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VI

LES MINISTRES ET LEURS MINISTÈRES RESPECTIFS

Le ministre

Les lois constitutives des ministères du gouvernement définissent expressément la responsabilité individuelle des ministres titulaires et, comme nous l’avons noté, constituent ainsi le fondement juridique de leur responsabilité. L’usage et les conventions déterminent la manière dont chaque ministre s’acquitte de cette responsabilité et rend compte de l’exercice de son pouvoir légal. Toutes les lois constitutives des ministères prévoient la nomination du ministre par la Couronne (officieusement sur l’avis du Premier ministre), définissent les pouvoirs et attributions dont il est investi, et lui attribuent l’administration et la direction (contrôle et supervision) des ressources financières et humaines à la disposition de son ministère.1 Ces dispositions législatives ont vu le jour grâce aux conventions constitutionnelles, lesquelles déterminent à un moment donné la manière dont un ministre exerce ses fonctions et les circonstances dans lesquelles il doit rendre compte au Parlement de ses actions, de même qu’elles offrent d’autres garanties tenant à la responsabilité collective conventionnelle des ministres.

La responsabilité individuelle du ministre veut qu’il réponde personnellement des mesures prises sous son autorité. Il s’agit là d’un principe fondamental, issu de la longue lutte qui vise à subordonner l’exercice du pouvoir à la notion de responsabilité. Le Parlement a insisté pour que les ministres soient choisis parmi ses membres afin qu’ils lui rendent compte directement. Il s’ensuit qu’un ministre peut être attaqué chaque jour au sujet de ses propres actions comme des actions de ses subordonnés. Les traditions d’anonymat de la fonction publique ont pris corps en Angleterre vers la fin du XIXe siècle, et ce principe a été renforcé au Canada par la création, en 1908, de la Commission de la fonction publique, qui a pour objet de garantir que les fonctionnaires demeurent politiquement neutres.

Les fonctionnaires n’ont pas le droit de faire partie de la Chambre des communes qui, de ce fait, ne saurait les tenir constitutionnellement responsables. Il est intéressant de noter qu’il a fallu attendre jusqu’à la fin du XVIIIe siècle pour que, en Angleterre, il soit interdit aux fonctionnaires de carrière de faire partie du Parlement.2 En effet, ce n’est qu’à partir de cette période qu’il a été possible de discerner la formation d’une fonction publique (distincte de la fonction politique). Il est intéressant également de noter que l’interdiction faite aux fonctionnaires de faire partie de la Chambre, interdiction qui entraîne leur exonération en matière de responsabilité constitutionnelle, a été accompagnée de modifications organisationnelles qui avaient pour effet de concentrer la fonction publique dans les ministères, dont chacun était présidé par un ministre qui pouvait être tenu responsable des activités de ses subordonnés. Ce changement a été marqué, durant la première moitié du XIXe siècle, par la substitution de la responsabilité personnelle d’un ministre au [traduction] «pouvoir indéfinissable et irresponsable des conseils.»3

On peut voir dans les deux catégories de conseils et de commissions qui ont survécu à ces changements une parfaite illustration de la différence entre la qualité subalterne des fonctionnaires et la position de responsabilité des ministres. En premier lieu, il existe des organismes composés uniquement de ministres, tel notre Conseil du Trésor. En second lieu, il existe des commissions telles que notre Conseil de la Défense et le Conseil de l’Amirauté de l’Angleterre (tous deux maintenant abolis), dont les activités sont placées sous la présidence d’un ministre qui en est personnellement et exclusivement responsable et dont les membres sont des fonctionnaires qui donnent des conseils et ne jouissent pas du pouvoir de décision.4

À mesure que les fonctionnaires sont devenus plus nombreux, l’importance de la responsabilité ministérielle s’est accrue d’autant. Aujourd’hui plus que jamais, les actions des fonctionnaires sont multiples et entraînent des répercussions de portée très générale, et l’observation de la responsabilité constitutionnelle exige la présence d’un ministre personnellement tenu de répondre de leurs actions.5

