Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin Annuel 7, 1983-1984

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Le berger Paris de Jean-Germain Drouais 

par John D. Bandiera

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En 1980, la Galerie nationale du Canada acquit Le berger Pâris   (fig. 1), une grande académie attribuée à Drouais. (12) Dans cette très belle oeuvre, le jeune Pâris qui, selon la légende, était berger sur les pentes du mont Ida, se tient debout à l'avant-plan d'un paysage naturaliste et quelque peu mélancolique. Ce sujet, qui a inspiré de nombreuses peintures et sculptures de l'Antiquité au XIXe siècle, (13) est relié à la tradition iconographique (plus familière) du Jugement de Pâris. L'auteur du Berger Pâris décrit le moment qui précède le jugement qui allait être rendu par le fils de Priam, Pâris, « le plus beau de tous les mortels », (14) décidant ainsi de l'issue du « concours de beauté » entre Héra, Athéna et Aphrodite. Pâris contemple le prix, une pomme d'or que lui a remis Mercure (qu'on peut voir s'envoler dans le coin supérieur gauche de la toile). Il est probable que Pâris contemple son propre reflet dans la pomme, mais son air songeur laisse aussi supposer qu'il commence à prendre conscience des graves conséquences de sa funeste décision, cause directe de la guerre de Troie. En faisant contempler par Pâris sa propre image, l'artiste crée une atmosphère introspective et chargée d'émotion. Le paysage avec ses nuages et ses arbres agités par le vent, ainsi que le temple dorique qu'on remarque à peine (à gauche, dans la partie boisée et éloignée), contribuent aussi à créer une atmosphère mélancolique et à évoquer avec romantisme une scène éloignée dans le temps et dans l'espace.

L'émotion retenue et le lyrisme discret de l'oeuvre, les proportions élégantes et le rendu gracieux du personnage ainsi que le traitement dynamique du paysage dénotent un artiste talentueux et sensible. Même si la qualité extraordinaire de cette oeuvre ne fait aucun doute, elle n'en demeure pas moins très controversée, car la paternité de la toile n'a pas été attribuée avec certitude. Les spécialistes n'ont pas voulu accepter l'attribution à Drouais (la contestation la plus récente se trouvait dans le catalogue de l'exposition David et Rome de 1981-1982) pour trois raisons convaincantes: (15) primo, la signature, « Drouais f. Roma », est au moins en partie (et selon toute vraisemblance entièrement) fausse. (16) Secundo, les documents ne font aucune allusion à un Berger Pâris par Drouais. Finalement, on considère que le style et le thème de la peinture d'Ottawa n'ont aucun rapport avec ceux des académies reconnues de Drouais. (17) Si nous voulons attribuer Le berger Pâris à Drouais, nous devons modifier notre perception du caractère de l'oeuvre du peintre et reconsidérer la chronologie de ses oeuvres et de son épanouissement artistique. La présente étude fournira des éléments d'appréciation qui viendront appuyer la thèse de l'attribution à Drouais du Berger Pâris et jetteront une nouvelle lumière sur sa production et ses intérêts au cours des années qu'il passa à Rome.

Vu ses dimensions et son sujet mythologique, il est probable que Le berger Pâris soit un envoi de Rome, (18) c'est-à-dire une figure d'étude peinte par un pensionnaire de l'Académie de France à Rome en vue d'être présentée à l'Académie royale de peinture et de sculpture à Paris. (Normalement, un élève devait exécuter une académie par année et quatre dessins achevés de nus.) La peinture de Drouais cadre très bien, tant du point de vue du style que du thème, avec les académies peintes exécutées par les élèves de David au cours des années 1780. La composition du Berger Pâris peut donc être située dans le cadre chronologique général qui permettrait une attribution à Drouais, qui était en résidence à l'Académie de France, à Rome, du 7 octobre 1784 au 13 février 1788.

Se pourrait-il que Drouais l'ait peint au cours de ces quarante mois? Malheureusement, les recherches sur l'origine du tableau ne vont pas au-delà du marchand chez qui il fut acheté et, comme nous l'avons indiqué plus haut, il ne nous reste aucune documentation de cette époque en rapport avec le tableau. Il est cependant possible de se concentrer sur une certaine partie de ces quarante mois puisque nous savons quand il n'a pas pu peindre Le berger Pâris. En effet, dans une lettre du 9 avril 1788 adressée à d'Angivillier, surintendant des bâtiments du roi, Ménageot, le directeur de l'Académie de France à Rome, écrivait: « Le Sr Drouais n'a rien laissé du tout en peinture; il n'avait que son académie, en tout il n'a laissé que très peu d'études. » (19) Aussi à la mort de Drouais, son studio ne contenait que son Philoctète (fig. 2) et des études préliminaires pour sa peinture inachevée, Le départ de Caius Gracchus. (Il y avait sans doute aussi des croquis pour la copie de l'Adam et Ève de Dominiquain, que Drouais avait reçu l'ordre d'exécuter pour le roi.) Il est par conséquent inconcevable, surtout si l'on songe à son mauvais état de santé au cours de la dernière année de sa vie, que Drouais ait travaillé à d'autres projets durant la période entre la fin de 1786, époque où il entreprit son Philoctète et Le départ de Caius Gracchus, et sa mort.

Il est également peu probable que Drouais ait exécuté Le berger Pâris dans la période qui s'étend d'août 1785, époque où il exposa son Athlète mourant (fig. 3), à la fin de 1786. (20) Une lettre du 23 août 1786 adressée à d'Angivillier par Lagrenée, prédécesseur de Ménageot à la direction de l'Académie, nous informe que Drouais avait été exempté de l'obligation d'exécuter une académie pour 1786, afin qu'il puisse se consacrer entièrement à l'exécution de Marius à Minturnes (qu'il mit environ onze mois à terminer). (21) Si Le berger Pâris est l'oeuvre de Drouais, il ne peut avoir été exécuté que dans la période de onze mois qui s'étend de son arrivée à Rome au mois d'août 1785, et c'est précisément dans cette période qu'il nous faut chercher les réponses à la question de la paternité.

Ce fut la période la plus féconde de la carrière de Drouais. Ses biographes nous disent qu'il consacra toutes ses énergies à son travail, se levant à quatre heures du matin et travaillant, parfois même sans manger, jusqu'à la tombée de la nuit. (22) En plus de l'Athlète mourant, Drouais peignit une Tête de vieillard (maintenant perdue) et assista David dans l'exécution du Serment des Horaces. (23) Nous devons également rattacher à cette période une autre toile au sujet de laquelle aucun document du XVIIIe siècle ne nous est parvenu, le tableau dit Gladiateur assis (fig. 4) de Rouen ( que certains écrivains ont confondu avec l'Athlète mourant). (24) On a cru que le Gladiateur assis était une version préliminaire inachevée de l'Athlète mourant. Mais, malgré les ressemblances de thème, de style et d'attitude, il est très probable que le Gladiateur assis ne soit pas une oeuvre préliminaire. Le fait que le nu de Rouen est coiffé des lauriers du vainqueur et n'est pas blessé indique que cette oeuvre répond à une conception différente de celle de l'Athlète mourant (que la nécrologie d'un numéro de 1788 du Journal de Paris décrit comme suit: « un Gladiateur vaincu et blessé, dans les yeux duquel on voyoit encore briller le désir de la vengeance. » (25)  Comparativement au type romain représenté dans l'Athlète mourant, la toile de Rouen figure probablement un héros grec (le casque est incontestablement de style grec) qui jette un regard vers le ciel pour implorer l'assistance divine ou pour rendre grâce. (26)

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