 |
L'Île-du-Prince-Édouard
Adhésion à la Confédération : 1873
L'Île-du-Prince-Édouard avant la Confédération
Avant la Confédération, l'Île-du-Prince-Édouard a une population d'environ 87 000 personnes. Presque tous ses habitants sont de descendance irlandaise, écossaise, anglaise ou acadienne, mais on y trouve également de petites communautés de Noirs et de Mi'kmaqs. La vie y a résolument une saveur rurale. Charlottetown est la seule ville constituée dans la province, avec tout juste 7 000 habitants.
L'Île a une économie solide qui repose sur l'agriculture, la production de bois d'œuvre, la construction navale et une flotte marchande transportant des marchandises dans le monde entier. Comme d'autres parties de l'Amérique du Nord britannique, elle bénéficie du traité de réciprocité. Elle entretient aussi des liens commerciaux importants avec les États de la Nouvelle-Angleterre. Pourtant, malgré la bonne santé de l'économie, de nombreux habitants vivent et travaillent sur des parcelles de terrain appartenant à des propriétaires terriens non résidents qui demandent des loyers exorbitants ou refusent de vendre leurs terrains, ce qui soulève de nombreux problèmes.
La politique de l'Île se caractérise par une profonde indépendance à l'égard du monde extérieur et par d'intenses batailles politiques internes. On instaure un gouvernement responsable à l'Île en 1851. La plupart des hommes ont le droit de voter, mais pas les femmes. Des conflits éclatent souvent à l'Assemblée législative entre les réformistes, qui sont principalement anti-propriétaires, et les conservateurs, qui soutiennent généralement les droits des propriétaires. À l'époque de la Conférence de Charlottetown, le colonel John Hamilton Gray, conservateur, est premier ministre de l'Île-du-Prince-Édouard. George Coles, ancien premier ministre et vétéran de la lutte pour un gouvernement responsable, est le chef de l'opposition au conseil législatif.
En 1864, l'Île-du-Prince-Édouard accueille la Conférence de Charlottetown. Le choix du lieu s'avère un peu particulier en ce sens que les membres de la délégation de l'Île sont presque tous opposés à la fois à une union maritime et à l'union élargie que proposent les Canadiens. (On a laissé entendre que le gouvernement de l'Île a refusé de participer à toute conférence à moins d'en être l'hôte.) Parmi les délégués de l'Île se trouvent le premier ministre John Hamilton Gray, le procureur général Edward Palmer, le député William Henry Pope, le chef du parti réformiste à la Chambre haute Andrew Archibald Macdonald et le chef de l'opposition à la Chambre basse, George Coles.
Au départ, la plupart des délégués de l'Île voient peu d'avantages à se joindre à une union des colonies de l'Amérique du Nord britannique. Ils craignent que la province perde son assemblée ainsi que le contrôle de ses propres affaires. Edward Palmer, fervent opposant à la Confédération, va jusqu'à rappeler à ses collègues qu'ils sont autorisés uniquement à écouter et non à prendre des décisions. Cependant, les délégués de l'Île commencent à s'intéresser à l'idée d'une union élargie, surtout après que les autres colonies proposent l'achat de grandes parcelles de terrain -- financé par le nouveau gouvernement proposé -- en guise de solution au problème des propriétaires terriens non résidents.
Les Prince-Édouardiens sont des hôtes passionnés. La Conférence de Charlottetown laisse un souvenir indélébile de ses fêtes, de ses dîners élégants et de ses excursions sur l'Île, organisés pour les visiteurs venus du continent. Les Canadiens ont répondu à cette hospitalité en conviant les délégués à déjeuner à bord de leur bateau. Le « grand bal » final a lieu à la Province House, le jeudi 8 septembre. Il débute à vingt-deux heures -- le dîner est servi jusqu'à une heure du matin suivant et est suivi de plusieurs heures de discours.
Une fois les discussions de Charlottetown terminées, les délégués de la conférence se promènent dans la région, visitant des villes en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick.
À la suite des discussions encourageantes de la Conférence de Charlottetown, les représentants des provinces se rencontrent de nouveau à Québec pour mettre au point un accord officiel d'union. Cette fois-là, Thomas Heath Haviland et Edward Whelan se joignent à la délégation de l'Île-du-Prince-Édouard.
L'intérêt de la délégation de l'Île-du-Prince-Édouard s'atténue rapidement à Québec. La délégation est le siège de querelles politiques intestines -- ce qui est peu surprenant, compte tenu de l'animosité entre les partis qui existe parmi ses membres. Coles et Palmer, par exemple, se sont déjà battus en duel et le colonel Gray a évincé Palmer du poste de premier ministre l'année précédente. Des problèmes surgissent également à propos de l'accord en cours d'élaboration; en effet, la délégation de l'Île n'est pas d'accord avec la composition du gouvernement de l'union proposée. Peut-être encore plus dommageable, cependant, est le retrait de l'offre de rachat des terres des propriétaires terriens non résidents.
