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Décision: L’immunité parlementaire


L'avocate de la Chambre des communes m'a informé que son client a décidé par voie de motion de réaffirmer l'immunité et le privilège dont bénéficie, selon son mémoire, le témoignage de M. Guité devant le Comité des comptes publics et de ne pas lever ce privilège. Je suis reconnaissant à la Chambre des communes d'avoir traité cette question avec célérité.

Ce matin, l'avocat de M. Guité a déposé une motion dans laquelle il réitère son affirmation que la transcription du témoignage de son client devant le Comité des comptes publics ne saurait en aucun cas être utilisée ou évoquée durant son contre-interrogatoire. Outre l'argument fondé sur le privilège parlementaire, il invoque le fait qu'on lui aurait promis avant sa comparution que son témoignage ne serait utilisé dans aucune autre procédure. Cette promesse semble avoir été un facteur important dans les délibérations du Comité de la Chambre des communes qui a recommandé de ne pas lever l'immunité. M. Guité me demande d'émettre une ordonnance en conséquence et il réitère son objection à toute utilisation de son témoignage devant le Comité des comptes publics.

L'avocat de M. Pelletier, qui fait un contre-interrogatoire de M. Guité, et les avocats de certaines autres parties qui souhaitent faire de même désirent utiliser la transcription pour prouver que le témoin a fait antérieurement des déclarations qui, selon eux, ne concordent pas avec son témoignage devant la Commission; ils se proposent ainsi d'attaquer la crédibilité du témoin et la valeur probante de son témoignage. L'avocate de la Chambre des communes a comparu devant la Commission le 18 octobre 2004, puis à nouveau le 25 octobre 2004 pour arguer que l'utilisation de la transcription ou de la preuve déposée devant un comité quelconque de la Chambre des communes est interdite au titre de la Constitution.

L'objection formulée à l'égard de toute admission des transcriptions du CCP se fonde sur le privilège parlementaire relié à la " liberté de parole " qui fait partie de la Constitution du Canada en vertu du préambule et de l'article 18 de la Loi constitutionnelle de 1867 et de l'article 4 de la Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. 1985, ch. P-1. L'article 4 confirme les privilèges de notre Parlement et de ses membres en faisant référence aux privilèges de la Chambre des communes du Royaume-Uni au moment de la Confédération, lesquels comprenaient alors la liberté de parole parlementaire garantie par l'article 9 du Bill of Rights de 1689 du Royaume-Uni. L'article 9 dispose que " La liberté de parole et les débats ou les délibérations du Parlement ne doivent être contestés ou mis en doute devant aucun tribunal ni en aucun autre lieu que le Parlement ".

Aucune des parties contestant l'objection ne prétend que l'article 9 ne s'applique pas aux délibérations des comités de la Chambre des communes mais elles affirment qu'il ne protège que les déclarations des députés et non pas celles des personnes comparaissant en qualité de témoins devant le Parlement ou devant ses comités. Les avocats de ces parties soutiennent que l'article 9 n'était pas destiné à s'appliquer aux déclarations de tels témoins mais à celles des parlementaires eux-mêmes, le but étant de protéger ces derniers contre toute poursuite civile ou pénale fondée sur leurs déclarations. Il ne s'agissait pas, disent-ils, d'empêcher les tribunaux de se pencher sur les déclarations faites par les témoins devant les comités parlementaires, déclarations qu'ils auraient ensuite contredites devant la cour ou qui ne concorderaient pas avec leur témoignage devant celle-ci. Ils évoquent le contexte historique de l'adoption du Bill of Rights qui faisait partie de la législation ayant porté William d'Orange et son épouse, Mary, sur le trône d'Angleterre après le règne des Stuart qui avait été marqué par un conflit entre la monarchie et le Parlement. En 1689, les parlementaires désiraient clairement assurer leur immunité contre toute poursuite fondée sur leurs déclarations durant les débats parlementaires, mais on peut douter qu'ils aient alors pensé aux déclarations de témoins devant des comités parlementaires. On peut même douter que les comités parlementaires existaient en 1689, tout au moins sous la forme que nous leur connaissons aujourd'hui.

L'une des difficultés que me pose la décision de maintenir ou de rejeter l'objection est qu'il n'existe aucune cause canadienne portant directement sur cette question. On a cependant attiré mon attention sur une jurisprudence composée de causes que l'on dit être convaincantes et qui émanent d'autres pays qui, comme le Canada, ont hérité du type de gouvernement parlementaire de Westminster et des protections accordées par le Bill of Rights de 1689. Deux causes ressortent clairement de cette jurisprudence, soit la décision de M. le juge Hunt en Australie dans l'affaire R. v. Murphy (1986) 64 A.L.R. 498, et la décision du Comité judiciaire du Conseil privé au sujet d'un appel d'une décision des tribunaux de Nouvelle-Zélande dans l'affaire Prebble v. Television New Zealand Ltd. (1995) 1 A.C. 321. Hélas, ces deux décisions sont tout à la fois fort bien raisonnées, convaincantes et complètement contradictoires. Les parties contestant l'objection, qui soutiennent que l'immunité parlementaire ne s'applique pas à la transcription du témoignage de M. Guité devant le Comité des comptes publics, invoquent les motifs de jugement de M. le juge Hunt, qui comprennent l'extrait suivant à la page 8 de son jugement :

