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Ugolino di Nerio: Sainte Anne et la
Vierge enfant
par Laurence B. Kanter
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À partir de cette époque, les
personnages d'Ugolino adoptent une expression plus dramatique,
probablement sous l'influence croissante de Pietro Lorenzetti. Ses
compositions prennent un caractère tridimensionnel plus prononcé
grâce, d'une part, à un mouvement plus ambitieux du dessin des personnages et, d'autre part, à une plus grande sensibilité de
nuances dans le modelé des surfaces et dans le sfumato. Il est
peut-être paradoxal de remarquer qu'Ugolino fait en même temps
preuve d'un sens plus exquis de la composition et d'un grand
raffinement des lignes qui viennent supplanter le souci qu'il
manifestait dans ses oeuvres antérieures pour les formes et les
volumes simples. C'est dans les trois panneaux latéraux qui
subsistent aujourd'hui du retable de Santa Croce (fig. 6), à présent
conservés dans un musée de Berlin, (18) et dans le polyptyque presque
contemporain du retable de la collection Ricasoli (fig. 7) à Brolio
dans le Chianti (19) que ces nouvelles caractéristiques apparaissent
d'abord. On peut faire valoir que seuls la Vierge et l'Enfant au
centre, le saint Jean Baptiste et peut-être le saint Pierre du
polyptyque sont véritablement de la main d'Ugolino. Seuls ces
panneaux témoignent du raffinement et de la minutie d'Ugolino;
saint Jean l'Évangéliste et saint Paul sont par contre d'une
facture moins inspirée et plus sèche. Dans le panneau central,
l'Enfant Jésus est figuré les jambes croisées, sa robe tombant
sur ses cuisses en plis très amples; leur densité et leur fluidité
évoquent davantage les spires d'un coquillage que le mouvement
d'une étoffe. L'Enfant tire sur le voile de sa mère avec une
telle force qu'il semble faire pencher vers lui la tête de la
Vierge. Saint Jean Baptiste et saint Pierre ont la même
expression sombre et tendue que dans le retable de Santa Croce. Dans
les deux retables, l'arc simple a été remplacé par l'arc ogival,
plus à la mode à l'époque. En outre, les auréoles y ont acquis
une complexité qui était absente du polyptyque 39 de Sienne (fig.
5) réalisé avant ces deux oeuvres. Dans les panneaux appartenant
au Staatliche Museum de Berlin (fig. 6), les rosettes poinçonnées
en vogue à Sienne, décorent cinq bandes concentriques. Dans
l'oeuvre conservée à Brolio (fig. 7), l'artiste est revenu à
trois bandes seulement mais les a élargies de motifs plus élégants
et plus complexes rappelant les décorations gravées des auréoles,
qu'on trouve dans les oeuvres du début de sa carrière.
On reconnaît facilement dans le Saint Jean Baptiste (fig. 8)
de Poznan (20) une version légèrement antérieure du même personnage
figurant sur le retable de l'église de Santa Croce ou sur celui
conservé à Brolio. Le premier a la taille moins élancée et ses vêtements
ont un drapé plus simple que les deux autres; en outre son bras
gauche est parallèle au plan de la peinture, alors que dans le
cas du personnage des deux autres retables, les bras sont peints
selon une perspective plus ambitieuse et l'artiste a conféré aux
poignets une facture plus précise. La frontalité relative du saint
Jean Baptiste de Poznan évoque les personnages du polyptyque 39
de Sienne et les traits du visage, moins accentués, rappellent
davantage ceux de saint François, dans le polyptyque 39, que les détails
exagérés de tous les personnages des retables de Santa Croce ou de
Brolio. L'arc arrondi du panneau de Poznan, bien que légèrement
tronqué de nos jours, ainsi que les motifs floraux poinçonnés
sur le fond en pointillé de l'auréole ressemblent également à
ceux du polyptyque 39.