Les principes de responsabilité, la concentration du pouvoir de la Couronne entre les mains des ministres, l’assujettissement du pouvoir ministériel au contrôle du Parlement, le pouvoir restreint du Parlement pour ce qui est d’imposer des normes de justice aux actions de l’exécutif, voilà autant de facteurs qui ajoutent à la responsabilité des ministres et exigent d’eux qu’ils soient en état d’assurer la Chambre des communes qu’ils exercent le pouvoir avec responsabilité. La responsabilité constitutionnelle des ministres est sans équivoque, mais la question se pose constamment de savoir s’ils sont à même d’invoquer en toute confiance les actions de leurs subordonnés. C’est dans ce contexte et c’est à la lumière de l’évolution ainsi que des répercussions des manifestations de la responsabilité au sein du gouvernement parlementaire et ministériel, qu’il faut envisager l’obligation qui incombe aux fonctionnaires de rendre compte de leurs actes.

Le sous-ministre

Les attributions des sous-ministres reflètent la nature du gouvernement ministériel. Le sous-ministre est le subordonné le plus haut placé du ministre, auquel il rend compte. I1 peut exercer, par procuration, pratiquement tous les pouvoirs dont le ministre est investi. La responsabilité du sous-ministre envers son ministre reflète la responsabilité individuelle et collective de ce dernier, et, étant donné l’importance de la responsabilité collective du ministre, le sous-ministre est tenu à certaines obligations envers le Premier ministre et (par l’entremise de son ministre) envers le Conseil des ministres tout entier.

Le rôle du sous-ministre est complexe; en fin de compte, il se réduit à aider le ministre à s’acquitter de ses responsabilités et, tout comme pour les ministres, le rôle des sous-ministres, qui reflète les responsabilités individuelles des ministres, constitue le fondement de la responsabilité et de l’obligation de rendre compte au sein du système. Cependant, le système serait bien instable s’il ne s’appuyait sur le principe de responsabilité collective, nécessaire à la solidarité du Cabinet. C’est ainsi que le sous-ministre est amené à jouer un rôle dans la mise en oeuvre des moyens visant à assurer la responsabilité collective des ministres. I1 s’en trouve touché à son tour.

Les responsabilités individuelles et collectives inhérentes au gouvernement ministériel donnent lieu à un système qui fonctionne grâce à des forces en équilibre. L’harmonisation des responsabilités individuelles des ministres encourage le consensus et assure la stabilité du gouvernement ministériel. Le sous-ministre, tout comme son ministre, doit faire face, et doit trouver le moyen de remédier, aux conflits éventuels entre la responsabilité de son ministre et son obligation de satisfaire aux voeux collectifs de ses collègues.

Afin que les sous-ministres puissent remplir leur rôle de manière responsable et soient à même de rendre compte de leurs activités, il faut qu’ils comprennent leur rôle au sein du gouvernement ainsi que les attributions qui leur sont confiées en raison de la responsabilité individuelle et collective de leurs ministres respectifs. Les sous-ministres doivent également avoir accès à des moyens qui leur permettent de résoudre les conflits manifestes entre les responsabilités et les loyautés divergentes au sein du Conseil des ministres, afin qu’ils puissent fonctionner efficacement à titre de conseillers et d’administrateurs auprès de leurs ministres respectifs, et par là même, contribuer à la solidarité des ministres.6 En résumé, ils doivent comprendre de quelle manière et dans quelle mesure ils sont touchés par la responsabilité constitutionnelle.

Le sous-ministre et la responsabilité individuelle du ministre

Tout comme pour les ministres, le fondement juridique de la nomination des sous-ministres se trouve dans les lois constitutives des ministères intéressés. Cependant, contrairement aux ministres, les sous-ministres ne sont pas nommés par la Couronne, mais par la Couronne sur l’avis du Conseil des ministres tout entier. Cette disposition perpétue le contrôle traditionnel qu’exerce le Premier ministre sur les échelons supérieurs de la fonction publique. Elle donne également une idée du rôle plus étendu que les sous-ministres jouent vis-à-vis du Conseil des ministres.

