1er Novembre, 2005
Bonjour,
Nous voici donc à la conclusion de la première partie d'un voyage long et ardu en quête de certains faits, voyage que j'ai entrepris le 10 février 2004, quand j'ai été nommé commissaire chargé de cette enquête. J'ai jugé nécessaire de faire une déclaration à la presse ainsi qu'aux téléspectateurs et aux auditeurs pour leur parler des résultats de mon enquête jusqu'ici, et leur dire ce que fera la Commission désormais.
Beaucoup m'ont demandé si j'avais imaginé l'ampleur, la difficulté et l'importance de l'entreprise à laquelle je m'attelais. Bien sûr que non! Mais au cours des 24 derniers mois, il m'a été donné de vivre une expérience instructive, stimulante et inoubliable qui ne me laisse aucun regret. Je suis heureux d'en être arrivé à mi-chemin de mon enquête et je suis impatient d'en voir le terme, dans environ trois mois d'ici.
Comme je l'ai dit en mai 2004, dans la déclaration préliminaire que j'ai prononcée au Centre national des conférences, à Ottawa, les audiences de la Commission d'enquête sur le Programme de commandites et les activités publicitaires du gouvernement du Canada constituaient la première des deux phases nécessaires à la réalisation du double mandat qui m'avait été confié le 10 février de la même année. Conformément à ce mandat, j'ai fait enquête sur les questions soulevées par la Vérificatrice générale du Canada dans les chapitres 3 et 4 de son Rapport de novembre 2003. J'achève aujourd'hui la première phase de mon Enquête en remettant il y a quelques heures au gouverneur en conseil, un rapport exposant les faits que j'ai constatés et les conclusions que j'ai tirées des audiences et de l'examen de preuves considérables.
Si vous me le permettez, je vais vous résumer de nouveau mon mandat. J'estime important de le faire parce que plusieurs se seraient possiblement mépris au sujet de ce qu'on m'avait demandé de faire et des limites dans lesquelles je pouvais utiliser la preuve recueillie lors des audiences.
J'étais invité à faire enquête
- sur la création le but et les objectifs du programme de commandites;
- sur le rôle et la responsabilité des titulaires de charges publiques au gouvernement du Canada, élus comme non élus, dans la création et la gestion du programme de commandites ainsi que la sélection des agences de communication et de publicité;
- à savoir si les membres du Parlement ont été contournés;
- pour déterminer si quelque personne ou organisation du gouvernement du Canada avaient retiré un avantage indu - financier, politique ou autre - des activités en question;
- pour déterminer si les procédures, les structures, les mécanismes de rapport, les systèmes d'approbation et les mécanismes de contrôle internes mis en œuvre par le gouvernement du Canada pour les activités en question étaient suffisants;
- pour déterminer si la culture et la structure du gouvernement du Canada ont eu un effet dissuasif sur la dénonciation d'actes répréhensibles;
- pour identifier ceux qui ont reçu des fonds de commandites, de communication et de publicité, notamment en commissions et honoraires, les raisons pour lesquelles ces fonds ont été déboursés et évaluer ce que le gouvernement avait reçu en contrepartie;
- pour déterminer s'il y a eu influence ou ingérence politique dans la distribution des fonds, et si des contributions politiques irrégulières ont été faites par les bénéficiaires des fonds;
J'ai tenté de répondre à ces questions dans le rapport que je publie aujourd'hui.
Je ne prétends pas avoir décrit, dans mon rapport, toute la preuve qui m'a été soumise car il aurait fallu alors que je produise un document beaucoup trop volumineux et détaillé. De toute façon, une bonne partie de la preuve n'avait qu'une importance marginale. J'ai plutôt retenu ce que je considère comme étant les circonstances et les faits les plus saillants pour comprendre les conclusions auxquelles je suis parvenu. Je m'empresse d'ajouter que, pour parvenir à ces conclusions, j'ai tenu compte de toute la preuve pertinente qui m'a été soumise, même si elle n'est pas reprise dans le rapport.
J'ai donc décidé de faire une déclaration publique plutôt que de tenir une conférence de presse. Je suis certain que les journalistes auraient bien des questions à me poser à la suite de cette enquête, mais une lecture attentive du rapport devrait leur donner la plupart des réponses qu'ils cherchent, outre que je ne désire pas ajouter quoi que ce soit à ce que j'ai écrit. Il faut lire mon rapport de la première à la dernière page pour comprendre mes conclusions. Il ne serait ni prudent ni juste de ma part de commenter certains aspects du rapport, ou encore de me limiter à telle transaction ou telle politique, personne, entreprise, défaillance ou inconduite. Ce rapport , dont je suis le seul auteur, suffit de lui-même.
