V
LA RÉALISATION DU CONSENSUS
Introduction
De par le caractère confédéral du système, le règlement des
différends requiert la participation de tous les niveaux du système tout
entier. Ainsi qu’il a été noté plus haut, un tel processus
bénéficie du concours des ministres investis de fonctions spéciales de
coordination financière et politique, qui sont eux-mêmes assistés de
fonctionnaires constituant les organismes centraux.1 En outre,
les domaines de politique spécialisée et la prestation de services
communs qui répondent aux besoins collectifs des ministres relèvent de
ministres distincts qui sont également assistés de corps de
fonctionnaires.2 Les fonctionnaires de ces ministères et
organismes jouent un rôle important car ils aident les autres ministères
à coordonner les initiatives qui procèdent des fonctions d’exécution
des programmes (c’est-à-dire des fonctions qui comportent des dépenses)
de leurs titulaires respectifs. Les organismes centraux jouent notamment
un rôle essentiel dans un réseau de comités interministériels qui
travaillent à coordonner les fonctions divergentes des ministres
partageant certaines initiatives complexes.
Le Cabinet et son Secrétariat
Le Cabinet est le principal lieu où le consensus est réalisé entre
les ministres. Il s’agit du Cabinet exclusif du Premier ministre; il le
met à la disposition de ses collègues à titre de lieu d’assemblée,
au sein duquel il peut les amener à se mettre d’accord sur certaines
questions que chacun d’eux sera disposé à défendre en public.3
Le Cabinet est le pivot du gouvernement ministériel des temps modernes.
I1 s’agit essentiellement d’un mécanisme politique, et à ce
titre, il doit demeurer un organisme officieux bien que ses «décisions»
soient exécutoires. D’une façon générale, ces «décisions»
achèvent le processus de réalisation du consensus , au moyen duquel le Cabinet accueille les
propositions de ministres qui veulent exercer leurs responsabilités
individuelles d’une manière donnée. Les ministres ne demandent pas au
Cabinet d’approuver toute initiative relevant de leurs responsabilités
individuelles, mais seulement les initiatives qui revêtent une importance
sur le plan politique, c’est-à-dire celles qui sont susceptibles d’engager
la responsabilité collective des ministres et requièrent leur appui. Le
Cabinet a toujours assumé, et il assume encore, un rôle essentiellement
politique de la nature décrite plus tôt. Cependant, à une époque assez
récente, il a également assumé, dans la coordination des initiatives,
un rôle central qui requiert l’action administrative de deux ou
de plusieurs ministères. On constate qu’au cours des deux dernières
décennies, ces deux rôles de coordination politique et administrative
se sont entremêlés par suite de la complexité croissante des fonctions
du Cabinet et de la multiplication des services de soutien qui sont
assurés par son secrétariat.4
Le Cabinet est servi par son Secrétariat, qui fait partie du Bureau du
Conseil privé et rend compte au Premier ministre.5 Sur l’ordre
du Premier ministre, le Bureau du Conseil privé constitue le Secrétariat
du Cabinet et c’est au nom du Premier ministre qu’il organise le
système des comités et les services de soutien du Cabinet.6
Le secrétariat du Cabinet et les autres fonctionnaires du Bureau du
Conseil privé, qui rendent compte au Premier ministre, sont chargés de l’assister
dans l’établissement de l’équilibre essentiel au système. Le
secrétaire du Cabinet et ses subordonnés coordonnent les initiatives des
ministères en s’assurant, par des démarches officieuses tout aussi
bien que par le truchement d’un système étendu de comités
interministériels, que les ministères se consultent entre eux, que les
divergences sont résolues dans la mesure du possible et que les
problèmes non réglés sont nettement déterminés en vue d’être
discutés par les ministres.
Le Bureau du Conseil privé aide également le Premier ministre à
recourir à tout autre moyen qu’il peut utiliser pour assurer la
direction du système et promouvoir le consensus au sein de celui-ci.
