Accueil
English
Introduction
Histoire
Index annuel
Auteur et Sujet
Crédits
Contact
|
Le berger Paris de Jean-Germain Drouais
par John D. Bandiera
Pages 1 |
2 | 3
| 4
| 5
| 6
| 7
En 1980, la Galerie nationale du Canada acquit Le berger
Pâris (fig. 1), une grande académie attribuée
à Drouais. (12) Dans cette très belle oeuvre, le jeune Pâris
qui, selon la légende, était berger sur les pentes du mont
Ida, se tient debout à l'avant-plan d'un paysage naturaliste et
quelque peu mélancolique. Ce sujet, qui a inspiré de nombreuses
peintures et sculptures de l'Antiquité au XIXe siècle, (13)
est relié à la tradition iconographique (plus familière)
du Jugement de Pâris. L'auteur du Berger Pâris décrit
le moment qui précède le jugement qui allait être rendu
par le fils de Priam, Pâris, « le plus beau de tous les mortels », (14) décidant ainsi de l'issue du «
concours de beauté » entre Héra, Athéna et Aphrodite. Pâris contemple
le prix, une pomme d'or que lui a remis Mercure (qu'on peut voir s'envoler
dans le coin supérieur gauche de la toile). Il est probable que
Pâris contemple son propre reflet dans la pomme, mais
son air songeur laisse aussi supposer qu'il commence à prendre
conscience des graves conséquences de sa funeste décision,
cause directe de la guerre de Troie. En faisant contempler par Pâris
sa propre image, l'artiste crée une atmosphère introspective
et chargée d'émotion. Le paysage avec ses nuages et ses arbres
agités par le vent, ainsi que le temple dorique qu'on remarque à
peine (à gauche, dans la partie boisée et éloignée), contribuent aussi à créer une atmosphère mélancolique
et à évoquer avec romantisme une scène éloignée dans le temps et dans l'espace.
L'émotion retenue et le lyrisme discret de l'oeuvre,
les proportions élégantes et le rendu gracieux du personnage
ainsi que le traitement dynamique du paysage dénotent un artiste
talentueux et sensible. Même si la qualité extraordinaire
de cette oeuvre ne fait aucun doute, elle n'en demeure pas moins très
controversée, car la paternité de la toile n'a pas été
attribuée avec certitude. Les spécialistes n'ont pas voulu
accepter l'attribution à Drouais (la contestation la plus récente
se trouvait dans le catalogue de l'exposition David et Rome de
1981-1982) pour trois raisons convaincantes: (15) primo, la signature,
« Drouais f. Roma », est au moins en partie (et selon
toute vraisemblance entièrement) fausse. (16) Secundo, les documents ne font aucune allusion à un Berger Pâris par
Drouais. Finalement, on considère que le style et le thème
de la peinture d'Ottawa n'ont aucun rapport avec ceux des académies
reconnues de Drouais. (17) Si nous voulons attribuer Le berger Pâris
à Drouais, nous devons modifier notre perception du caractère
de l'oeuvre du peintre et reconsidérer la chronologie de ses oeuvres
et de son épanouissement artistique. La présente étude
fournira des éléments d'appréciation qui viendront appuyer la thèse de l'attribution à Drouais du Berger
Pâris et jetteront une nouvelle lumière sur sa production
et ses intérêts au cours des années qu'il passa à
Rome.
Vu ses dimensions et son sujet mythologique, il est probable
que Le berger Pâris soit un envoi de Rome, (18) c'est-à-dire
une figure d'étude peinte par un pensionnaire de l'Académie
de France à Rome en vue d'être présentée à
l'Académie royale de peinture et de sculpture à Paris. (Normalement,
un élève devait exécuter une académie par
année et quatre dessins achevés de nus.) La peinture de
Drouais cadre très bien, tant du point de vue du style que du thème,
avec les académies peintes exécutées par les élèves
de David au cours des années 1780. La composition du Berger Pâris
peut donc être située dans le cadre chronologique général
qui permettrait une attribution à Drouais, qui était en résidence
à l'Académie de France, à Rome, du 7 octobre 1784
au 13 février 1788.