Bien que les lois constitutives des ministères ne disent rien à ce sujet, la Loi d’interprétation prévoit expressément que le sous-ministre peut exercer le pouvoir d’un (c’est-à-dire de son) ministre «d’accomplir un acte ou une chose» à l’exception du pouvoir «d’établir un règlement».7 Cette interprétation rend explicite l’obligation légale qui incombe au sous-ministre de rendre compte à son ministre, obligation prévue de façon implicite par les lois constitutives des ministères.8

Il s’ensuit qu’avec l’autorisation du ministre, le sous-ministre peut exercer les pouvoirs du ministre que prévoit la loi portant création du ministère, et par extension, les autres lois que le ministre est chargé d’administrer. Le sous-ministre remplit également l’obligation du ministre qui consiste à administrer et à diriger le ministère, de même qu’il exerce un contrôle sur les ressources financières, humaines et autres dont dispose le ministère.9

Les attributions du ministre, telles qu’elles sont prévues par le texte de loi, revêtent d’habitude un caractère très général. Il appartient donc au ministre de proposer les moyens spécifiques qu~il envisage pour remplir ces attributions, et ces moyens sont soumis à l’approbation du Parlement, lors de la présentation des prévisions budgétaires. Si le ministre cherche des crédits pour un programme qui ne relève pas des attributions générales prévues par la loi constitutive du ministère, il faut normalement qu’il obtienne l’autorisation nécessaire au moyen d’une loi. Toutefois, les attributions prévues par les lois constitutives des ministères recouvrent généralement une grande variété de fonctions, allant de la détermination de la politique et de la formulation des programmes à la mise à exécution de ces programmes et à l’administration du ministère. Ces fonctions, qu’elles portent sur la politique, sur l’exécution des programmes ou sur l’administration, peuvent être déléguées au conseiller permanent supérieur du ministre, c’est-à-dire à son sous-ministre.10

En 1929, la Commission Tomlin sur la fonction publique en Angleterre a recueilli le témoignage de Sir Warren Fisher, qui était alors secrétaire permanent du Trésor et chef de la fonction publique. Sir Warren, qui s’opposait vivement à la concentration du pouvoir dans les organismes centraux au détriment de l’autonomie des ministères et de la responsabilité ministérielle, a résumé le rôle d’un sous-ministre et la nature de la délégation des pouvoirs d’un ministre au chef permanent de son ministère, en observant que le chef permanent [traduction] «n’est pas (sauf par accident) un spécialiste en quoi que ce soit, mais plutôt un conseiller général du ministre, l’administrateur général et le contrôleur sous les ordres du ministre, et qui doit rendre compte en dernier ressort au ministre de toutes les activités du ministère (et de ses fonctionnaires)»." 11

Le sous-ministre et la responsabilité collective du ministre en matière politique

Les rapports entre le sous-ministre et son ministre ne portent pas exclusivement sur les responsabilités individuelles de ce dernier. Par le jeu de la responsabilité collective du ministre, il existe un lien direct et bien établi entre les fonctions du sous-ministre et l’ensemble des ministres.

Ainsi qu’il a été noté plus haut, à mesure que la Couronne se retirait de la vie politique et que le gouvernement monarchique se faisait effectivement remplacer par le gouvernement ministériel, il a été nécessaire de trouver les moyens qui permettent de stabiliser une forme de gouvernement fondé sur les vues collectives et sur la direction collective d’un groupe de personne. La position du Premier ministre et l’institution connue sous le nom de Cabinet (et par la suite, son système structuré de comités et de secrétariats) ont assumé ce rôle stabilisateur. Le Premier ministre a bâti sa position sur l’exercice de ses pouvoirs sur les finances gouvernementales, pouvoirs grâce auxquels il a un droit de regard sur les nominations aux postes supérieurs de la fonction publique. Ce contrôle sur les finances et sur les fonctions supérieures a donné au gouvernement ministériel sa stabilité et a assuré l’évolution de la responsabilité collective, au cours des 150 années qui s’échelonnaient entre le XVIIIe et le XIXe siècles. L’exercice de ces pouvoirs demeure la fondation de la stabilité gouvernementale dans le système.

Le système dépend de l’aptitude du Premier ministre à promouvoir, parmi ses collègues, le consensus dans deux domaines: la politique du gouvernement et l’administration des ressources financières, et par conséquent, humaines, qu’accorde annuellement le Parlement aux fins d’exécution de cette politique. Toutefois, politique et administration ne sont pas deux domaines qui s’excluent l’un l’autre. Chaque domaine s’appuie sur l’autre, et il appartient au sous-ministre d’y veiller.