Comme à Charlottetown, nombre d'activités mondaines divertissent les délégués à Québec. On retrouve, dans le journal intime de Mercy Coles, la fille de George Coles, ainsi que dans les comptes rendus de journal d'Edward Whelan, des impressions sur les dîners et les bals. Même ces événements ne réussissent pas à effacer les problèmes auxquels la délégation de l'Île doit faire face ni le manque d'harmonie entre ses propres membres.
Réactions à l'Île-du-Prince-Édouard
Le débat sur la Confédération éclate à l'Île-du-Prince-Édouard après le retour des délégués de Québec. Les Résolutions de Québec, issues de la conférence, sont immédiatement publiées dans un journal local et reçoivent peu de soutien dans la population. Certaines des discussions les plus amères se déroulent au sein même du gouvernement conservateur, entre le colonel Gray, qui est en faveur de la Confédération, et Palmer, qui est contre. Au bout de quelques mois, les deux avaient démissionné du Cabinet en raison de cette divergence.
Coles, le chef de l'opposition officielle, cesse rapidement d'appuyer l'union dès son retour de la Conférence de Québec et il s'associe à ses collègues Palmer et MacDonald pour s'opposer à la Confédération. Cinq journaux sur sept, à l'Île-du-Prince-Édouard, sont opposés à l'union, comme le sont un grand nombre de Prince-Édouardiens. Les opposants prétendent qu'une union avec les autres colonies entraînerait des impôts excessifs, ferait dépenser l'argent des contribuables à des fins qui ne profiteraient pas directement aux habitants de l'Île et conduirait à la conscription des Prince-Édouardiens lors des conflits dans lesquels les Canadiens seraient engagés. Ils craignent aussi que l'Île perde son Assemblée législative.
Bien que Whelan demeure un ardent partisan de la Confédération et reçoive le soutien de quelques journaux de l'Île et de William Pope, ses efforts ne donnent aucun résultat. En décembre 1864, il écrit que l'Île est « définitivement opposée à toute forme d'union ». En mai 1866, l'Assemblée législative provinciale approuve la résolution « aucune condition » sous le leadership du nouveau premier ministre conservateur anti-Confédération, James Pope. Cette résolution rejette les conditions de la Conférence de Québec et de la Confédération.
 |
« The 'bribe' knocked into a cocked hat » (La corruption s'est heurtée à un bicorne), The Herald, 14 novembre 1866.
Droit d'auteur/Source |
Une autre tentative pour attirer de nouveau l'Île vers l'union se produit à l'automne 1866 sous la forme d'une nouvelle offre de rachat des terres des propriétaires terriens non résidents, pour un montant de 800 000 $. Samuel Leonard Tilley et Charles Tupper, alors qu'ils attendent à Londres l'ouverture de la Conférence, présentent l'offre à James Pope. Les Prince-Édouardiens perçoivent cette offre comme une tentative d'achat de leur adhésion et la rejettent.
Discussions commerciales, 1866-1868
Après avoir rejeté la Confédération, en 1866, l'Île-du-Prince-Édouard concentre ses efforts sur le renforcement de son avenir économique. La même année, le traité de réciprocité avec les Américains arrive à échéance, et les exportations de l'Île vers les États-Unis s'en trouvent considérablement réduites. À la consternation de l'Office des colonies et du nouveau gouvernement du Canada, l'Île décide de poursuivre son accord commercial avec les États-Unis. En 1868, la colonie accueille une délégation du Congrès des États-Unis. Les réunions se déroulent bien et la délégation des États-Unis présente un rapport favorable au Congrès. Cependant, l'Assemblée législative de l'Île, sous la pression de l'Office des colonies, adopte une résolution stipulant que l'Île ne peut pas négocier d'accords commerciaux sans la permission de l'Angleterre -- permission qui ne sera jamais accordée.
Meilleures conditions, 1869
Même si l'Île-du-Prince-Édouard n'a pas conclu d'accord commercial indépendant avec les Américains, la possibilité qu'il existe des liens plus serrés entre l'Île-du-Prince-Édouard et les États-Unis inquiète le Canada. En 1869, le nouveau pays tente encore une fois de convaincre l'Île de se joindre à la Confédération avec une proposition intitulée « Meilleures conditions ». En plus d'offrir de prendre en charge toutes les dettes de l'Île, la proposition accorde une allocation compensatrice et une subvention annuelle de 80 cents par habitant. De plus, le Canada offre un service à vapeur pour la livraison des passagers et de la poste sur le continent et renouvelle sa promesse d'acheter les terres restantes des propriétaires terriens non résidents pour un montant de 800 000 $. Le gouvernement de Robert Haythorne rejette cette offre en janvier 1870.
