Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin Annuel 5, 1981-1982

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Ugolino di Nerio: Sainte Anne et la Vierge enfant

par Laurence B. Kanter


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Il est une question plus intéressante encore que d'identifier la source d'inspiration d'Ugolino: savoir qui a pu commander à l'artiste une telle oeuvre. A l'époque, le culte à sainte Anne commençait à se répandre en Occident et se trouvait particulièrement associé à deux ordres monastiques: les franciscains et les carmes. Les franciscains étaient les principaux tenants de la doctrine, alors très controversée, de l'Immaculée Conception; on pense par conséquent que ce genre de représentations de sainte Anne et de la Vierge servait pour ainsi dire à convaincre le peuple de la pureté de la Vierge, dès sa conception. (8) Ugolino eut à plusieurs reprises des contacts avec les franciscains. Il a peint pour leurs églises au moins sept retables et trois petits panneaux d'inspiration religieuse. La dévotion particulière des carmes pour sainte Anne remonte à la légende voulant que la sainte soit apparue à sa mère, Hysmeria, au cours d'une visite de cette dernière aux ermites du mont Carmel, ancêtres dont se réclament les carmes modernes. (9) Bien que les franciscains et les carmes aient été les principaux artisans du culte à sainte Anne, on ne peut toutefois affirmer que le panneau de la Galerie nationale ait été destiné à l'un de ces ordres. Il aurait tout aussi bien pu, en tant que panneau central du retable (car tel semble avoir été sa vocation), servir à décorer l'autel d'une chapelle abritant une relique de sainte Anne; il n'aurait été ainsi qu'un simple objet de dévotion dénué de toute connotation polémique, comme dans le cas du vitrail et de la statue de la cathédrale de Chartres. (10) Au cours des XIIIe et XIVe siècles, (11) le culte à sainte Anne s'était également répandu parmi le peuple; par conséquent, plusieurs possibilités sont à envisager lorsqu'on cherche à connaître l'auteur de la commande.

La date de réalisation de la Sainte Anne de la Galerie est incertaine. En général, on pense que la carrière d'Ugolino a chevauché celle de Duccio et qu'elle s'est terminée peu après la mort de celui-ci. Peu d'auteurs situent ses oeuvres, même les dernières, après 1325. Cependant, un certain nombre des peintures d'Ugolino trahissent l'influence d'un artiste vraisemblablement plus jeune que lui, Pietro Lorenzetti; c'est en particulier le cas du panneau acquis par la Galerie. L'esquisse de la Vierge enfant et de sa mère peut rappeler celle de la Madone de Pérouse de Duccio, mais l'oeuvre d'Ugolino est dépourvue de la frontalité hiératique et de la planéité caractérisant l'oeuvre de Duccio. La palette plus sombre et plus variée du peintre, la douce rondeur des corps, leur relative liberté de mouvement ainsi que l'intimité et la vigueur des détails évoquent la manière de Pietro Lorenzetti, notamment dans la Madone du retable des carmes, exécuté en 1329, ou dans les Madones de Montichiello ou de Castiglione d'Orcia. Mais si l'influence de ces peintres est bien réelle, c'est-à-dire si la carrière d'Ugolino n'a pas évolué parallèlement à celle de ces artistes, et indépendamment d'eux, et s'il ne les a pas devancés (aucune des deux hypothèses n'étant d'ailleurs vraisemblables), alors il faut sérieusement reconsidérer et réviser les données dont on dispose sur l'évolution de la carrière d'Ugolino.

Aucune des peintures d'Ugolino n'est datée ni exactement datable; on ne possède en outre aucun document sûr les concernant. Toutefois, les nombreuses oeuvres parvenues jusqu'à nous suivent une évolution cohérente permettant d'établir une chronologie relative. Logiquement, et c'est là une opinion généralement répandue, les premières peintures d'Ugolino sont celles qui s'inspirent le plus du style de Duccio, notamment la Vierge à l'Enfant de la collection Tadini-Boninsegni (fig. 3), à présent conservée dans la Meridionale du palais Pitti, à Florence, et appartenant au legs Contini-Bonacossi.(12) La composition de cette peinture rappelle la Madone de Stoclet de Duccio: (13) la disposition des mains et des vêtements de la Vierge est presque la même et l'Enfant y a également la main droite tendue vers le voile de sa mère. La conception des corps y est moins ambitieuse que dans d'autres peintures d'Ugolino. Les personnages sont disposés le plus parallèlement possible au plan de l'oeuvre, avec très peu d'effet de perspective; c'est ainsi, par exemple, que le bout des deux pieds de l'enfant est visible. Les voiles sont peints avec beaucoup de délicatesse, mais leur drapé est simple, sans ondulation ou pli superflu. L'arc simple de la partie supérieure du panneau et les motifs gravés sur les hachures croisées des auréoles sont des indices supplémentaires permettant de situer l'oeuvre au début de la carrière d'Ugolino. L'emploi de poinçons a largement supplanté dès 1320 cette technique de décoration dans la peinture siennoise. Les profils ogivaux et trilobés ont quant à eux remplacé partiellement les arcs arrondis des panneaux de l'époque antérieure.

Un autre panneau est à rapprocher de la Madone de la collection Tadini car elle porte également l'empreinte de Duccio; dans cette oeuvre, encadrée d'une simple moulure arquée, les auréoles sont décorées de motifs gravés (fig. 4). Il s'agit du panneau central d'un heptaptyque acheté en 1962 par le Sterling and Francine Clark Art Institute de Williamstown (Massachusetts). (14) Dans cette peinture, l'Enfant est obstinément tourné vers la droite et appuie son pied sur le bras de sa mère. Le peintre a conféré aux mains de cette dernière une perspective plus convaincante que dans la Madone de la collection Tadini; Ugolino a également rehaussé le drapé des vêtements de plages ombrées et de plis décoratifs. Tous les personnages de ce retable, l'un des chefs-d'oeuvre les plus imposants et les mieux préservés du début du XIVe siècle, sont plus grands et plus élancés que dans les peintures antérieures attribuées à Ugolino.

Cette remarque tient également pour les personnages du polyptyque 39 conservé à la Pinacothèque de Sienne. (15) Les cinq panneaux de ce retable sont très endommagés, mais on peut encore y reconnaître la Vierge et l'Enfant au centre (fig. 5) et saint François à l'extrême droite, qui sont manifestement de la main d'Ugolino. L'esquisse du panneau central est fondée sur celle du polyptyque 28 peint par Duccio et conservé à Sienne, (16) tandis que la facture des personnages est indiscutablement la même que celle des Madones des collections Clark et Tadini et du château de Langeais, en Touraine. (17) Dans le polyptyque 39, la courbe du pied de l'Enfant, appuyé sur le poignet de sa mère, l'ample drapé de la taille, ou la nouvelle technique de décoration des auréoles au moyen de poinçons sur le fond en pointillé, laissent à penser que l'oeuvre a été exécutée un peu plus tard. Les rosettes ou les losanges poinçonnés apparaissant ici pour la première fois reviennent dans toutes les oeuvres de fin de carrière d'Ugolino; beaucoup d'entre elles présentent également des feuilles trilobées poinçonnées garnissant une branche de vigne qui court dans les auréoles de la Vierge ou de saint François et semble jaillir de l'anneau intérieur du nimbe de l'Enfant Jésus.

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