Je me suis astreint à rédiger dans un style clair, accessible à tous, et à éviter les expressions juridiques et le jargon bureaucratique impénétrables. J'espère avoir abouti dans cette tentative et que tous ceux et toutes celles qui s'intéressent aux questions ayant présidé à la constitution de la Commission prendront le temps voulu pour le lire entièrement plutôt que d'en sélectionner quelques extraits.
Les conclusions du Rapport de la Vérificatrice générale avaient suscité de sérieuses préoccupations qui, aujourd'hui encore, font l'objet de débats à la Chambre des communes et dans les médias. Investi des pouvoirs énoncés dans la Loi sur les enquêtes, j'ai pu mener une enquête qui a été beaucoup plus loin que n'avait pu le faire la Vérificatrice générale. Par exemple, j'ai pu exiger la production de documents et de dossiers d'entreprises privées par l'entremise de subpoena ainsi que de recueillir les témoignages de nombreuses personnes, parfois même contre leur gré, qui avaient été impliquées dans les événements en question, ou qui auraient pu l'être. Cela, le Bureau du Vérificateur général du Canada n'était pas en mesure de le faire.
Au début des audiences publiques, j'ai annoncé la procédure que suivrait la Commission, ainsi que les principes qui guideraient les audiences publiques et l'administration de la preuve. Je crois pouvoir affirmer aujourd'hui, avec assurance et fierté, que j'ai largement atteint mes objectifs. Les audiences se sont déroulées dans le respect des principes que la Commission s'était engagée à observer : indépendance, équité, souci du détail, célérité et efficacité. L'aboutissement de l'enquête publique par la publication du rapport dans les délais annoncés est attribuable à l'énergie et au talent de toute une équipe, celle des employés de la Commission que je tiens à remercier pour tous les efforts qu'ils ont déployés. Je remercie tout particulièrement mon équipe juridique, ainsi que tous les jeunes avocats qui les ont aidés, pour la compétence et la diligence avec laquelle ils ont préparé et présenté la preuve durant les audiences publiques.
Ces dernières ont débuté à Ottawa le 7 septembre 2004 dans ce même édifice et ont duré environ six mois, après quoi elles se sont poursuivies à Montréal, jusqu'au 17 juin 2005, date à laquelle les avocats ont terminé leurs représentations et où j'ai commencé à rédiger mon rapport. Vingt-cinq participants ont obtenu le statut de partie ou d'intervenant à l'Enquête et les avocats les représentant, ont assisté aux audiences à des étapes diverses. Nous avons entendu 172 témoins en tout sur 136 jours d'audience. À Ottawa, de nombreux ministres et hauts fonctionnaires sont venus témoigner, et le fait que le Premier ministre en exercice et son prédécesseur immédiat aient tous les deux comparu est probablement sans précédent dans l'histoire du Canada et de n'importe quel autre pays.
Ces audiences ont produit plus de 25 000 pages de transcriptions dans les deux langues officielles, ainsi que 168 000 pages de preuve documentaire regroupée dans 1 068 volumes, et cela ne comprend pas la preuve déposée sur des supports autres que le papier, comme des vidéocassettes, des CD-ROM et d'autres fichiers totalisant 20 000 à 30 000 autres pages. On en conviendra, c'était là une énorme masse de documents à examiner et à assimiler.
Conformément à son mandat, la Commission a pu porter son enquête au-delà des limites du Rapport de la vérificatrice générale et au-delà du cadre de l'administration gouvernementale. Par exemple, elle a pu enquêter sur la réception et l'utilisation des fonds et des commissions déboursés dans le cadre du Programme de commandites, et examiner les actions et la conduite des agences de communication, de leurs propriétaires et employés, qui étaient censés agir au nom du gouvernement du Canada dans la gestion des projets de commandites. Elle s'est également penchée sur les commissions et honoraires que ces agences ont facturés et sur l'utilisation des fonds du Programme de commandites à des fins politiques ou autres.