Parmi les moyens utilisés, citons la consultation de ses collègues sur
la portée générale du programme gouvernemental, la nomination des
sous-ministres et d’autres hauts fonctionnaires, l’organisation
générale de l’appareil gouvernemental et des rapports entre ses
principaux éléments, ce qui comprend l’arbitrage en cas de conflit de
compétence entre les ministres.
Le Bureau du Conseil privé est appelé à faciliter et à soutenir
tous ces travaux, plutôt qu’à créer et à diriger. Il doit respecter
la nature confédérale du système dans lequel le pouvoir provient des
ministres. Son rôle consiste à coordonner l’exercice du pouvoir et à
assister le Premier ministre qui doit diriger ses collègues et établir l’orientation
générale du gouvernement. I1 s’agit là d’un rôle important. Mais
ce bureau, ainsi que son maître, a surtout pour objet de promouvoir le
consensus en cultivant un équilibre entre les ministres, et cette raison
d’être demeure valable tant que le secrétariat et les ministères ne
perdront de vue les différences essentielles entre leurs rôles
respectifs, le secrétariat coordonnant les initiatives prises par les
ministères.
Le Conseil du Trésor et son Secrétariat
Le Conseil du Trésor, qui est un comité du Cabinet, constitue le
deuxième mécanisme essentiel à l’exercice des responsabilités
collectives des ministres.7 Pour les raisons d’ordre
historique dont il a été question plus haut, les questions financières
jouaient un rôle essentiel dans la création de la charge de Premier
ministre. Le Conseil du Trésor exerce, au nom du Premier ministre, ses
fonctions unificatrices de contrôle des finances.
Réduit à sa plus simple expression, le Conseil du Trésor est un
mécanisme que les ministres se sont imposés en vue de la préparation et
de la réconciliation des prévisions budgétaires. Créé au moment de la
confédération sur recommandation du Premier ministre, il a reçu sa
consécration légale deux ans plus tard.8 Avant l’entrée en
vigueur en 1951 de la Loi sur l’administration financière, toutes les
activités du Conseil du Trésor étaient subordonnées à l’approbation
officielle du gouverneur en conseil, et le Cabinet continue à insister
sur son droit d’approuver les prévisions budgétaires établies par le
Conseil du Trésor conformément aux paramètres édictés par le Cabinet,
et à entendre les appels interjetés par les ministres de certaines
décisions du Conseil du Trésor. 9
À l’origine, le Conseil du Trésor était présidé par le ministre
des Finances et comprenait, «pour le moment», le ministre des Douanes,
le ministre du Revenu de l’intérieur et le Receveur général. 10 Le
Conseil du Trésor bénéficiait du soutien du ministère des Finances, ce
qui mettait le ministre des Finances dans une position semblable à celle
du chancelier de l’Échiquier, son homologue britannique. Il s’ensuit
que le ministre des Finances était tenu de collaborer étroitement avec
le Premier ministre pour remplir l’obligation fondamentale qui incombe
aux membres du Conseil de réconcilier les demandes de fonds présentées
par leurs collègues du Cabinet. 11
Jusqu’en 1947, le sous-ministre des Finances était en même temps
secrétaire du Conseil du Trésor, et il lui appartenait principalement de
veiller à la préparation du budget des dépenses consolidé. À cet
égard, notre évolution allait de pair avec celle de Whitehall où, à la
même époque, c’est-à-dire durant les années 1860, les fonctions des
commissaires au Trésor étaient assumées par le chancelier de l’Echiquier
et par ses fonctionnaires, le Conseil du Trésor tombant ainsi en
désuétude.12 Nous avons par la suite évolué dans le sens
opposé. Le rôle des ministres membres du Conseil du Trésor a été
renforcé: le secrétariat du Conseil a été amené à se séparer du
ministère des Finances et le Conseil a été doté d’un président qui
n’est pas le ministre des Finances. Ces transformations se sont
produites au cours de l’évolution de notre Constitution, pendant une
centaine d’années.