Le Saint Jean Baptiste de Poznan semble se situer à une date
médiane entre le retable du polyptyque 39 et celui de l'église de
Santa Croce. Deux autres panneaux qui pourraient faire partie du même
retable démembré confirment cette hypothèse. L'un d'eux, une représentation
de Saint André (fig. 9) appartenant à la collection du musée
J. Paul Getty de Malibu en Californie, a depuis longtemps été
associé au panneau de Poznan. (21) L'expression du saint a presque la
même intensité dramatique que les saints de Santa Croce et son auréole
comprend également cinq anneaux concentriques décorés de motifs
géométriques. Un troisième panneau appartenant au même retable,
d'abord inédit, (22) représente une sainte tenant un lys; il s'agit
probablement de sainte Eustochie (fig. 10). L'état de cette oeuvre
qui présente de nombreux repeints visibles même sur les
photographies, ne permet de tirer aucune conclusion quant au style;
seule l'observation nous révèle que l'esquisse de ce personnage
est pratiquement identique à celle d'une représentation antérieure
de sainte Catherine, par Ugolino; cette oeuvre se trouve
actuellement au Krannert Art Museum, à Urbana dans l'Illinois. (23) La
peinture de sainte Eustochie (?) a presque la même taille que les
panneaux de Poznan et de la collection Getty et, comme eux, elle se
termine en un arc arrondi, légèrement tronqué. L'auréole de la
sainte, garnie au centre d'une branche de vigne tortillée, est un
peu plus travaillée que les auréoles du polyptyque 39; elle
reprend en outre les rosettes et les feuilles trilobées poinçonnées
décorant ce même polyptyque, le retable de Santa Croce (fig. 6),
la pentaptyque de la collection Ricasoli (fig. 7) et la Sainte
Anne de la Galerie nationale. Le motif de la robe de la sainte
est une variante de celui ornant le vêtement de la Vierge enfant
représentée dans l'oeuvre acquise par la Galerie ou le manteau de
l'Enfant Jésus dans les bras de la Madone de la collection
Tadini (fig. 3). (24)
Il est vraisemblable que le retable composé des panneaux de la
collection Getty et de Poznan ait été réalisé un peu avant ceux
de Santa Croce et de Brolio. L'oeuvre qui a probablement été réalisée
peu après ces retables se trouve actuellement placée derrière
celui du maître-autel de l'église de la Miséricorde à San
Casciano (fig. 11). La taille du panneau et sa forme en gâble
laissent à penser qu'il s'agit d'une oeuvre autonome; cependant,
elle se trouve flanquée de deux panneaux réalisés exactement à
la même époque, bustes de saint François et de saint Pierre (fig.
12), également d'Ugolino. (25) Le panneau en gâble représente la
Vierge assise sur un trône de marbre incrusté portant l'Enfant
sur son bras gauche et le donateur agenouillé aux pieds de la
Vierge, à droite. L'esquisse de l'Enfant est identique à celle,
antérieure, de la Madone de la collection Tadini, mais les
personnages sont beaucoup plus stylisés que ceux du polyptyque de
Brolio. Les fins plis du manteau et de la tunique de l'Enfant sont
très purs et les deux personnages sont peints avec une rondeur et
une exagération calligraphique absentes des précédentes oeuvres,
en fait on ne trouve de tels traits que dans une peinture ultérieure:
le triptyque de San Giovanni d'Asso (fig. 13), qui fait maintenant
partie du legs Contini-Bonacossi conservé au palais Pitti de
Florence.(26) Dans cette dernière oeuvre, le talent de caricaturiste
d'Ugolino, émoussé en général par sa sensibilité, s'exprime
pleinement. L'insistance avec laquelle l'artiste a tracé chaque
ligne (drapés, boucles de cheveux, rides de la peau) atténue
l'influence de Duccio. De nos jours, au palais Pitti, le triptyque
de San Giovanni d'Asso, oeuvre d'Ugolino, est placé en face de la Madone
de la collection Tadini, dans la même salle. Les deux compositions de la Vierge à l'Enfant, fondées sur la même esquisse et réalisées
par le même artiste, sont pourtant diamétralement opposées.
L'une resplendit de la grâce et de la majesté du style de Duccio
et l'autre est aussi criarde qu'une oeuvre du Maître d'Ovile, vers
le milieu du siècle. (27)
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