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Ugolino di Nerio: Sainte Anne et la Vierge enfant
par Laurence B. Kanter
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Duccio di Buoninsegna (connu
de 1278 à 1315) était certainement le peintre le plus influent
de Sienne au début de la Renaissance. Parmi ses nombreux disciples,
pratiquement toute une génération d'artistes, seulement deux sont
identifiés aujourd'hui: Segna di Bonaventura et Ugolino di
Nerio. Trois documents datant de 1315, 1325 et 1327 font état de la
carrière de peintre d'Ugolino. (1) Aucun d'eux ne fait allusion à
une oeuvre d'art donnée, mais Vasari écrit qu'Ugolino est l'auteur
du retable du maître-autel de l'église de Santa Croce à Florence;
d'ailleurs, la signature de l'artiste, Ugolino da Siena, figurait
encore au dos d'un des panneaux de ce retable en 1837. (2) Ces panneaux
sont maintenant dispersés dans des musées de Berlin, de Londres,
de New York, de Philadelphie et de Los Angeles. Ils fournissent les
éléments fondamentaux nécessaires à la compréhension du style
d'Ugolino et permettent, par comparaison, d'attribuer au peintre des
dizaines de retables, de fragments de retables et d'oeuvres
religieuses autonomes.
L'oeuvre que la Galerie nationale du Canada a récemment acquise,
(3) Sainte
Anne et la Vierge enfant (fig. 1 et couverture), est un
superbe exemple de la maturité du style d'Ugolino. Sainte Anne est
vêtue d'une mante bleue doublée de fourrure. Elle tient sa
fillette sur son bras gauche et son regard, tourné vers la droite
(du tableau), dépasse les limites de la peinture. L'enfant vêtue
d'une longue jupe vermillon et d'un corsage rose rehaussé de bleu pâle,
somptueusement brodés d'or, suit le regard de sa mère. Elle tire
le voile entourant le cou de celle-ci et joue nonchalamment avec sa
main droite. Une couronne d'or ceint ses longues boucles blondes. La
tête des deux personnages est entourée d'une auréole très ouvragée
sur le fond d'or du panneau.
En 1953, l'oeuvre, de son support original en peuplier, a été
transférée sur masonite. La peinture a fait l'objet d'un nettoyage à cette occasion et, juste avant son acquisition par la
Galerie nationale du Canada, le fond doré a été débarrassé des
repeints modernes. (4) Dans sa condition actuelle, le fond est quelque
peu effacé et découvre le bol rouge du dessous; toutefois, l'or
des auréoles est presque intact. Le bord supérieur a été coupé
ainsi que, dans une moindre mesure, le bord inférieur et le côté
gauche, ce qui tronque la forme trilobée originale du fond de la
peinture et rend carré le profil arqué du panneau. Malgré ces
modifications, la peinture s'est remarquablement conservée. Les
accidents subis par la couche picturale sont minimes et négligeables,
si l'on excepte les lacunes au bas de l'oeuvre.
Le sujet du panneau acheté par la Galerie est insolite et mérite
quelques commentaires. Au premier abord, on pourrait facilement
penser qu'il s'agit d'une représentation traditionnelle de la
Vierge à l'Enfant, si ce n'était de la longue chevelure du jeune
personnage, de ses vêtements féminins et de l'absence de certains
attributs caractérisant toujours les portraits de l'Enfant Jésus
et de sa mère. La Sainte Vierge, quand on la représente comme mère
du Christ, porte toujours une étoile sur l'épaule ou sur le
capuchon. Ce n'est pas le cas du personnage adulte de l'oeuvre qui
nous occupe, bien qu'il soit vêtu de bleu, couleur traditionnelle
de la Vierge. Dans les premières peintures italiennes, la tête de
l'Enfant Jésus est toujours entourée d'un nimbe cruciforme.
Encore une fois, il n'en est rien dans la peinture de la Galerie
nationale. On ne peut donc identifier aucun des deux personnages de
l'oeuvre grâce à un quelconque attribut; d'ailleurs, la plupart
des premières représentations de sainte Anne et de la Vierge ne
sont pas précises. Ces peintures ont en commun leur composition,
qui est celle des représentations traditionnelles de la Vierge à
l'Enfant; seul le sexe de l'enfant les différencie.
Le culte à sainte Anne a été introduit en Occident dès le VIIIe
siècle, (5) mais son iconographie ne s'est pas fixée avant la fin du
XIVe. A partir de cette époque, les représentations de sainte Anne
se sont multipliées à travers l'Europe sous la forme d'Anna
Selbdritt ou de Sant'Anna Meterza: généalogie simplifiée
du Christ dans laquelle sainte Anne vieillissante soutient sur ses
genoux sa fille (adulte) qui à son tour tient Jésus, son enfant.
Les tableaux de Masaccio et de Léonard de Vinci sont les plus célèbres
dans ce genre. Plus tard, et en particulier pendant l'époque
baroque, la scène d'intérieur où sainte Anne apprend à lire à
sa fillette a supplanté les représentations d'Anna Selbdritt.
Mais, en ce début du XIVe siècle, Ugolino ne pouvait se
nourrir que de peu d'exemples, ce qui explique peut-être l'absence
d'attributs explicites permettant d'identifier les personnages. La
statue adossée au trumeau du portail nord de la cathédrale de
Chartres (6) et le vitrail au-dessus de celle-ci, ont été l'exemple
le plus célèbre de sainte Anne portant la Vierge enfant. En
Italie, ce genre de représentations semble d'abord avoir été réservé
aux oeuvres de tradition byzantine. (7) Le grand retable, peint à la
fin de XIIIe siècle par Rainieri di Ugolino (fig. 2) et
actuellement conservé au Museo Nazionale di San Matteo de Pise,
constitue en l'occurrence une exception notable. Dans cette
peinture, sainte Anne trône devant deux anges en adoration et tient
sa fillette sur ses genoux. Dans la peinture de la Galerie
nationale, la mère ne porte pas d'étoile et l'enfant,
manifestement du sexe féminin, ni couronne ni auréole cruciforme
(l'auréole de la mère a été mal repeinte par un amateur).
L'inscription SA ANNA, se détachant du fond d'or au-dessus de l'épaule
droite du personnage adulte, corrobore enfin l'identité des deux
personnages.
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