Le contrôle financier, collectivement exercé par les ministres par l’entremise
du Conseil du Trésor, a ouvert la voie à l’établissement, au centre,
des normes de gestion et d’administration. Dès le début, le ministre
des Finances a assumé, par le biais du Conseil du Trésor, certains
pouvoirs de facto qui touchent l’administration des ministères.
Le Conseil du Trésor, chargé de réconcilier les prévisions
budgétaires, devait, en principe, veiller également à ce que l’unité
des ministres ne soit pas compromise devant le Parlement par suite de la
divulgation des cas de corruption ou d’incurie au sein des ministères.
Ainsi qu’il a été noté plus haut, cette fonction était bien celle,
au XVIIIe siècle, de la Trésorerie anglaise, dont le
Parlement s’attendait qu’elle fournisse une protection contre de tels
risques. L’ Acte concernant le département des Finances, adopté
en 1869, exposait clairement les pouvoirs du Conseil du Trésor en
matière de finances et de dépenses, et par conséquent, en matière d’administration.
Depuis cette date, ces attributions ont fait l’objet de dispositions
plus détaillées contenues dans une série de lois importantes qui visent
à rehausser les normes de gestion des ressources et à éliminer la
négligence, le gaspillage et la corruption. Chacune de ces lois
successives a eu pour objet de permettre au Conseil du Trésor de mettre
en place, pour la gestion de l’administration publique, un cadre propre
à assurer le Parlement que ce service est administré de façon efficace.
Les fonctions de gestion du Conseil du Trésor avaient été, pendant
longtemps, remplies un peu au hasard avant la formation du cabinet Bennett
en 1930. 13 Les prévisions budgétaires avaient été
réconciliées, la corruption éliminée. On n’avait cependant pas fait
grand-chose pour normaliser les dépenses et la comptabilité financière.
Les dépassements et les dépenses non autorisées étaient monnaie
courante. Le Parlement, en particulier le Comité des comptes publics, n’avait
guère cherché à améliorer le système.14 M. Bennett, qui
détenait également le portefeuille des Finances, était stupéfait de s’apercevoir
que, à cause des grandes différences entre les normes et les systèmes
de comptabilité, il ne pouvait même pas savoir dans quelle situation
financière se trouvait au juste le gouvernement.
Cet état de choses a provoqué l’adoption en 1931 de la Loi du
revenu consolidé et de la vérification, qui d’une part imposait un
système hautement centralisé pour l’autorisation des dépenses et d’autre
part normalisait la comptabilité. Cette loi créait, au sein du
ministère des Finances, le poste secondaire de contrôleur du Trésor. Ce
fonctionnaire avait sous ses ordres des agents de la comptabilité
installés dans chaque ministère.15 Le contrôleur et ses
collaborateurs, qui relevaient du ministre des Finances, avaient pour
mandat d’autoriser chacune des dépenses relevant d’un ministre en
particulier.16
Les réformes introduites par le Cabinet Bennett ont donné naissance
à un contrôle financier hautement centralisé, tout au long des 35
années qui ont suivi. Ces réformes étaient certes dictées par les
difficultés économiques, mais elles se justifiaient également par une
faiblesse chronique des systèmes de gestion financière au sein des
ministères, faiblesse due à l’absence de systèmes uniformes d’autorisation
et de comptabilité des dépenses. Ces réformes étaient cependant
quelque peu contraires aux principes de responsabilité au sein du
système.17 À mesure que la situation économique s’est
améliorée, que l’activité gouvernementale s’est accrue et que les
ministres ont exercé davantage leur pouvoir en matière de programmes
ministériels, le bien-fondé de ce système centralisé a été remis en
question. Le principe, adopté par la Commission royale Glassco, qu’il
fallait «laisser la gestion aux gestionnaires» a provoqué la
modification en 1966 de la Loi sur l’administration financière,
modification qui a mis en place les rapports structuraux et financiers qui