Le Premier ministre exerce une variété de pouvoirs officieux dont la plupart visent à assurer la solidarité des ministres. Son pouvoir de nomination des ministres et des sous-ministres revêt une importance particulière et nous intéresse au premier chef dans ce chapitre. I1 y a cependant lieu d’envisager ce pouvoir à la lumière de l’obligation qui incombe au Premier ministre de promouvoir le consensus parmi ses collègues, en mettant son Cabinet à leur disposition, en cherchant à donner le ton du gouvernement et à établir son orientation générale, en mettant en place l’organisation générale du gouvernement, en réglant les différends entre les ministres et (avec ou sans l’avis de ses collègues) en décidant s’il y a lieu de dissoudre le Parlement.12 L’exercice de ces prérogatives permet au Premier ministre de consolider la solidarité des ministres ainsi que sa position de chef du gouvernement; et c’est dans ce contexte qu’il faut envisager la nomination des ministres et des sous-ministres. Les sous-ministres sont certes responsables envers leurs ministres respectifs, mais le fait qu’ils sont nommés par le Premier ministre ajoute à l’intérêt qu’ils ont à assurer le bon fonctionnement du gouvernement ministériel.

Le Premier ministre et le Cabinet peuvent donner le ton du gouvernement, mais la plupart des politiques gouvernementales découlent de l’exercice des responsabilités individuelles des ministres. À de rares exceptions près , ce sont

les ministres et les sous-ministres qui prennent l’initiative de ces politiques, lesquelles sont coordonnées au niveau d’exécution par un réseau de comités interministériels et par d’autres moyens. Elles sont soumises à la décision des ministres et des sous-ministres réunis en comités, adoptées par les ministres eux-mêmes au sein du Cabinet, et mises à exécution par l’exercice des responsabilités individuelles du ou des ministres intéressés. Les rapports étroits qu’entretiennent les sous-ministres avec leurs ministres respectifs en matière politique constituent l’un des moyens grâce auxquels les sous-ministres aident leurs ministres respectifs à s’acquitter de leur responsabilité collective.

Un ministre exerce presque toujours sa responsabilité individuelle de pair avec les responsabilités individuelles d’un ou de plusieurs de ses collègues. Cette constatation est d’autant plus juste que l’activité gouvernementale s’est accrue et que les programmes sont devenus plus complexes et plus interdépendants. I1 incombe normalement aux sous-ministres et à leurs subordonnés d’assurer la coordination nécessaire, et ce faisant, ils en sont amenés à partager le souci de leur ministre pour ce qui est d’assurer à certaines initiatives le soutien administratif des collègues, dont la coopération est essentielle à la réussite de ces initiatives.13 Cette coordination administrative (dons il a été question au sujet de l’action réciproque exercée par les fonctionnaires les uns sur les autres lorsqu’ils aident les ministres à s’acquitter de leurs responsabilités dans notre système confédéral) est devenue de plus en plus complexe depuis la Seconde guerre mondiale. Le besoin de coordonner les responsabilités de plusieurs ministres en vue de certaines initiatives constitue, de nos jours, la règle plutôt que l’exception, et il se traduit par la multiplication des fonctions de coordination du Cabinet.

Certes, le Cabinet est strictement un organe officieux et politique ayant pour objet de favoriser le consensus parmi les ministres en ce qui concerne les questions dont la Chambre peut se servir pour déterminer si la responsabilité collective a été respectée. Mais il peut également servir à coordonner, dans le domaine politique, les activités administratives des ministres dont les responsabilités individuelles doivent être exercées de concert en vue d’exécuter certaines actions. Ces fonctions de coordination administrative dans le domaine de la politique gouvernementale (par opposition aux activités partisanes) ressortent particulièrement du système des comités qui soutiennent les travaux du Cabinet.14 Selon le système des comités du Cabinet, tous les mémoires émanant des ministres doivent passer devant un comité du Cabinet avant d’être soumis au Cabinet lui-même, et, s’ils prévoient de nouvelles dépenses, les rapports établis par le comité sont transmis tout d’abord au Conseil du Trésor. Le Cabinet étudie ensuite le rapport du Comité et celui du Conseil du Trésor. À chaque étape, à part bien entendu les délibérations du Cabinet les sous-ministres sont tenus d’assister leurs ministres respectifs. Ils doivent les appuyer en les accompagnant aux réunions des comités du Cabinet, lors de l’examen de points particuliers. Auparavant, ils auront préparé le terrain à travers le système des comités interministériels et grâce à des interventions moins officielles. Ces travaux, ainsi que la complexité des questions politiques qui les inspirent, exigent du sous-ministre, bien plus souvent que jadis, qu’il assiste le ministre dans l’exercice de sa responsabilité collective.