[TRADUCTION] Ce que signifie l'affirmation que " la liberté de parole et les débats ou les délibérations du Parlement ne doivent être contestés ou mis en doute devant aucun tribunal ni en aucun autre lieu que le Parlement " c'est, à mon avis, qu'aucune procédure judiciaire (ou similaire) susceptible d'avoir des conséquences légales pour un député (ou pour un témoin de comité parlementaire) ne peut être intentée si ces conséquences légales risquent d'avoir pour effet d'empêcher ce député (ou témoin de comité) d'exercer sa liberté de parole au Parlement (ou devant un comité) ou de le punir pour l'avoir fait. Autrement dit, l'expression " contestés ou mis en doute devant aucun tribunal ni en aucun autre lieu que le Parlement " qui figure à l'article 9 doit être considérée comme signifiant que l'exercice de la liberté de parole accordé aux députés (et aux témoins de comités) ne peut être contesté par voie de procédure judiciaire (ou similaire) susceptible d'avoir des conséquences légales pour ces personnes parce qu'elles se sont prévalues de cette liberté.

Il poursuit en page 11 :

[TRADUCTION] La liberté de parole au Parlement n'est pas aujourd'hui ni n'était en 1901 ou même en 1688 une fleur si délicate qu'on ne la puisse contester devant les tribunaux tout comme l'exactitude et la vérité de ce que disent les députés (ou les témoins des comités parlementaires) peuvent être sérieusement contestées dans la presse ou en public. C'est seulement si des conséquences légales doivent être subies par ces députés ou témoins pour ce qu'ils ont dit ou fait au Parlement qu'ils peuvent être empêchés d'exercer leur liberté de parole au Parlement par des contestations devant les tribunaux. C'est seulement si cela est la conséquence de la contestation que la liberté de parole au Parlement a besoin d'une plus grande protection pour qui est dit ou fait devant les tribunaux que pour ce qui est dit ou fait dans la presse ou en public.

Cette décision a tellement alarmé le Parlement d'Australie qu'il s'est empressé d'adopter une loi affirmant explicitement l'argument du privilège parlementaire rejeté par M. le juge Hunt, la Parliamentary Privileges Act de 1987.

La thèse opposée, sur laquelle se fondent les avocats de la Chambre des communes et de M. Guité, est énoncée dans la décision du Conseil privé sur Prebble v. Television New Zealand Ltd., qui interprète de manière beaucoup plus large l'immunité créée par l'article 9 du Bill of Rights. Lord Browne-Wilkinson rejette expressément les conclusions de M. le juge Hunt et dit que l'article 9 du Bill of Rights exprime à son avis le principe voulant que tribunaux et députés doivent rester conscients de leurs rôles constitutionnels respectifs et qu'on ne peut autoriser les uns à contester de quelque manière que ce soit ce que disent ou font les autres. Il ajoute à la page 332 de sa décision :

[TRADUCTION] L'opinion courante est que l'application conjuguée de l'article 9 et de ce principe plus large empêcherait sans aucun doute que l'on puisse suggérer dans l'affaire en cours (que ce soit par voie de preuve directe, de contre-interrogatoire ou de mémoire) que l'on a fait à la Chambre des déclarations qui étaient des mensonges ou étaient motivées par le désir d'induire en erreur.

Après avoir exprimé, poliment mais fermement, son profond désaccord avec les conclusions de M. le juge Hunt dans R. vs. Murphy, Sa Seigneurie conclut en ces termes (p. 334) :

[TRADUCTION] De plus, accepter que l'on suggère en contre-interrogatoire ou en déposition qu'un député ou un témoin a menti à la Chambre pourrait entraîner exactement le type de conflit entre les tribunaux et le Parlement que le principe plus large de non-intervention vise à éviter. Induire la Chambre en erreur est un outrage à la Chambre, que celle-ci peut sanctionner : si l'on devait également permettre à un tribunal de décider qu'un député ou un témoin a ou non trompé la Chambre, il y aurait un risque grave de décisions contradictoires sur la question.

Il convient de souligner que les décisions rendues par le Conseil privé en 1995 ne sont pas contraignantes pour les tribunaux canadiens, bien que son opinion sur la bonne interprétation à donner à une loi anglaise telle que le Bill of Rights de 1689 doive évidemment jouir d'un poids considérable.