existent actuellement entre le Conseil du Trésor et les ministères. En
résumant les événements qui ont eu lieu depuis 1931, les commissaires
ont noté:
En dépouillant les ministères de l’autorité essentielle à la
bonne gestion de leurs propres affaires, il a émoussé chez eux le sens
de la responsabilité. Chaque nouvelle preuve d’irresponsabilité au
sein des ministères semble avoir été interprétée comme la
confirmation de l’opportunité des contrôles déjà existants et
comme une invitation à en établir de nouveaux.18
La Commission s’est prononcée en effet en faveur d’une
réaffirmation de l’autorité ministérielle. Elle a proposé que le
Secrétariat du Conseil du Trésor soit détaché du ministère des
Finances et placé sous la direction d’un secrétaire ayant rang et
statut de sous-ministre. De même, la Commission a proposé la nomination
d’un ministre distinct à la présidence du Conseil du Trésor, et le
remplacement des fonctions de contrôle exercées par le contrôleur du
Trésor par une direction administrative conforme aux normes prescrites
par le Conseil du Trésor.19 Ces recommandations ont été
incluses dans les modifications apportées en 1967 à la Loi sur l’administration
financière, modifications qui ont renforcé le rôle joué par le
Conseil du Trésor dans l’établissement des normes de gestion au sein
de l’administration publique.
Le système présidé par le contrôleur du Trésor entre 1931 et 1967
a nui à la responsabilité ministérielle: l’exercice de la
responsabilité constitutionnelle, et partant, la souplesse et le
dynamisme du gouvernement s’en sont ressentis. Au cours de cette
période, la notion de responsabilité a disparu pour faire place au
système de contrôles critiqué par la commission royale Glassco. Pendant
la période de réformes qui a suivi le rapport Glassco, on a eu tendance
à s’éloigner d’un système hautement centralisé de contrôle pour
favoriser une plus grande latitude dans l’exercice de l’autonomie
ministérielle. Depuis 1967, le Conseil du Trésor et son Secrétariat se
sont efforcés de concevoir un rôle plus en rapport avec les besoins du
gouvernement ministériel.
La Commission de la fonction publique
On ne saurait parler des institutions collectives (c’est-à-dire des
organismes centraux) sans faire état de la Commission de la fonction
publique. Contrairement au Cabinet, au Conseil du Trésor et à leurs
organismes d’appui, la Commission de la fonction publique n’est ni un
ministère ni un organisme soumis à l’autorité d’un ministère. C’est
un hybride bien étrange.20 L’existence du Conseil du Trésor
se justifie en partie par le fait qu’il doit garantir la probité dans l’emploi
des ressources financières, car un manque de probité minerait la
confiance dont jouissent les ministres. De son côté, la Commission a
pour attribution de garantir la probité dans les nominations. Elle
remplit ainsi une importante fonction, celle d’empêcher les abus qui,
entre autres, pourraient saper la confiance dont jouissent les ministres.
Bien que, sous le rapport de la responsabilité collective, les activités
du Conseil du Trésor et de la Commission de la fonction publique aient
les mêmes conséquences, cette dernière assume des obligations envers le
Parlement plutôt que vis-à-vis des ministres. Dans le contexte plus
général du contrôle parlementaire des ressources, cette similitude
illustre l’intérêt commun que manifestent le Parlement et les
ministres pour une saine gestion des ressources humaines et financières
dans l’administration publique.
En établissant des normes de sélection et en mettant de l’avant le
concept d’une fonction publique unifiée dont les carrières des
fonctionnaires recouvrent la gamme entière de l’activité fédérale,
la Commission essaie de mettre à la disposition des ministres et de leurs
adjoints les meilleures ressources humaines possibles. En s’assurant que
les nominations sont fondées sur le mérite, la Commission protège les
ministres contre les effets politiquement préjudiciables du favoritisme.
