Musée des beaux-arts du Canada / National Gallery of Canada

Bulletin Annuel 3, 1979-1980

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La Sainte Catherine d'Alexandrie 
de Simone Martini: un retable orviétan
et la théologie mystique de saint Bonaventure

par Joel Brink

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Tous les scolastiques du Moyen Age avaient pour principale source de connaissances sur les anges le traité De coelesti hierarchia (La hiérarchie céleste) écrit vers l'an 500 par le Pseudo-Denys. (17) Au IXe siècle, Jean Scot Erigène produisit de cette oeuvre grecque une traduction latine qui devint l'une des principales sources où les théologiens médiévaux puisèrent leur connaissance des doctrines mystiques de cet auteur. La structure dionysienne de la hiérarchie angélique à trois niveaux dérivait de l'idée que plus un ange était éloigné de sa source en Dieu, moins intense était son amour et sa connaissance du Père. Par conséquent, le degré d'illumination n'était pas identique pour chaque triade de la hiérarchie: la triade d'anges la plus élevée recevait sa lumière directement de Dieu et la transmettait plus fragmentée au niveau intermédiaire qui à son tour la passait encore plus diffuse au niveau le plus bas de la hiérarchie. Le schéma dionysien est magnifiquement résumé par Dante (1265-1321) au chant XXVIII du Paradis où, contemplant les yeux de Béatrice, il voit la lumière de Dieu encerclée par neuf anneaux rayonnants que Béatrice identifie comme étant les trois hiérarchies ou les neuf choeurs d'anges:

Ces ordres en haut regardent tous,
et en bas ils agissent avec une telle puissance,
que tous sont tirés et tous tirent;
et avec un si grand désir s'appliqua Denis [sic]
à contempler ces ordres,
qu'il les nomma et les distingua comme moi.
(18)

D'après le Pseudo-Denys et certains scolastiques comme saint Thomas d'Aquin et saint Bonaventure (les théologiens dominicain et franciscain qui empruntèrent largement à De coelesti hierarchia), (19) les séraphins étaient les plus rapprochés de Dieu et donc enflammés par l'amour du Père, alors que les chérubins se caractérisaient par leur connaissance inégalée de Dieu et exprimaient la sagesse divine. Les trônes se distinguaient par la connaissance de la signification des oeuvres de Dieu dans le Père lui-même et, par conséquent, représentaient souvent la justice divine. Ces symbolismes correspondent de près aux attributs donnés aux anges dans le tableau orviétan. Le séraphin (voir fig. 13), avec ses ailes lumineuses et son drapé chaud et coloré, se tourne pour regarder Dieu directement et tient dans ses mains les chandelles allumées qui symbolisent l'intensité de son amour pour le Père. Le chérubin (voir fig. 14) est représenté avec trois paires d'ailes, encore que moins lumineuses, et un vêtement bleu froid. Dans ses mains, il présente un livre ouvert, ce qui, avec la couronne de laurier, exprime la plénitude de la connaissance. Bien que le texte inscrit avec soin dans le livre ouvert puisse sembler à première vue être un passage latin authentique, l'analyse révèle qu'il n'a aucun sens logique. Outre que le passage n'ait probablement pas été lisible d'en bas, ni destiné à reproduire un traité littéraire en particulier, le fait qu'il résiste à l'analyse linguistique (peut-être s'agit-il d'une espèce de devinette) cadre bien avec la perception qu'avait le Pseudo-Denys des chérubins: selon lui, ils étaient incapables de communiquer leurs illuminations directement au monde corporel, ne pouvant le faire qu'avec l'ordre intermédiaire de la hiérarchie céleste qui, à son tour, les transmettait plus bas,
(20) Enfin les trônes (voir fig. 15 et 16), qui constituent le niveau inférieur de la triade supérieure, se distinguent des séraphins et des chérubins en ce qu'ils ont deux paires d'ailes et tiennent des bâtons et des orbes pour signifier leur pouvoir judiciaire. Les trônes drapés, ouverts, qu'ils présentent devant eux sont peut-être une allusion à la description qu'en fait le Pseudo-Denys où il compare le choeur à un siège par ses propriétés: position élevée, robustesse, soutien et forme ouverte, qualités qui, d'après l'auteur, placent les trônes en étroite proximité avec Dieu le Père. (21)

Les deux degrés inférieurs de la hiérarchie angélique sont également décrits en détail dans De coelesti hierarchia et nous pouvons avoir la certitude que le retable orviétan comprenait à l'origine ces anges dans les médaillons et les pinacles perdus des volets latéraux. De tels systèmes de choeurs angéliques étaient connus ailleurs dans le domaine des arts visuels; on trouve par exemple dans la voûte du Baptistère de Florence (où auraient pu les voir Dante et Simone) la hiérarchie céleste complète rayonnant autour du Rédempteur, l'Alpha et l'Oméga, et d'autres cycles du même genre se trouvent à l'église Saint-Marc de Venise et au Baptistère de la cathédrale de Padoue. (22) Alors que les mosaïques florentines présentent une vue globale de toute l'histoire du salut, l'iconographie du retable orviétan qui unit le Christ enseignant et l'écriture de l'Evangile selon saint Jean avec la hiérarchie angélique et le Rédempteur est plus particulièrement enracinée dans la théologie mystique des Franciscains.

Au cours de l'étude des ouvrages spirituels de saint Bonaventure (fig. 18), théologien suprême de l'ordre des Franciscains et son général de 1256 à 1273, il est devenu évident que le programme iconographique inhabituel du retable pourrait être éclairé par les sermons mystiques du Docteur séraphique. (23) Pour un Franciscain connaissant intimement les opuscules mystiques de saint Bonaventure (et pour un grand nombre c'était indubitablement le cas au XIVe siècle italien), l'apparition dans le tableau d'un Christ enseignant avec un texte triple et s'accompagnant de la hiérarchie angélique et du Rédempteur aurait offert les éléments essentiels à l'établissement d'un mode particulier de contemplation impliquant la divinité du Christ. Cette démarche mystique conduit systématiquement à un mouvement ascendant allant de l'interprétation hiérarchique de l'Ecriture à la préparation de l'âme et, enfin, à son union avec Dieu. Sous l'influence des doctrines mystiques du Pseudo-Denys, saint Bonaventure perçut des structures analogiques triples depuis l'Écriture (inspirée par Dieu) jusqu'aux choeurs angéliques et à la Trinité. S'élevant de la triple révélation divine de l'Ecriture et des actes spirituels de purgation, d'illumination et de perfection, l'âme du contemplatif; d'après les sermons mystiques de saint Bonaventure, entrait dans la sphère céleste où elle était marquée de neuf niveaux correspondant symboliquement aux neufs choeurs d'anges. Le but de l'ascension était représenté par l'union béatifique avec Dieu dans le Royaume supercéleste où les trois personnes de la Trinité étaient révélées à l'imagination du contemplatif. (24)

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