De plus, il incombe au sous-ministre de veiller à la mise à exécution des «décisions» du Cabinet. Il convient de rappeler que, dans notre système, les ministres sont individuellement investis du pouvoir émanant de la Couronne, et, à part les cas exceptionnels où la Couronne doit agir sur l’avis collectif des ministres, la plupart des actions relèvent de la responsabilité personnelle des ministres en cause. Les «décisions» du Cabinet ont un effet politique et administratif, plutôt qu’un effet légal, et l’exécution en est l’affaire presque exclusive des ministres directement responsables. En effet, les propositions visant à investir le Bureau du Conseil privé et le Secrétariat du Conseil du Trésor du pouvoir de «suivi» ont été généralement considérées comme contraires au principe de la responsabilité ministérielle, tout comme aux fonctions officieuses et politiques du Cabinet au sein du système. On attend donc réellement des sous-ministres qu’ils exercent les pouvoirs que leurs ministres respectifs leur ont délégués, conformément au consensus formé par tous les ministres, à l’appui de la responsabilité collective du Conseil des ministres.

Le sous-ministre et la responsabilité collective du ministre en matière d’administration

Les fonctions consultatives et coordonnatrices du sous-ministre en matière de politique gouvernementale sont importantes. En outre, il assume une responsabilité spéciale visant la gestion des ressources, domaine dans lequel il agit, dans la pratique, presque entièrement à la place du ministre.15 Lorsqu’il aide son ministre à s’acquitter de sa responsabilité individuelle en gérant les ressources du ministère de façon à élaborer des politiques et des programmes, le sous-ministre observe des normes qui ont été collectivement prescrites par les ministres et qui sont considérées comme essentielles à l’unité du Conseil des ministres. Ces normes, établies par le Conseil du Trésor, procèdent de son pouvoir financier touchant la réconciliation des prévisions budgétaires.

Il a été noté plus haut que le contrôle financier constituait le principal moyen utilisé pour établir la position du Premier ministre et, par conséquent, la responsabilité collective associée au gouvernement ministériel des temps modernes. L’évolution de la Constitution au cours du XVIIIe siècle a donné lieu à certaines pratiques qui, depuis, sont devenues des conventions, voire des règles de droit dans certains cas, et qui ont renforcé le rôle du contrôle financier (et partant, le maintien de normes particulières de gestion) à titre d’élément essentiel de la responsabilité collective. Au premier rang de ces règles, citons celle qui veut que le Premier ministre approuve les mesures qui seront présentées au Parlement16, celle qui veut que les prévisions budgétaires soient présentées au nom de la Couronne à titre de propositions approuvées par le gouvernement, et enfin celle qui veut que le Conseil des ministres soit seul habilité à proposer des lois financières.

L’obligation qui est faite au Conseil des ministres de demander des fonds au Parlement à titre collectif requiert qu’en réconciliant les prévisions budgétaires, le Conseil du Trésor établisse des normes de gestion auxquelles chaque ministre doit se conformer dans l’exercice de sa responsabilité légale touchant la gestion et la direction de son ministère ainsi que le contrôle et la supervision des ressources humaines, financières et autres dont il dispose. Le rôle que joue le Conseil du Trésor, à titre de comité de ministres conseillant collectivement les ministres sur les prévisions budgétaires, ne diminue en rien la responsabilité individuelle d’un ministre envers le Parlement pour ce qui est de la gestion de son ministère et des programmes, au moyen des fonds qui sont accordés chaque année à cette fin. La responsabilité constitutionnelle exige que les ministres administrent et dirigent (par l’entremise de leurs sous-ministres) leurs ministères respectifs. Néanmoins, l’obligation, qui incombe aux ministres d’administrer leurs propres ministères conformément aux normes et aux pratiques prescrites par le pouvoir central, impose au sous-ministre le devoir spécial de veiller à ce que le ministre soit convenablement assisté dans cet élément de sa responsabilité collective.