Cependant, les avantages d’une fonction publique unifiée pourraient se
transformer en désavantages si ses objectifs s’opposaient aux objectifs
poursuivis par les ministres servis par ses membres. En essayant d’établir
une fonction publique professionnelle et unifiée, la Commission joue un
rôle difficile, qui ne doit avoir pour effet ni de centraliser ni de
balkaniser cette fonction publique. En effet, à l’instar des organismes
centraux proprement dits, la Commission doit se garder contre le défaut
de «trop embrasser et de mal étreindre».
Conclusion
Les organismes centraux jouent un rôle essentiel dans le
fonctionnement efficace du gouvernement ministériel. Ils contribuent à
la réussite de la confédération. Ils unissent le système, en
synthétisant et en coordonnant, parfois en dirigeant. Au besoin, et c’est
le cas des fonctions politiques spéciales des ministères des Finances et
des Affaires extérieures, ils donnent le ton à la formulation des
questions qui intéressent tous les ministres.21
Ainsi qu’il a été noté, cependant, on n’a pas toujours observé,
ou même reconnu, la distinction qu’il faut faire entre la nécessité
de répondre au besoin collectif et la nécessité de ne pas le faire au
détriment des besoins individuels des ministres. Cette constatation s’applique
particulièrement au domaine des finances. En effet, il est probable que l’absence
d’une responsabilité financière satisfaisante au sein du système s’explique
par la longue période de contrôle administratif hautement centralisé,
laquelle a duré de 1931 à 1967. Au cours de ces années, le contrôle a
relégué au second plan le besoin de responsabilité financière. À
cette même époque, les fonctions du gouvernement se sont multipliées.
Par conséquent, lorsque le contrôle financier est devenu moins
centralisé, le système a oublié
l’ importance de la responsabilité: il s’était habitué à se
référer à une direction centrale. Ce phénomène est demeuré au sein
du système et explique en partie les rapports incertains qui existent
entre les ministères et les organismes centraux.22
Néanmoins, les mécanismes de responsabilité collective, s’ils
peuvent fonctionner avec succès, permettront l’exercice efficace de la
responsabilité individuelle, et le degré de succès atteint par les «organismes
centraux» détermine dans une large mesure si les ministres sont à même
d’assurer un bon service gouvernemental fondé sur l’exercice efficace
de leur pouvoir.
1
Notamment, le Secrétariat du Cabinet au sein du
Bureau du Conseil privé, le Secrétariat du Conseil du Trésor, le
Bureau des relations fédérales-provinciales, le ministère des
Finances et le ministère des Affaires extérieures. La Commission
de la fonction publique est un organisme indépendant et bien que,
à proprement parler, elle ne fasse pas partie de l’appareil
gouvernemental, elle joue un rôle important en assurant le
personnel compétent et la formation nécessaires à la mise en
œuvre des programmes gouvernementaux.
2
Les ministères d’État et des ministères tels que
les Travaux publics ou les Approvisionnements et Services.
3Voir le renvoi 8 à la page 26. Sir Robert Borden a
dit du Cabinet qu’on nommait à tort le Cabinet impérial de
guerre qu’il était un "Cabinet sans responsabilité
collective, et par conséquent, sans Premier ministre". Voir
Anson, Law and Custom of the Constitution vol. ii, part. 1,
p. 150.
4
Voir les pages 65 à 70 ci-dessous.
5
Décret C.P. 1962-240 du 22 février 1962.
6
Le secrétariat a été créé en 1940 lors de la
nomination d’Arnold Heeney aux fonctions de greffier du Conseil
privé et de secrétaire du Cabinet (aux termes du même décret C.P.