Se pourrait-il que Drouais l'ait peint au cours de ces
quarante mois? Malheureusement, les recherches sur l'origine du tableau
ne vont pas au-delà du marchand chez qui il fut acheté et,
comme nous l'avons indiqué plus haut, il ne nous reste aucune documentation
de cette époque en rapport avec le tableau. Il est cependant possible
de se concentrer sur une certaine partie de ces quarante mois puisque nous
savons quand il n'a pas pu peindre Le berger Pâris. En
effet, dans une lettre du 9 avril 1788 adressée à d'Angivillier,
surintendant des bâtiments du roi, Ménageot, le directeur
de l'Académie de France à Rome, écrivait: « Le Sr Drouais n'a rien laissé du tout en peinture; il n'avait que
son académie, en tout il n'a laissé que très peu d'études.
» (19) Aussi à la mort de Drouais, son studio ne contenait que
son Philoctète (fig. 2) et des études préliminaires pour sa peinture inachevée,
Le départ de Caius
Gracchus.
(Il y avait sans doute aussi des croquis pour la copie de l'Adam
et Ève de Dominiquain, que Drouais avait reçu l'ordre d'exécuter pour le
roi.) Il est par conséquent inconcevable, surtout si
l'on songe à son mauvais état de santé au cours de
la dernière année de sa vie, que Drouais ait travaillé
à d'autres projets durant la période entre la fin de 1786,
époque où il entreprit son Philoctète et Le
départ de Caius Gracchus, et sa mort.
Il est également peu probable que Drouais ait exécuté
Le berger Pâris dans la période qui s'étend
d'août 1785, époque où il exposa son Athlète
mourant (fig. 3), à la fin de 1786. (20) Une lettre du 23
août 1786 adressée à d'Angivillier par Lagrenée,
prédécesseur de Ménageot à la direction de
l'Académie, nous informe que Drouais avait été exempté
de l'obligation d'exécuter une académie pour 1786, afin qu'il
puisse se consacrer entièrement à l'exécution de
Marius à Minturnes (qu'il mit environ onze mois à terminer). (21) Si Le berger Pâris est
l'oeuvre de Drouais,
il ne peut avoir été exécuté que dans la période
de onze mois qui s'étend de son arrivée à Rome au
mois d'août 1785, et c'est précisément dans cette période
qu'il nous faut chercher les réponses à la question de la
paternité.
Ce fut la période la plus féconde de la
carrière de Drouais. Ses biographes nous disent qu'il consacra toutes
ses énergies à son travail, se levant à quatre heures
du matin et travaillant, parfois même sans manger, jusqu'à
la tombée de la nuit. (22) En plus de l'Athlète mourant, Drouais peignit une Tête de vieillard (maintenant perdue)
et assista David dans l'exécution du Serment des Horaces. (23) Nous
devons également rattacher à cette période une autre
toile au sujet de laquelle aucun document du XVIIIe siècle ne
nous est parvenu, le tableau dit Gladiateur assis (fig. 4) de
Rouen ( que certains écrivains ont confondu avec l'Athlète
mourant). (24) On a cru que le Gladiateur assis était
une version préliminaire inachevée de l'Athlète mourant. Mais, malgré les ressemblances de thème, de
style et d'attitude, il est très probable que le Gladiateur assis
ne soit pas une oeuvre préliminaire. Le fait que le nu de Rouen
est coiffé des lauriers du vainqueur et n'est pas blessé
indique que cette oeuvre répond à une conception différente
de celle de l'Athlète mourant (que la nécrologie
d'un numéro de 1788 du Journal de Paris décrit comme
suit: « un Gladiateur vaincu et blessé, dans les yeux duquel on
voyoit encore briller le désir de la vengeance. » (25) Comparativement
au type romain représenté dans l'Athlète mourant,
la toile de Rouen figure probablement un héros grec (le casque
est incontestablement de style grec) qui jette un regard vers le ciel
pour implorer l'assistance divine ou pour rendre grâce. (26)
Page Suivante | documents contemporaires
1 | 2
| 3
| 4
| 5
| 6
| 7
Haut de la page
Accueil
| English | Introduction
| Histoire
Index annuel |
Auteur
et Sujet | Crédits |
Contact
Cette
collection numérisée a été produite aux termes d'un contrat
pour le compte du programme des Collections numérisées du
Canada, Industrie Canada.
"Programme
des Collections numérisées, droit d'auteur © Musée
des beaux-arts du Canada 2001"
|