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La
Sainte Catherine d'Alexandrie
de Simone Martini: un retable orviétan
et la théologie mystique de saint Bonaventure
par Joel Brink
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Passant de la surface peinte et dorée à la superstructure
en bois, il y a lieu de faire quelques observations concernant le rognage
et la restauration du support menuisé du tableau. L'examen de l'arrière
et des côtés du panneau a révélé que
le cadre basal de même que les deux cadres latéraux, du bas
jusqu'à la naissance de l'arc, sont des adjonctions tardives.
Dans des assemblages comparables, le menuisier de Simone rattachait toujours
le cadre basal à la surface picturale du support
et, par conséquent, l'enlèvement du cadre exposait une langue
de bois nu qu'il fallait également retirer.
Il est également évident qu'au moment où
le cadre basal et son support ont été coupés, une
partie du champ peint, notamment le bout des doigts de la sainte, a été
amputée. (Comparez le personnage de ce tableau à celui du
tableau du Isabella Stewart Gardner Museum de Boston illustré à
la figure 3.) Les nouveaux cadres latéraux de largeur conforme à
celle du cadre en arc original ont été fixés à
la surface du panneau à l'endroit où se trouvaient autrefois
d'étroites colonnettes, coupant ainsi une partie de la paume de
la martyre et réduisant de ce fait la largeur de la surface peintes.
En outre, une mince tranche de bois encore insérée dans le
rebord supérieur du cadre en arc, allant du départ au sommet
sans interruption révèle que le panneau avait à l'origine
été couronné d'un pinacle et peut-être d'un
écoinçon interposé. Les menuiseries de Simone comportaient
souvent trois couches et, dans certains cas, lorsqu'un pinacle devait être
placé au-dessus d'un champ arcadé, une couche distincte de
bois de même forme que le pinacle était coupée et fixée
à la surface du support. Pour rendre harmonieuse la transition entre
le support et le rebord de la couche du pinacle, le cadre en arc était
conçu de façon à ce que la bordure inférieure
du pinacle puisse être dissimulée en l'insérant dans
sa moulure supérieure. Plus tard, quand le panneau fut coupé
le long du sommet de l'arc, la partie de la couche du pinacle qui s'insérait
dans le cadre d'arc fut préservée.
La forme du pinacle perdu peut avoir ressemblé
à celle, triangulaire, des panneaux de style similaire du polyptique
Gardner (fig. 3). Cependant, d'après d'autres indices, le panneau
du pinacle au-dessus du tableau d'Ottawa aurait été d'une
conception encore plus complexe. On peut le conclure en comparant le
panneau à l'un des autres panneaux originaux du retable, puisque
la Sainte Catherine d'Alexandrie avait été prévue
à l'origine comme partie intégrante d'un plan micro-architectural
plus complexe. L'ensemble complet appelé retable ou tabernacle
aurait ressemblé en miniature à une façade d'église
gothique de l'époque avec ses volets, ses pinacles et ses puits
de maçonnerie tous façonnés et proportionnés
avec soin. Et généralement, le retable aurait constitué
pour l'observateur un objet de contemplation, la macro-architecture de
l'intérieur de l'église ou de la chapelle servant d'arrière-plan.
Avec son atelier, Simone Martini a produit à Orvieto,
peu après 1320, au moins quatre retables à volets: un pour
les Dominicains, un autre peut-être pour les Augustins et deux tableaux
qu'on a rattachés aux Franciscains. (6) L'un des tableaux franciscains
ressemble de façon frappante à la Sainte Catherine d'Alexandrie.
Autrefois le volet central d'un retable, il représente une Madone
et Enfant avec le Rédempteur et des Anges (fig. 4) et fait partie
de la collection du Musée de l'oeuvre du Dôme, à Orvieto.
On soupçonne en fait qu'il aurait pu être le volet central
d'un retable dont le tableau d'Ottawa aurait été l'un des
panneaux latéraux. (7) Mis à part le cadre serpentin plus tardif
qui entoure actuellement le tableau et quelques lacunes et restaurations
mineures, la Madone d'Orvieto est en bon état physique. Comme pour
le tableau d'Ottawa, elle a perdu son cadre basal et son support et la
mince couche d'écoinçon (qui la retient au support et s'allonge
vers le haut pour créer le champ du pinacle) a été
coupée à l'endroit où elle se rattachait à
la corniche horizontale d'origine; aujourd'hui, le cadre moderne remplit
cette échancrure. (8) La forme menuisée du panneau, notamment
ses écoinçons décorés et son pinacle ouvragé
à trois pignons, distingue cette oeuvre des autres retables de l'époque.
Des données techniques probantes renforcent la communauté
d'origine et de cadre physique des panneaux d'Ottawa et d'Orvieto. Les motifs en creux dans les pointes de l'arc, qui consistent en étoiles
à six branches à expansion géométrique, sont
à peu près identiques dans les deux oeuvres d'art (fig. 5).
Les motifs en creux et la technique pointilliste utilisés pour la
bordure décorative du manteau de la Vierge sont également
identiques à ceux de sainte Catherine. En outre, les deux personnages,
la Madone et sainte Catherine, se ressemblent étroitement, tant
par le style que par l'exécution (fig. 6 et 7): le gracieux mouvement
des têtes, le traitement subtil de la physionomie et la chevelure
légèrement flottante, subtilement révélée
sous le voile de la Vierge dans le tableau d'Orvieto - chacun de ces détails
est étroitement apparenté dans les deux tableaux. Enfin,
les proportions géométriquement similaires, suivant la formule employée dans les autres retables de
Simone, (9) permettent également
de confirmer que les tableaux faisaient à l'origine partie intégrante
du même retable. La pose et le regard de sainte Catherine indiquent
que le panneau d'Ottawa se trouvait à la gauche de celui d'Orvieto
et, à en juger d'après l'évolution générale
du retable siennois au début du XIVe siècle italien, il est
probable que les volets latéraux reproduisaient le dessin du panneau
central avec des médaillons dans les écoinçons, une
corniche horizontale et un pinacle à trois pignons au-dessus. (10)
Ceci nous amène à nous demander de quoi aurait
eu l'air le retable orviétan complet. Il est peu probable (comme
l'affirme C. de Benedictis) (11) que les deux tableaux de la Collection
Berenson représentant sainte Lucie et sainte Catherine aient fait partie de l'ensemble
original. Sans compter le problème de placer deux images de sainte
Catherine dans la partie latérale du même retable, on peut
difficilement faire s'harmoniser les motifs en creux et l'exécution
technique de la dorure. De même, on peut difficilement reconnaître
la main de Maître Simone dans l'un ou l'autre des deux tableaux endommagés.
Alors que, dans les panneaux d'Orvieto et d'Ottawa, la physionomie et l'articulation
gracieuse des personnages ont les mêmes qualités raffinées
que les personnages féminins du polyptyque de Pise ou dù
retable Gardner (voir fig. 3) récemment nettoyé, les deux
tableaux de la Collection Berenson sont beaucoup moins réussis au
point de vue stylistique, et l'on ne devrait pas les considérer
comme ayant fait partie du retable orviétan original. En outre,
la conception innovatrice à trois pignons et l'importance spéciale
accordée au pinacle du panneau d'Orvieto semble indiquer que
le retable original n'aurait pas été plus qu'un triptyque.
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