Étant donné que les affaires financières relèvent pour la plupart du domaine de la politique gouvernementale, les fonctions financières du Conseil du Trésor intéressent directement les ministres qui travaillent en étroite collaboration avec leurs sous-ministres respectifs à la réconciliation des prévisions budgétaires, tâche essentielle à la mise en oeuvre de la responsabilité collective. Cependant, une fois les ressources allouées, l’administration du ministère et l’observation des normes de gestion prescrites par le pouvoir central doivent, dans la pratique, incomber presque exclusivement au sous-ministre, bien que le ministre soit légalement responsable.

Le sous-ministre doit s’efforcer d’administrer son ministère de façon à assurer l’application des politiques et et des programmes actuels et leur développement futur, de même qu’il doit veiller à assurer le Conseil des ministres tout entier que les normes financières et administratives ont été respectées. Tout comme la réconciliation des responsabilités individuelles et collectives du ministre, l’action réciproque de ces obligations s’ajoute, plutôt qu’elle ne porte atteinte, à l’aptitude du sous-ministre à administrer avec efficacité. Il va de soi que, dans le cas extrême où le sous-ministre ne peut réconcilier les impératifs inhérents à l’administration de son ministère et de ses programmes d’une part, et les normes et pratiques prescrites par l’administration centrale d’autre part, une alternative s’impose: ou bien il doit se démettre de ses fonctions, ou bien les normes prescrites par les organismes centraux doivent être rajustées.

De même que le gouvernement de Cabinet vise à promouvoir parmi les ministres un consensus qui doit réconcilier leurs responsabilités individuelles et collectives, de même il faut, de toute évidence, établir un équilibre entre les impératifs administratifs d’un ministère particulier et ceux qui ont été établis par le Conseil du Trésor pour le gouvernement tout entier. La responsabilité constitutionnelle exigeant que les ministres, par l’entremise de leurs sous-ministres respectifs, administrent leur propre ministère, conformément à certaines normes jugées nécessaires à la bonne administration, et partant, à l’unité et à la stabilité du gouvernement, il est également essentiel que les ministres aient collectivement voix au chapitre lorsque leurs collègues du Conseil du Trésor établissent les normes et les pratiques qu’ils sont tenus d’observer pour ce qui est de leurs ministères respectifs. Par ailleurs, étant donné que l’administration est à la charge presque exclusive des sous-ministres, il est nécessaire qu’en tant que groupe, les sous-ministres soient à même d’influencer les normes centrales qu’ils sont tenus de mettre à exécution et dont ils sont responsables. En ce qui concerne le Secrétariat du Conseil du Trésor ainsi que les autres organismes centraux, cet impératif requiert un équilibre tel que l’impératif traditionnel d’établissement et d’observation des normes administratives prescrites par les organismes centraux ne vienne pas affaiblir l’impératif constitutionnel qui incombe à chaque ministre d’administrer les ressources de la fonction publique qui sont mises à la disposition de son ministère. Il importe surtout que les organismes centraux évitent consciencieusement toute action qui aurait pour effet de leur attribuer les responsabilités d'exécution des ministres, que ce soit en matière administrative ou en matière de politique gouvernementale. Un tel risque est considérablement accentué, si dans leur rôle d'établissement des normes, les organismes centraux s'orientent vers le contrôle; et le meilleur moyen de prévenir un tel risque est de veiller à ce qu’un équilibre existe à travers tout le système. En matière administrative, les sous-ministres et les organismes centraux compétents doivent se partager la responsabilité d'entretenir cet équilibre, les uns agissant au nom des ministres et les autres reconnaissant que la gestion de l’administration publique relève de la responsabilité spéciale du sous-ministre.

L’équilibre qui existe entre la gestion de l’administration publique par le ministre et le sous-ministre d’une part, et l’observation des normes centrales d'autre part, ou l’équilibre entre le ministre et le Conseil du Trésor, ou encore l’équilibre entre le sous-ministre et le Secrétariat du Conseil du Trésor, tend à forcer chaque participant, à chaque niveau, à justifier ses actions. Cependant, si les habitudes d’établissement des règles de l’appareil central amènent les organismes centraux à établir une quantité démesurée de normes, ou si ceux-ci tendent vers le contrôle, un tel état de choses risque de saper la responsabilité individuelle des ministres et des sous-ministres (responsabilité sur laquelle est fondé le système et qui justifie l’obligation de rendre compte). I1 ressort de l’expérience acquise dans le contrôle central des ressources, notamment des ressources financières, entre 1931 et 1967, qu’à moins d’accorder aux ministres et à leurs sous-ministres respectifs un pouvoir suffisant à l’égard de la gestion de leurs ministères respectifs, il est difficile de les obliger à rendre compte, et, faute d’obligation de rendre compte, le contrôle central devient inévitable.