1121 du 25 mars 1940). Avant cette date, le Bureau du Conseil privé
s’occupait exclusivement des travaux officiels du Conseil, c’est-à-dire
la préparation des projets de décrets et de décisions. Le nouveau
Bureau du Conseil privé relève de la responsabilité du Premier
ministre. Jusqu’en 1957, le Premier ministre avait toujours
détenu un portefeuille ministériel. Au début, ce portefeuille
était celui de la Justice, ou à l’occasion, d’autres charges
(de 1912 à 1946, le Premier ministre occupait, ex officio,
les fonctions de secrétaire d’État aux Affaires extérieures),
mais par la suite, il a satisfait à la convention (voir ci-dessous*)
en assumant la présidence du Conseil. Il advint qu’en 1940, M.
King était à la fois Premier ministre et président du Conseil
privé, et le greffier du Conseil relevait de lui. Le Cabinet étant
celui du Premier ministre, il était naturel que le Premier ministre
en organise le Secrétariat, ce qui explique la double nomination d’Arnold
Heeney. Depuis lors, les fonctions de greffier et de secrétaire ont
toujours été cumulées. M. Pearson s’est servi, comme l’avait
fait de temps à autre M. Saint Laurent, de la présidence du
Conseil pour s’assurer la collaboration des membres de haut rang
de son parti et ce, sans avoir à les encombrer d’attributions
ministérielles. Plus tard, M. Trudeau a délégué à un autre
ministre les fonctions de leader à la Chambre. C’est ainsi que le
Premier ministre a été amené à renoncer à la présidence de
Conseil privé, dont il a conservé cependant le Bureau. Ce bureau
ne relève donc pas du président du Conseil privé et n’est pas
soumis, sur le plan officiel, à ses ordres.
* La Loi sur les traitements prévoit un traitement
distinct pour le "membre du Conseil privé de la Reine
exerçant la fonction reconnue de Premier ministre". Cette
disposition avait pour objet à l’origine d’accorder au
Premier ministre un traitement plus élevé que celui qu’il
aurait reçu à titre de titulaire de l’un des autres
portefeuilles visés par la Loi, tels la Justice ou la présidence
du Conseil.
La Loi sur les Traitements de 1868 ne prévoyait aucun
traitement spécial pour le Premier ministre. Ce n’est qu’en
1873 qu’on y a inclus une disposition accordant au "Premier
ministre" la somme de 1 000 $ en plus de son traitement normal
de ministre. Une modification, adoptée en 1920, a cependant prévu
un traitement tout à fait distinct pour le "Premier ministre".
Cette disposition a établi, sur le plan juridique, le caractère
distinctif de la charge de Premier ministre. Néanmoins, elle a eu
pour seul effet, pendant de longues années, de garantir que le
Premier ministre serait rémunéré à titre de "ministre
principal" (First Minister) plutôt que selon le portefeuille
qu’il lui arrivait de détenir. Ce n’est que pendant les
derniers mois du gouvernement de M. Saint-Laurent que l’on s’est
prévalu du fondement juridique mis en place en 1920. Depuis lors,
le Premier ministre remplit ses fonctions sans détenir un autre
portefeuille ministériel
7
Le Conseil du Trésor est, sur le plan officiel, un
comité du Conseil privé. À ce titre, il a de multiples
attributions découlant de ses responsabilités légales. Il
fonctionne cependant comme un comité du cabinet, et c’est le
Cabinet qui décide en dernier ressort. Voir le renvoi 9 ci-dessous.
8
Voir l’Acte concernant le département des
Finances, 32-33 Victoria, chap. iv, aux termes duquel le Bureau
de la Trésorerie "agira à titre de comité du Conseil privé
de la Reine pour le Canada dans toutes les affaires du ressort des
finances, du revenu et des dépenses ou des comptes publics, qui
pourront lui être renvoyées par le conseil, ou sur lesquelles le
bureau pourra juger nécessaire d’attirer l’attention du conseil;
et il aura le pouvoir d’exiger de tout département, bureau ou
officier public, ou de toute autre personne ou partie tenue par la
loi de fournir au gouvernement tous comptes, rapports, états,
documents, ou renseignements qu’il pourra juger nécessaires à l’accomplissement
de ses devoirs..."