Le paragraphe (k) de mon mandat m'enjoignait également d'exercer mes fonctions " en évitant de formuler toutes conclusions ou recommandations à l'égard de la responsabilité civile ou criminelle de personnes ou d'organisations ", et aussi " de veiller à ce que l'enquête [...] ne compromette aucune autre enquête ou poursuite en matière criminelle en cours ". J'ai pris un soin particulier à respecter ces directives durant les audiences et à l'étape de la rédaction de mon rapport. Le lecteur doit donc se garder de l'imprudence d'interpréter ce qui est dit dans ce rapport comme l'indication que j'ai tiré des conclusions ou que je me suis formé une opinion quelconque quant à l'éventuelle responsabilité civile ou criminelle de qui que ce soit, pour la simple et bonne raison que les règles de la preuve et la procédure en vigueur dans une commission d'enquête sont très différentes de celles qui prévalent dans un tribunal. Les constatations auxquelles je suis parvenu ne sont pas nécessairement les mêmes que celles qu'un tribunal aurait pu tirer. Elles sont sans conséquences juridiques. Ce rapport ne consiste pas d'un jugement et je ne me suis pas exécuté en tant que juge en remplissant mes responsabilités de Commissaire. Cependant, mon évaluation de la preuve a été appuyée par mes nombreuses années d'expérience comme juge. Ce sont de simples constats de fait accompagnés de l'opinion que je me suis faite sur la foi de la preuve au dossier.
J'ai été appelé à résoudre de nombreuses contradictions dans les témoignages. Dans le rapport, j'indique les éléments de preuve que j'accepte et ceux que je rejette. Ces conclusions, fondées sur la preuve et sur mon appréciation des témoins, sont essentielles à la bonne exécution de mon mandat. Le rapport serait peu utile aux Canadiens ou à leur gouvernement s'il ne contenait pas mes constatations sur les causes de la mauvaise gestion, des fautes commises, et sur la responsabilité directe ou indirecte de cette mauvaise gestion et de l'inconduite. Cela dit, il était tout aussi important pour moi de nommer les personnes qui, selon la preuve, n'ont rien eu à voir avec ces fautes ou cette mauvaise gestion.
Comme tout auteur dédié à son oeuvre, j'espère que tout le monde lira le rapport dans son intégralité même si je reconnais qu'il soit long et parfois aride. Les passages que j'estime particulièrement importants sont présentés dans une couleur différente et identifiés en marge.
J'ai également fait préparer un synopsis qui donne un aperçu de mes principales constatations, mais je tiens à souligner qu'il est important de consulter le rapport lui-même pour bien comprendre comment je suis parvenu à mes conclusions et quels sont les éléments de preuve qui m'y ont amené.
Mon mandat et mon rapport ne se limitent pas au " scandale des commandites". Le titre officiel de cette Commission est Commission d'enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires. On néglige parfois un peu les activités publicitaires du gouvernement, mais le rapport aborde les événements et les activités dans les deux domaines. Étant donné le caractère spectaculaire de certains témoignages et de certaines preuves, les médias ont naturellement eu tendance à se concentrer sur le Programme de commandites, mais je tiens à rappeler qu'il y avait là un problème beaucoup plus vaste, concernant les procédures de passation des marchés, la supervision et la surveillance des activités, ainsi que l'interaction entre les responsables politiques et les fonctionnaires.
Je peux à présent tourner toute mon attention et toutes mes pensées vers la deuxième phase de mon mandat qui consiste à adresser des recommandations au gouvernement du Canada, à partir des constatations factuelles de mon premier rapport, afin de prévenir la mauvaise gestion des programmes de commandites et des activités publicitaires. Il vous faut savoir que le travail amorcé pour la seconde phase de mon mandat est déjà très avancé. Ces dernières semaines, je me suis rendu dans cinq villes du Canada (Moncton, Québec, Toronto, Edmonton et Vancouver) et donc dans cinq régions, en compagnie d'un comité consultatif spécial que j'ai mis sur pied pour m'aider à formuler ces recommandations. La Commission a également invité des organisations et des particuliers à lui faire part de leur position sur certaines questions, par le truchement de notre site Internet ou par courrier.
Mon mandat m'autorisait à entreprendre ces consultations. Mon comité consultatif - composé d'éminents Canadiens, d'anciens politiciens ou sous-ministres, d'universitaires et d'un juge à la retraite - m'a accompagné dans les différentes villes où nous avons tenu des tables rondes avec des leaders communautaires et des experts de l'administration tant publique que privé. Nous avons ainsi pu recueillir leur opinion et tirer parti de leur sagesse et de leur expérience sur les grandes questions soulevées à la suite de mon enquête. Les avis et commentaires exprimés au cours de ces réunions ont été instructives et très utiles. Dans chaque région, nous avons entendu des points de vue différents sur des thèmes communs. Sans entrer dans le détail de tout ce que nous avons examiné en préparation de mon second rapport, je peux tout de même vous dire que celui-ci traitera avant tout des problèmes de responsabilité et de reddition de comptes ministérielles, dans tous les ordres de gouvernement, ainsi que de la nécessité d'assurer la transparence au gouvernement.
