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La chapelle de l'évêché de Sherbrooke:
quelques dessins préparatoires d'Ozias Leduc
par Laurier Lacroix
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Pour chacun des tableaux, il existe un dessin en couleur portant,
parfois, des traces d'une mise au carreau indiquant que cette version a servi
de modèle pour la réalisation finale. La technique de ces dessins
préparatoires vise à étudier le tableau dans les tonalités
définitives, bien
que les esquisses soient d'une plus forte saturation de couleurs. Sur un
dessin au crayon noir, Leduc utilise un mélange d'huile, de cire et de solvant,
ajouté au
pigment coloré. (47) Le tout produit une sorte de pâte, épaisse
ou claire selon la quantité de solvant utilisé, et ressemble
à un pastel gras ou à un lavis. Leduc applique au pinceau
cette texture très malléable, redessinant les contours
de tons plus clairs et rétablissant le dessin avec le manche du
pinceau par une technique de grattage. Adam et Eve (fig. 9), tout comme
les attributs divins et le paysage, ne sont que suggérés
et se détachent sur un fond contrasté. Dans la partie supérieure,
Dieu le Père est représenté par un tourbillon retenu
dans un cercle métallique, symbole de l'éternité de
sa toute-puissance créatrice. L'épée et la balance
viennent compléter cette image du Créateur juste.
Rare dans l'iconographie chrétienne, le thème de l'Annonce de Marie Co-rédemptrice
n'est pas nouveau dans l'oeuvre de Leduc et se retrouve au moins une autre fois dans la peinture
canadienne. En effet, c'est le sujet d'un des tableaux de la décoration
de la Chapelle
Notre-Dame du Sacré-Coeur à l'église Notre-Dame
de Montréal, exécuté par Ludger Larose (1868-1915)
en 1894. Leduc avait traité ce sujet à la chapelle du Sacré-Coeur
de l'église du Saint-Enfant-Jésus du Mile-End et on le retrouve
dans un dessin pour une commande non identifiée. (48)
Le dessin au crayon de plomb préparatoire au tableau de
l'Annonciation utilise le même schéma de composirion
(fig. 10). Marie agenouillée, un peu vers la gauche et vue de face,
est au registre inférieur; l'ange Gabriel occupe le second registre
et les anges adorateurs prosternés devant la Trinité, symbolisée
par une colombe placée sur un cercle et une croix, remplissent la
partie ogivale. Dans les phylactères, des inscriptions tirées
de l'évangile selon saint Luc précisent le sens de l'annonce
du messager et de l'acceptation de Marie. L'ange, placé dans la
position centrale que Marie occupait dans la scène précédente,
se retrouve cette fois dans un décor d'eau et de nuages. L'arbre
maintenant est remplacé par quatre cours d'eau qui prennent leur
source dans le registre supérieur. Leduc inscrit sur chacun des
fleuves de la grâce les noms mentionnés dans la Genèse (2, 11-14): le Tigre, l'Euphrate, le Gihon et le Pison. Ils rejoignent Marie
en prière dans le jardin clos, alors que se profile à l'arrière-plan
la ville de Bethléem, construite sur un rocher triangulaire, que
l'ange, placé sur un triangle inversé, rejoint.
La version colorée de ce dessin préparatoire (fig. 11) précise
certains détails au moyen de couleurs différentes. Ainsi,
les quatre fleuves ont, dans la partie supérieure de la composition,
leur source commune qui prend la forme d'un arc de cercle. L'espace entre
la Vierge et l'ange est matérialisé en courants sinueux dont
l'influence stylistique renvoie au vocabulaire de l'Art Nouveau. (49) Ces
lignes sinueuses font partie du vocabulaire pictural de Leduc depuis l'élaboration
du décor de Saint-Hilaire. Leduc traite les ombres, enveloppe
l'espace de ces réseaux de courbes qui donnent vie à l'atmosphère
et, dans le cas des compositions religieuses, ajoutent un
élément mystique: trait d'union entre le ciel et la terre.
La scène du Recouvrement de Jésus au temple
est intégrée dans la partie du mur où se trouve
la porte de la sacristie. L'étude à la mine de plomb (fig.
12) montre comment Leduc a inséré cette ouverture dans sa composition en introduisant un portillon immédiatement à
côté. Au bas, à gauche du tableau, sont placés
Joseph et Marie; celle-ci s'appuie sur une balustrade dont la partie de
droite donne sur le portillon entrouvert. Un jardinet, où s'élève
le jet d'une fontaine, sépare Jésus de ses parents. Derrière
l'Enfant, les cinq docteurs, assis, sont placés dans les entrecolonnements
de sept colonnes, placés en hémicycle et supportant un cul-de-four. Les anges vénèrent cette fois un triangle placé
sur une croix formée de rayons lumineux et de nuages. Le nombre
de colonnes renvoie aux piliers de la sagesse et c'est le temple qui jouera
ce rôle unificateur entre les trois registres. La difficulté
posée par la composition de ce panneau oblige Leduc à
étudier l'espace
d'une façon toute spéciale, lequel sera finalement formulé
dans une composition moins rigoureuse que les autres. Deux dessins à
la mine de plomb sont des études en plan et établissent l'espace
qui sépare la balustrade du temple et la position de la fontaine
par rapport aux personnages. (50)
Seule qui soit datée, l'étude en couleur (fig.
13) propose la datation de 1922 pour ce cycle d'études préparatoires.
De même que dans les autres études en couleur, le personnage
principal (Marie, l'ange Gabriel et, cette fois, Jésus) se détache
en couleurs plus claires (blanc et jaune clair) sur un fond plus foncé
(bleu ou vert), tandis que la partie supérieure est encore traitée
dans des tons brun orangé. Dans les notes relatives à ce
tableau, Leduc donne une valeur symbolique à ces couleurs plus
claires: « [...] les docteurs dans le demi-jour du Temple = science
incomplette Jésus en pleine lumière = La vraie sagesse ».
(51)
Ainsi, le personnage principal, qui reçoit plus de lumière,
acquiert une qualité visuelle accrue, voire symbolique.
Dans les murales, Leduc cependant rend ce contraste moins prononcé, de façon
à ce qu'aucune des parties de la composition ne soit trop mise en
évidence, respectant ainsi la bi-dimensionnalité de la
surface.
Le cycle se termine par la Crucifixion, dont les deux
études préparatoires offrent le plus de différence
avec le résultat final (fig. 14 et 15). Au registre inférieur,
Marie et Jean sont à la gauche, Marie Madeleine et le serpent, qui
joue un rôle plus énergique que dans l'Annonce de Marie
Co-rédemptrice, sont à la droite. Deux anges prosternés
d'une main soutiennent une couronne de lauriers, laquelle contient la main
bénissante de Dieu le Père qui donne son Fils pour le rachat
de l'humanité. Une mandorle portant sept colombes (les sept dons
du Saint-Esprit) unit les registres. Le triangle descendant, créé
par la forme de la croix, est renforcé par sept lances pointées
vers le sol (les sept douleurs de la Vierge), dont une se détache
pour s'enfoncer dans la gueule du serpent qui s'enroule dans une forte
ligne sinusoïdale. La douleur de Marie Madeleine et le geste de Jean,
soutenant Marie, sont exprimés en quelques traits dans le premier
dessin. A l'arrière-plan, au premier registre, Jérusalem
se profile, hors de laquelle, sur le Golgotha (lieu du crâne) eut
lieu la Crucifixion.
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