9
Le gouverneur en conseil est un mécanisme officiel d’autorisation
des mesures prises par la Couronne, qui sont différentes des
mesures prises par les ministres pour le compte de la Couronne. Il
comprend officiellement le gouverneur général agissant sur
l’avis du Comité du Conseil privé, qui a la même composition
que le Cabinet. Le gouverneur en conseil est cependant distinct du
Cabinet, qui est officieux et qui n’est pas légalement habilité
à autoriser les mesures concrètes au sein du système. En d’autres
termes, le Cabinet établit la politique du gouvernement, et cette
politique est mise en oeuvre soit par un ministre soit par la
Couronne. Dans ce dernier cas, la Couronne doit recevoir l’autorisation
du gouverneur en conseil avant d’agir. Bien que, jusqu’en 1951,
toutes les activités du Conseil du Trésor fussent assujetties à l’approbation
du gouvenneur en conseil, cet organisme n’était pas constitué à
l’origine à titre de Comité du Conseil privé. Aux termes de son
procès-verbal du 2 juillet 1867, le Conseil a recommandé [traduction]
qu’"un Bureau de la Trésorerie soit constitué et investi
des pouvoirs et attributions que peut lui attribuer Votre Excellence
en conseil". C’est ainsi que, dès le début, le Conseil du
Trésor détenait le pouvoir d’agir plutôt que de
conseiller, et ce n’est qu’au moment où il fut légalement
consacré que cet organisme a constitué un comité du Conseil
privé, dont il partage les fonctions consultatives. Par
conséquent, de 1869 jusqu’en 1951, le Conseil du Trésor
conseillait et le gouverneur en conseil agissait. En 1951, la Loi
sur l’Administration financière a autorisé le Conseil du
Trésor à agir au nom du gouverneur en conseil afin de réduire le
volume de documents qui passent par celui-ci. Le Conseil du Trésor
est demeuré cependant un comité du Conseil privé bien qu’à l’opposé
de ce dernier, il exerce des fonctions exécutives. (Aux fins de
comparaison, il faut noter que si le Comité spécial du Conseil
privé approuve, au nom du Comité du Conseil privé, les projets de
document soumis à l’examen du Conseil, ce comité spécial ne
prend lui-même aucune action, ce qui se produit lorsque les projets
d’ordonnance de décrets sont approuvés par le gouverneur
général et satisfait à l’impératif légal de l’action par le
gouverneur en conseil.) Cette anomalie peut s’expliquer par les
prérogatives dont est investi le Premier ministre, étant donné
que, de par son statut de comité du Conseil privé, le Conseil du
Trésor n’agit que sur l’intervention du Premier ministre. Si le
Conseil du Trésor avait été investi du pouvoir exécutif et s’il
n’était pas demeuré un comité du Conseil privé, son président
aurait été théoriquement habilité à exercer le pouvoir sans en
référer au Premier ministre. Cette preuve du pouvoir du Premier
ministre en matière de finances illustre l’importance que revêt
le pouvoir financier pour la solidarité du Conseil des ministres et
explique le recours, par le Premier ministre, au pouvoir financier
pour réaliser un consensus parmi ses collègues.
10
Procès-verbal d’une réunion du comité du Conseil
privé, approuvé le 2 juillet 1867. Privy Council Minute Books,
Archives publiques du Canada.
11
Voir Norman Ward, The Public Purse (Toronto,
1951) p. 233.
12
Anson note: [traduction] «L’importance du
chancelier de l’Echiquier a crû en fonction directe de la
diminution du rôle du Conseil du Trésor. A l’heure actuelle, il
est en fait le ministre des Finances, doté d’attributions fort
importantes, et le Conseil dont il fait partie est composé de
membres dont les fonctions n’ont aucun rapport avec les travaux du
Trésor et dont le chef est le Premier ministre.» Law and Custom
of the Constitution, vol. ii, part. i, p. 192. Voir également
ci-dessus, p. 23 et 24.