Une autre question qui semble préoccuper tout le monde est celle de la reddition de compte des sous-ministres et des autres hauts fonctionnaires. Mon rapport s'intitule " Qui est responsable? " Si les ministres n'acceptent pas cette responsabilité pour la mauvaise gestion des dépenses et des programmes publics, qui doit l'assumer? Les fonctionnaires? Doit-on forcer les ministres à assumer cette responsabilité et à subir les conséquences des écarts de gestion commis dans leur ministère? Doit-on plutôt tenir les sous-ministres, soient les administrateurs généraux des ministères, responsables de l'administration financière et redevables de la mauvaise gestion de leur ministère?
Mon mandat m'oblige à me pencher sur ces questions qui portent sur les responsabilités respectives des ministres et des fonctionnaires. Le problème n'est pas de savoir s'il faut abandonner le principe de la responsabilité ministérielle mais plutôt d'essayer de le préciser ou de le modifier pour faire en sorte que quelqu'un soit vraiment responsable d'assurer le respect des lois et des règlements. Il s'agit aussi de préciser comment le Parlement et les comités parlementaires peuvent garantir que les fonctionnaires respectent les règles établies. À qui doivent-ils rendre compte de leurs actions et comment pourrait-on les mettre à l'abri de toute ingérence politique indue dans l'exécution de leurs fonctions? Cette question exige que je me penche sur le rôle du personnel politique des ministres et du Premier ministre, ainsi que sur leurs relations avec les fonctionnaires.
Une autre question importante concerne les changements qu'il conviendrait d'apporter à notre culture politique et administrative. D'abord, ces changements sont-ils nécessaires et possibles? Dans une organisation aussi vaste que le gouvernement fédéral, les problèmes sont inévitables. La question importante est de savoir comment les politiciens et les fonctionnaires y réagissent lorsqu'ils se présentent. Certains estiment qu'il faudrait réagir plus positivement aux problèmes de mauvaise gestion et s'en inspirer pour réformer et améliorer les choses plutôt que de les voiler en prétendant qu'ils n'existent pas.
Un autre thème de la phase II concerne la reddition de compte des sociétés d'État et des organismes qui sont censés être indépendants du gouvernement. Deux questions fondamentales concernent les sociétés d'État. La première est la manière dont sont nommés les membres de leurs conseils d'administration. Doit-on conserver la méthode actuelle de nomination par le gouvernement ou en chercher une autre? Comment doit-on nommer leurs PDG? La deuxième question est de savoir si la relation entre le gouvernement et les sociétés d'État et autres organismes indépendants du gouvernement devrait être renforcée ou relâchée en ce qui concerne l'établissement de leur orientation stratégique.
Nous nous penchons également sur le rôle du greffier du Conseil privé et sur la relation des organismes centraux, comme le Bureau du Conseil privé et le Secrétariat du Conseil du Trésor, avec le gouvernement. Durant les audiences publiques, la question s'est posée à savoir si le Bureau du Conseil privé avait fourni un soutien et des conseils appropriés au Premier ministre, et si le Conseil du Trésor et son Secrétariat avaient exercé une surveillance adéquate. On s'est également interrogé sur les vérifications internes des projets de commandite et sur les raisons pour lesquelles elles avaient été suivies d'effets ou non.
Un autre thème d'investigation est la transparence du gouvernement, question qui englobe la législation sur l'accès à l'information et la nécessité d'adopter la loi destinée à protéger les dénonciateurs.
Comme je l'ai indiqué, j'ai obtenu l'avis d'experts sur ces questions et j'ai invité les ministères fédéraux, le milieu des affaires et le grand public à m'adresser des mémoires, ce qu'ils ont commencé à faire.
Nous avons demandé à des universitaires et à d'autres spécialistes de produire des rapports de recherche portant sur 16 domaines. Ces rapports arrivent peu à peu sur mon bureau et le comité consultatif et moi-même allons les analyser attentivement.
Comme vous pouvez le constater, j'ai encore beaucoup de pain sur la planche. Je me suis engagé à publier mon deuxième rapport le 1er février 2006, c'est-à-dire quelques jours seulement avant le deuxième anniversaire de ma nomination à la tête de cette Commission. La tâche est considérable, mais j'estime que cette occasion qui m'est donnée de contribuer à l'amélioration du gouvernement de mon pays est un privilège. Au moment où je m'attaque aux importantes questions qui feront l'objet des recommandations de mon deuxième rapport, j'invite les citoyens que la chose intéresse à lire mon premier rapport et, s'ils le souhaitent, à me dire ce qu'ils en pensent et quelle serait selon eux la meilleure manière d'éviter ce genre de problèmes à l'avenir. J'examinerai attentivement toutes les suggestions que je recevrai.
Je vous remercie de votre attention. |