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Décision : Éléments de preuve issus du Comité des comptes publics


Les 18 et 25 octobre 2004, j'ai entendu la plaidoirie sur l'objection de M. Guité à la demande de l'avocat de M. Gagliano de contre-interroger M. Guité en tenant compte de son témoignage antérieur, en avril de la même année, devant le Comité permanent des comptes publics (CPCP) de la Chambre des communes. Messieurs Chrétien et Pelletier appuyaient M. Gagliano dans sa démarche, tandis que le procureur de M. Guité s'y opposait. Le procureur de M. Guité, tout comme celui de la Chambre des communes, prétendait que le privilège parlementaire interdisait d'utiliser le témoignage de M. Guité pour attaquer sa crédibilité.

La décision que j'ai rendue le 22 novembre 2004 rejetait l'utilisation du témoignage devant le CPCP. J'estimais posséder suffisamment d'éléments, même sans ce témoignage, pour évaluer la crédibilité de M. Guité; il était donc inutile que je prononce une décision finale quant à savoir si le privilège parlementaire interdisait d'utiliser le témoignage devant le CPCP pour attaquer la crédibilité de M. Guité.

Ma décision de ne pas admettre en preuve le témoignage devant le CPCP a été confirmée par la décision rendue le 27 avril 2005 par la Cour fédérale qui avait été saisie d'une requête de contrôle judiciaire. Toutefois, la conclusion de madame la juge Tremblay-Lamer s'appuyait sur une évaluation de la loi concernant le privilège parlementaire, telle qu'appliquée au témoignage devant le CPCP. Elle a conclu qu'il fallait d'abord et avant tout se demander s'il était nécessaire, pour assurer le bon fonctionnement des comités parlementaires, d'interdire le contre-interrogatoire, devant tout autre tribunal, des témoins ayant comparu devant ces comités, en utilisant les transcriptions de leurs témoignages devant ces derniers; à son avis, il faut interdire le contre-interrogatoire fondé sur le témoignage devant les comités de façon à encourager les témoins à déposer librement devant les comités parlementaires, à permettre au comité d'exercer ses fonctions d'enquête et à éviter les constatations de fait contradictoires.

M. Gagliano me demande maintenant d'ordonner le dépôt au dossier des transcriptions du CPCP et des enregistrements audio-visuels correspondants. De plus, se basant lui-même sur le dernier facteur mentionné par la juge Tremblay-Lamer, à savoir, la nécessité d'éviter les constatations de fait contradictoires, M. Gagliano me demande de substituer le témoignage devant le CPCP à l'interrogatoire et au contre-interrogatoire de M. Guité devant cette commission, l'an dernier ainsi qu'en avril et mai de cette année. La requête a été plaidée devant moi le 13 mai 2005 par l'avocat de M. Gagliano, de la Chambre des communes (droit de participation accordé aux fins de cette demande), du gouvernement du Canada et de la présente Commission. L'avocat de M. Guité m'a informé par écrit qu'il s'opposait à la demande.

Le premier élément de l'argumentation de M. Gagliano est que le dépôt au dossier du témoignage devant le CPCP, à titre de preuve d'un fait passé, ne violerait pas en soi le privilège parlementaire. Le second élément est que le témoignage de M. Guité devant le CPCP devrait être admis en preuve parce que son contenu est pertinent au mandat de la Commission d'enquête et est essentiel au droit de justice naturelle de M. Gagliano de présenter des preuves qui contredisent un témoignage entendu par la Commission contraire à ses intérêts. Le troisième élément de son argumentation est que, conformément à la décision récente de la Cour fédérale, je me dois de faire abstraction du témoignage censément contradictoire présenté devant la Commission parce que la loi concernant le privilège parlementaire établit que le témoignage devant le CPCP ne peut être remis en question. Le dernier élément affirme que le témoignage de M. Guité devant le CPCP satisfait aux critères d'admissibilité définis par la Cour suprême du Canada dans la décision rendue dans l'affaire B. (K.G.)1.

Dans sa présentation écrite, M. Gagliano ajoute que le témoignage de M. Guité devant le CPCP est probablement plus franc et plus ouvert que son témoignage " non protégé " devant cette commission parce qu'il a été informé que son témoignage devant le CPCP était protégé par le privilège parlementaire; il s'ensuit que l'exclusion du dossier du témoignage devant le CPCP équivaudrait à priver la Commission des meilleures preuves disponibles.

