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La
Sainte Catherine d'Alexandrie
de Simone Martini: un retable orviétan
et la théologie mystique de saint Bonaventure
par Joel Brink
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Tous les scolastiques du Moyen Age avaient pour principale
source de connaissances sur les anges le traité De coelesti hierarchia
(La hiérarchie céleste) écrit vers l'an 500 par
le Pseudo-Denys. (17) Au IXe siècle, Jean Scot Erigène produisit
de cette oeuvre grecque une traduction latine qui devint l'une des principales
sources où les théologiens médiévaux puisèrent
leur connaissance des doctrines mystiques de cet auteur. La structure
dionysienne de la hiérarchie angélique à trois niveaux
dérivait de l'idée que plus un ange était éloigné
de sa source en Dieu, moins intense était son amour et sa connaissance
du Père. Par conséquent, le degré d'illumination n'était
pas identique pour chaque triade de la hiérarchie: la triade d'anges
la plus élevée recevait sa lumière directement de
Dieu et la transmettait plus fragmentée au niveau intermédiaire
qui à son tour la passait encore plus diffuse au niveau le plus
bas de la hiérarchie. Le schéma dionysien est magnifiquement
résumé par Dante (1265-1321) au chant XXVIII du Paradis
où, contemplant les yeux de Béatrice, il voit la lumière
de Dieu encerclée par neuf anneaux rayonnants que Béatrice
identifie comme étant les trois hiérarchies ou les neuf choeurs
d'anges:
Ces ordres en haut regardent tous,
et en bas ils agissent avec une telle puissance,
que tous sont tirés et tous tirent;
et avec un si grand désir s'appliqua Denis [sic]
à contempler ces ordres,
qu'il les nomma et les distingua comme moi. (18)
D'après le Pseudo-Denys et certains scolastiques
comme saint Thomas d'Aquin et saint Bonaventure (les théologiens
dominicain et franciscain qui empruntèrent largement à De
coelesti hierarchia), (19) les séraphins étaient les plus
rapprochés de Dieu et donc enflammés par l'amour du Père,
alors que les chérubins se caractérisaient par leur connaissance
inégalée de Dieu et exprimaient la sagesse divine. Les trônes
se distinguaient par la connaissance de la signification des oeuvres de
Dieu dans le Père lui-même et, par conséquent, représentaient souvent la justice divine. Ces symbolismes correspondent de près
aux attributs donnés aux anges dans le tableau orviétan.
Le séraphin (voir fig. 13), avec ses ailes lumineuses et son drapé
chaud et coloré, se tourne pour regarder Dieu directement et tient
dans ses mains les chandelles allumées qui symbolisent l'intensité
de son amour pour le Père. Le chérubin (voir fig. 14) est
représenté avec trois paires d'ailes, encore que moins lumineuses,
et un vêtement bleu froid. Dans ses mains, il présente un
livre ouvert, ce qui, avec la couronne de laurier, exprime la plénitude
de la connaissance. Bien que le texte inscrit avec soin dans le livre ouvert
puisse sembler à première vue être un passage latin
authentique, l'analyse révèle qu'il n'a aucun sens logique.
Outre que le passage n'ait probablement pas été lisible d'en
bas, ni destiné à reproduire un traité littéraire
en particulier, le fait qu'il résiste à l'analyse linguistique
(peut-être s'agit-il d'une espèce de devinette) cadre bien
avec la perception qu'avait le Pseudo-Denys des chérubins: selon
lui, ils étaient incapables de communiquer leurs illuminations
directement au monde corporel, ne pouvant le faire qu'avec l'ordre intermédiaire
de la hiérarchie céleste qui, à son tour, les transmettait
plus bas,
(20) Enfin les trônes (voir fig. 15 et 16), qui constituent
le niveau inférieur de la triade
supérieure, se distinguent des séraphins et des chérubins
en ce qu'ils ont deux paires d'ailes et tiennent des bâtons et des
orbes pour signifier leur pouvoir judiciaire. Les trônes drapés,
ouverts, qu'ils présentent devant eux sont peut-être une allusion
à la description qu'en fait le Pseudo-Denys où il compare
le choeur à un siège par ses propriétés: position
élevée, robustesse, soutien et forme ouverte, qualités
qui, d'après l'auteur, placent les trônes en étroite
proximité avec Dieu le Père. (21)
Les deux degrés inférieurs de la hiérarchie
angélique sont également décrits en détail
dans De coelesti hierarchia et nous pouvons avoir la certitude que
le retable orviétan comprenait à l'origine ces anges dans
les médaillons et les pinacles perdus des volets latéraux.
De tels systèmes de choeurs angéliques étaient connus
ailleurs dans le domaine des arts visuels; on trouve par exemple dans
la voûte du Baptistère de Florence (où auraient pu
les voir Dante et Simone) la hiérarchie céleste complète
rayonnant autour du Rédempteur, l'Alpha et l'Oméga, et
d'autres cycles du même genre se trouvent à l'église
Saint-Marc de Venise et au Baptistère de la cathédrale de Padoue.
(22) Alors que les mosaïques florentines présentent une
vue globale de toute l'histoire du salut, l'iconographie du retable orviétan qui unit le Christ enseignant et l'écriture de l'Evangile selon
saint Jean avec la hiérarchie angélique et le Rédempteur
est plus particulièrement enracinée dans la théologie
mystique des Franciscains.
Au cours de l'étude des ouvrages spirituels de
saint Bonaventure (fig. 18), théologien suprême de l'ordre
des Franciscains et son général de 1256 à 1273, il
est devenu évident que le programme iconographique inhabituel du
retable pourrait être éclairé par les sermons mystiques
du Docteur séraphique. (23) Pour un Franciscain connaissant intimement
les opuscules mystiques de saint Bonaventure (et pour un grand nombre
c'était indubitablement le cas au XIVe siècle italien), l'apparition
dans le tableau d'un Christ enseignant avec un texte triple et s'accompagnant
de la hiérarchie angélique et du Rédempteur aurait
offert les éléments essentiels à l'établissement
d'un mode particulier de contemplation impliquant la divinité du
Christ. Cette démarche mystique conduit systématiquement
à un mouvement ascendant allant de l'interprétation hiérarchique
de l'Ecriture à la préparation de l'âme et, enfin,
à son union avec Dieu. Sous l'influence des doctrines mystiques
du Pseudo-Denys, saint Bonaventure perçut des structures analogiques
triples depuis l'Écriture (inspirée par Dieu) jusqu'aux choeurs
angéliques et à la Trinité. S'élevant de la
triple révélation divine de l'Ecriture et des actes spirituels
de purgation, d'illumination et de perfection, l'âme
du contemplatif; d'après les sermons mystiques de saint Bonaventure, entrait dans la sphère céleste où elle était
marquée de neuf niveaux correspondant symboliquement aux neufs choeurs
d'anges. Le but de l'ascension était représenté par
l'union béatifique avec Dieu dans le Royaume supercéleste
où les trois personnes de la Trinité étaient révélées
à l'imagination du contemplatif. (24)
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