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Ugolino di Nerio: Sainte Anne et la
Vierge enfant
par Laurence B. Kanter
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Il est une question plus intéressante
encore que d'identifier la source d'inspiration d'Ugolino: savoir
qui a pu commander à l'artiste une telle oeuvre. A l'époque, le
culte à sainte Anne commençait à se répandre en Occident et se
trouvait particulièrement associé à deux ordres monastiques:
les franciscains et les carmes. Les franciscains étaient les
principaux tenants de la doctrine, alors très controversée, de
l'Immaculée Conception; on pense par conséquent que ce genre de
représentations de sainte Anne et de la Vierge servait pour ainsi
dire à convaincre le peuple de la pureté de la Vierge, dès sa
conception. (8) Ugolino eut à plusieurs reprises des contacts avec les
franciscains. Il a peint pour leurs églises au moins sept retables
et trois petits panneaux d'inspiration religieuse. La dévotion
particulière des carmes pour sainte Anne remonte à la légende
voulant que la sainte soit apparue à sa mère, Hysmeria, au cours
d'une visite de cette dernière aux ermites du mont Carmel, ancêtres
dont se réclament les carmes modernes. (9) Bien que les franciscains
et les carmes aient été les principaux artisans du culte à sainte
Anne, on ne peut toutefois affirmer que le panneau de la Galerie
nationale ait été destiné à l'un de ces ordres. Il aurait tout
aussi bien pu, en tant que panneau central du retable (car tel
semble avoir été sa vocation), servir à décorer l'autel d'une
chapelle abritant une relique de sainte Anne; il n'aurait été
ainsi qu'un simple objet de dévotion dénué de toute connotation
polémique, comme dans le cas du vitrail et de la statue de la cathédrale
de Chartres. (10) Au cours des XIIIe et XIVe siècles, (11) le culte
à sainte Anne s'était également répandu parmi le peuple; par
conséquent, plusieurs possibilités sont à envisager lorsqu'on
cherche à connaître l'auteur de la commande.
La date de réalisation de la Sainte Anne de la Galerie est
incertaine. En général, on pense que la carrière d'Ugolino a
chevauché celle de Duccio et qu'elle s'est terminée peu après la
mort de celui-ci. Peu d'auteurs situent ses oeuvres, même les dernières,
après 1325. Cependant, un certain nombre des peintures d'Ugolino
trahissent l'influence d'un artiste vraisemblablement plus jeune que
lui, Pietro Lorenzetti; c'est en particulier le cas du panneau
acquis par la Galerie. L'esquisse de la Vierge enfant et de sa mère
peut rappeler celle de la Madone de Pérouse de Duccio, mais
l'oeuvre d'Ugolino est dépourvue de la frontalité hiératique et
de la planéité caractérisant l'oeuvre de Duccio. La palette
plus sombre et plus variée du peintre, la douce rondeur des corps,
leur relative liberté de mouvement ainsi que l'intimité et la
vigueur des détails évoquent la manière de Pietro Lorenzetti,
notamment dans la Madone du retable des carmes, exécuté en
1329, ou dans les Madones de Montichiello ou de Castiglione
d'Orcia. Mais si l'influence de ces peintres est bien réelle,
c'est-à-dire si la carrière d'Ugolino n'a pas évolué parallèlement
à celle de ces artistes, et indépendamment d'eux, et s'il ne les
a pas devancés (aucune des deux hypothèses n'étant d'ailleurs
vraisemblables), alors il faut sérieusement reconsidérer et réviser
les données dont on dispose sur l'évolution de la carrière
d'Ugolino.
Aucune des peintures d'Ugolino n'est datée ni exactement datable;
on ne possède en outre aucun document sûr les concernant.
Toutefois, les nombreuses oeuvres parvenues jusqu'à nous suivent
une évolution cohérente permettant d'établir une chronologie
relative. Logiquement, et c'est là une opinion généralement répandue,
les premières peintures d'Ugolino sont celles qui s'inspirent le
plus du style de Duccio, notamment la Vierge à l'Enfant de
la collection Tadini-Boninsegni (fig. 3), à présent conservée
dans la Meridionale du palais Pitti, à Florence, et appartenant au
legs Contini-Bonacossi.(12) La composition de cette peinture
rappelle la Madone de Stoclet de Duccio: (13) la disposition
des mains et des vêtements de la Vierge est presque la même et
l'Enfant y a également la main droite tendue vers le voile de sa mère.
La conception des corps y est moins ambitieuse que dans d'autres
peintures d'Ugolino. Les personnages sont disposés le plus parallèlement
possible au plan de l'oeuvre, avec très peu d'effet de perspective;
c'est ainsi, par exemple, que le bout des deux pieds de l'enfant est
visible. Les voiles sont peints avec beaucoup de délicatesse, mais
leur drapé est simple, sans ondulation ou pli superflu. L'arc
simple de la partie supérieure du panneau et les motifs gravés sur
les hachures croisées des auréoles sont des indices supplémentaires
permettant de situer l'oeuvre au début de la carrière d'Ugolino.
L'emploi de poinçons a largement supplanté dès 1320 cette
technique de décoration dans la peinture siennoise. Les profils
ogivaux et trilobés ont quant à eux remplacé partiellement les
arcs arrondis des panneaux de l'époque antérieure.
Un autre panneau est à rapprocher de la Madone de la collection Tadini car elle porte également l'empreinte de Duccio; dans
cette oeuvre, encadrée d'une simple moulure arquée, les auréoles
sont décorées de motifs gravés (fig. 4). Il s'agit du panneau
central d'un heptaptyque acheté en 1962 par le Sterling and
Francine Clark Art Institute de Williamstown (Massachusetts). (14) Dans
cette peinture, l'Enfant est obstinément tourné vers la droite
et appuie son pied sur le bras de sa mère. Le peintre a conféré
aux mains de cette dernière une perspective plus convaincante que
dans la Madone de la collection Tadini; Ugolino a également
rehaussé le drapé des vêtements de plages ombrées et de plis décoratifs.
Tous les personnages de ce retable, l'un des chefs-d'oeuvre les
plus imposants et les mieux préservés du début du XIVe siècle,
sont plus grands et plus élancés que dans les peintures antérieures
attribuées à Ugolino.
Cette remarque tient également pour les personnages du polyptyque
39 conservé à la Pinacothèque de Sienne. (15) Les cinq panneaux de ce
retable sont très endommagés, mais on peut encore y reconnaître
la Vierge et l'Enfant au centre (fig. 5) et saint François à
l'extrême droite, qui sont manifestement de la main d'Ugolino.
L'esquisse du panneau central est fondée sur celle du polyptyque 28
peint par Duccio et conservé à Sienne, (16) tandis que la facture des
personnages est indiscutablement la même que celle des Madones
des collections Clark et Tadini et du château de Langeais, en
Touraine. (17) Dans le polyptyque 39, la courbe du pied de l'Enfant,
appuyé sur le poignet de sa mère, l'ample drapé de la taille, ou
la nouvelle technique de décoration des auréoles au moyen de poinçons
sur le fond en pointillé, laissent à penser que l'oeuvre a été
exécutée un peu plus tard. Les rosettes ou les losanges poinçonnés
apparaissant ici pour la première fois reviennent dans toutes les
oeuvres de fin de carrière d'Ugolino; beaucoup d'entre elles présentent
également des feuilles trilobées poinçonnées garnissant une
branche de vigne qui court dans les auréoles de la Vierge ou de
saint François et semble jaillir de l'anneau intérieur du nimbe de
l'Enfant Jésus.
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