Le chemin de fer et la Confédération, 1871-1873
Après avoir rejeté la dernière offre d'union, l'Île-du-Prince-Édouard entreprend la construction d'un chemin de fer. James Pope croit qu'un réseau de chemin de fer pourrait créer des emplois et fournir des moyens efficaces de transport des marchandises à travers l'Île. De plus, il estime que le réseau attirerait le tourisme. Grandement appuyée par la population, la construction commence en 1871. Les préoccupations ne tardent toutefois pas à survenir avec l'escalade des coûts du projet. Une élection provinciale, en 1872, ne permet pas de résoudre les problèmes économiques; au cours de l'année, le gouvernement se rend compte que la province fait face à un effondrement financier imminent à moins de trouver de l'aide. En novembre, le gouvernement de l'Île-du-Prince-Édouard entreprend des démarches auprès des Canadiens pour se joindre éventuellement à la Confédération; il trouve les Canadiens réceptifs et prêts à discuter.
En février 1873, Haythorne et David Laird se rendent à Ottawa pour commencer à négocier les conditions d'un accord. En mars, une proposition d'accord est soumise aux électeurs de l'Île à l'occasion d'une élection générale. Les conditions que propose Haythorne sont impressionnantes; malgré cela, James Pope fait campagne sur la promesse d'obtenir des conditions encore meilleures. Il obtient la majorité et dirige une nouvelle délégation à Ottawa dont font également partie Haviland et G. W. Howlan. Ils réussissent à obtenir des conditions encore meilleures pour l'Île. À leur retour à Charlottetown, ils soumettent une résolution en faveur de l'union à l'Assemblée; tous les députés sauf deux votent en faveur de la Confédération.
Les conditions en vertu desquelles l'Île se joint au Canada comprennent toutes celles qu'elle avait essayé d'obtenir à Québec, en 1864, et plus encore. Le Canada prendrait en charge la dette du chemin de fer de l'Île-du-Prince-Édouard; l'Île recevrait une subvention d'un montant de 800 000 $ pour acheter les terres des propriétaires terriens non résidents, plus une subvention de 50 $ par habitant; elle aurait la garantie d'une communication continue avec le continent; et, pour finir, elle aurait six sièges au Parlement, un siège de plus que ce qu'on lui avait offert lors de la Conférence de Québec.
« Longuement attendue, finalement gagnée », 1873
 |
« Proclamation on the Admission of the Province of Prince Edward Island into Confederation ».
Droit d'auteur/Source |
L'Île-du-Prince-Édouard se joint à la Confédération le 1er juillet 1873. Malgré leur longue résistance, nombre de Prince-Édouardiens célèbrent ce jour. Plusieurs immeubles à Charlottetown sont décorés avec des drapeaux, des banderoles et des serpentins en papier; même les bateaux sont ornés de rubans. À midi, une brève cérémonie se déroule à l'édifice Colonial; on lit la proclamation de l'union et la foule chante l'hymne national. Les Prince-Édouardiens conservent tout de même un sentiment profond d'indépendance. Lorsque Lord Dufferin visite Charlottetown, plus tard au cours du même mois, il est tellement impressionné par ce sentiment persistant d'indépendance qu'il déclare avoir eu « l'impression que c'était le Dominion qui avait été annexé à l'Île-du-Prince-Édouard ».
Ce même été, James Pope fait son entrée à Ottawa à titre de membre du Parlement, devenant ainsi le premier Prince-Édouardien à faire partie du Cabinet fédéral en tant que ministre des Pêches pour John A. Macdonald. Haythorne est nommé au Sénat.
Sources
The Atlantic provinces in Confederation. -- Sous la direction de E. R. Forbes et D. A. Muise. -- Toronto : University of Toronto Press, 1993. -- 628 p.
The Atlantic region to Confederation : a history. -- Sous la direction de Philip Buckner et John G. Reid. -- Toronto : University of Toronto Press, 1994. -- 491 p.
Bolger, Francis. -- Prince Edward Island and Confederation, 1863-1873. -- [Charlottetown] : St. Dunstan's University Press, 1964. -- 308 p.
Callbeck, Lorne C. -- The cradle of Confederation. -- Fredericton (Nouveau-Brunswick) : Brunswick Press, 1964. -- 256 p.
Creighton, Donald. -- The road to Confederation : the emergence of Canada,1863-1867. -- Toronto : Macmillan, 1964. -- 489 p.
Moore, Christopher. -- 1867 : how the Fathers made a deal. -- Toronto : M & S, 1997. -- 279 p.
Waite, P. B. -- The life and times of Confederation : politics, newspapers, and the union of British North America. -- 2e édition revue et corrigée. -- Toronto : University of Toronto Press, 1962. -- 379 p.
Weale, David ; Baglole, Harry. -- The Island and Confederation : the end of an era. -- [S.l. : s. n.], 1973. -- 166 p.
Haut de la page
|