13
En fait, la majorité de ses fonctions avaient été
remplies par le ministre des Finances. Sir George Murray, ancien
secrétaire permanent du Trésor à Whitehall, qui s’était vu
attribuer en 1912 la tâche de rédiger un rapport sur
1'organisation du gouvernement, a recommandé la suppression du
Conseil et le transfert de ses attributions au ministre des
Finances, voir Sir George Murray, Rapport sur l’organisation du
service public du Canada (Ottawa, 1912) document parlementaire
57 a, p. 9.
14
Ainsi que l’a noté Norman Ward, il a fallu attendre
jusqu’à la fin de la décennie 1840 pour que le Comité des
comptes publics [traduction] "se libère finalement de
sa peur obsessive des scandales". Voir The Public Purse,
p. 216.
15
Loi modifiant la Loi du revenu consolidé et de la
vérification, article 36,21-22 Georges V, chap. 27. Il est
intéressant de noter que la Loi sur l’ administration
financière, adoptée en 1951, n’a pas retenu cet article.
16
Voir Norman Ward qui fait un excellent exposé des
réformes Bennett, dans son ouvrage The Public Purse, p 167
à 172. Le professeur Ward note que le rôle des comptables du
Contrôleur et celui des secrétaires permanents qui faisaient
fonction de comptables à Whitehall étaient essentiellement le
même, à cette exception près qu’à Whitehall, ces
fonctionnaires étaient, et sont toujours, responsables envers le
ministre sous l’autorité duquel la dépense a été engagée,
bien qu’ils fussent expressément tenus de rendre compte à la
Trésorerie des questions financières. Voir ci-après les pages 82
à 84.
17
Les rédacteurs des modifications de 1931 étaient
manifestement sensibles aux critiques formulées à cet égard; l’article
31 contredit la Loi tout entière car il porte ce qui suit : «Nulle
disposition de la présente loi ne doit s’interpréter de manière
à restreindre la responsabilité des ministres ou autres individus
chargés de la gestion des allocations du parlement». 21-22 Georges
V, chap. 27.
18
La Commission royale d’enquête sur l’organisation
du gouvernement (Ottawa, 1962) vol. i, p. 47.
19
La Commission royale d’enquête sur l’organisation
du gouvernement, vol. i, p. 59 et 60. En fait, la Commission a
proposé que le Secrétariat soit transféré au bureau du Conseil
privé, soulignant ainsi le rôle de Comité du cabinet qu’assume
en fait le Conseil du Trésor et mettant l’accent sur l’attention
particulière que le Premier ministre attache aux questions
financières. La proposition s’est heurtée à une forte
opposition parce qu’elle aurait déformé le rôle de soutien du
Secrétariat du Cabinet: la concentration d’un trop grand pouvoir
au sein d’un seul organisme central compromettrait l’équilibre
qui caractérise les rapports entre les ministères et les
organismes centraux alors que l’équilibre entre les organismes
centraux est lui-même essentiel à la solidité du système tout
entier.
20
Voir J.E. Hodgetts, The Canadian Public Service
(Toronto, 1973), p. 263 à 286, qui donne un résumé des
événements qui ont conduit à la création de la Commission en
1908, ainsi que de ses rapports subséquents avec les sous-ministres
et avec le Conseil du Trésor.
21
À titre d’exemples, citons le rôle assumé par le
ministre des Finances quand il détermine le niveau approprié des
dépenses publiques en fonction de la conjoncture économique, et
celui qu’assume le secrétaire d’État aux Affaires extérieures
lorsqu’il établit le cadre politique dans lequel ses collègues
doivent traiter les questions internationales.
22
Par exemple, bon nombre de ministères ne font pas la
distinction entre les directives et les principes directeurs
émanant des organismes centraux, et ils ont tendance à attribuer
à ces organismes le rôle de services d’exécution.
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