Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin Annuel 7, 1983-1984

Accueil
English
Introduction
Histoire
Index annuel
Auteur et Sujet
Crédits
Contact


Cliquez figure 11 ici pour une image agrandie








Cliquez figure 12 ici pour une image agrandie








Cliquez figure 13 ici pour une image agrandie









Cliquez figure 14 ici pour une image agrandie

Le berger Paris de Jean-Germain Drouais 

par John D. Bandiera

Pages  1  |  2  |  3  |  4  |  5  |  6  |  7

Que doit-on en conclure? À ce stade, on ne peut que formuler des hypothèses. Une possibilité fascinante est que Le berger Pâris soit la première des académies exécutées par Drouais à Rome, une oeuvre qui reflète ses études de paysage et de la statuaire classique. Il décida de ne pas présenter cette oeuvre à l'exposition annuelle d'août 1785 parce qu'il préférait vraisemblablement en exposer une qui fût plus conforme à la lettre et à l'esprit du néo-classicisme davidien. Comme il restait peu de temps avant l'échéance, il commença le Gladiateur assis de Rouen que certains dessins relient au Berger Pâris et qui en conserve certains caractères tels que la musculature harmonieuse et la position à demi couchée. L'académie de Rouen avec ses éléments « héroïques » (lauriers, épée et casque), son sarcophage de pierre et son cadre sombre évoquant l'intérieur d'une caverne est plus austère que le tableau d'Ottawa, mais Drouais n'en était toujours pas satisfait et l'échéance approchant, il abandonna ce projet. Il entreprit alors et acheva la troisième académie de la série, l'Athlète mourant, oeuvre qui conjugue la sévérité de la forme, l'exactitude archéologique et une plus grande concentration expressive et morale. Cette image d'orgueil farouche et de défi dans un cadre romain austère indique clairement l'effet de sa collaboration au Serment des Horaces. (33) (Cela explique également le mécontentement croissant du peintre envers le milieu académique établi auquel il reprochait d'être hostile à David et à son style révolutionnaire.)

On peut donc considérer Le berger Pâris comme l'effort de Drouais pour incorporer son étude encyclopédique de l'art romain dans une oeuvre conforme aux normes conventionnelles de la formation académique. Le tableau de Rouen représente une phase de transition conduisant à la cristallisation complète (au point de vue du style, du contenu politique et de l'iconographie) de l'art de Drouais dans l'Athlète mourant. Envisagé dans ce nouveau contexte, Le berger Pâris reprend sa place naturelle (et logique) dans l'évolution de l'art de Drouais en 1784-1785.

Le berger Pâris fut exécuté au début du séjour de Drouais, à Rome, à une époque où le peintre était possédé par le goût de la découverte et désirait vivement faire des expériences à l'aide d'une nouvelle série de modèles variés. Cela est manifeste dans le dessin 147 de l'Album Drouais, qui est probablement une étude préliminaire du Berger Pâris. Cette étude est aussi proche de l'oeuvre achevée que d'autres études préliminaires de l'Album Drouais le sont des académies correspondantes. Ce dessin s'inspire d'un certain nombre de sources, l'une desquelles est assurément le Mercure apportant la pomme d'or â Pâris (fig. 11) d'Annibale Carrache, au palais Farnèse. Drouais s'intéressait à l'oeuvre de Carrache (l'Album Drouais contient deux dessins [89 et 107] d'après Annibale) et connaissait certainement les fresques du palais Farnèse. L'influence d'Annibale se dénote dans le traitement du personnage drapé que l'on voit assis le bras tendu, et dans l'absence du bonnet phrygien (les coiffures sont également assez semblables). Dans le tableau, le lien avec Annibale ressort clairement par des détails tels que la courroie que Pâris porte sur la poitrine (ce détail n'apparaît dans aucune des sources classiques) et par le pied de Pâris reposant sur le bout recourbé de la houlette de berger. Tout aussi significative est la composition du paysage: vaste massif d'arbres à gauche, massif plus petit à droite et vue sur l'horizon entre les deux. La facture rude et lâche des arbres et du ciel dans Le berger Pâris rappelle également la technique des fresques.

Aux sources baroques, il faut ajouter les sources classiques. L'une des plus importantes est Ganymède (fig.12), sculpture qui fut exposée avec succès lorsque Drouais était à Rome. (34) Comme dans Le berger Pâris, le personnage est représenté les jambes croisses, appuyé contre un arbre, tenant un bâton de berger à l'intérieur du coude, et portant un bonnet phrygien. Dans les deux oeuvres, la main droite est tendue et tient un objet. On note également une ressemblance dans les proportions du corps et dans la définition de la musculature du torse et des jambes.