1 En théorie, on peut dire que les ministres assument "l’administration et la direction" de leurs ministères respectifs, tâches pour lesquelles ils ont le "contrôle et la supervision" des ressources de l’administration publique qui y sont attachées. Dans la pratique cependant, les lois utilisent indifféremment ces expressions et ne font aucune distinction. 

2 Voir Parris, Constitutionnal Bureaucracy, p. 34. La participation de ces «fonctionnaires» indique que les dispositions de l’Act of succession de 1701 qui interdisaient le Parlement aux fonctionnaires sont restées lettre morte. 

3 Voir Birch, Representative and Responsible Government, p. 141. 

4 À la reconstitution du Conseil de l’Amirauté au cours des années 1860, la responsabilité ministérielle du Premier Lord a été prévue de façon expresse, le titulaire de la charge étant habilité à prendre des décisions [traduction] «abstraction faite de tout crédit ou de tout équivalence qui peut exister dans le système actuel des commissions» (Parris, Constitutionnal Bureaucracy, p. 93). Ces observations ne s’appliquent pas aux conseils et commissions qui ont été placés en-dehors de la compétence des ministres du fait qu’ils remplissent des fonctions quasi-judiciaires, des fonctions de contrôle ou autres. 

5 Un chancelier de l’Échiquier du XIXe siècle, Sir William Harcourt, a donné une description plus concise de ce rapport entre ministres et fonctionnaires: [traduction] «La valeur des chefs politiques des ministères tient à ce qu’ils disent aux fonctionnaires de carrière ce que le public ne peut accepter». A.G. Gardiner, The Life of Sir William Harcourt (New York, non daté), vol. ii, p. 587. 

6 Le Cabinet est un instrument qui permet aux ministres de résoudre des questions d’intérêt commun. Les sous-ministres (et les ministres jusqu’à un certain point) comptent sur les comités interministériels supérieurs à cette fin, et les organismes centraux sont chargés d’utiliser ces comités et d’autres moyens (comme d’encourager les sous-ministres à consulter leurs homologues responsables des organismes centraux) pour aider les sous-ministres à résoudre les problèmes relevant de plusieurs compétences. 

7 S.R.C. 1970, ch. I-23. Le sous-ministre ne peut pas non plus se substituer au ministre dans le rôle de porte-parole à la Chambre des communes. 

8 Il est intéressant de noter cette conformité, qui n’existe pas toujours, entre une disposition explicite de la loi écrite et une disposition tacite des règles et des conventions constitutionnelles. La coutume est faite de pratiques alors qu’une règle de droit peut établir un précédent; et en matière administrative, notre système a tendance à attendre qu’un précédent devienne pratique avant de songer à ériger en règles de droit les pratiques qui ont eu cours à titre de coutume. Dans le domaine administratif, les règles constitutionnelles évoluent habituellement de cette façon prudente. Il arrive cependant qu’un précédent, établi à un moment donné à titre de règle de droit, est en contradiction avec la coutume qui s’est implantée après une longue pratique. 

9 Dans la pratique cependant, le sous-ministre ne signe pas les demandes au Conseil du Trésor lorsque ces dernières portent sur l’octroi de nouveaux crédits ou sur une nouvelle orientation. Selon la coutume et selon la politique établie, ces demandes doivent être signées par le ministre lui-même, ce qui est une manifestation supplémentaire de l’exercice pratique de ses responsabilités individuelles. Voir la circulaire du Conseil du Trésor no 1968-71 du 18 septembre 1968. 