La principale représentation défavorable à la requête de M. Gagliano a été présentée par le procureur de la Chambre des communes, qui soutenait que le simple fait d'admettre en preuve le témoignage devant le CPCP, sachant que le privilège parlementaire interdit d'évaluer le contenu de ce témoignage pour en déterminer la crédibilité et le poids, irait à l'encontre de l'obligation de la Commission de tirer des conclusions fondées sur sa propre évaluation de la preuve. Il est évident que l'intention réelle de M. Gagliano est de faire admettre le témoignage antérieur pour la vérité de son contenu plutôt que comme un simple fait. Il a également fait valoir que l'admission du témoignage irait à l'encontre des obligations d'équité des délibérations de cette commission, en particulier son obligation de laisser à M. Guité une possibilité de tenter d'expliquer toute contradiction entre son témoignage antérieur et son témoignage actuel. On m'a rappelé que j'étais déjà arrivé à la conclusion que je suis en mesure d'évaluer la crédibilité de M. Guité sans recourir à son témoignage devant le CPCP. Étant donné que le Comité n'a pas lui-même évalué le témoignage ou la crédibilité de M. Guité, la possibilité de constatations de fait contradictoires existerait toujours. Le dernier argument concernait le fait que la règle de " la meilleure preuve " de la common law ne pouvait l'emporter sur la règle en matière de privilège.

L'avocat du Gouvernement du Canada a appuyé la Chambre des communes dans ses soumissions et a ajouté que, dans la mesure où l'argumentation de M. Gagliano reposait sur les principes de la justice naturelle, les décisions rendues par la Cour suprême du Canada dans les affaires Ocean Port2 et Donahoe (New Brunswick Broadcasting)3 font valoir que ces principes peuvent ouvrir la voie à des dispositions législatives contradictoires (en l'absence de disposition constitutionnelle dérogatoire) de même qu'à des règles conflictuelles de droit constitutionnel.

Par analogie, l'avocat de la Commission a plaidé en faveur de l'exclusion de la preuve en se fondant sur la règle de la common law, qui stipule que personne ne peut invoquer les principes de la justice naturelle pour annuler un privilège professionnel. Il a également souligné que les règles invoquées dans l'affaire B. (K.G.) pour admettre des déclarations antérieures contradictoires ne peuvent être appliquées que lorsque la preuve que l'on souhaite présenter est par ailleurs admissible

L'argumentation de M. Gagliano, voulant que la simple admission en preuve du témoignage présenté devant le CPCP ne constitue pas une violation du privilège parlementaire, semble fondée jusqu'à un certain point. Tel que mentionné dans les soumissions écrites de M. Gagliano, il est vrai que le Comité judiciaire du Conseil privé a affirmé, dans sa décision sur l'affaire Prebble4, que les tribunaux pouvaient admettre le Hansard (c'est-à-dire le journal des débats) en preuve de ce qui a réellement été fait et dit au Parlement5. Mais en y regardant de plus près, la jurisprudence citée par le demandeur lui apporte peu de soutien dans la situation particulière en l'espèce.

Dans Comalco6, une décision de la Cour suprême du Territoire de la capitale de l'Australie, la société plaignante a poursuivi les médias pour diffamation dans une émission de télévision, au cours de laquelle ont été citées des déclarations présumées d'un ministre du corps législatif territorial. Dans leur défense, les médias ont tenté de soumettre ces déclarations en preuve, et le privilège parlementaire a été invoqué pour les en empêcher. La cour australienne a examiné un certain nombre de décisions, notamment l'affaire anglaise de diffamation Church of Scientology v. Johnson-Smith7 dans laquelle le plaignant avait allégué que le membre défendeur du Parlement avait constamment attaqué l'Église de scientologie à la Chambre des communes. La cour anglaise a exclu les renseignements qui s'appuyaient sur le Hansard pour établir ce qui s'était dit à la Chambre. Subséquemment, dans l'affaire Comalco, la cour australienne a précisé que la décision Church of Scientology établissait que les déclarations du défendeur à la Chambre ne pouvaient être utilisées contre lui sur la question de l'intention de nuire, mais n'établissait aucunement que le Hansard lui-même étaient inadmissible en preuve. Voici la conclusion de la cour australienne8 :