Avant de faire un choix entre ces précédents contradictoires, je dois me pencher sur le contexte particulier du présent litige qui se distingue à certains égards importants des causes mentionnées. Premièrement, je ne préside pas ici une cour de justice mais une commission d'enquête dont le mandat est de faire des constatations factuelles afin de formuler ensuite des recommandations pour éviter la mauvaise gestion des programmes de commandite ou des activités publicitaires du gouvernement du Canada à l'avenir. En vertu du mandat portant création de la Commission, je suis tenu d'adresser, dans les plus brefs délais, des rapports au gouverneur en conseil, ce qui signifie à mes yeux que je dois éviter dans toute la mesure du possible, dans mon rôle de commissaire, les complications juridiques qui auraient pour effet de retarder les audiences de la Commission et la communication de ses rapports. Comme il m'est interdit, en vertu de mon mandat, de formuler toute conclusion de responsabilité civile ou criminelle, la Commission n'est absolument pas similaire à un tribunal, bien que certaines de ses procédures soient comparables à celles qui s'appliquent à un procès. Je prends note également du fait que le commissaire est autorisé, au titre de son mandat, " à adopter les procédures et méthodes qui lui paraîtront indiquées pour la conduite de l'enquête ", ce qui veut dire que les règles usuelles concernant la procédure et l'admissibilité de la preuve ne s'appliquent pas à la Commission, la seule limite imposée à ma liberté d'agir comme je le juge opportun et approprié étant mon obligation d'agir équitablement et conformément au souci de justice naturelle.

Une autre distinction mérite d'être soulignée. Cette Enquête est une enquête publique sur des questions revêtant un intérêt considérable pour le public, lequel dépend des médias pour prendre connaissance de la preuve. Les audiences sont télévisées, comme l'étaient les audiences du Comité des comptes publics. Si je décidais de maintenir l'objection, je me trouverais dans la situation apparemment paradoxale où j'aurais décidé d'empêcher la Commission de se pencher sur des témoignages qui ont été portés à la connaissance de toute la population et qui ont été largement commentés dans la presse. Toutefois, le paradoxe n'est pas aussi évident qu'il n'y paraît. Il n'est pas rare que les juges et jurys appelés à juger des questions de fait n'aient pas accès à certains faits trouvant leur source dans des communications privilégiées, et personne ne conteste pourtant la validité juridique de leurs constatations éventuelles et de leur verdict.

La dernière différence est la promesse explicitement faite à M. Guité par le Comité des comptes publics qu'il bénéficierait de l'immunité parlementaire. Selon les recueils d'arrêts, il ne semble pas que l'on ait fait une promesse similaire aux témoins dans les affaires Murphy et Prebble.

Si je devais décider d'autoriser l'utilisation des transcriptions en contre-interrogatoire, j'aurais incontestablement l'avantage de savoir dans quelle mesure M. Guité a pu faire devant le Comité des comptes publics des déclarations qui ne concordent pas avec son témoignage devant la Commission, mais ce serait au risque de provoquer une demande de révision judiciaire de ma décision et une suspension des travaux de la Commission. Cela constituerait à mes yeux un danger beaucoup plus grand pour l'exécution de mon mandat qu'être privé de l'utilisation des transcriptions.

Il convient de rappeler que les questions posées à un témoin au sujet de ses déclarations antérieures contradictoires ont pour seul objectif de miner sa crédibilité. Elles n'ont pas pour objet d'introduire en preuve ses déclarations antérieures; seul ce que le témoin dit en déposant devant la Commission possède ce que nous appelons une valeur probante. Il convient aussi de rappeler que de telles questions ne sont qu'une méthode parmi d'autres pour attaquer la crédibilité d'un témoin. Tous les autres moyens susceptibles d'évaluer et de juger sa crédibilité restent disponibles. À mon sens, même sans avoir recours à son témoignage antérieur, il devrait m'être possible de tirer des conclusions satisfaisantes sur la crédibilité de M. Guité, considérant mon expérience de juge, la documentation figurant au dossier, les déclarations contradictoires antérieures qu'il a pu faire ailleurs que devant ce comité particulier, et les indices usuels qu'utilisent les juges des faits, comme la manière dont les témoins se comportent, les contradictions éventuelles figurant dans leur témoignage et la preuve fournie par les autres témoins.

Il importe à mon avis que la Commission ne donne pas l'impression qu'elle empiète d'une manière quelconque sur les privilèges et immunités du Parlement du Canada et qu'elle respecte les promesses et engagements de ce dernier envers M. Guité. Pour cette raison, et pour la raison pratique qu'il est souhaitable et nécessaire de ne pas interrompre le travail de la Commission, je propose de maintenir l'objection. Si cette décision donne lieu à une demande de révision judiciaire par l'une ou plusieurs des parties qui contestent l'objection, et au cas où ma décision concernant l'objection serait éventuellement renversée avant que la Commission n'ait produit son rapport, M. Guité pourrait s'il y a lieu être convoqué de nouveau pour être interrogé sur des déclarations apparemment contradictoires faites ailleurs. Autrement dit, rien n'aura été fait qui ne pourrait ensuite être corrigé.

Pour le moment, l'objection est maintenue et il est interdit aux avocats de poser à M. Guité des questions quelconques fondées sur une déclaration apparemment contradictoire qu'il aurait faite devant le Comité des comptes publics de la Chambre des communes.


John H. Gomery
__________________________________________
John H. Gomery, commissaire


Ottawa, le 22 novembre 2004


Mise à jour: 2004-11-29 Avis importants

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