Il est fort probable que Drouais avait étudié des statues de l'antiquité classique représentant le berger Pâris. Il est possible qu'une de ces statues (fig.13), qui se trouve également au Pio Clementino, servit de modèle au peintre. Pâris est représenté assis et, comme le Pâris du musée d'Ottawa, il tient la pomme d'or dans sa main droite tendue devant lui. Les traits du visage, le profil et la position de la tête sont très semblables dans les deux oeuvres.

Il convient également de noter que la figure de Pâris peinte par Drouais possède, dans une large mesure, un caractère générique dont on reconnaît aisément les origines classiques. Les représentations antiques du berger Pâris le montrent généralement debout les jambes croisées, tenant un bâton et appuyé contre un arbre. (35) Il porte toujours le bonnet phrygien associé à certaines régions d'Orient, en l'occurence le versant du mont Ida (dans la Turquie actuelle), et une expression mélancolique est habituellement inscrite sur son visage. Les traits de cette représentation furent repris aux XVIIIe et XIXe siècles sans déviation appréciable de la formule héritée des prototypes classiques. Cette tradition se manifeste dans Figure d'étude représentant un Pâris (fig.14), oeuvre qui s'apparente étroitement au Berger Pâris de Drouais. (36) Gautherot était un condisciple de Drouais dans l'atelier de David et cette oeuvre se rapproche beaucoup par l'esprit de l'académie de Drouais. L'attitude est très semblable (en particulier la position des jambes) et la grande différence entre les deux est que dans l'oeuvre de Gautherot, le bras droit de Pâris retombe le long du corps et que le berger est appuyé sur un coude. (Gautherot s'écarte également de la tradition en représentant son personnage appuyé sur un bloc de pierre plutôt que sur une souche d'arbre.) En dépit des différences qui existent entre ces deux oeuvres, il est clair que les deux artistes connaissaient les modèles classiques de ce type de personnage et qu'aucun des deux ne s'est distingué par une interprétation radicalement nouvelle de ce sujet.

Le berger Pâris représente donc un épisode conservateur dans la période romaine de Drouais. Malgré cela, son originalité est évidente. La façon dont le paysage et le personnage sont mis en rapport rappelle fortement certains portraits aristocratiques de Van Dyck. Cette ressemblance est évidente dans la position de la figure allongée (vue d'un point situé relativement bas) dans un espace peu profond devant un paysage naturaliste de facture lâche. Bien qu'il soit impossible d'établir une influence directe de Van Dyck sur Drouais, l'ambiance « nordique » du Berger Pâris est un autre aspect fascinant de cette oeuvre.

La diversité des influences, du classique au baroque, qui se dénote dans Le berger Pâris donne à penser qu'il s'agit d'une oeuvre d'exploration et, dans une certaine mesure, d'une oeuvre expérimentale. C'est également l'oeuvre d'un étudiant, au plein sens du mot. On doit toutefois se rappeler que Drouais aimait combiner et modifier considérablement ses sources et ajouter son empreinte personnelle aux traditions établies. (37) Nous avons voulu présenter dans cette étude de bons arguments détaillés étayant l'attribution du Berger Pâris à Jean-Germain Drouais. Les nombreuses ressemblances stylistiques à d'autres académies et les preuves relevées dans l'Album Drouais renforcent considérablement cette hypothèse et il est maintenant permis d'afflfmer avec une certitude raisonnable que le Berger Pâris est l'oeuvre de Drouais et qu'elle est la première académie qu'il exécuta à Rome (en 1784 ou au début de 1785). Il convient en outre d'ajouter que cette paternité n'est pas aussi absurde que certains peuvent le croire. Elle correspond à l'ambition qu'avait Drouais d'atteindre dans ses académies une profondeur émotionnelle égale à celle de ses peintures historiques. Elle s'accorde également avec la grande souplesse et l'universalité de l'approche que Drouais manifestait à l'égard des modèles et des sources stylistiques, et elle reflète son étude enthousiaste de l'art romain dans toute sa richesse et sa diversité.

Étant donné la rareté des peintures achevées de Jean-Germain Drouais, la découverte d'une nouvelle oeuvre doit être considérée comme un événement de première importance. Le berger Pâris contredit le jugement traditionnel que les experts portent sur Drouais et nous fait voir le côté plus lyrique et idéaliste de son tempérament. C'est également un beau tableau qui peut être apprécié pour sa valeur artistique et picturale. C'est donc à tous égards une oeuvre spéciale qui vient s'ajouter à la collection de la Galerie nationale du Canada.

Page Suivante | Notes 1 à 11

1
  |  2  |  3  |  4  |  5  |  6  |  7

Haut de la page


Accueil | English | Introduction | Histoire
Index annuel
| Auteur et Sujet | Crédits | Contact

Cette collection numérisée a été produite aux termes d'un contrat pour le compte du programme des Collections numérisées du Canada, Industrie Canada.

"Programme des Collections numérisées, droit d'auteur © Musée des beaux-arts du Canada 2001"