... Je pense que la cour se conforme à l'article 9 du Bill of Rights de 1689 et au droit des privilèges du Parlement, non pas en refusant d'admettre la preuve de ce qui s'est dit au Parlement mais en refusant que la substance des propos tenus au Parlement fasse l'objet de soumissions ou d'inférences. La cour confirme les privilèges du Parlement, non pas par une règle quant à l'admissibilité de la preuve, mais par le contrôle qu'elle exerce sur les plaidoiries et délibérations en cour. [TRADUCTION]

Par conséquent, des passages du Hansard ont été jugés admissibles uniquement pour établir que certaines déclarations avaient été faites par le ministre, compte tenu de leur possible utilité pour la défense de loyauté du commentaire.

Dans l'affaire Pepper v. Hart9, la décision de la Chambre des lords portait principalement sur la règle qui empêchait les tribunaux britanniques d'utiliser le Hansard comme un instrument d'interprétation des lois, une règle déjà rejetée par les tribunaux canadiens. Certains se demandaient si le simple fait d'admettre en preuve des extraits du Hansard pouvait violer le privilège parlementaire. En répondant à cette question, les Lords juristes ont surtout cherché à déterminer si l'admission du Hansard en tant qu'instrument pour résoudre une ambiguïté dans le langage législatif pouvait entraîner une contestation ou une remise en question de la liberté d'expression, des débats ou des délibérations au Parlement. Le procureur général avait allégué qu'une telle utilisation donnerait lieu à une remise en question de la liberté d'expression ou des débats. Lord Browne-Wilkinson, avec lesquels les autres Lords juristes étaient tous d'accord, soutenait que l'utilisation par le tribunal de déclarations ministérielles explicites, à titre de guide d'interprétation de textes législatifs ambigus, ne contreviendrait pas à l'article 9. Il affirmait également que tous les juges seraient bien avisés de s'assurer que l'avocat n'attaque ni ne critique d'aucune façon les déclarations du ministre ou son raisonnement10.

Dans l'affaire Clarke11, le défendeur était accusé d'avoir provoqué une émeute sur les marches de la législature ontarienne. La cour lui a permis de mettre en preuve sa correspondance avec La Présidence afin de lui faire part de son état d'esprit, mais a interdit d'utiliser les mêmes documents pour critiquer ou analyser, de quelque façon que ce soit, les mesures prises par La Présidence ou les décisions du président.

Enfin, bien que la décision rendue dans l'affaire Prebble soit manifestement favorable à l'admission du Hansard en preuve de certains propos tenus au Parlement, les Lords juristes ont très clairement restreint les utilisations possibles de cette preuve et imposé des obligations de vigilance au tribunal qui admet la preuve12 :

... Donc, dans la présente poursuite, personne ne peut s'objecter à ce qu'il soit prouvé que le plaignant ou le premier ministre a tenu certains propos en chambre … ou que la State-Owned Enterprises Act a été promulguée en 1986 …. C'est le juge du procès qui devra s'assurer que la preuve de ces faits n'est pas utilisée pour laisser entendre que les propos tenus étaient abusifs ou que la loi a été adoptée dans un but illégitime. [TRADUCTION]

Ils ont ajouté ce qui suit13:

Il est clair que, dans l'état actuel des plaidoiries, le défendeur entend s'appuyer sur ces questions non pas simplement pour établir des faits, mais dans le cadre de la présumée conspiration ou de son exécution. Par conséquent, les Lords juristes sont d'avis que Smellie J. a eu raison de les rejeter. Ils tiennent cependant à préciser que si le défendeur souhaite, lors du procès, faire état d'événements qui se sont produits ou de propos qui ont été tenus au Parlement, sans ajouter d'allégation d'irrégularité ou sans les remettre en question, rien ne s'y oppose. [TRADUCTION]

