
1898) a déjà été relevé, (45) et un comme celui-ci
dénote un intérêt ainsi qu'une grande connaissance de
l'oeuvre du peintre symboliste français. Dans son projet ultérieur,
au moment de l'application de la couleur, Leduc ne retiendra ni la
préciosité du dessin ni la richesse de coloris que cette
étude suggère.
Adam est agenouillé dans un paysage qui représente
un défilé entre deux montagnes. L'utilisation du pommier
renvoie au texte biblique (Gen. 2, 14) qui relate la chute d'Adam et d'Ève. Connaissant l'importance des pommiers dans la
région de Saint-Hilaire et l'intérêt que Leduc y portait, peut-on se surprendre de la vior
métamorphoser
en buisson ardent? Non seulement Marie Co-rédemptrice apparaît-elle dans un
pommier, il l'associe de façon étroite au paysage du mont Saint-Hilaire. La
montagne, comme le pommier, a inspiré à Leduc de nombreux tableaux de
chevalet et des compositions religieuses. Ici, la montagne, habitée par les
désirs les plus secrets de l'homme, propose une voie de salut
à l'humanité déchue. (46)
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