10 Il y a certaines exceptions à la règle qui veut que les sous-ministres agissent en qualité de mandataires de leurs ministres respectifs. Les articles 24, 25 et 27 de la Loi sur l’administration financière investissent les sous-ministres de certaines attributions en matière financière, et l’article 7 de la même Loi habilite le Conseil du Trésor à déléguer aux sous-ministres tout pouvoir relatif à la gestion du personnel. De même, l’article 6 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique habilite la Commission de la fonction publique à déléguer ses pouvoirs dans le même domaine. Il s’agit d’importantes exceptions qui soulignent les responsabilités spéciales des sous-ministres en matière de gestion. Certaines autres lois confèrent directement aux sous-ministres (et en fait aux autres fonctionnaires) des pouvoirs qu’il ne serait pas indiqué pour les ministres d’exercer eux-mêmes. 

11 Voir Jennings, Cabinet Government, p. 96. Cette description exacte des responsabilités du sous-ministre dans un système ministériel revêt une signification particulière parce qu’elle émane d’un responsable du Trésor dont on connaît les tendances centralisatrices. Fisher avait vivement fait remarquer à la Commission qu’il n’était un spécialiste du Trésor, ni par formation ni par antécédents. Voir Roseveare, The Treasury, p. 253. 

12 Voir Jennings, Cabinet Government, ch. viii, notamment p. 153 et 154. Tournant le dos à la coutume, Sir Charles Tupper a cherché, en 1896, à affirmer son autorité sur ses collègues en faisant adopter par le Conseil un procès-verbal énumérant les attributions de sa charge. En résumé, il ressort de ce procès-verbal que le Premier ministre convoquait les réunion du Cabinet, recommandait la dissolution et la convocation du Parlement, ainsi que la nomination des membres du Conseil privé, des ministres, des sous-ministres, des lieutenants gouverneurs, des administrateurs provinciaux, des juges en chef de tous les tribunaux, du président du Sénat, des sénateurs, des membres du Conseil du Trésor et des comités du Cabinet, de même que les nominations aux fonctions de secrétaire parlementaire à titre de faveur accordée par la Couronne. Le procès-verbal comporte également une règle intéressante, selon laquelle un ministre ne pouvait pas recommander l’imposition de mesures disciplinaires à un collègue, mais le Premier ministre pouvait faire des recommandations touchant n’importe quel ministère. (Procès-verbal du Conseil privé, 12 mai 1896). Cette règle a été reprise presque intégralement par MM. Laurier, Meighen, Bennett et King. Bien qu’elle n’ait pas été reproduite depuis, elle est considérée maintenant comme étant conventionnellement établie. Voir également Mallory, The Structure of Canadian Government, p. 87 et 88. 

13 Cette coordination administrative, qui se distingue de la formation du consensus politique, n’est pas à proprement parler un élément de la responsabilité collective. Sur le plan théorique, la coordination n’est nécessaire qu’à l’égard des collègues du ministre dont la coopération est nécessaire à la mise à exécution d’une initiative. Cependant, la ligne de démarcation entre coordination administrative et coordination politique est rarement précise. Elle est devenue de plus en plus difficile à discerner avec l’accroissement de l’activité gouvernementale et avec le recours croissant au Cabinet aux fins de coordination administrative et politique. 

14 Voir le document de travail présenté par R. Gordon Robertson à la 23e assemblée annuelle de l’Institut d’administration publique du Canada (Regina, 8 septembre 1971), «L’évolution du rôle du Bureau du Conseil privé», qui décrit la composition et le fonctionnement de ces comités. La structure du système des comités est demeurée inchangée dans une large mesure, et le processus est demeuré tel que l’a décrit M. Robertson, à part le rôle actuellement assumé par le Conseil du Trésor. 

15 Voir les pages 63 à 65. 

16 Anson estime que le Premier ministre [traduction] «décide en dernier ressort des mesures à soumettre...au Parlement», Law and Custom of the Constitution, vol. ii, part. i, p. 124). Jennings, moins catégorique. fait remarquer : [traduction] «Si, comme d’habitude, il est le leader de la Chambre des communes, il contrôle. sous réserve que l’ordre de priorité des propositions soit établi par le Cabinet, les délibérations de la Chambre, par l’intermédiaire des whips du gouvernement» (Cabinet Government. p. 155). Au Canada, c’est le Premier ministre (ou, en son absence, le membre le plus ancien du Conseil des ministres) qui signe les projets de loi avant leur présentation au Parlement. On peut dire que cette formalité renforce le pouvoir de «décision en dernier ressort» du Premier ministre pour ce qui est du programme législatif du gouvernement.

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Mise à jour : 2006-10-02 Haut de la page Avis importants