Selon moi, l'attrait de l'argument de M. Gagliano, à savoir, que le privilège parlementaire permet d'admettre le témoignage de M. Guité devant le CPCP en preuve devant cette commission, disparaît lorsque l'on comprend que l'admission de ce témoignage en preuve a pour objectif réel d'établir les faits qui y sont confirmés. Le fait que M. Guité ait témoigné n'est pas contesté; ce que M. Gagliano veut réellement prouver, c'est que M. Guité peut avoir fait devant le CPCP des déclarations qui ne concordent pas avec son témoignage devant la Commission. Cette démarche est en contradiction directe avec la décision de la Cour fédérale sur la requête antérieure de M. Gagliano; l'enregistrement du témoignage de M. Guité devant le CPCP ne peut être utilisé pour vérifier sa crédibilité. Pour établir sa présumée nature contradictoire, je devrais examiner le témoignage présenté devant le CPCP et le comparer au témoignage que j'ai entendu. À mon avis, un tel exercice est relié de trop près au contre-interrogatoire qui, selon la juge Tremblay-Lamer, est interdit par le privilège parlementaire.

Pour les besoins de l'exercice de mon pouvoir discrétionnaire, celui de contrôler les délibérations de cette commission, je pense que le principal intérêt de la jurisprudence citée ci-dessus réside dans le fait qu'elle rappelle la prudence dont doit faire preuve un tribunal lorsqu'il est suggéré qu'un enregistrement de délibérations parlementaires fasse partie des transcriptions. Le tribunal doit refuser que la teneur des propos fasse l'objet de toute soumission ou inférence14 et doit aussi veiller à ce que l'avocat n'attaque ni ne critique d'aucune façon les déclarations du ministre ou son raisonnement15 et s'assurer que l'admission en preuve des transcriptions ou des enregistrements audiovisuels ne s'accompagne pas d'allégation d'irrégularité ou de toute autre remise en question16.

Dans la deuxième conclusion de sa requête, M. Gagliano soutient que, si j'admets en preuve la transcription du témoignage devant le CPCP, je dois alors remplacer par ce dernier le témoignage de M. Guité devant cette commission. Mais puisque le témoignage de M. Guité devant le CPCP n'a pas été présenté selon les règles de la Commission, je ne peux l'accepter sans contre-interrogatoire antérieur, entre autres raisons. Si j'étais enclin de m'en remettre à l'évaluation qu'a faite le Comité du témoignage de M. Guité, je ne pourrais pas utiliser en preuve le témoignage devant le CPCP puisque ce comité n'a pas encore déposé son rapport. À vrai dire, l'utilisation du témoignage devant le CPCP pourrait à la limite conduire à des constatations de fait contradictoires, par exemple entre la présente Commission et le CPCP, puisque ce dernier pourrait ultérieurement rejeter certains ou l'ensemble des témoignages que j'aurais acceptés.

En conclusion, étant donné que la Cour fédérale a décidé que le témoignage de M. Guité ne pouvait être remis en question, soupesé ou évalué pour sa crédibilité que par le Parlement lui-même, et ne pouvait pas non plus être utilisé contre M. Guité dans les délibérations de la Commission, je crois que l'admission du témoignage de M. Guité devant le CPCP ne serait d'aucune utilité. J'exerce donc de mon pouvoir discrétionnaire pour continuer d'exclure ce témoignage du dossier dont je suis saisi.

La requête de M. Gagliano est rejetée.


John H. Gomery
__________________________________________
John H. Gomery, commissaire


20 mai 2005

  1Sa Majesté la Reine c. B. (K.G.), [1993] 1 RCS 740
  2Ocean Port Hotel Ltd. c. Columbie-Britannique (General Manager, Liquor Control and
    Licensing Branch), [2001] 2 R.C.S. 781

  3New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l'Assemblée
    législative), [1993] 1 R.C.S. 319

  4Prebble v. Television New Zealand Ltd., [1995] 1 A.C. 321 (P.C.)
  5Idem, à la p. 337
  6Comalco Ltd. v. Australian Broadcasting Corporation, (1983) 50 A.C.T.R. 1 (S.C.)
  7Church of Scientology of California v. Johnson-Smith, [1972] 1 QB 522
  8Comalco, à la p. 5
  9Pepper (Inspector of Taxes) v. Hart, [1993] A.C. 593 (H.L.(E.))
10Idem, à la p. 639
11Her Majesty the Queen v. John Clarke et al., inédit, Cour supérieure de justice
    (Ontario), No de dossier de la Cour 0075/02, le 2 avril 2003

12Prebble, à la p. 337
13Idem, à la p. 337
14Comalco
15Pepper c. Hart
16Prebble

Mise à jour: 2005-5-20 Avis importants

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